L'interview d'actualité - Anne-Lise Ducanda

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Du lundi au jeudi, rendez-vous, dès 6h30 avec Thomas Sotto et Marie Portonalo. Et du vendredi au dimanche, c'est au tour de Damien Thévenot et Maya Lauqué de dynamiser le réveil.

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Transcript
00:00 - Bonjour Anis Dukanda, merci beaucoup d'être avec nous ce matin.
00:02 Gabriel Attal a déclaré cette semaine qu'il fallait éviter une catastrophe sanitaire et éducative liée à la place des écrans.
00:08 Vous êtes médecin spécialiste de la question des écrans et des petits.
00:12 Vous écrivez dans votre livre, je cite, "Quand un écran s'allume, un enfant s'éteint". Est-ce que c'est à ce point-là ?
00:17 - Alors je suis ravie et le collectif Causes, auquel j'appartiens, est ravi aussi des déclarations du ministre
00:25 puisque nous on alerte depuis 2017 dans une tribune qu'on a publiée dans Le Monde en 31 mai 2017
00:31 qui s'intitulait "La surexposition des jeunes enfants aux écrans est un enjeu majeur de santé publique".
00:38 - Est-ce que la situation est si critique ?
00:40 - Alors la situation elle est critique et on n'en a pas pris la mesure.
00:43 Les enfants grandissent dans un environnement qui est complètement différent aujourd'hui d'il y a 20 ans.
00:50 Il y avait un écran par foyer il y a 20 ans, maintenant il y a 10 écrans par foyer avec enfant.
00:55 L'environnement est complètement différent et vraiment un objet fait la différence, c'est l'écran.
00:59 Et on a des troubles extrêmement variés en intensité et en... le type de trouble qu'on va trouver.
01:08 Mais effectivement les parents ne sont pas informés et là on a vraiment une action forte à avoir
01:15 et on est ravis vraiment de cette prise de conscience au niveau du gouvernement.
01:18 - Alors quel est le lien concret, concrètement entre les écrans et la difficulté d'apprentissage ou de développement ?
01:24 - Alors les écrans privent le tout petit de ses besoins essentiels.
01:29 C'est-à-dire interagir avec des humains de façon fréquente et de qualité,
01:33 notamment avec ses parents avec qui il crée une relation privilégiée qu'on appelle l'attachement,
01:38 et d'explorer le monde réel en trois dimensions avec tout son corps et tous ses sens.
01:43 Et l'enfant se développe grâce à ses conditions.
01:46 Si, on le sait, le dernier sondage Ipsos 2022 nous dit que les 0-2 ans passent 3h11 par jour sur les écrans,
01:53 les maternelles c'est 3h40, les élémentaires, j'ai les chiffres, c'est 4h40 et les collégiens 8h30.
02:01 Ils sont donc privés de ses besoins essentiels et c'est tout le développement de l'enfant qui est perturbé
02:06 et on a donc des troubles du développement.
02:08 - Alors justement, c'est quoi les troubles qu'on peut développer quand on est tout petit ?
02:12 C'est un trouble d'attention, d'apprentissage ? Qu'est-ce que c'est concrètement ?
02:16 - Alors, le trouble de l'attention, c'est le trouble le plus fréquent chez les tout-petits, mais chez les ados aussi,
02:21 il suffit de demander aux enseignants, parce que les écrans stimulent une attention particulière
02:26 qu'on appelle la tension réflexe, la vigilance, celle qui nous permet d'échapper au danger.
02:30 C'est-à-dire, ça bouge, ça fait du bruit, il y a un mouvement, on ne peut pas faire autrement que de regarder.
02:35 C'est ce qui nous permet de chasser aussi.
02:37 L'écran stimule cette attention au dépend d'une autre attention qu'on appelle la tension focalisée,
02:42 qui est la concentration.
02:44 C'est le contraire, l'enfant fait abstraction de ce qui bouge et ce qui fait du bruit autour de lui
02:48 pour se concentrer sur quelque chose qui ne bouge pas.
02:50 Donc on imagine à l'école que si l'enfant ne peut pas poser son attention assez suffisamment de temps
02:54 sur l'enseignant qui parle et sur l'activité qu'on lui propose,
02:58 il ne peut pas rentrer dans les apprentissages scolaires.
03:00 - Et ça, c'est le trouble le plus important ?
03:02 - C'est le trouble le plus fréquent, mais pas le plus important chez les petits.
03:05 - Vous êtes consulté à ce sujet de plus en plus ?
03:07 - J'ai ouvert une consultation spécialisée où je ne reçois que des enfants surexposés aux écrans
03:11 à côté de Bordeaux entre 0 et 18 ans.
03:13 Je croule sous les demandes pour tout vous dire.
03:15 - De plus en plus ? Quand est-ce que ça a explosé ?
03:17 - Ça a explosé pendant le Covid.
03:19 Alors là, clairement, les crèches étaient fermées, les parents télétravaillaient,
03:23 et j'ai vraiment des cas plus graves, plus sérieux, d'enfants qui depuis 4-5 mois
03:27 ont eu des fois 8 heures par jour devant les écrans parce que les parents ne pouvaient pas faire autrement.
03:31 - Mais oui, c'est ça. Il y a aussi une culpabilisation des parents.
03:33 Les parents sont parfois débordés.
03:35 La Covid a montré aussi que c'était aussi une alternative pour les parents qui devaient télétravailler,
03:39 qui n'avaient pas d'autre solution.
03:41 - Les parents n'ont pas pu faire autrement, et dans cette question de surexposition des enfants aux écrans,
03:45 ce n'est pas la faute des parents.
03:47 - C'est la faute de quoi ? La société ?
03:49 - C'est la faute de la société.
03:51 On a, comment dire, les familles sont envahies d'écrans.
03:57 Les écrans des enfants et les écrans des parents,
03:59 ça perturbe la relation d'attachement que le bébé doit construire avec son parent.
04:03 Et toutes les compétences de l'enfant se trouvent perturbées.
04:05 C'est pour ça qu'on a des troubles du développement.
04:07 - Mais alors, ça je suis d'accord avec vous, mais concrètement,
04:09 des écrans, il y en a partout aujourd'hui.
04:11 Moi, je travaille sur mon ordinateur, sur mon téléphone, il y a une télévision.
04:15 Comment on fait quand c'est le quotidien en fait ?
04:17 - Alors, c'est la difficulté. C'est extrêmement compliqué.
04:20 Il y a des écrans partout, on s'en sert.
04:23 Il y en a même dans le métro, il y en a dehors.
04:25 C'est pour ça qu'on dit zéro écran jusqu'à 2-3 ans.
04:28 En fait, jusqu'à temps que l'enfant ait développé un langage avec des phrases.
04:31 - Donc pas d'écran jusqu'au langage.
04:33 À partir du moment où l'enfant commence à parler, il peut regarder.
04:35 - Exactement. Mais là, il faut que ce soit limité.
04:37 Parce que les écrans offrent au cerveau humain ce qu'il adore et recherche,
04:41 c'est du plaisir sans effort.
04:43 Ça stimule le circuit de la récompense dans le cerveau
04:46 et ça fonctionne comme une addiction, comme une dépendance.
04:50 L'enfant, il ne peut plus décrocher.
04:52 Et donc, c'est très important de ne pas offrir d'écran dans la petite enfance.
04:56 - On éteint la télé, on éteint l'ordinateur.
04:59 - On éteint l'ordinateur, on éteint son téléphone.
05:02 Parce que c'est impossible de ne pas répondre aux notifications
05:04 qui arrivent toutes les 40 secondes sur nos téléphones.
05:06 Il faut offrir du temps de qualité, d'attention à son enfant, de disponibilité.
05:11 Le regarder dans les yeux, lui parler.
05:13 - Alors, rassurez-nous, un enfant qui a été exposé aux écrans petit,
05:17 est-ce que c'est réversible ?
05:19 - Alors, j'ai toujours dit que c'était réversible chez les tout-petits.
05:22 J'ai des cas tellement sérieux depuis le Covid
05:24 que ce n'est plus quelques mois des fois qu'il faut
05:27 pour que l'enfant récupère le cours normal de son développement.
05:30 Mais des fois, il faut un an ou deux ans pour que le langage,
05:32 la relation à l'autre, la gestion des émotions puissent redémarrer normalement.
05:37 - Bon, pour parler un peu positif, il y a aussi une manière de consommer qui est différente.
05:40 Par exemple, un enfant qui consomme seul sur un iPad
05:43 n'a pas le même trouble qu'un enfant qui regarde la télévision avec ses parents, par exemple.
05:47 - Alors, attention à ces messages qui ne sont pas clairs pour les parents.
05:52 Les écrans, ce n'est pas très bon tout seul, mais si vous êtes à côté, ça peut être positif.
05:56 C'est moins toxique, et je n'ai pas peur d'utiliser le mot,
05:59 quand quelque chose empêche le développement du cerveau ou de l'enfant, c'est toxique.
06:02 C'est moins toxique quand le parent est à côté, sauf que les parents utilisent des écrans, pourquoi ?
06:06 Pour se libérer du temps pour faire des tâches ménagères, on le sait à 70%.
06:09 Et les écrans, ils ont été conçus pour être partagés, mais pour être consommés tout seuls.
06:13 Donc, c'est moins toxique, c'est moins délétère,
06:15 mais aucune activité sur écran, même partagée,
06:19 ne sera aussi profitable pour un enfant que n'importe quelle activité
06:22 partagée avec son parent ou un humain dans le monde réel.
06:25 - Alors, là, on parle des enfants, il y a aussi les ados,
06:27 8 heures d'écran, vous le disiez, mais c'est aussi vivre avec son temps.
06:30 Les écrans de téléphone, d'ordinateur, c'est un lien social pour les ados.
06:34 Est-ce que vous avez un conseil pour mieux gérer le temps d'écran ?
06:38 Adressez-vous aux parents qui nous regardent et qui sont démunis,
06:40 qu'est-ce que vous pouvez leur dire ?
06:42 - Alors, les écrans, c'est une activité qui n'est pas comme les autres.
06:46 On l'a dit, captation de l'attention, réflexe et plaisir sans effort.
06:50 Donc, ce n'est pas une activité que vous devez gérer comme les autres.
06:52 Vous devez absolument faire un planning pour les grands
06:54 avec des temps d'écran autorisés.
06:56 - Combien de temps ?
06:57 - Alors, les études montrent qu'à partir de 30 minutes à 1 heure par jour,
06:59 il y a déjà des troubles de la concentration,
07:01 des difficultés à l'effort, une anxiété, un mal-être.
07:03 - Donc, moins de 30 minutes par jour.
07:05 - Donc, et il faut des jours sans écran pour que l'enfant ait envie de faire autre chose.
07:08 Donc, vraiment, le samedi et le dimanche, que le week-end,
07:11 2h30 le samedi, 2h30 le dimanche, et s'il vous plaît,
07:14 attendez le brevet, attendez 15 ans pour acheter un smartphone à votre enfant
07:17 et le mettre sur les réseaux sociaux.
07:19 - Mais c'est difficile, les collèges demandent des smartphones aux enfants aujourd'hui.
07:22 - Je suis de plus en plus appelée. J'étais encore hier soir dans un collège à Paris
07:25 pour sensibiliser les parents. Il faut qu'il y ait un mouvement général.
07:29 - Ça doit être un gouvernement qui prend en charge.
07:31 - Le gouvernement, il faut des grands plans nationaux comme on a fait pour le Covid.
07:34 - Merci beaucoup, Anne-Lise Duganda.
07:35 Je rappelle que vous êtes médecin en PMI spécialiste de la question des écrans et des enfants.
07:38 Et ce livre, "Les tout-petits face aux écrans" que vous avez écrit
07:41 pour justement parler de tous ces problèmes-là.
07:43 Merci beaucoup.
07:44 - Moi, je trouve ça génial, mais je suis en colère.
07:46 - Moi aussi, je suis en colère.
07:47 - Parce que moi, mon fils qui est ado, il est au quatrième, il a un téléphone.
07:50 Et sans téléphone, il ne peut pas communiquer avec ses profs.
07:52 - Exactement.
07:53 - Il y a des devoirs qui arrivent à 18h, à 19h sur le téléphone.
07:56 - C'est pour ça qu'on demande, on va peut-être créer un label pour les collèges et les écoles
07:59 pour qu'il y ait une hygiène de vie avec les écrans.
08:02 Par exemple, le prenote, il est pour les parents, mais pas pour les enfants.
08:05 Qu'aucun prof mette un devoir sur prenote à 22h ou samedi,
08:08 parce que les gamins ont toujours peur de louper quelque chose.
08:11 - Il y en a un peu sur les textes, il y en a un peu sur le professeur.
08:13 C'est n'importe quoi, c'est le bordel.
08:14 - C'est le bordel, mais il y a une prise de conscience et c'est le début.

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