Les bisons sont les plus gros animaux d’Europe, les plus anciens et parmi les plus sauvages. Ces géants vivent au cœur de l’une des dernières forêts primaires du continent.
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Sur plusieurs saisons, ce film aux images incroyables suit une horde qui vient de perdre sa matriarche et dont une jeune femelle prend la tête. Cette dernière a une lourde responsabilité : elle doit guider les siens à travers la forêt pour trouver de nouveaux pâturages tout en les protégeant des attaques des loups.
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Sur plusieurs saisons, ce film aux images incroyables suit une horde qui vient de perdre sa matriarche et dont une jeune femelle prend la tête. Cette dernière a une lourde responsabilité : elle doit guider les siens à travers la forêt pour trouver de nouveaux pâturages tout en les protégeant des attaques des loups.
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00:00 Une forêt incrustée de lacs où l'éternité se reflète et s'attarde.
00:09 On y entend parfois résonner les éclats sourds de cornes entrechoquées.
00:17 Ces animaux qui se défient et qui, furieux ou euphoriques,
00:22 dansent sur l'herbe d'éclairière, semblent être là eux aussi depuis toujours.
00:27 Voici les bisons.
00:32 Momentanément figées dans la fraîcheur du matin, une harde passe.
00:49 Elle va où le veut l'instinct, dans l'ordre qu'il commande.
00:53 Un instinct individuel et collectif demeuré immuable depuis des milliers d'années.
00:58 Des mâles isolés, comme le veut le protocole de l'espèce, s'attardent ou s'immobilisent,
01:15 contemplant de loin la cohorte qui s'éloigne, principalement constituée de femelles et de jeunes.
01:21 Le troupeau part en quête d'un renouveau.
01:27 Il faut que tout recommence.
01:29 En effet, un drame s'est produit quelques jours avant que cette histoire ne commence.
01:33 Un grand mâle marche parallèlement au troupeau.
01:38 Il n'y est pas admis, mais ne veut pas pour autant se laisser distancer.
01:42 La troupe, qu'un traumatisme a désorganisé, semble hésiter.
01:47 Le grand mâle aux desseins impénétrables a pris de l'avance et attend le troupeau.
02:03 Le bison européen vit en Pologne, Biélorussie et Russie, dans les derniers lambeaux de cette
02:19 forêt qui couvrait à l'origine la Scandinavie méridionale, l'archipel britannique et l'essentiel
02:24 du continent, de la péninsule ibérique à la Sibérie occidentale.
02:27 En son cœur, que se partagent la Pologne et la Biélorussie, se trouve la forêt de
02:33 Bialowieża.
02:34 La récession d'un glacier, il y a 12 000 ans, a laissé place à des forêts primaires
02:41 que seule la nature, et non l'homme, régenta pendant des millénaires.
02:45 A partir de 1541, Bialowieża devint une réserve de chasse pour les tsars, ce qui protégea
02:52 les bisons.
02:53 La première guerre mondiale entraîna le massacre de milliers d'animaux.
02:58 Un grand silence se fit.
03:00 Seul le deuil infini du vent frôlait le tronc des arbres dans la forêt déserte.
03:05 La forêt de Bialowieża est une réserve de la biosphère de l'UNESCO depuis 1976.
03:18 Elle fut inscrite au patrimoine mondial de l'humanité en 1979.
03:23 Elle fait partie de l'immense zone plantée de conifères et de feuillus, dépourvus de
03:28 pentes, qui s'étend de la Baltique à la mer Noire, en longeant les Carpathes.
03:32 De nombreuses sources alimentent des ruisseaux.
03:39 L'abondance de l'eau donne leur vigueur aux cycles végétaux.
03:43 Les bois morts abondent, ce qui nourrit une microfaune unique au monde.
03:48 La digestion et la décomposition des matières mortes régénèrent la forêt en permanence.
03:52 On ressent à Bialowieża 3000 espèces végétales, 200 d'oiseaux et 62 de mammifères.
04:02 Parmi ceux-ci, certains animaux, comme les loups, ont été réintroduits par les Polonais.
04:07 Le dernier des bisons européens succomba en 1919 au bal des braconniers.
04:19 Mais l'espèce fut reconstituée, dans les années 1950, à partir d'animaux hébergés
04:24 par des parcs zoologiques.
04:26 Le grand mâle qui a devancé la marche du troupeau et plante, sur des jambes en colonne,
04:43 ses 1000 kg de muscles, illustre bien les traits de l'espèce.
04:46 C'est un animal puissant, le plus gros d'Europe.
04:49 Les femelles sont plus petites, leur poids dépasse rarement 800 kg.
04:57 Ce n'est pas leur poids qui augmente leur prestige, mais leur expérience.
05:00 La femelle la plus ancienne et la plus aguerrie dirige le troupeau.
05:05 Mais un drame s'est produit récemment.
05:09 La matriarche est morte voici quelques jours.
05:12 Une femelle, plus jeune, la suivante dans l'ordre d'ancienneté, doit lui succéder.
05:18 C'est comme si le temps s'était arrêté.
05:23 Le sabot frappe le sol, plus indécis qu'avant.
05:26 Les mâles cheminent la tête toujours inclinée vers le sol.
05:37 Leur posture met en évidence la force que signalent leur bosse et leur crinière.
05:41 Ils ne savent pas encore si la nouvelle matriarche se montrera plus accueillante que la précédente.
05:46 Ils se préparent déjà à la tester.
05:48 En attendant, ils continuent de se tenir un peu à l'écart.
05:53 La responsabilité de la nouvelle matriarche est immense.
06:00 Il lui revient de guider sa troupe à travers la forêt vers des pâturages frais et suffisants,
06:06 de déjouer les attaques des loups, de retrouver les routes qu'empruntaient ses ancêtres.
06:28 La troupe est composée de 12 à 20 têtes, principalement les sœurs, cousines ou nièces
06:33 de la matriarche.
06:34 Les adolescents restent dans le groupe jusqu'à leur maturité sexuelle, période à laquelle
06:40 ils prendront leur distance et erreront dans la forêt à la recherche de femelles dans
06:44 d'autres groupes.
06:45 Chacun doit respect et obéissance à la matriarche.
07:08 Elle se tient au sommet de la pyramide des relations de dominance et de soumission.
07:13 Elle doit faire régner la discipline et maîtriser les ardeurs des adolescents, tenir tête au
07:20 mal trop entreprenant venu de l'extérieur, veiller à la cohésion du groupe.
07:24 La nouvelle matriarche doit assumer toutes ses responsabilités.
07:44 Elle découvre son rôle.
07:46 Tous les animaux du groupe l'observent.
07:53 De sa capacité à s'imposer découlera leur sécurité au cours des prochains mois.
07:58 Tout semble calme et paisible.
08:04 Mais à chaque palier de la hiérarchie, chacun rêve de monter d'un cran, de s'affirmer
08:10 et de dominer plus faible que lui.
08:12 Tout se joue sur une confrontation front contre front.
08:16 Celui qui maintient plus longtemps la tête de l'autre bloqué au ras du sol l'emporte.
08:22 Les tensions sont fréquentes dans le groupe.
08:28 Il faut quitter cette clairière où le troupeau, à découvert, sera en vulnérable et pénétré
08:33 de nouveau dans l'épaisseur de la forêt.
08:35 La femelle dominante a repris la marche.
08:37 Cela fait diversion.
08:39 Les combattants se calment.
08:40 Temporairement.
08:42 Chaque membre du groupe, quand il devient adulte, est ainsi défié par ceux qui se
09:01 pensent plus vigoureux.
09:02 En montant dans la hiérarchie, les bisons gagnent un droit de priorité sur les sources
09:07 de nourriture, notamment quand l'herbe est éparse ou quand la compétition alimentaire
09:12 avec d'autres herbivores en limite la disponibilité.
09:15 La forêt constitue l'environnement indispensable du bison européen.
09:39 Cela le différencie de son cousin américain qui, lui, se plaît dans les clairières, les
09:45 plaines et les espaces découverts.
09:47 Ici, le bison ne fait qu'un avec la forêt, qui, à l'âge de glace, était hantée par
09:53 les mammouths et les rhinocéros laineux contemporains de ses ancêtres.
09:56 Quand vient l'été, une incroyable biodiversité végétale produit une explosion de couleurs.
10:10 Les bisons, dont la vision se limite au noir et blanc et à une infinité de gris, n'en
10:16 perçoivent que les odeurs, qui les rendent exubérants.
10:18 Des cervidés en grand nombre coexistent avec les géants bruns dans ces prairies et ces
10:23 sous-bois où s'élèvent des chênes vieux de 600 ans.
10:26 Les bisons appartiennent par nature au peuple des proies.
10:45 La matriarche ne doit jamais relâcher sa vigilance.
10:48 L'inattention est un luxe que seuls les prédateurs peuvent s'offrir.
10:52 Dans un monde réduit à un camailleux de gris, les bisons disposent cependant d'une
10:57 capacité aiguë à distinguer les mouvements.
11:00 Ils n'ont rien à redouter du renard, mais le moindre de ces bonds dans les herbes attirent
11:04 leur attention.
11:05 De plus, les yeux du bovidé, de chaque côté de la tête, lui offrent une vision à 300
11:12 degrés.
11:13 Les globes oculaires sont protubérants, ce qui contribue à élargir leur champ d'action.
11:17 Les bisons sont héréditairement sujets à des cataractes.
11:27 Peut-être parce que les yeux de leurs ancêtres ont été exposés aux poussières et aux
11:32 pollens venues des plantes qu'ils broutaient tout près du sol.
11:34 Les bisons passent deux ou trois heures à brouter le matin, quand la rosée humidifie
11:41 encore les herbes.
11:42 Ils en font autant le soir, quand le crépuscule rafraîchit les pâturages.
11:46 L'abondance de l'eau est une bénédiction pour les bisons, qui en boivent 50 litres
11:56 par jour.
11:57 La forêt de Bialowieża est irriguée par de nombreux cours d'eau.
12:05 Ils maintiennent la densité des herbages.
12:07 Un bison mâle adulte dévore 40 à 60 kilos d'herbe par jour.
12:12 Bourgeons et écorces tendres complètent ce régime.
12:18 Les mâchoires sont le plus souvent en action pour brouter l'herbe et les tiges ligneuses
12:23 qui s'y mélangent ou pour mâcher la nourriture déjà ingérée.
12:26 En effet, le bison est un bovidé ruminant dont l'immobilité, qu'on pourrait croire
12:34 méditative, constitue en réalité une étape de calme avant la régurgitation.
12:42 C'est dans une clairière comme celle-ci que la responsabilité de la matriarche prend
13:08 tout son sens.
13:09 Elle doit en effet surveiller la coexistence avec les espèces, en compétition alimentaire
13:14 avec le troupeau, pour le partage de l'écosystème.
13:17 De plus, elle doit s'assurer que le sol ne sera pas rasé.
13:23 Il faut laisser à l'herbe la possibilité de se régénérer avant que le troupeau, plus
13:28 tard, revienne brouter au même endroit sous sa conduite.
13:31 Une langue musclée et longue, des lèvres mobiles, le mufle du bison est une véritable
13:43 machine à tondre l'herbe.
13:44 Ainsi passe le temps.
13:57 Rien n'a changé, ni les habitudes, ni les instincts hérités des bisons d'autrefois,
14:03 quand ils étaient des dizaines de milliers à peupler l'Europe.
14:05 Quand vient l'après-midi, on rumine souvent allongé.
14:19 Cette posture rend les herbivores vulnérables, de même que l'alourdissement des estomacs
14:25 rend les réflexes plus lents.
14:26 La masse du bison reste cependant, depuis la disparition des plus grands prédateurs,
14:45 les ours en particulier, leur meilleure protection.
14:48 Pendant que ses congénères ruminent, la matriarche est tenue à une vigilance redoublée.
14:58 Dans la vie d'un bison, le moment le plus gratifiant est sans doute celui du bain de
15:08 boue de sable.
15:09 L'un et l'autre interposent dans le poêle une couche isolante.
15:12 Les contorsions de l'animal apaisent les démangeaisons.
15:28 Le sable broie les parasites et la boue les asphyxie.
15:44 C'est aussi un rite social, car le bonheur du bain de sable est souvent partagé.
15:49 Enfin, se rouler dans la cuvette de terre meuble où un autre s'est vautré permet
15:54 de prendre, en y laissant son odeur, la prééminence sur lui.
15:58 La pence pleine, le poêle assaini, le cuir flatté par la caresse du soleil, on peut
16:17 enfin s'apaiser et attendre que la matriarche donne le signal du départ.
16:21 La matriarche et ses congénères sentent, à cette période de l'été, qu'un mystère
16:28 les habite, comme une pression venue de l'intérieur.
16:31 La saison des accouplements est arrivée.
16:34 Mugissements, agitation, le comportement des animaux se transforme.
16:39 Les femelles sont sexuellement réceptives, ce que signalent les phéromones qu'elles
16:55 émettent.
16:56 Les mâles en chaleur débordent d'énergie et d'agressivité.
17:06 Un corps à corps avec la terre, de la poussière soulevée, d'émeutes retournées par le
17:11 seuil des cornes devenues charrues, les mâles expriment par ces comportements rituels la
17:16 violence de leurs désirs.
17:17 Le sabot frappe le sol, les glandes le marquent d'odeurs pénétrantes qui se diffusent jusqu'à
17:25 la narine de rivaux pourtant éloignés de plusieurs centaines de mètres.
17:28 Au lieu d'intimider un rival, cette odeur, joint à la pression des mâles, est une odeur
17:58 qui s'approche de la terre.
17:59 Les mâles, à la suite de la pression des mâles, se déplacent vers la terre.
18:00 L'odeur, joint à celle d'une urine abondamment répandue sur le sol, l'attire irrésistiblement.
18:02 L'instinct gonfle de rage la volonté du rival, tendu vers un seul objectif, conquérir
18:08 une femelle.
18:09 Le combat prend une étrange tournure.
18:13 Les deux adversaires tiennent leurs corps parallèles, comme s'ils en faisaient une
18:18 muraille.
18:19 Il s'agit d'interdire tout mouvement en direction de la femelle convoitée.
18:27 Ce jeu de posture peut durer interminablement, jusqu'à ce que le moins résolu des deux
18:39 animaux fasse retraite.
18:40 Ni combat, ni blessure.
18:43 Le vainqueur s'impose sans dommage et ne se donne même pas la peine de poursuivre
18:47 son adversaire.
18:48 Il en va parfois différemment.
18:57 Si la lutte ne peut s'éviter, elle sera sans merci.
19:02 Les blessures seront profondes et parfois mortelles.
19:06 Dans la lueur du soir, c'est le combat de deux titans.
19:11 Le choc s'achèvera par l'humiliation de celui qui aura dû abaisser la tête.
19:39 Par sa retraite s'il est blessé, et parfois par son affaissement.
19:43 Le plus puissant des deux transmettra ses gènes, parmi lesquels celui de l'agressivité
19:48 à la génération suivante.
19:50 Comment l'espèce survivrait-elle s'il n'en était pas ainsi ? Et si l'évolution
19:55 ne donnait pas au plus fort, au plus intelligent, la prime qui lui est due ?
19:59 Une fois la victoire acquise, le vainqueur s'intègre au troupeau, qui a placidement
20:16 assisté au combat.
20:17 Pour identifier la femelle réceptive qui le comblera, le mâle s'en remet à son
20:24 odorat.
20:25 Il ouvre ses naseaux pour que ses phéromones s'y engouffrent mieux.
20:28 La femelle subalterne qu'il renifle en premier ne montre aucun signe favorable.
20:34 C'est à la nouvelle, et encore jeune matriarche qu'il s'intéresse à présent, la lèvre
20:50 vibrante et les fausses nasales béantes.
20:52 L'odeur lui convient, il la savoure, bouche ouverte, pendant un long moment.
20:59 Quand il s'agit de se reproduire, le bison mâle n'est pas une brute.
21:18 Jour après jour, il tourne autour de la matriarche, il la côtoie, il l'observe.
21:27 Vient le moment où il commence à la lécher, abondamment.
21:33 C'est le signe que la parade amoureuse prend une tournure plus sérieuse.
21:38 Les manœuvres d'accouplement commencent.
21:48 La femelle ne s'offre pas immédiatement.
21:51 Quand un bison en monte un autre, c'est aussi un signe de domination.
21:56 Elle, qui vient d'accéder à son rang, ne peut l'accepter si facilement.
22:00 Il faut au mâle un peu de patience.
22:03 Encore des heures à la côtoyer, à la lécher, à la renifler.
22:09 Il ne la violente pas, se montre prévenant, et réserve son agressivité à tout mâle
22:16 qui voudrait s'immiscer dans leur marivaudage.
22:18 Les membres du groupe observent la situation.
22:26 Ils vérifient qu'en la fertilisant en premier, le mâle a confirmé la femelle dans son rang
22:32 de nouvelle matriarche.
22:33 Elle est encore jeune et sera sans doute féconde contrairement à la reine dont elle a pris
22:39 la place, trop vieille pour enfanter encore.
22:41 Un mâle puissant et une jeune matriarche.
22:48 La combinaison parfaite pour produire un jeune bison héritier des meilleures caractéristiques
22:54 de l'espèce.
22:55 Le grand mâle passe ainsi de femelle en femelle.
23:11 Quand il a achevé de fertiliser son harem, il s'éloigne de nouveau.
23:15 Il a assuré le devoir que l'évolution lui assigne, s'imposer et disséminer ses gènes.
23:21 Le temps est venu de regagner les profondeurs de la forêt et de reprendre ses forces.
23:27 Les jeunes adultes mâles se tiennent en lisière.
23:32 Le rage leur réserve de grandes frustrations.
23:35 Ils pourraient déjà procréer, mais comment rivaliser avec le géant qui vient de s'éloigner
23:43 et avec les autres séducteurs expérimentés qui entrent dans la ronde à chaque chaleur
23:47 des femelles ?
23:48 Mieux vaut partir à l'aventure, quitter ce troupeau où leur avenir est bouché et
23:54 tenter de trouver ailleurs des femelles accessibles sans avoir à combattre des champions.
23:58 En attendant que viennent leurs chances, ils se constitueront parfois en clans de jeunes
24:04 célibataires.
24:05 S'ils ne trouvent pas leur bonheur ailleurs, ils reviendront au troupeau d'où ils sont
24:31 venus.
24:32 Plus forts et plus déterminés que Naguère, ils enlèveront quelques femelles.
24:37 Ils s'installeront temporairement avec elles sur un autre territoire où des bébés naîtront.
24:42 Puis ils reprendront leur vie de célibataires.
24:45 C'est ainsi qu'essaiment les groupes et que se constituent de nouveaux noyaux familiaux.
24:50 La saison des accouplements dure d'août à octobre.
25:04 Celles des femelles que la saue des mâles aura fécondées donneront naissance à leurs
25:08 bébés dans neuf mois.
25:10 Le temps qu'arrivent les beaux jours d'été, que passe l'hiver et que fleurissent les
25:14 pâturages de printemps.
25:15 Neuf mois, c'est donc le temps qu'il faut pour que les naissances adviennent au meilleur
25:21 moment.
25:22 En se mettant en mouvement, la matriarge donne le signal du départ.
25:30 Le bison appartient à une espèce mobile, à défaut d'être migratrice.
25:35 Les troupeaux peuvent parcourir une trentaine de kilomètres par jour.
25:39 L'automne a eu raison des herbes tendres.
26:06 Il faut changer de régime et déserter les clairières.
26:09 La matriarge guide son peuple vers les forêts de chênes, où ils trouveront des baies,
26:15 des graines et des racines comestibles.
26:17 Des écorces arrachées aux jeunes arbres complètent alors leur régime alimentaire.
26:33 Ces écorces sont riches en nutriments caloriques, en amidon, en glucose et en calcium.
26:52 Une nourriture qui les prépare aux rigueurs d'un hiver proche.
27:05 Un bison adulte consomme près de 4000 kg d'herbes, de feuillages et de buissons par
27:12 an.
27:13 Un tel prélèvement sur la végétation pourrait en épuiser la diversité si, dans le cas
27:18 d'un mâle adulte par exemple, chaque animal ne disposait d'un territoire de 2 à 10
27:23 kilomètres carrés.
27:24 Les clairs de la forêt sont un des plus beaux endroits où se trouve le plus grand nombre de clairs.
27:31 Non seulement les territoires offerts aux bisons de Bialowieża ne sont pas aussi vastes
28:01 qu'ils le devraient, mais deux autres espèces en particulier se nourrissent des mêmes pousses
28:06 et écorces, le chevreuil et les lents.
28:08 A ces convives intempestives, il faut ajouter le grand cerf Elaf, qui fréquente la forêt
28:21 en hardes nombreuses.
28:31 Cet automne-là, la nature fatiguée n'a pas assez de ressources à offrir à tous.
28:36 La tension monte.
28:38 Au lieu de faire retraite immédiatement, le cerf s'attarde et récrimine.
29:02 Les bisons ne l'entendent pas de cette oreille.
29:06 En quelques instants, la situation va devenir incontrôlable.
29:11 Le cerf se décide enfin à rassembler sa troupe.
29:23 Mais d'un coup de corne hors de son regard, un bison a blessé un fan.
29:45 Les gémissements d'un animal blessé peuvent attirer les loups.
30:12 L'instinct des bisons leur impose de tuer au plus vite celui qui pourrait diriger vers
30:28 leur propre petit, l'écrot des prédateurs.
30:32 Ils en feraient de même au sein de leur propre groupe.
30:43 La bouffée de violence n'aura duré que peu de temps, mais par surcroît de précaution,
30:49 la femelle dominante engage son troupeau dans une fuite.
30:52 Il faut quitter cette terre où le sang a coulé et où défère le sans doute en ce
30:57 moment même la meute des loups.
30:59 Courir aussi vite que possible, jusqu'à 45 km à l'heure, franchir des fossés,
31:07 escalader des buts de deux mètres, protéger les petits en les intercalant entre les femelles
31:12 qui ouvrent la marche et les jeunes mâles qui la ferment.
31:16 La matriarche a un objectif, faire passer à son troupeau la saison la plus dure et
31:33 tenir, tenir, tenir jusqu'au prochain été.
31:36 Mais cet été-là ne viendra jamais si elle fait fausse route, si les affrontements se
31:42 multiplient, si la violence s'installe.
31:45 L'hiver est arrivé, le paysage change complètement.
31:54 Alors que leur robe brune se fondait dans les couleurs de l'automne et que leur silhouette
31:59 se perdra bientôt dans les hautes herbes de l'été, elle ressort sur un arrière-plan
32:03 de forêt livide.
32:04 Les cerfs aussi bien que les bisons s'adaptent à la nouvelle saison.
32:12 L'automne les y a préparés en posant sur leurs muscles une couche de graisse qui les
32:17 isole du froid.
32:18 Leur pelage se développe et forme un manteau plus épais, protecteur et imperméable.
32:24 Quand vient la bourrasque, les bisons recherchent les bosquets de conifères où le vent se
32:40 brise.
32:41 Les ressources de la forêt où vivent 480 bisons ne pourraient normalement en sustenter
33:11 que 250.
33:12 Quand un hiver particulièrement rigoureux raréfie la nourriture, les plus faibles sont
33:18 en danger.
33:19 L'évolution les condamne.
33:21 Ils doivent périr, ou plus exactement, ils devraient périr.
33:27 Affronter le froid est une chose, le combattre en même temps que la faim est presque impossible.
33:46 Des glands, des herbes, des plantes séchées sont pourtant là, sous 40 cm de neige.
33:53 Mais comment les plus faibles pourraient-ils les atteindre ? Ces derniers se contentent
33:58 de rameaux de bois durs et d'écorces de plus en plus convoitées.
34:02 La marge des bisons creuse dans la neige dessiant.
34:25 Ils y passent, et repassent, à la recherche de nourriture.
34:31 Ce labourage fait des heureux, car il libère de leur enveloppe de neige les terriers où
34:39 circulent les campagnols, les souris ou les taupes.
34:42 De petits carnassiers tels que le renard retrouvent ainsi un terrain de chasse.
34:48 En cette saison, la vulnérabilité vient de la neige, qui ralentit et entrave les mouvements.
35:02 La première responsabilité de la matriarche est de protéger le troupeau contre ses ennemis.
35:07 Le bison, massif et puissant, n'en a guère à sa taille.
35:12 Cependant, par leur action concertée, les loups d'une meute peuvent tuer les individus
35:17 les plus jeunes et moins mobiles.
35:19 Il faut à tout prix éviter qu'un bison ne s'isole.
35:23 C'est pourquoi le troupeau fait front et forme une masse compacte.
35:28 Certains, malades ou inconscients du danger, échappent parfois à la vigilance de la femelle
35:43 dominante.
35:44 Un jeune, sans le savoir, marche vers la mort.
35:48 Malheur aux faibles, le froid a saisi un jeune bison errant.
35:57 Les loups donneraient volontiers les brecours à leur liesse, si une scène incroyable ne
36:03 se déroulait à présent.
36:04 Ignorant que son congénère est mort, un de ses frères vient à lui.
36:12 Depuis plusieurs heures, les bisons tentent sans succès de réchauffer celui qu'ils voudraient
36:17 réveiller.
36:18 Les loups s'impatientent.
36:30 Les bisons s'éloignent enfin.
36:33 La meute s'approche.
36:35 Le festin peut commencer.
36:37 C'est Comté, sans l'obstination du troupeau de bisons, qui revient à la charge.
36:48 Les loups tardent à s'enfuir.
36:53 Ils ont tort.
36:56 La corne d'un bison peut leur perforer l'abdomen ou le thorax.
36:59 Les bisons reviendront plusieurs fois encore veiller leurs compagnons, dont ils ne savent
37:17 probablement pas que la ville a quitté.
37:19 Les bisons, comme toutes les proies, ont une préscience innée des dangers.
37:30 Elle date du temps où ils affrontaient des tigres à dents de sabre, des ours des cavernes
37:35 et des prédateurs humains.
37:36 La solidarité est l'un des moyens par lesquels l'évolution leur a permis de les éviter.
37:42 C'est pourquoi le jeune mort est surveillé comme un vivant qu'on doit protéger.
37:46 Les bisons d'Europe ont jadis affronté des prédateurs terribles.
37:59 Ces derniers sont éteints, mais eux sont toujours en vie.
38:03 Ils savent braver le froid, les loups, la faim.
38:06 Pourtant, s'ils sont encore là, c'est grâce aux prédateurs qui les avaient lui-même
38:10 presque anéantis.
38:12 L'homme.
38:13 Dans les années 1920, il restait 60 bisons dans des parcs zoologiques et des réserves.
38:33 Et aucun dans la nature sauvage.
38:35 A partir d'une poignée d'animaux que leur captivité avait soustrait aux guerres,
38:40 les scientifiques ont reconstitué l'espèce et l'ont réintroduite où elle avait vécu,
38:45 à Bialowieża.
38:46 L'hiver a pris possession de la forêt.
39:03 Chaque animal s'adapte à sa manière.
39:09 Où les hommes admirent la beauté, les bisons voient l'herbe morte, les écorces épuisées,
39:21 la pénurie.
39:22 La matriarche a senti une odeur inhabituelle.
39:34 Elle a mené le troupeau vers la source de cette senteur.
39:38 Un festin s'offre.
39:43 Les bisons se ruent vers la nourriture, abondante, savoureuse et inespérée.
39:49 Les bisons dépendent toujours de l'homme.
39:58 C'est lui qui leur vient en aide.
40:00 Les employés de la réserve de la biosphère répartissent chaque hiver des mangeoires sur
40:05 les routes que fréquentent les troupeaux.
40:06 Sans ce supplément alimentaire, compte tenu de la surpopulation de la réserve, les bisons
40:13 les plus jeunes ne survivraient sans doute pas.
40:15 Les anges gardiens de Bialowieża faussent la sélection naturelle, pour les bisons aussi
40:26 bien que pour les autres animaux qu'ils aident à survivre.
40:29 Cerfs, chevreuils ou sangliers.
40:31 Le monde est entré dans une époque que les scientifiques appellent l'anthropocène, l'ère
40:36 de l'homme, seul maître du destin des autres espèces.
40:39 C'est ainsi que les sangliers, la peau tendue sur les os, se précipitent vers les mangeoires
40:48 sous lesquelles ils se repèsent.
40:49 Affaiblis, ils feraient des proies parfaites pour les loups.
41:05 Mais la stature des bisons revigorés tient ces derniers à distance.
41:10 Les jours qui précèdent le printemps forment l'ultime ligne droite sur le sentier du temps.
41:25 Encore quelques jours et chacun sera assuré de survivre, au moins quelques semaines de
41:30 plus.
41:31 Il suffit de peu de temps pour que les sols dégèlent et d'un peu de soleil pour réchauffer
41:44 les graines enfouies.
41:45 Bientôt, la forêt se remplit d'odeurs douces amères.
41:49 Les bourgeons enflent sur les rameaux.
41:51 L'herbe pousse sur le sol que la fonte des neiges a gorgé d'eau.
41:55 Une sorte d'euphorie saisit la forêt.
42:08 Le chant des oiseaux, le coassement des amphibiens célèbrent le retour de la saison de l'abondance.
42:14 Bialo-Vieja, l'un des plus beaux trésors de l'Europe, pourrait alors subir une invasion
42:27 de visiteurs.
42:28 Mais des infrastructures peu développées limitent la capacité d'accueil touristique.
42:35 La réserve demeure le royaume des animaux sauvages.
42:39 La sève gonfle les rameaux.
42:44 L'écorce des saules et des tilleuls devient un régal pour les bisons.
42:48 Les paysages verdissent.
43:12 Les bisons reprennent le poids que l'hiver leur avait volé.
43:15 L'amatrière chenovisse a réussi à conduire son peuple par-delà les saisons.
43:27 Elle a gagné le respect des siens.
43:29 Son autorité ne sera pas contestée.
43:31 Les bisons sont des jardiniers occasionnels.
43:35 En taillant les graminés et les hautes herbes, ils stimulent la croissance d'herbes courtes
43:39 que la lumière touche plus facilement et qui font le régal des chevreuils, sangliers,
43:44 pèvres et autres herbivores.
43:51 Ces paysagistes évitent la prolifération des ronces et des mauvaises herbes, limitent
43:55 le désordre des buissons et préviennent la formation de haies impénétrables.
44:02 Leur fumier enrichit le sol.
44:05 Leur sabot élimine les mousses qui étouffent les plantes.
44:08 En retournant la terre, leurs pieds et leurs cornes libèrent des graines qui ne demandent
44:11 qu'à germer.
44:13 Dans leurs sabots se prennent des graines qu'ils transportent plus loin.
44:17 Ils favorisent ainsi la biodiversité.
44:30 L'abondance de nourriture leur permet de ne pas épuiser le sol.
44:34 Ils ne broutent que la partie supérieure des herbes.
44:37 Leur action stimule la repousse et réveille entre les brins d'herbe les germes endormis.
44:42 Ici, le bison est ce que les chercheurs appellent une espèce ombrelle, ce qui signifie qu'en
45:01 la protégeant, l'homme protège tout un écosystème.
45:04 Sans cela, on ne trouverait pas sur le sol ces vieux arbres morts, dont le bois décomposé
45:09 alimente protozoaires, champignons, lichens, plantes, batraciens ou insectes.
45:16 La nature retrouve son dynamisme.
45:26 Pour la femelle dominante, il reste un problème à résoudre.
45:30 Ses congénères ont besoin de sel et de micronutriments essentiels à leur métabolisme, en particulier
45:36 sodium et calcium.
45:37 Les chevreuils et les cerfs détectent des plantes couvertes de traces de sel.
45:43 Ils peuvent s'en contenter.
45:44 Mais pour les bisons, un meilleur approvisionnement est nécessaire.
45:48 La femelle dominante trouve bientôt des poteaux enduits des minéraux précieux.
45:56 Comme les mangeoires de l'hiver, ces mâts de cocaïne sont mis en place par les employés
46:00 de la réserve.
46:01 Les bisons ne sont pas les seuls à en profiter.
46:15 Si le sel est en cette saison nécessaire aux bisons, et en particulier aux femelles, c'est
46:20 parce que leur corps leur réclame.
46:22 Au plus profond de leurs entrailles se prépare un événement bouleversant.
46:26 Rassasiée de sel et de calcium, la femelle dominante s'éloigne des siens.
46:41 Un seul événement peut la pousser ainsi à les laisser livrer à eux-mêmes.
47:06 Après avoir marché plusieurs kilomètres, elle trouve la clairière tranquille tapissée
47:10 de fougères qu'elle recherchait.
47:12 Une rivière rafraîchit l'air.
47:15 C'est là qu'elle donnera la vie.
47:31 20 kilos d'os, de sang et de souffle à expulser.
47:34 20 kilos de chair à ajouter à la chair du monde.
47:37 20 kilos de souffrance et de plénitude.
47:44 Le jeune bison est né.
47:46 Il se tient vite debout.
47:48 C'est une obligation des proies, se redresser sans attendre, sans laisser aux prédateurs
47:52 le temps de surgir.
47:57 Au bout de quelques semaines, quand il se tient mieux sur ses jambes, la mère dirige
48:01 son petit vers le troupeau qui l'attend.
48:15 Le jeune bison attire la sympathie de son public.
48:18 Il a les jambes longues, le dos droit, ni bosse ni corne.
48:22 Pour lui épargner la tension trop envahissante et éventuellement brutale de ses congénères,
48:27 la mère le tient à l'écart des adultes.
48:35 Cependant, le jeune animal n'a vite qu'une idée en tête.
48:38 C'est lancer vers ses semblables, vers l'inconnu.
48:47 Pendant les premiers mois de sa vie, il tête sa mère plus de dix fois par jour.
49:00 Un début de sevrage se produit dès l'âge de deux mois.
49:04 Le jeune bison mâchouille alors les herbes du printemps et les bourgeons des tiges et des rameaux.
49:23 La matriarche offrira au clan plusieurs membres jusqu'à ce qu'elle atteigne l'âge de 17 ans.
49:28 Chaque fois, son bébé requerra son attention pendant une année entière.
49:33 Elle se partagera entre lui et le troupeau, jusqu'à ce que la mort ou une rivale la détrône.
49:45 Entre-temps, elle aura accompli la mission à laquelle la destinée s'égène et son instinct.
49:51 Elle aura servi son peuple et l'aura conduit, par-delà les saisons, vers cette chance sans égale dans la nature sauvage.
49:58 Elle aura donc pu survivre.
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