• il y a 8 mois
Il fait partie des 10 Français à avoir eu cette chance : participer à la conquête spatiale. Il a aussi été pilote de chasse. Philippe Perrin raconte sa vie dans les airs dans le livre "En apesanteur" aux éditions Michel Lafon.
Regardez L'invité de RTL Soir avec Julien Sellier du 04 avril 2024

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Transcription
00:00 (Générique)
00:02 Julia Cellier, Isabelle Choquet et Cyprien Signy, RTL bonsoir.
00:06 Allez RTL bonsoir, la deuxième heure, on va vous emmener dans l'espace ce soir avec notre grande invitée en apesanteur même
00:12 parce que c'est le titre de son livre, nous accueillons le spationaute Philippe Perrin, bonsoir.
00:16 Bonsoir.
00:17 Vous faites partie des dix français à avoir eu cette chance, participer à la conquête spatiale,
00:21 vous avez été aussi pilote de chasse, une vie dans les airs donc, vous la racontez et c'est passionnant dans ce livre
00:27 qui sort aujourd'hui aux éditions Michel Laffey.
00:29 Grâce à vous ce soir, Philippe Perrin, nos auditeurs vont découvrir ce qu'on ressent quand on sort dans l'espace.
00:34 Vous êtes sorti trois fois de la station internationale équipé de cet énorme scaphandre dans le vide,
00:39 dans le grand noir pour des missions de réparation d'installation d'un bras robotique.
00:43 Écoutez, c'est la bande son de votre mission, on est en juin 2002.
00:47 And it's open.
00:49 It's open, c'est ouvert. Là vous sortez dans l'espace, ce sont les toutes premières pages du livre,
00:53 qu'est-ce qu'on ressent quand on se retrouve dans le vide ?
00:56 Merci pour l'émotion.
00:58 Je sors trois fois, à chaque fois c'est la nuit.
01:00 Il faut imaginer qu'en fait le sas ouvre vers le bas, c'est-à-dire vers 400 km de vide.
01:05 Alors là les gens réagissent de façon différente.
01:07 Il y a des gens qui ont en fait le vertige et qui se retrouvent figés.
01:12 C'était un peu le cas de mon camarade, c'était le cas par exemple d'un autre astronaute qui me disait sur l'émission Hubble
01:18 être porté par le bras robotique et avoir l'impression d'être sur un plongeoir géant à 400 km au-dessus de la piscine.
01:24 Alors on peut être pris de terreur, on peut être pris de vertige.
01:27 J'ai eu la chance de ne pas avoir le vertige, pourtant j'ai le vertige,
01:31 et pas le vertige en avion, j'ai le vertige si on me met en haut d'un bâtiment.
01:35 Mais là dans l'espace j'avais plutôt l'impression de voler, de flotter.
01:38 Vous dites on est hypnotisé par la Terre qui est donc à 400 km, qu'est-ce que vous voulez dire par là, hypnotisé ?
01:45 L'expérience en fait de la sortie extravéhiculaire c'est vraiment une expérience du corps,
01:51 c'est-à-dire qu'il y a des choses que vous savez, la Terre est ronde, bon pas trop de doutes.
01:56 Pas pour tout le monde remarqué.
01:58 Mais en fait, je peux en témoigner.
02:02 Mais on a beau le savoir, quand on le voit avec ses propres yeux, avec ses tripes, c'est complètement différent.
02:07 Parce qu'en fait vous réalisez que c'est vraiment ça.
02:10 Je pense que dans tous les métiers, vous partez à la voile et vous savez qu'il y a un océan Atlantique qui est grand,
02:15 puis vous êtes en plein milieu de l'océan Atlantique, là il est vraiment très grand.
02:18 Vous comprenez ce genre d'expérience ? Je pense qu'on a tous dans la vie ce genre d'expérience.
02:22 Et donc quand on fait l'expérience de la Terre, on se dit "Waouh, c'est vraiment une planète quoi !"
02:27 Puis il n'y a rien en dessous, puis il n'y a rien au-dessus.
02:29 Puis le ciel est noir.
02:30 Imaginez un ciel noir.
02:32 On a beau savoir que le ciel bleu c'est juste cette petite couche de 100 km qui nous protège de tout,
02:37 on a l'impression qu'elle est toujours là.
02:39 Vous demandez à des enfants par exemple pour une fusée d'école, comment sera le ciel ?
02:43 "Bah bleu, le ciel c'est toujours bleu."
02:44 "Bah non, le ciel c'est noir."
02:45 - Et il n'y a pas d'étoiles ?
02:46 - Alors...
02:47 - Désolé pour des questions de béotien comme ça mais...
02:49 - Il y a des étoiles de jour comme de nuit, le ciel est toujours noir.
02:52 - Ah oui c'est ça.
02:53 - Et oui, les étoiles en fait sont toujours là.
02:57 - Bah oui, elles ne s'éteignent pas.
02:59 - Et le soleil s'est levé pendant que vous étiez...
03:02 - Et le soleil se lève, alors il se lève 14 fois, il se lève toutes les heures et demie,
03:06 puisqu'on fait un tour de Terre en une heure et demie,
03:08 donc on alterne 45 minutes de jour, 45 minutes de nuit.
03:12 Et là le soleil se lève.
03:14 Et donc je fais trois sorties, chacune va durer 7-8 heures.
03:18 Et à chaque fois j'apprends un peu plus de la planète.
03:20 C'est-à-dire qu'au départ je suis juste fasciné par la beauté,
03:25 et puis à la fin, je crois que dans ma dernière sortie, je le raconte,
03:29 j'ai même l'impression que c'est un être vivant.
03:31 C'est-à-dire que je vois la planète, on parle toujours de biosphère,
03:36 on utilise parfois le mot "gaia" pour expliquer,
03:39 mais c'est vraiment l'impression qu'on a, c'est-à-dire une cellule vivante.
03:42 - Et impressionné par la quantité d'eau, c'est ce que vous racontez là aussi.
03:45 - Oui, ça l'avaient dit les astronautes des missions Apollo,
03:48 la Terre est bleue, et c'est vrai qu'elle est bleue.
03:51 En fait, quand on quitte la Terre, le bleu du ciel se retrouve sous vos pieds,
03:56 c'est le bleu de la Terre, c'est le bleu des océans.
04:00 Et puis des fois, il vous arrive des surprises,
04:02 par exemple un micrométéorite qui va passer, une étoile filante,
04:06 et qui va passer sous vos pieds.
04:08 Pour vous rappeler qu'en fait... - C'est mieux que ça passe sous les pieds.
04:11 - Alors, ça passe sous les pieds... - Ça doit être hyper impressionnant.
04:14 - La probabilité, ça passe autour de vous.
04:16 - Et on n'entend rien lors de ces sorties dans l'espace ?
04:18 Y'a zéro bruit, à part sa respiration ?
04:20 - J'aurais aimé, mais moi, en fait, qu'il y ait zéro bruit...
04:22 Les Américains adorent parler.
04:25 - Ah, ils adorent parler dans le scaphandre !
04:27 - Non mais c'était vrai, moi j'ai été militaire,
04:29 j'ai fait des opérations à la guerre du Golfe,
04:32 vous allez aux Etats-Unis, dans des restaurants,
04:34 il y a toujours du bruit, il y a toujours...
04:36 Donc en fait, on parle beaucoup,
04:38 mais on parle aussi pour de bonnes raisons, c'est qu'on est guidés par la Terre.
04:41 - Dans le scaphandre, vous devenez un petit peu comme un robot,
04:44 c'est-à-dire, c'est un homme robot qui a perdu une partie de ses moyens,
04:48 et qui est télécommandé par les gens au sol,
04:51 qui vous disent ce qu'il faut faire.
04:53 Alors vous avez sur le casque des caméras,
04:55 qui en temps réel renvoient l'image au sol,
04:57 et vous êtes un peu comme télécommandé dans...
05:00 - Et ce scaphandre, il est ultra lourd,
05:02 parce que vous pesez en fait, quoi, 250 kilos ?
05:04 - Oui, il fait 150, puis il a un petit amont...
05:06 - Vous brouillez les pieds, en plus...
05:08 - Oui, alors il est pressurisé, mais surtout, il est rigide,
05:10 parce qu'il ne faut pas l'imaginer comme une seconde peau,
05:12 en fait, c'est une carapace,
05:14 avec des articulations qui sont métalliques.
05:17 - Donc c'est une vraie épreuve physique, cette scène ?
05:19 - Ah oui, vraiment.
05:20 - C'est épuisant, en fait.
05:22 - C'est épuisant, et dans mon cas,
05:24 c'était l'époque un peu des pionniers,
05:26 il fallait faire trois sorties sur une semaine
05:28 pour rassembler la station.
05:30 Et donc c'était la fatigue d'un jour
05:32 qui s'accumulait avec celle de la deuxième journée
05:34 et celle de la troisième.
05:35 - La Terre, depuis la Station Spatiale Internationale,
05:38 vous la regardez souvent, on en a parlé,
05:40 il y a des choses qui vous marquent,
05:42 et ça, vous le racontez dans le livre,
05:43 la bande de Gaza, par exemple,
05:44 dont on parle tellement en ce moment.
05:46 - Oui, je dis, je vais ramener l'image
05:49 à mon ami Ilan Ramon,
05:51 qui était le premier astronaute israélien,
05:53 malheureusement décédé dans l'accident de Columbia.
05:55 Et alors, ce qui m'avait vraiment frappé,
05:57 c'était aussi la différence entre Israël et Gaza,
06:01 et aussi la différence entre Israël et l'Égypte.
06:04 Parce que finalement, on a un trait,
06:06 on a un droit, une frontière,
06:08 d'un côté il y a la vie, de l'autre côté il n'y a pas la vie.
06:10 Ce qui me laisserait à penser qu'on pourrait peut-être aussi
06:12 mettre un peu de vie dans la partie égyptienne.
06:16 - La pollution, ça vous interpelle aussi ?
06:18 Est-ce que de là-haut, on voit vraiment des naves grises ?
06:20 - On voit, on voit, et ça je ne m'y attendais pas,
06:23 ça ne m'avait pas été...
06:24 Alors, la NASA documente en fait les phénomènes environnementaux
06:27 depuis toujours, alors on documente la fonte des glaciers,
06:29 et je ne m'attendais pas en fait à avoir de pollution,
06:33 et la pollution, c'est la pollution en particules,
06:35 et vous la voyez, alors dans mon cas,
06:37 je la voyais par exemple sur la plaine du Pôle,
06:39 bassin industriel italien.
06:41 - On voit comme une espèce de gros nuage gris autour.
06:43 - C'est ça. - On voit nettement des marques
06:45 sur les endroits les plus pollués en fait.
06:47 - Et puis alors surtout, c'est l'Inde vers la Chine,
06:49 et surtout la Chine vers les États-Unis.
06:51 Là j'ai vu des nuages en fait de poussière
06:54 quitter la Chine, et emporter par les vents dominants,
06:57 aller jusque sur la côte ouest des États-Unis.
06:59 - C'est fou. - Et ça on le voit,
07:01 alors ce qui est inquiétant,
07:03 c'est qu'on sait qu'il y a aussi des choses qu'on ne voit pas.
07:05 Il y a le CO2, lui on ne le voit pas,
07:07 d'ailleurs à l'époque il n'y avait pas de satellite
07:09 qui était en capacité de voir le dioxyde de carbone,
07:12 maintenant on en a, et je pense que c'est très important justement,
07:14 là aussi, d'avoir une expérience des yeux, du corps,
07:17 c'est-à-dire de voir les choses.
07:19 Quand on a des chiffres, on sait que ça augmente.
07:21 - C'est important, oui. - Quand on le voit,
07:23 et ça je pense que c'est une des grandes vertus du spatial,
07:27 c'est pour ça que je dis dans le livre,
07:29 le spatial c'est pas mal parce que ça a été
07:31 une épopée où les gens se sont mis ensemble
07:33 pour essayer de résoudre des problèmes.
07:35 Ils pourraient nous aider.
07:37 - Avant de vous retrouver dans l'espace, il y a le décollage.
07:39 Là aussi on a retrouvé les bandes-son de la NASA,
07:41 c'est l'autre instant vintage. - Ah c'est sympa.
07:43 [Musique]
08:07 - Ce tremblement qui devient un rugissement,
08:10 c'est ce que vous écrivez.
08:12 - C'est le bruit.
08:14 - C'est le bruit, c'est beaucoup la vibration.
08:16 70% de la poussée sur une navette spatiale
08:18 est donnée par les boosters, ce qu'on appelle les boosters.
08:21 En fait ce sont des gros pétards, on a coupé la base.
08:24 Donc c'est une explosion contrôlée.
08:26 Vous imaginez une explosion, ça vibre énormément.
08:28 Ça vibre à tel point qu'on ne voit plus les écrans,
08:30 tout bouge, on aurait même du mal,
08:32 s'il fallait piloter à le faire, mais on pourrait.
08:35 Et c'est une phase où on a été entraîné
08:38 à réagir en cas de souci.
08:40 On est prêt à réagir à la milliseconde.
08:43 C'est une phase où on est extrêmement concentré.
08:46 Donc on est à la fois emporté par les sentiments,
08:49 et à la fois, en permanence, on se dit
08:51 "ne te laisse pas emporter, reviens à ta tâche,
08:53 parce qu'en cas de problème, c'est à toi de jouer."
08:55 - Et sur la poussée de la fusée, vous dites
08:57 "c'est comme si on recevait un coup de pied dans les fesses,
08:59 mais qui ne s'arrête jamais".
09:01 - Oui, c'est ça.
09:03 J'essaye dans le livre d'expliquer les choses
09:06 avec force détail,
09:08 parce qu'une poussée de fusée,
09:10 il n'y a rien de comparable sur Terre.
09:12 Par exemple, je suis pilote, j'ai pris des facteurs de charge
09:15 dans un manège. Vous prenez des facteurs de charge ?
09:17 - Oui, des gros manèges.
09:19 - Vous prenez 2G, 3G, etc.
09:21 C'est toujours associé à une rotation.
09:23 Quand vous étiez enfant, votre père vous prenait dans les bras,
09:25 il vous faisait tourner, donc vous avez la mémoire
09:27 qu'une force est associée à une rotation.
09:29 Vous le savez, votre oreille interne le sait.
09:31 Une force qui va tout droit,
09:33 et qui n'est pas associée à une rotation,
09:35 ça s'appelle un coup de pied aux fesses.
09:37 Vous avez l'impression, vous avez un coup de pied aux fesses
09:39 qui ne s'arrête pas.
09:41 Et ça, c'est juste hallucinant.
09:43 En fait, rien ne prépare des millions d'années d'évolution
09:45 de l'Homme sur Terre à connaître toutes ces phases du vol.
09:48 Que ce soit le décollage, la poussée verticale,
09:50 je dis, on crève le plafond de verre,
09:52 parce qu'on ne sait pas ce qu'il y a au-dessus.
09:54 Et au moment où vous partez,
09:56 vous partez vraiment comme un voyageur au long cours,
09:58 c'est-à-dire, vous ne savez pas où vous allez en fait.
10:00 Vous avez été entraîné,
10:02 mais au moment où ça part, ça part.
10:04 - Et là, on en sourit, avec ce coup de pied aux fesses,
10:06 mais vous, ce jour-là, quand même,
10:08 vous dites que vous pensez à Challenger,
10:10 la navette qui s'est écravée dans les années 80.
10:12 Il y a cette appréhension quand même ?
10:14 - Oui, on y pense pour les gens qu'on laisse.
10:16 Moi, j'avais mes parents qui étaient là,
10:18 j'avais mon épouse, mes deux filles.
10:20 Donc c'est pour eux.
10:22 Donc on croise les doigts pour que ça se passe bien.
10:24 Il y a une partie chance,
10:26 il y a une statistique.
10:28 Une navette, ça a une chance sur 100 peut-être d'exploser.
10:30 Une fusée, quelle qu'elle soit,
10:32 c'est à peu près la même chose.
10:34 Donc on essaye d'y penser
10:36 pour chasser le mauvais sort, c'est ça.
10:38 - Philippe Perrin, vous restez avec nous,
10:40 vous êtes notre grand invité.
10:42 On reprend cette discussion fascinante
10:44 juste après la toute petite pause de quelques secondes.
10:46 Vous allez nous raconter l'apesanteur,
10:48 là aussi, qu'est-ce qu'on ressent,
10:50 et puis on va parler de votre vie de pilote de chasse
10:52 parce qu'en vous lisant, on est saisi
10:54 lorsque vous nous racontez comment vous vous êtes un jour éjecté.
10:56 Ça aussi, vous devez nous le raconter. Vous restez avec nous.
10:58 - C'est ma première crise.
11:00 - RTL, bonsoir.
11:02 - RTL, bonsoir.
11:04 - Julien Serrier. - Isabelle Choquet et Cyprien Signe.
11:06 - RTL, bonsoir.
11:08 La deuxième heure avec un grand invité passionnant
11:10 ce soir, le spationaute Philippe Perrin
11:12 est avec nous pour son livre "En apesanteur",
11:14 en librairie depuis aujourd'hui.
11:16 L'apesanteur, vous l'avez découverte à l'entraînement
11:18 pendant des mois aux Etats-Unis, puis vous l'avez testée
11:20 ensuite en conditions réelles, on le disait,
11:22 dans l'espace en 2002. Vous racontez que
11:24 quand elle vous gagne, vos pieds
11:26 ne servent plus à rien. C'est quoi ?
11:28 C'est quelque chose qu'on ressent en fait ?
11:30 - Oui, on a, encore une fois, des millions d'années
11:32 d'évolution font qu'on n'est pas fait pour
11:34 ressentir ça normalement. Donc la première fois
11:36 que vous décollez, vous essayez
11:38 d'utiliser les pieds un peu comme des nageoires.
11:40 - On pédale dans le vide. - Vous pouvez pédaler dans le vide,
11:42 en fait ça ne marche pas. On voit ça sur les images
11:44 notamment sur les vols zéro-g.
11:46 La seule façon d'ailleurs sur Terre
11:48 d'avoir de l'apesanteur, ce sont les vols zéro-g.
11:50 Et ça, ça ne dure que
11:52 25-30 secondes. - Ce sont des vols
11:54 où on fait une parabole au-dessus ? - En fait, une parabole,
11:56 c'est une petite orbite.
11:58 C'est comme une orbite, si ce n'est qu'elle passe par le centre de la Terre,
12:00 donc il faut vite l'arrêter.
12:02 Mais c'est une orbite. Et une orbite, en fait,
12:04 c'est une chute libre.
12:06 C'est ce que j'explique dans le bouquin,
12:08 en prenant l'image d'abord de l'ascenseur qu'on pourrait lâcher
12:10 ou du plongeoir duquel on saute.
12:12 Et puis si on vous donne de la vitesse, cette chute
12:14 elle est entretenue parce que la Terre se dérobe
12:16 sous vos pieds. Et donc, une orbite,
12:18 c'est une chute libre. Donc c'est pour ça qu'il y a des gens
12:20 en sortie extravéhiculaire qui ont l'impression de chuter.
12:22 Parce que dans la pratique, c'est ce qui se passe.
12:24 On est en chute. - Et votre colonne
12:26 vertébrale, elle s'allonge de 5 cm.
12:28 - Voilà, elle s'allonge, on le sait.
12:30 Donc le scaphandre est dimensionné
12:32 pour ça. - Il est un peu plus grand.
12:34 - Il est un peu plus grand. D'ailleurs, on me dit, mais si ça suffit
12:36 pas, t'as qu'à rentrer et presser un peu
12:38 sur les épaules, tu vas comprimer la colonne.
12:40 C'est ce que je fais, parce que je suis un peu plus grand que prévu.
12:42 Je me mets dans le scaphandre, je pousse
12:44 sur les épaules, ça comprime la colonne.
12:46 Et plus tard, quand je reviens sur Terre,
12:48 je vois mon épouse qui me dit "mais
12:50 tu as encore grandi".
12:52 Et je crois qu'à ce moment-là, je dois avoir peut-être
12:54 encore 2 cm. - Et après, ça se recale ? Vous revenez
12:56 à votre 1,87 mètres après ou pas ?
12:58 - On revient dans d'horribles douleurs.
13:00 - Ça fait mal quand ça s'allonge ?
13:02 Parce qu'on a l'impression que ça fait du bien d'étirer la colonne.
13:04 - Oui, mais il y a une confidence dans le bouquin, c'est qu'en fait
13:06 j'ai eu une chirurgie
13:08 un an et demi avant le vol.
13:10 Je me suis cassé la colonne vertébrale
13:12 comme pilote de chasse sur une éjection.
13:14 Et donc, quand la colonne se
13:16 remet en place, tout se remet en place
13:18 de façon plus ou moins heureuse.
13:20 J'ai des décharges électriques.
13:22 - Et on a du mal à trouver le plafond et le sol aussi, on est un peu perdus
13:24 dans l'espace. - Oui, parce que
13:26 vous avez beau flotter, vous avez beau nager,
13:28 il ne se passe rien. Donc en fait, tout se fait
13:30 avec les mains. C'est-à-dire que
13:32 vous apprenez, vous réapprenez
13:34 à bouger, mais plus avec
13:36 les pieds, avec les mains. - Et avec vos
13:38 collègues russes, vous avez fait un peu comme le capitaine
13:40 Haddock dans "Tintin". - Et comme va faire,
13:42 voilà. - Qu'est-ce que c'est ?
13:44 Tonnerre de Brest, en voilà des manières !
13:46 Alors, pas de blague, dans mon
13:48 verre et plus vite que ça ! Allez !
13:50 Mais c'est sympa ! Qu'est-ce qu'on fait
13:52 avec ici ? - C'est l'apéro avec les bulles
13:54 d'alcool qui volent comme ça ?
13:56 - Là aussi, je ne m'y attendais pas.
13:58 Les russes ont ce qu'ils appellent
14:00 un alcool thérapeutique,
14:02 qui se boit très bien. - Qui s'appelle vodka.
14:04 - Et qui est très thérapeutique.
14:06 Il y a cette fraternité, il y a cette convivialité.
14:08 C'est vrai que je compare
14:10 un peu les milieux, je suis
14:12 hypnotisé par la force
14:14 du système américain,
14:16 son énergie, et je suis aussi très
14:18 attiré par le côté
14:20 plus fraternel parfois des
14:22 russes. Donc par exemple,
14:24 typiquement à midi, j'allais manger côté russe,
14:26 du côté segment russe de la station,
14:28 parce qu'on me faisait à manger, on me disait
14:30 "Philippe, le repas est prêt". Les américains,
14:32 c'est souvent un sandwich en passant, mais comme ils font
14:34 dans la vie. - Comme dans la vraie vie. - Voilà, comme dans la vraie vie.
14:36 - Comme au sol. - C'est ça. - A l'âge de 20 ans,
14:38 vous avez dit à vos parents "je vais devenir astronaute",
14:40 mais avant, il fallait passer par l'armée
14:42 de l'air, vous y avez été pilote de chasse.
14:44 Est-ce que ça vous a,
14:46 ça vous sert,
14:48 cette pression exercée sur le
14:50 corps lorsqu'on est dans un avion de
14:52 chasse, est-ce que c'est quelque chose qu'on ressent
14:54 aussi peut-être d'une autre façon, même si ça a l'air différent
14:56 de ce que vous nous racontez. - Tout me sert.
14:58 Tout me sert. L'armée de l'air a été
15:00 mon école. Au départ, je suis polytechnicien,
15:02 mais j'estime que tout ce que j'ai appris, je l'ai appris dans l'armée
15:04 de l'air. Je dis, je crois, dans le livre,
15:06 je me suis baigné dans l'armée d'air comme dans un
15:08 bain froid qui m'a
15:10 vivifié, et qui a fait de moi celui que je suis,
15:12 c'est-à-dire le travail
15:14 en équipage, la fraternité que je découvre
15:16 dans l'armée de l'air, la gestion du risque,
15:18 la confiance en l'autre,
15:20 tout ça. Et aussi
15:22 la physiologie qui va servir, bien sûr.
15:24 - On évoquait la peur, là,
15:26 tout à l'heure. Vous participez à la
15:28 guerre du Golfe et vous racontez à quel point il faut
15:30 apprendre à accepter la mort,
15:32 celle des autres, celle des amis.
15:34 Vous racontez vos parents en larmes le jour où
15:36 ils apprennent qu'un avion a disparu parce qu'il y a
15:38 une chance sur dix que ce soit vous.
15:40 - Si j'en parle, je pense
15:42 que je suis capable de pleurer, parce qu'en fait
15:44 je ne connais pas l'histoire, mais mon père
15:46 me la raconte au moment où je rentre.
15:48 On est effectivement en opération, on est
15:50 dix pilotes sur Mirage F1CR.
15:52 Il y en a un qui se tue
15:54 malheureusement à l'entraînement sur
15:56 une dune, et je lui rends hommage. En fait, dans le livre,
15:58 je rends hommage à tous les amis que j'ai perdus,
16:00 à qui j'avais promis que je les amènerais
16:02 dans l'espace. Et ce que je ne sais pas,
16:04 c'est que la nouvelle est annoncée en France
16:06 avant de pouvoir prévenir les familles.
16:08 Donc mon père est dans sa voiture,
16:10 il entend cette nouvelle, il sait qu'il a une chance sur dix
16:12 que cet individu
16:14 ce soit son fils.
16:16 Et ça c'est bouleversant. Donc en fait, on impose
16:18 dans ces métiers beaucoup de choses
16:20 à ceux qui vous aiment. - Vous parlez beaucoup de votre femme.
16:22 - Oui, parce qu'on impose énormément.
16:24 C'est-à-dire que nous, on vit de passion,
16:26 on ne réfléchit pas aux dangers,
16:28 on l'évacue,
16:30 parfois il revient, mais en général
16:32 on n'y pense pas. Mais ceux qui y pensent sont ceux qui restent.
16:34 - La peur c'est aussi celle de l'accident.
16:36 Vous l'avez dit un jour,
16:38 vous avez été contraint de vous éjecter dans votre avion,
16:40 vous participez à un exercice de tir,
16:42 il y a un de vos obus qui ricoche, qui vient percuter
16:44 votre propre avion.
16:46 Vous pouvez nous raconter cette éjection ?
16:48 - Oui, cette éjection,
16:50 heureusement,
16:52 je suis dans cette armée de l'air
16:54 qui a structuré justement
16:56 toutes les défenses nécessaires
16:58 face à ce genre d'événements.
17:00 Et là aussi, je rends hommage à mon ancien
17:02 officier de sécurité,
17:04 qui nous avait dit
17:06 "Un avion, ça peut coûter des centaines de millions,
17:08 quand ça ne vole plus, il faut le quitter."
17:10 C'est très important.
17:12 J'ai l'expérience, parce que la première expérience que j'ai,
17:14 c'est à l'école de l'air,
17:16 et là, le camarade ne sort pas de l'avion,
17:18 parce qu'il essaye de le sauver jusqu'au bout.
17:20 Donc il va falloir partir.
17:22 - Mais la décision se prend en un quart de seconde ?
17:24 - Grand-mère m'en a pris, je suis aidé par mon aîlier,
17:26 qui me voit tomber sur...
17:28 parce que tout ça se passe près du sol,
17:30 il me voit tomber vers la forêt,
17:32 il me dit "Périn, éjection, éjection",
17:34 et là je sors, et en fait,
17:36 je vais rester peut-être 5 secondes sous parachute,
17:38 et je vais traverser la forêt,
17:40 les arbres vont me freiner, et je vais arriver au sol.
17:42 - Mais l'éjection, vous êtes propulsé
17:44 à combien de G ?
17:46 - Je crois que c'est 10 G.
17:48 - C'est très violent, il y a la verrière qui explose...
17:50 - La verrière explose.
17:52 Ce qui est très marrant, c'est que, comme peut-être
17:54 tous les gens qui ont vécu des accidents,
17:56 tout se passe au ralenti.
17:58 C'est-à-dire que
18:00 je me vois monter doucement,
18:02 je vois la verrière exploser,
18:04 je sens la pression sur ma colonne vertébrale,
18:06 qui s'installe doucement,
18:08 je sens ma colonne vertébrale ondulée,
18:10 et tout ça est ralenti,
18:12 parce que le corps,
18:14 ce qui est fantastique, c'est que quand il en a besoin,
18:16 il sait arrêter le temps de la pensée.
18:18 - Philippe Périn, vous, le spationaute,
18:20 ex-pilote de chasse, vous êtes notre grand invité,
18:22 en apesanteur, votre livre sort aujourd'hui,
18:24 la suite dans l'émission, c'est de la musique,
18:26 c'est de la cuisine,
18:28 la cuisine, juste les plats de spationaute,
18:30 les plats pour chats, comme dit votre femme,
18:32 c'est bon, ou à la fin de l'émission,
18:34 on est quand même content de retrouver un bon plat à la maison ?
18:36 - On perd le goût dans l'espace,
18:38 parce qu'avec la montée des fluides,
18:40 on n'a plus vraiment le goût des choses.
18:42 - C'est une grosse sinusite en permanence.
18:44 - C'est ça, c'est plus qu'une sinusite,
18:46 d'ailleurs ça entraîne une perte d'idéation,
18:48 c'est-à-dire qu'on devient un peu bête aussi dans l'espace,
18:50 et on perd le goût.
18:52 - C'est embêtant, on se demande de faire plein de choses quand même dans l'espace.
18:54 - On s'entraîne beaucoup.
18:56 - La musique, on va aussi en parler avec vous,
18:58 parce que vous avez emporté des disques là-haut,
19:00 dans l'immédiat, la bande-son, c'est la playlist de Steven Bellry.
19:02 Salut Steven ! - Salut à tous !
19:04 - Qu'est-ce qu'on écoute ? - Calogéro, évidemment !
19:06 - Évidemment !
19:08 - Petite blague musicale,
19:10 est-ce que vous vous souvenez de
19:12 Sandrine Kétié, l'animatrice ?
19:14 - Je l'ai ! - Vous savez que depuis des années,
19:16 elle travaille sur son tout premier album,
19:18 qui vient de sortir, rencontre avec une next-star de la télé,
19:20 une nouvelle rockeuse.
19:22 - Salut les potes, c'est la guinguette d'Angèle Ferromax, salut Angèle !
19:24 - Bonsoir tout le monde ! - On mange une tarte ce soir !
19:26 - Ce soir, on mange une tarte rustique,
19:28 mais aux oignons ! - Ah très bien,
19:30 tarte à l'oignon, tout de suite !
19:32 Julia Cellier, Isabelle Choquet et Cyprien Signy.

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