Anne Fulda reçoit Béatrice Brugère pour son livre «Justice : la colère qui monte» dans #HDLivres
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00:00 Bienvenue à l'heure des livres, Béatrice Brugère.
00:02 Alors vous êtes magistrate pénaliste, vous êtes également à la tête du syndicat Unité Magistrat SNM,
00:08 qui se veut dépolitisé et réformiste comme syndicat.
00:13 Et vous venez de publier "Justice, l'air qui monte", plaidoyé pour une refondation,
00:17 un livre qui est paru aux éditions de l'Observatoire,
00:20 un livre qui dresse un bilan sans concession de l'état de la justice,
00:25 un bilan assez attristé en réalité.
00:27 On connaît les mots en pagaille qui l'atteignent,
00:30 "délai de jugement interminable", "procédure illisible",
00:34 "hyperinflation normative", "trop grande politisation", "manque de place de prison".
00:39 Alors est-ce qu'on en est à la faillite de la justice aujourd'hui ? Est-ce qu'on peut appeler ce mot ?
00:44 Je pense que ce mot peut être utilisé, mais sans dramatisation.
00:48 En réalité, il est intéressant de l'utiliser si tout de suite on recherche les causes de cette faillite,
00:53 et surtout si on cherche à comment refonder,
00:57 alors moi je parle de refonder, mais en tout cas remettre la justice dans le droit chemin,
01:01 pour qu'elle soit à la fois à l'heure,
01:03 puisque vous savez qu'une des critiques majeures de la justice, c'est déjà d'être très très lente,
01:08 et créant même d'autres injustices par sa lenteur,
01:11 et puis surtout de plus être en phase avec les attentes des citoyens,
01:15 mais pas que. Moi j'ai mis le mot de colère,
01:18 parce qu'en fait cette colère, elle est assez polysémique,
01:22 c'est-à-dire qu'à la fois elle vient de l'intérieur,
01:24 elle vient aussi de l'extérieur, moi j'entends que des personnes qui disent
01:28 "on n'est pas content, c'est trop lent", etc.
01:31 Mais elle vient aussi, et c'est assez nouveau, de nos partenaires institutionnels.
01:35 Je ne sais pas si vous avez en mémoire, mais les policiers, des experts,
01:40 même des avocats, il y a eu des grèves des avocats.
01:42 Bref, on a l'impression que personne n'est content,
01:45 donc il y a quand même une exigence et un devoir de se pencher sur ces raisons.
01:51 Donc cette faillite, elle est intéressante, si on va plus loin,
01:55 et si on est capable d'analyser, c'est un peu l'objet de ce livre,
01:59 c'est que, étant basé un petit peu des couloirs des palais de justice,
02:04 dans les coulisses, par cette fonction un peu particulière du syndicalisme,
02:07 fort décriée aujourd'hui, et parfois à juste titre,
02:11 de comprendre les mécanismes à l'œuvre de cette faillite,
02:14 de voir si on peut jouer dessus, parce que moi je fais depuis des années
02:20 pas mal de commentaires, y compris sur les plateaux,
02:23 et je trouve qu'il y a quelque chose de frustrant
02:26 d'être dans une société du commentaire, du spectaculaire,
02:29 et je pense que le temps de l'action est venu.
02:31 Alors, on a l'impression néanmoins, enfin, ce n'est pas qu'une impression,
02:34 des réformes de la justice, il y en a eu quelques-unes ces dernières années.
02:38 Alors, elles ne portaient pas sur les bonnes mesures,
02:42 ou est-ce qu'elles n'ont pas été appliquées, ou l'un et l'autre d'ailleurs ?
02:45 Alors je crois que d'abord, il y a trop de réformes,
02:47 c'est un problème incessant, c'est-à-dire que c'est un ministère
02:51 qui est censé se réformer, et pourtant la situation s'aggrave.
02:54 Donc il faut se poser la question des bonnes réformes, vous avez raison,
02:58 de la méthode, est-ce qu'on sait réformer ce ministère ?
03:01 Est-ce qu'il est réformable d'ailleurs ?
03:03 Moi j'en suis arrivée au point de dire que plus on le réformait,
03:06 moins il fonctionnait d'une certaine façon,
03:08 parce que, et c'est aussi une question de méthode,
03:11 il faut peut-être défaire plutôt que d'accumuler,
03:14 vous savez c'est la critique toujours, et c'est pareil pour les normes,
03:16 on dit oui il faut simplifier, et en réalité on n'y arrive pas,
03:19 on rajoute des normes en disant on va simplifier,
03:21 mais en fait elles complexifient,
03:23 donc c'est tout le paradoxe de la méthodologie,
03:25 mais c'est aussi un problème de vision et de cap,
03:27 c'est-à-dire qu'aujourd'hui je crois qu'on n'a plus de vision,
03:29 on ne sait plus, y compris à l'intérieur, ce qui est important,
03:32 ce qu'il faut hiérarchiser, par où commencer,
03:35 et donc cette idée c'était de dire ne donnons pas des petites recettes,
03:38 d'une alternance droite-gauche, d'ailleurs ça ne fonctionne plus,
03:41 mais réfléchissons pourquoi la justice est aussi importante
03:45 dans une société, dans l'équilibre des pouvoirs,
03:47 également c'est un rapport quasi-anthropologique,
03:51 parce que la norme dessine en fait les contours d'une société,
03:55 elle concerne tout le monde,
03:57 elle concerne tout le monde, quel que soit le domaine d'activité,
04:00 donc elle est au cœur de l'action politique,
04:02 elle est même au cœur d'enjeux politiques,
04:05 puisqu'on voit très bien qu'aujourd'hui,
04:07 le vrai pouvoir politique c'est celui qui a le dernier mot,
04:11 et donc ça pose la question de qui a le dernier mot,
04:14 est-ce que c'est bien légitime que celui qui a le dernier mot
04:17 puisse exercer, j'allais dire, cette action ?
04:19 - Alors, on ne peut pas faire le catalogue complet,
04:22 mais dans les mesures que vous préconisez pour cette refondation,
04:27 il y en a quelques-unes justement qui prônent la suppression dont vous parliez,
04:31 ou la fusion de certains organismes.
04:34 - Dans la refondation j'ai réfléchi à l'architecture,
04:39 pour refonder il faut déjà avoir une architecture,
04:42 et on s'aperçoit que l'architecture, déjà,
04:44 d'où l'idée de suppression, on ne sait pas supprimer pour supprimer,
04:47 elle est complexe.
04:49 Par exemple, c'est un exemple parmi d'autres,
04:51 mais on a plein de cours suprêmes, là où d'autres pays n'en ont qu'une.
04:55 Je prends l'exemple de l'Allemagne, ils ont une seule cour,
04:57 qui est la cour de Karlsruhe,
04:59 nous on fonctionne avec cinq cours suprêmes.
05:01 Donc ce n'est pas une polyphonie, c'est souvent une cacaphonie,
05:05 et c'est une complexité, ça peut être une concurrence,
05:08 et ce n'est pas du tout anodin.
05:10 Donc ce n'est pas supprimer pour supprimer,
05:12 c'est supprimer pour rendre plus lisible une architecture,
05:15 sur laquelle il y a des impacts.
05:17 Mais c'est aussi une réflexion, par exemple,
05:19 sur la séparation des pouvoirs,
05:21 qui exige sans doute, aujourd'hui,
05:24 puisqu'on vient de voir que c'est possible,
05:26 une réforme constitutionnelle,
05:28 que tout le monde appelle le CVE, mais que personne n'organise.
05:30 Vous proposez aussi des nouvelles mesures,
05:33 comme par exemple le rétablissement de très courte peine,
05:37 de 15 jours.
05:38 Alors là, je suis partie sur une déconstruction.
05:41 En fait, pourquoi ça ne fonctionne pas ?
05:43 C'est parce qu'on fonctionne sur des stéréotypes, des idéologies,
05:46 et des choses qui ne sont pas du tout vérifiées.
05:48 Le monde a changé, et on est encore sur des vieux concepts,
05:51 ou des vieilles idées, que personne ne vérifie,
05:54 et pourtant on voit bien que la criminalité augmente,
05:56 et que c'est un échec.
05:57 Donc il faut tirer les leçons de l'échec de politique publique.
06:00 Alors on parle du pénal,
06:01 et je suis allée voir ce qui se passait ailleurs,
06:03 et de comprendre.
06:04 Moi, j'ai une formation de criminologue, en plus,
06:06 ce qui est intéressant, parce que ça vous rapproche
06:09 sur l'analyse avec un petit peu de distance.
06:12 Et par exemple, les pays anglo-saxons,
06:14 en tout cas les pays bas,
06:15 font exactement l'inverse, et ça marche.
06:17 Donc pourquoi ne pas s'interroger et réinterroger nos concepts ?
06:21 Nous, on fait très lent, très long,
06:24 eux, ils font très court, très rapide.
06:26 Un exemple à suivre.
06:27 Alors ça fait partie des nombreux exemples que vous citez.
06:31 C'est un livre intéressant pour rendre la justice aussi plus intelligible.
06:34 Ça s'appelle "Justice, la colère qui monte",
06:36 plaidoyer pour une refondation.
06:37 Merci beaucoup, Béatrice Bruchère.
06:39 Merci, surtout à vous.
06:40 Merci beaucoup.
06:41 [Musique]
06:45 [SILENCE]