Avec Thérèse Hargot, Sexologue et auteure de “Tout le monde en regarde (ou presque), comment le porno détruit l'amour” éd. Albin Michel
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##LE_FAIT_DU_JOUR-2024-04-02##
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00:00 *Musique*
00:15 Bon cette entrée en matière est assez amusante, divertissante, mais on va parler quand même d'un sujet assez grave.
00:21 C'est que de plus en plus de jeunes en France consomment de plus en plus de pornographie.
00:27 Et on va en parler avec Thérèse Argot qui est sexologue et auteur de nombreux essais consacrés à la sexualité, au couple, à la vie affective.
00:34 Et vous publiez là, tout le monde en regarde ou presque, comment le porno a détruit l'amour aux éditions Albain Michel.
00:39 Bonjour Thérèse Argot et bienvenue.
00:40 Bonjour, merci de m'accueillir.
00:42 Je vous en prie, c'est un plaisir.
00:43 Donc, enfin c'est un plaisir sauf que là on va pas parler vraiment de plaisir, on va parler d'un plaisir un peu...
00:48 Vous dites que la pornographie c'est un peu le McDo du désir ou du sexe, c'est ça ?
00:53 Alors on aime bien prendre un McDo, c'est très bon, sur le moment.
00:57 Vous avez déjà remarqué que juste après on se sent hyper mal, surtout si on l'a ajouté avec du coca, etc.
01:01 On se dit "non, plus jamais je prendrai un McDo" et puis on revient.
01:03 On sent que vous avez déjà mangé du McDo.
01:04 Ah mais moi chaque fois je me dis "plus jamais un McDo" et j'y retourne et j'y retourne.
01:08 Trop tard.
01:08 Et comment est-ce qu'en fait, voilà, on peut avoir un plaisir immédiat,
01:12 mais après il peut avoir une sensation très désagréable qui peut nous encombrer.
01:16 Et c'est le cas avec la pornographie qui apporte sur le moment un plaisir très intense,
01:21 mais après qui laisse un goût amer et qui laisse des conséquences assez graves dans notre cerveau.
01:26 Mais là plutôt que de parler des fast-foods, on pourrait dire finalement que c'est un peu comme le tabac ou l'alcool.
01:34 C'est-à-dire encore que les adultes peuvent gérer peut-être le tabac ou l'alcool,
01:37 mais si les enfants très jeunes se mettent au tabac ou à l'alcool, c'est gravissime.
01:41 Là les dernières données de l'Arkom, de 2022, 2,3 millions de mineurs consomment régulièrement de la pornographie.
01:48 Dès 12 ans, dès 12 ans, ils passent une heure par mois.
01:52 Et il y a 36% d'augmentation de la consommation de la pornographie par des jeunes de moins de 12 ans.
01:58 C'est édifiant.
01:59 Oui, vous êtes parents, vous êtes grands-parents, restez bien attentifs à ce qu'on est en train d'aborder comme sujet,
02:04 parce que c'est un nouveau phénomène de société.
02:06 Pourquoi nouveau ? Avec l'arrivée des smartphones, des moyens de télécommunication modernes,
02:10 n'importe quel enfant, je dis bien enfant, c'est-à-dire même de moins de 12 ans et adolescent,
02:14 ont accès à des millions de vidéos pornographiques quand ils veulent, comme ils veulent, autant qu'ils veulent.
02:21 Et ça a complètement changé. Donc quand on parle de pornographie aujourd'hui, on ne parle pas de ce qu'on a connu nous à l'époque,
02:26 et je fais moi-même ma vieille, j'adore dire ça aux ados, moi j'ai 39 ans, à mon époque on n'avait pas encore Internet
02:32 et cet accès-là illimité à la pornographie.
02:34 Il fallait utiliser des stratégies pour avoir du contenu pornographique.
02:37 Là aujourd'hui c'est le contraire, c'est celui qui n'a jamais vu de porno qui est assez anormal,
02:42 qui a un itinéraire vraiment étonnant parce que tout le monde a déjà vu des images pornographiques.
02:47 Et vous dites dans votre livre que ce n'est plus le porno mignon du samedi soir.
02:52 Le porno mignon du samedi soir c'était sur des chaînes cryptées, on ne voyait pas toujours tout très bien.
02:56 Mais en réalité, peut-être commencer par une question qui peut paraître un peu banale, mais qu'est-ce que c'est la pornographie ?
03:02 En fait la pornographie c'est quelque chose, à une époque on ne veut pas voir, mais là l'hypersexualité on la voit partout.
03:08 Est-ce que le porno reste porno ?
03:10 Alors vraiment c'est important de définir ce qu'on appelle pornographie.
03:12 La pornographie ce sont des images qui sont fabriquées, qui mettent en scène des fantasmes sexuels
03:18 pour provoquer instantanément chez celui ou celle qui regarde ces images de l'excitation sexuelle en vue de la masturbation.
03:24 La pornographie est un support à la masturbation avec ce caractère immédiat,
03:27 c'est-à-dire qu'on voit ces images, on a de l'excitation et ça permet d'avoir recours à la masturbation.
03:32 C'est ça la pornographie, à la différence de l'érotisme.
03:34 L'érotisme c'est une production artistique qui vise à éveiller le désir,
03:38 qui vise à développer l'imaginaire, la sensualité, qui met en scène le désir charnel.
03:43 On ne se masturbe pas directement devant une production érotique,
03:46 c'est-à-dire que quand on va au musée voir des tableaux érotiques,
03:48 normalement on ne se masturbe pas, si on fait ça on va en prison, c'est pas du tout fait pour.
03:52 Alors que la pornographie, oui, c'est pour ça que ça n'a pas le même effet.
03:55 C'est-à-dire que quand on regarde l'image pornographique, il y a un acte sexuel qui est vécu,
03:59 la masturbation est un acte sexuel, voilà, et donc en fait finalement le cerveau ne fait pas la part des choses
04:04 entre ce qu'il va regarder et ce qu'il aura vécu, pourquoi ?
04:09 Parce que ça vient brouiller en fait le rapport au réel.
04:12 D'une certaine façon, pour le dire assez simplement, pour le cerveau, regarder c'est faire,
04:16 parce qu'au moment où il regarde l'image, il a tout de suite dans son corps une sensation de plaisir,
04:21 le fameux shoot de dopamine qu'on obtient quand on a un orgasme.
04:25 Il ne fait pas la part des choses, et c'est pour ça que les conséquences ne sont pas les mêmes
04:28 que n'importe quelle autre production artistique, même un film violent,
04:31 immensément violent, on n'a pas une Kalashnikov dans les mains en train de tirer sur tout ce qui bouge.
04:35 Donc il y a une différence entre la sensation corporelle et l'image que je regarde.
04:40 Et ici, la frontière, elle est floue, elle est même de plus en plus floue,
04:44 puisqu'en plus on peut parler de tout ce qui se produit actuellement avec des casques de réalité virtuelle, etc.
04:49 - Ah oui, on est au début de cette révolution. - On est au début de tout ça, mais ça arrive vraiment,
04:52 de plus en plus, et donc voilà, c'est pour dire que ces images ne sont pas sans conséquences,
04:56 et que faire la part des choses, c'est quasi impossible pour les enfants et les adolescents.
05:00 - Donc ce que vous dites, c'est que de toute façon, même pour les adultes,
05:03 c'est pas nécessairement très sain, il y a un côté un peu dérivatif à une sexualité qui implique...
05:08 Qui implique quoi ? Qui implique l'autre, qui implique le partage qui est l'acte sexuel avec un autre adulte consomptant.
05:16 - Oui, en fait, c'est assez intéressant ce qui s'est passé ces dernières années.
05:18 En 2016, je sors un livre chez Albin Michel, "Une jeunesse sexuellement libérée" ou presque,
05:21 où je parle des adolescents et de leur consommation de pornographie.
05:24 À l'époque, je m'inquiète beaucoup de la consommation des enfants et des adolescents,
05:27 je vois les conséquences dans leur développement psycho-affectif.
05:29 Et dans mon cabinet, parce que je suis aussi sexologue, thérapeute de couple,
05:32 je reçois des adultes qui viennent me voir en me disant "Ah, vous êtes la seule thérapeute qui parle du problème de la pornographie !"
05:36 On vient me voir parce qu'on sent bien qu'il y a un souci avec ça.
05:40 Et j'accueille énormément d'adultes, énormément, énormément,
05:42 et je me rends compte que le problème n'est pas seulement chez les enfants, il est aussi chez les adultes.
05:46 Ce qui est mauvais pour un enfant ne devient pas soudainement bon pour un adulte.
05:49 - Ça veut dire que ceux de 2016 ont grandi, entre temps.
05:51 - Exactement, et c'est ça qui est très intéressant, c'est de voir que cette génération,
05:54 on peut l'appeler la génération "YouPorn", maintenant on ne regarde plus YouPorn, il y a d'autres plateformes,
05:57 mais cette génération qui a grandi avec la pornographie,
06:01 aujourd'hui ce sont des adultes qui sont des très gros consommateurs.
06:05 Et en fait, l'industrie pornographique a eu cette idée absolument géniale,
06:09 mais dans le sens machiavélique, c'est que pour faire en sorte qu'il y ait beaucoup d'utilisateurs,
06:13 qu'ils reviennent souvent, qu'ils restent le longtemps sur la plateforme,
06:16 afin de générer un chiffre d'affaires important grâce aux espaces publicitaires qui sont vendus sur ces plateformes,
06:21 eh bien, ils exposent des enfants, et des collégiens, et des lycéens à ces images,
06:26 pour enclencher ce qu'on appelle le mécanisme de la récompense,
06:28 ça veut dire que l'enfant va commencer à s'habituer à voir ces images,
06:31 et on s'assure ainsi que le phénomène d'addiction a pris, et pourra continuer à l'âge adulte.
06:36 C'est comme la cigarette, vous en avez parlé, si on habitue un enfant, un collégien, à fumer sa première cigarette,
06:41 ou un lycéen, on s'assure quand même qu'il sera un gros consommateur à l'âge adulte.
06:44 Si vous commencez à fumer votre première cigarette à 39 ans, pas du tout.
06:48 - Il y a une maîtrise de la consommation qui peut arriver à l'âge adulte.
06:50 - Oui, bien sûr, c'est pour ça que la pornographie est interdite,
06:53 je dis bien interdite, au moins des 18 ans,
06:56 donc ce n'est pas 15 ans, c'est 18 ans en France,
06:58 et par contre, elle est autorisée aux plus de 18 ans.
07:02 Ce n'est pas parce qu'elle est autorisée qu'en un coup elle devient soudainement bonne,
07:05 je réinsiste là-dessus,
07:06 mais simplement, on pense que l'adulte va être capable de pouvoir faire la paire des choses
07:10 face à un produit qui est hyper addictif.
07:13 - Vous expliquez qu'il y a un phénomène d'addiction,
07:16 et que finalement, comme dans l'addiction à la drogue,
07:19 il faut augmenter la dose à chaque fois.
07:20 - Oui, le cerveau va être saturé d'images sexuelles,
07:23 mais déjà, on grandit à une époque,
07:27 nos enfants, ils grandissent dans des villes où ils voient
07:29 des dizaines, voire des centaines d'images à caractère sexuel dans la journée,
07:33 je veux dire, entre la fiche de la publicité pour la femme en lingerie,
07:36 ou la vente d'une voiture qui est aussi à caractère sexuel,
07:40 on est dans une société hyper sexualisée.
07:43 Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le cerveau ne ressent pas une excitation sexuelle
07:46 en voyant une femme en lingerie,
07:48 je veux dire, c'est devenu bateau, banal.
07:50 Pour ressentir l'excitation sexuelle, il faut transgresser davantage.
07:53 Et en fait, on va transgresser de plus en plus
07:56 les interdits sexuels pour ressentir l'excitation sexuelle
07:59 en vue de cette fameuse masturbation.
08:00 Et ce qu'on peut observer actuellement,
08:02 c'est que les fantasmes qui sont visionnés sur ces plateformes pornographiques
08:06 sont de plus en plus violentes.
08:10 90% des images concernent des violences explicites.
08:14 Donc on n'a pas du tout le porno dont on fait l'amour dans les champs,
08:17 et c'est trop mignon, c'est pas du tout ça.
08:18 Et quand je dis violence, je ne vais pas vous décrire
08:20 parce que je n'ai pas envie de choquer nos auditeurs,
08:22 mais quand on dit violence, c'est vraiment violent.
08:24 Donc il y a une escalade, une montée aux extrêmes.
08:26 Parce que le cerveau va chercher toujours,
08:29 il va toujours avoir besoin de plus, toujours plus.
08:31 Et finalement, l'industrie est prise au piège
08:33 parce qu'elle doit servir un client qui est insatiable.
08:39 Ça ne s'arrête jamais.
08:40 Comme dans la drogue, il y a une sorte de plafond,
08:42 il y a une érosion et il faut augmenter la dose.
08:43 Il faut augmenter la dose.
08:44 Alors une fois que la dose a été...
08:47 qu'on n'arrive plus à ressentir l'excitation en regardant la pornographie,
08:50 il y a la suite, c'est logique.
08:52 C'est évidemment la consommation de prostitution.
08:54 Ça, moi, je vois tout le temps dans mon cabinet.
08:56 Alors ça commence par les "carme girls", etc.
08:58 Donc une prostitution encore toujours un peu filmée.
09:00 Et puis après, on va passer aussi à la prostitution,
09:02 je veux dire, en présentiel, etc.
09:04 On connaît tout ce qui est salon de massage, majeur.
09:06 Il y a plein d'autres moyens.
09:08 - Combien d'hommes... - C'est-à-dire que c'est un chemin
09:10 vers la sexualité déviante ?
09:12 Déviante, ça c'est vous qui dites déviante.
09:14 Moi, je dis aussi que c'est une sexualité qui n'est pas ordonnée à l'amour.
09:17 - En tout cas... - Devoir payer, c'est quand même...
09:18 - C'est bizarre. - Oui, c'est ça.
09:19 C'est une sexualité qui n'est pas ordonnée à l'amour,
09:21 qui est une sexualité qui est tournée vers soi.
09:23 Ni au désir.
09:24 Et c'est ça qui est le plus triste.
09:26 D'ailleurs, il y a une philosophe qui était ma directrice d'études
09:28 quand j'ai fait mes études de philosophie,
09:29 parce qu'avant d'être sexologue, je faisais d'abord des études de philosophie.
09:32 Elle s'appelle Michela Marzano,
09:33 qui avait écrit un livre qui est très intéressant,
09:35 qui s'appelle "La pornographie ou l'épuisement du désir".
09:38 Et donc, elle parle vraiment de comment ça vient épuiser le désir.
09:41 Puis moi, je poursuis ses travaux en parlant de vraiment
09:43 comment ça vient détruire l'amour, nos relations d'amour.
09:47 Et on le voit très concrètement aujourd'hui dans nos sociétés.
09:50 On comprend bien le mécanisme et on comprend bien...
09:52 On va revenir un peu sur la jeunesse.
09:54 Pourquoi vous dites aussi dans votre bouquin
09:57 que c'est quand même pas si compliqué,
09:58 ni techniquement, ni juridiquement,
10:00 de mettre le haut là, ne serait-ce que pour protéger la jeunesse
10:03 et d'appliquer la loi, juste d'appliquer la loi ?
10:04 Alors, on a maintenant cette idée que la loi,
10:06 ce n'est pas nécessairement fait pour être appliquée,
10:07 mais enfin, passons.
10:08 Donc, ce n'est plus vraiment la loi.
10:10 Mais pourquoi ça ne se fait pas ?
10:12 On a parlé de l'Union européenne qui était en train de cogiter
10:15 sur la domestication des réseaux sociaux
10:20 et de tout ce qui est produit en ligne.
10:22 Et le gouvernement nous en a parlé aussi.
10:24 Que se passe-t-il ?
10:25 Je pense que... Enfin, c'est une partie de mes futurs idées.
10:28 Mes idées, pardon, c'est que je pense qu'il va falloir
10:30 attaquer le gouvernement pour inaction politique
10:32 et inaction envers la protection des mineurs.
10:34 Parce que pendant qu'on fait des rapports et encore des rapports
10:38 pour nous dire que oui, effectivement, ce n'est pas si bien,
10:40 des générations d'enfants sont sous l'emprise
10:43 de cette industrie pornographique et il ne se passe rien.
10:44 Mais quelle lenteur !
10:45 Pourquoi ils ne font rien ?
10:46 Pourquoi ils ne font rien ? Il y a différentes raisons.
10:48 Alors, on ne peut pas dire que c'est pour une question d'argent,
10:50 parce qu'en général, ces gros tubes
10:52 payent leurs impôts, enfin, je ne sais pas quoi,
10:55 ils sont dans des paradis fiscaux.
10:57 Donc, finalement, ce n'est pas en France que...
10:59 Ça n'apporte pas d'argent.
11:00 Ça n'apporte pas d'argent dans la France, presque rien.
11:01 Donc, on ne peut pas dire que c'est vraiment ça l'enjeu.
11:03 C'est un enjeu idéologique.
11:05 C'est parce qu'encore dans l'inconscient collectif,
11:08 la pornographie est associée à la libération sexuelle.
11:10 Et interdire la pornographie aux mineurs,
11:12 c'est comme une entrave à notre liberté sexuelle.
11:14 Et c'est ça que je dis, je redis et je re-redis,
11:16 c'est que ça n'a aucun lien avec la liberté.
11:19 C'est un tabou et c'est une question idéologique.
11:21 Interdire la pornographie, c'est tabou ?
11:22 Mais oui, parce qu'en fait, interdire la pornographie,
11:24 déjà pour les mineurs,
11:25 en tout cas, protéger les mineurs de ces images.
11:27 Moi, je ne me battrai pas pour interdire la pornographie chez les adultes,
11:29 ça ne sert à rien.
11:30 Je pense qu'on est responsable de ce qu'on fait quand on est adulte,
11:33 comme pour le tabac ou n'importe quel autre produit qui est nocif,
11:37 ou l'alcool par exemple.
11:38 Mais ce qu'il faut absolument, c'est protéger les mineurs.
11:40 Mais vous savez, c'est un enjeu juste idéologique.
11:43 C'est-à-dire encore, quand aujourd'hui, on s'alarme,
11:46 on s'inquiète que des mineurs voient des images pornographiques,
11:49 on peut encore traiter de réac, de conservatrice.
11:51 Moi, c'est comme ça que je suis traitée.
11:52 Je suis une réac, une conservatrice,
11:55 parce que je dis qu'il faut faire un truc par rapport à la pornographie.
11:57 Et je n'ai pas le soutien massif des féministes, des néo-féministes actuellement,
12:00 parce que, quand même, tout ça est associé à l'univers de la libération sexuelle
12:05 et on n'attaque pas un symbole de libération sexuelle.
12:07 Et moi, je vous dis que ça n'a rien à voir avec la libération sexuelle.
12:10 C'est juste au contraire.
12:11 C'est tout le contraire.
12:12 Et c'est parce que moi, je suis très pro-sexe et pro-liberté sexuelle
12:15 que je suis anti-pornographie pour les mineurs,
12:18 parce que ça vient déformer le rapport à la sexualité
12:20 et ça les empêche d'avoir une sexualité qui soit libre,
12:22 qui soit heureuse, qui soit épanouie et qui se vive aussi dans le grand plaisir.
12:25 - Qu'est-ce que vous voyez dans vos cabinets des jeunes, des gens très très jeunes,
12:29 qui sont, je me souviens d'avoir lu ça sous votre plume,
12:33 une jeune fille de 11 ans qui disait, c'est terrifiant, allez-y raconte.
12:36 - Oui, j'en ai plein, j'ai plein d'histoires, évidemment,
12:38 des très jeunes, des enfants moins de 10 ans, des jeunes adolescents.
12:42 Et puis alors des adultes, ce qui me frappe le plus,
12:45 c'est que tu ne peux jamais, quand je dis jamais, c'est jamais imaginer
12:50 c'est qu'un enfant ou un adolescent ou un adulte vit dans sa sphère intime et sexuelle.
12:53 Ça veut dire que tu ne peux pas te dire au faciès,
12:56 "Ah bah alors là, c'est sûr qu'il regarde du porno ou elle, c'est sûr qu'elle en regarde."
12:59 Tu ne peux pas savoir.
13:00 Et donc tu vois en consultation,
13:02 des enfants, mais tu donnerais le bon Dieu sans confession,
13:05 tu vois des adultes, vraiment le bon père de famille, la mère de famille parfaite et tout,
13:09 qui regardent du porno ultra trash.
13:11 Mais ils cachent tellement bien leur jeu.
13:12 Et c'est pour ça qu'on doit en parler publiquement,
13:14 parce que c'est une drogue qui ne se voit absolument pas
13:17 et tu ne peux jamais savoir si ton enfant en regarde ou pas,
13:20 juste comme ça, avec quelques petites impressions.
13:22 Il faut absolument en parler.
13:24 Il y a un lien entre cette montée en puissance de la consommation de pornographie chez les jeunes
13:28 et ce problème du consentement ?
13:31 Mais évidemment qu'il y a un lien.
13:32 Et c'est pour ça que moi, je...
13:33 Consentement, la sexualité, je comprends.
13:35 Je n'en peux plus, je passe, ça fait 20 ans que je fais ça,
13:36 parce que je fais ça depuis toujours.
13:38 Chaque semaine, je suis dans des lycées en France et à l'étranger
13:40 pour aller faire de l'éducation affective relationnelle sexuelle chez les adolescents.
13:44 Et je leur parle systématiquement du consentement.
13:46 Mais il y a quoi de devenir fou ?
13:47 Ils sont biberonnés au porno, où évidemment, c'est la culture du viol qui est représentée
13:51 et en même temps, dans une société où on dit que le consentement, c'est indispensable.
13:53 Comment on fait, en fait, quand on est un jeune garçon, une jeune fille dans cet état-là ?
13:56 En fait, il y a de quoi être fou ?
13:58 On a quand même, arrêt sur image, on a un paradoxe assez fou.
14:00 C'est-à-dire qu'on a une société d'un côté qui ne fait rien pour que des gamins de 10, 11, 12
14:04 envoient de la pornographie la plus trash, la plus sale, la plus horrible.
14:09 Et de l'autre côté, de jeunes adultes, il faudrait qu'ils s'envoient un SMS.
14:12 Exactement.
14:13 Ce type contractuel.
14:14 Exactement.
14:15 Mais il y a quoi de devenir fou ?
14:16 On est chez les fous, là.
14:17 Mais on est chez les fous, actuellement.
14:18 C'est pour ça que je sors ce livre, c'est pour ça que je viens vous voir, parce qu'on
14:20 est chez les fous.
14:21 Quand est-ce que ça va s'arrêter, cette folie ?
14:22 Mais ceux qui en payent les conséquences, ce sont nos propres enfants.
14:25 Hier soir, je dînais avec mes trois enfants.
14:28 Je sais plus pourquoi on parlait de tout ça.
14:30 Je leur disais, c'est quand même fou, parce qu'à mon époque, j'adore faire ma vieille,
14:34 en ce moment, c'est ma petite crise de la quarantaine, j'adore faire ma vieille.
14:36 Je dis, à mon époque, on parlait contraception, on parlait avortement et on parlait sida.
14:40 À votre époque, c'est pornographie et consentement qui sont les sujets majeurs de votre génération.
14:46 L'époque a changé et à nous de nous adapter et puis surtout de proposer des choses efficaces
14:50 pour les aider, ces enfants.
14:51 Ce que vous nous racontez est inquiétant, mais fascinant aussi.
14:54 On va marquer une pause publicitaire.
14:55 Une petite pause publicitaire.
14:56 On revient dans un instant.
14:57 On continue de parler de sexualité chez les ados avec Thérèse Argot.
15:00 Et puis vous, vous aurez la parole 0826 300 300.
15:03 A tout de suite sur Sud Radio.
15:04 Sud Radio Berkhoff dans tous ses états, midi 14h.
15:08 Guillaume Bigot.
15:10 Thérèse Argot, on parlait de cette épidémie de la pornographie auprès des jeunes.
15:16 Pourquoi le gouvernement ne fait rien ? J'ai en mémoire une réaction de Ursula von der
15:21 Leyen, la présidente de la Commission européenne, qui s'était indignée au nom de la Défense
15:26 des libertés que la Hongrie décide de prendre des mesures un peu coercitives pour l'accès
15:31 de la pornographie aux plus jeunes, comme si c'était vraiment le mal absolu, d'empêcher
15:36 les jeunes de voir des trucs absolument épouvantables très, très jeunes.
15:39 Est ce que pour vous, la pornographie, c'est finalement un enjeu politique ? Autre formule,
15:44 il me semble que Solzhenitsyn avait dit ça.
15:47 Pour contrôler une société, il vaut mieux avoir de la pornographie pour tous plutôt
15:52 que des barbelés.
15:53 Plutôt que des miradors.
15:54 C'est ça.
15:55 Tout à fait.
15:56 Et moi, je vais dans le même sens en disant que la pornographie est l'opium du peuple.
16:00 Aujourd'hui, ce n'est pas la religion, c'est la pornographie.
16:03 C'est un moyen de contrôle social.
16:04 C'est un moyen de contrôle social.
16:06 J'en suis archi convaincue.
16:07 J'en parle dans ce livre là aussi.
16:08 Pourquoi ? Parce qu'on donne la petite dose de dopamine chaque jour ou plusieurs fois
16:12 par jour pour ressentir un petit bien-être, pour nous shooter un petit peu et ne pas ressentir
16:17 toutes ces émotions désagréables qui peuvent nous encombrer quand on voit des injustices,
16:21 quand on voit des inégalités, quand on voit des choses qui nous révoltent.
16:23 Finalement, ça endort les consciences, ça abrutit les peuples.
16:27 C'est une forme d'antidépresseur.
16:29 Alors, vous avez votre petite dose de porno, comme ça vous restez comme des petits toutous,
16:32 bien gentils et vous ne vous rebellez pas contre ce qui ne va pas dans ce monde actuel.
16:37 C'est vraiment de l'opium, c'est vraiment une drogue et qui est ultra accessible.
16:40 Et vous posez la question, pourquoi c'est aussi accessible alors qu'on sait que c'est
16:44 mauvais ? Peut-être une piste.
16:46 C'est de dire que ça arrange aussi un peu une société d'avoir cette petite drogue
16:50 accessible.
16:51 Moi, je pose la question dans mon livre et je me pose vraiment cette question aujourd'hui.
16:53 Que va-t-il se passer le jour où les gens n'auront plus accès à la pornographie ? Que
16:58 va-t-il se passer ? Vous enlevez le porno.
17:00 Qu'est-ce qui va se passer ? Chez les adultes, chez les enfants, ils vont être en manque
17:04 de quelque chose.
17:05 Qu'est-ce qui risque de...
17:06 Oui, dans un vrai...
17:07 Il y a beaucoup d'opium du peuple en réalité.
17:09 Les tranquillisants, plus le porno, plus les réseaux sociaux, ça fait beaucoup.
17:14 Ça fait beaucoup et donc ça veut dire aussi qu'on a besoin que tout le monde se tienne
17:17 bien pour maintenir l'état actuel.
17:20 En tout cas, c'est sûr et certain qu'il y a une dimension politique.
17:23 Il ne faut pas du tout se voiler la face.
17:25 Cette inaction politique, elle s'explique, je ne vous disais pas, à des enjeux idéologiques
17:30 mais aussi parce qu'on n'a pas envie de priver aussi les gens de ce produit-là.
17:39 Je sais aussi que quand je parle de pornographie, les gens parfois me reprochent en disant "Oh
17:42 non, ne nous enlevez pas ça quoi ! Déjà, on dit que fumer, ce n'est pas bon pour la
17:46 santé et l'alcool non plus.
17:47 Si même le porno, ben ouais, je suis désolée.
17:50 Mais je pense que le pire produit, c'est quand même la pornographie parce que ce que ça
17:53 vient abîmer, c'est notre capacité à aimer, à être en relation, à avoir une vie sexuelle
17:58 épanouie.
17:59 Partez du principe que l'industrie pornographique ne cherche absolument pas à ce que vous ayez
18:03 une vie sexuelle épanouie.
18:04 Elle veut faire en sorte que vous restez le plus longtemps possible derrière votre écran
18:08 comme un con, comme une conne, excusez-moi l'expression, mais c'est ça.
18:11 Restez derrière son écran et ne pas être en relation, ne pas sortir de chez vous pour
18:14 rencontrer quelqu'un, faire l'amour avec cette personne.
18:16 Il faut rester derrière son écran.
18:18 Et donc si vous comprenez ça, qu'on cherche à faire du profit derrière votre dos, et
18:22 bien peut-être que vous comprenez aussi qu'il est plus que temps de pouvoir arrêter pour
18:25 revenir dans une relation authentique et de faire l'amour aussi en vrai avec les personnes
18:31 que vous pouvez aussi rencontrer dans la vraie vie.
18:33 Voilà, et pas seulement être dans du virtuel.
18:35 C'est un peu autre chose, vous prêchez un convaincu.
18:37 Mais en fait, ça me fait penser à ce bouquin aussi de Pascal Bruckner sur le sacre de la
18:43 pantouffe, c'est-à-dire il y a une sorte de paresse, il y a un individualisme.
18:46 Est-ce que la pornographie, c'est pas la sexualité d'individus qui sont devenus une
18:51 espèce de monade qui sortent à peine de chez eux ? On voit bien que les gens se font
18:54 livrer la nourriture chez eux.
18:55 C'est le dernier dossier de libération qui est sorti sur la sexualité des Français
19:01 avec ce sondage qui montrait que les Français n'avaient jamais aussi peu fait l'amour
19:04 qu'à notre époque, particulièrement les jeunes.
19:07 Et la pornographie a directement un impact.
19:10 Il y a d'autres impacts aussi, puisqu'on parlait de santé mentale, mais moi je pense
19:13 que la pornographie agit très négativement sur la santé mentale des jeunes.
19:16 Donc il faut aussi associer cette surconsommation avec la santé de nos adolescents et de nos
19:21 étudiants.
19:22 Mais on voit aussi que directement il y a moins de relations sexuelles.
19:24 Je vous conseille, je vous le disais en off, de regarder le dernier spectacle de Florence
19:28 Foresti.
19:29 Elle en parle avec énormément d'humour, ça fait du bien, mais de ce phénomène-là.
19:33 Elle disait que les jeunes aujourd'hui apprennent par le porno la sexualité alors que nous,
19:36 à notre époque, et elle est très drôle, elle dit qu'on apprenait sur le terrain.
19:40 Mais c'est pas la même chose et ça n'a pas les mêmes conséquences dans la vie
19:43 des individus.
19:44 Donc c'est pour ça que c'est un vrai sujet et il faut en parler à ses enfants ou à
19:48 ses petits-enfants.
19:49 Ça peut être un sujet tabou, c'est pas parce que ça concerne la sexualité et c'est
19:52 pas parce que c'est sur nos écrans qu'en un coup on doit se taire.
19:55 Au contraire, c'est un sujet de société qui mérite qu'on en débatte.
19:59 Je retiens cette idée qu'il y a une sorte d'anesthésie dans la diffusion de la pornographie,
20:03 d'enfermement de l'individu dans lui-même.
20:05 Et vous disiez tout à l'heure que la pornographie c'est masturbatoire, c'est des finalités
20:08 masturbatoires.
20:09 Donc c'est pas très fécond, sans faire de mauvais chute-mot.
20:12 Et en réalité, il y a presque une analogie avec ce qui se passe sur le plan politique,
20:16 c'est-à-dire cliquer dans son coin pour se donner bonne conscience.
20:20 C'est quand même pas la même chose que d'aller à une manifestation, de militer
20:23 dans un parti politique, de se présenter à des élections.
20:25 Il y a quelque chose d'actif ou de fécond en rencontrant l'autre et en transformant
20:29 le monde.
20:30 Tandis que là, on reste dans son coin avec ses fantasmes.
20:32 Et c'est pour ça que c'est tout à fait symptomatique de notre génération, de notre
20:36 société.
20:37 Et donc effectivement, c'est vraiment le côté individualiste.
20:40 Et alors, comment est-ce qu'on a transformé la sexualité en un produit de consommation
20:43 comme un autre ?
20:44 C'est cette expression absolument horrible qu'on dit, on fait du sexe.
20:48 Comme si on faisait du tennis, du basket, du sexe.
20:51 Et c'est devenu comme ça une espèce de sport ou de choses.
20:55 Et on peut acheter des produits, des services sexuels de plus en plus tôt, puisqu'en fait
21:00 on est…
21:01 Finalement, la pornographie, quand on en parle, il faut quand même redire les choses, il
21:04 s'agit quand même de prostitution filmée.
21:05 C'est l'univers de la prostitution, ça veut dire la marchandisation du corps humain
21:09 et la marchandisation du sexe.
21:10 C'est de ça dont il s'agit.
21:11 Mais il y a des abus, mais tous les acteurs ou les actrices pornographiques ne sont pas
21:14 des gens forcés.
21:15 Ce qu'on appelle les travailleurs du sexe, c'est pas pour ça qu'ils sont forcés,
21:18 ils peuvent le faire avec justement une certaine forme de liberté.
21:22 Mais c'est quand même cet univers-là dont on parle.
21:24 C'est l'univers de la marchandisation du corps humain et la marchandisation de la
21:28 sexualité qui est devenue, je vous dis, ce produit de consommation comme un autre.
21:32 Et en cela, on perd ce sens de la relation, de l'amour, qui est pourtant ce qui fait
21:38 notre humanité.
21:39 - Et comment on sort de cet enfer de l'addiction à la pornographie ?
21:42 - Alors, on en sort de façon relativement simple, en tout cas c'est ce que je pense
21:46 et c'est ce que je vous partage dans ce livre.
21:48 Pourquoi simple ? Parce qu'il faut juste retrouver sa lucidité.
21:50 Comment est-ce qu'on en sort ? C'est en reprenant conscience que ces produits ne nous
21:55 fait pas du bien, qu'on n'a jamais vraiment voulu en regarder et que finalement on a été
22:00 sous l'emprise de cette industrie parce que très tôt, on nous a exposé à ces images.
22:03 Et je vais le dire, parce que c'est de ça dont il s'agit.
22:06 On en sort le jour où on comprend que d'une certaine façon, on a été abusé sexuellement
22:10 par cette industrie quand on était enfant, collégien ou lycéen pour la majorité d'entre
22:14 nous.
22:15 Et le jour où on reprend conscience qu'on a d'abord été victime d'une industrie
22:17 qui cherche à faire du profit, on peut à ce moment-là reconnaître la victime et après
22:22 reprendre sa responsabilité en disant "maintenant je ne veux plus être victime de cette industrie,
22:25 je décide de m'en libérer définitivement".
22:27 Et c'est possible.
22:28 - Merci infiniment Thérèse Arnault, c'était passionnant.
22:29 - Merci à vous d'en parler.
22:30 - Auteur de "Tout le monde en regarde" ou presque, "Comment le porno a détruit l'amour"
22:34 éditions Allemagne Michel, une saine, saine lecture.