Johanna Ghiglia reçoit Stéphane Manigold, restaurateur et président du groupe Eclore. Il est à la tête d'un groupe riche de cinq restaurants étoilés. Le 18 mars dernier sa table gastronomique hémicycle a obtenu après six mois seulement d'ouverture, sa première étoile.
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00:00 Bonjour Stéphane Manigold, vous avez donc fondé le groupe Écleur qui est devenu l'un des groupes de restauration les plus importants en France.
00:06 Alors c'est 8 restaurants, 6 étoiles au Guide Michelin et d'ailleurs le 18 mars dernier, il y a quelques jours, votre table gastronomique Hémicycle a obtenu 6 mois seulement, 6 mois seulement après l'ouverture, une première étoile.
00:19 Donc félicitations à vous. Alors ces étoiles c'est quoi ? C'est un rêve ? C'est un accomplissement ?
00:23 Déjà je tiens à féliciter l'ensemble des salariés du groupe qui travaillent et notamment les chefs qui ont oeuvré pour que ces étoiles tombent.
00:31 Je suis restaurateur donc je suis là pour animer, coacher. Vous savez un de vos confrères m'avait fait ce compliment en disant "tu es devenu le Arsène Wenger des chefs".
00:40 Moi j'aime bien cette idée et ce parallélisme. En tant que bon Alsacien, j'aime bien ce parallélisme.
00:45 Donc c'est vraiment le travail de l'ensemble des équipes, que ce soit salle ou cuisine, les chefs évidemment, et puis nos clients qui nous font confiance en toute transparence.
00:54 Parce que c'est très bon et c'est une victoire d'ailleurs qui est encore plus savoureuse.
00:58 Parce que vous venez de loin, vous avez un sacré parcours, quel chemin parcouru. Vous êtes né à Mulhouse, dans un quartier populaire et vous avez connu les foyers de la DAS.
01:07 Comment cette période que vous avez connue a construit l'homme que vous êtes aujourd'hui ?
01:12 Lorsque j'ai grandi, que ce soit dans les familles d'accueil ou dans ces foyers de la DAS qui sont très clairement les oubliés de la République,
01:21 on n'imagine pas ce qui s'y passe au fond dans ces foyers. C'est un traumatisme que tout enfant qui vit dans ces foyers ait marqué à vie.
01:32 Je vous remercie de me donner la parole parce que bien souvent dans les médias, on voit des serial killers, des gens qui ont tué, des gens qui ont commis des actes de terrorisme.
01:43 On dirait que c'est un enfant de la DAS. Non, les enfants de la DAS, ce n'est pas que ça. On peut aussi s'en sortir par le travail, l'effort et la persévérance.
01:50 Et au fond, c'est un petit message d'espoir pour ces gamins.
01:57 C'est ce travail-là, c'est cette notion de travail qui vous a permis de vous en sortir ?
02:02 Oui, c'est le travail, l'envie de ne pas tomber dans la délinquance.
02:07 Vous savez, il y a Sandrine Rousseau qui a fait une sortie il n'y a pas très longtemps à l'Assemblée nationale et elle a parlé d'attouchement que ces enfants vivent.
02:17 Hélas, je ne peux que lui donner raison. Je n'ai pas connu, moi, un enfant qui n'a pas eu ou subi ces sévismes dans les foyers.
02:27 Ça vous touche encore énormément, on le sent, quand on vous entend ce matin.
02:30 Oui, mais ce sont des blessures que vous gardez à vie.
02:37 Et derrière, bien sûr, je n'ai connu que le travail et je ne sais faire que ça.
02:44 Donc, depuis que j'ai l'âge de 11 ans, je travaille, j'ai commencé à ramasser les tickets dans les foyers Kermesse, parce que je ne voulais justement pas tomber dans cette délinquance.
02:54 Qu'est-ce que vous voudriez dire, par exemple, à un jeune qui, en ce moment, connaît de grosses difficultés et qui veut s'en sortir, qui n'a pas d'horizon ?
03:01 Qu'est-ce que vous lui diriez là, ce matin ?
03:03 Je vais prendre votre exemple ou je peux prendre ceux qui sont derrière nous, les caméramans, ceux de la régie.
03:09 Un enfant ne peut pas se construire, ne peut pas réussir s'il n'a pas d'exemple.
03:14 L'exemplarité construit l'homme, la femme que vous allez devenir.
03:18 Et ces enfants, malheureusement, ce qui leur manque le plus, ce sont des exemples.
03:22 Et j'ai accepté, près de 40 ans après, de briser ce tabou, parce que ces gamins ont besoin aussi d'autres exemples.
03:34 Et de leur dire, voilà, c'est possible de réussir, c'est possible de s'en sortir par le travail et de jamais tomber dans la délinquance,
03:42 ne jamais choisir la facilité.
03:45 La France est un beau pays qui tend la main aux autres, qui est généreux.
03:51 Et il y a, bien sûr, des gens qui payent des impôts et qui m'ont permis de me soigner, d'aller à l'école et de manger un petit peu à ma faim.
04:00 C'est très touchant ce que vous nous dites ce matin.
04:01 Vous avez d'ailleurs décidé de fonder le groupe Éclore.
04:04 Votre but, c'est de dénicher un peu les jeunes talents, les jeunes cuisiniers.
04:08 C'est une manière un peu de rendre ce qu'on vous a donné ?
04:10 Oui, parce que j'ai un éducateur formidable qui a changé ma vie, Christian Maillard.
04:15 Il a hélas mis fin à ses jours.
04:17 C'était pour moi un déchirement, mais il a été généreux avec moi.
04:21 Il m'a fait sortir de ce quartier.
04:22 Il m'a montré que dans la vie, il n'y a pas que cette barre d'immeubles.
04:26 Il y a un quartier.
04:27 Et puis, au-delà de ce quartier, il y a une ville.
04:29 Au-delà de cette ville, il y a un pays.
04:30 Et puis après, il y a le monde.
04:31 Et que le monde est beau, il faut aller le voir.
04:32 Il faut aller à la rencontre des autres.
04:33 Et inlassablement, depuis que je suis tout petit, il m'a transmis cela.
04:37 Et inlassablement, je partage, j'échange, je me nourris des autres.
04:41 Vous voyez, il y a l'école de la République.
04:43 Elle n'a pas forcément son travail ou en tout cas su m'intéresser.
04:48 Et puis, il y a l'école de la vie qui est la plus belle
04:49 et qui est celle qui vous permet de vous émanciper.
04:52 C'est vrai que les modèles, c'est très important.
04:53 Alors, vous êtes très actif et vous êtes également représentant de la profession.
04:57 Et depuis un an, vous portiez une proposition pour rendre obligatoire
05:01 la mention "non fait maison" sur les cartes des restaurateurs
05:04 qui utilisent, par exemple, tout ce qui est produits surgelés,
05:07 les produits qui vont réchauffer au micro-ondes.
05:10 Et le texte, il a été retiré le 19 mars dernier du circuit parlementaire.
05:13 Est-ce que vous, vous expliquez cette marche arrière ?
05:17 J'aimerais quand même clarifier auprès de vos téléspectateurs
05:20 que ce texte ne touche pas simplement les restaurateurs,
05:22 les parents d'élèves qui nous écoutent,
05:24 qui envoient chaque jour leurs enfants à l'école.
05:27 On ne peut pas considérer que dans ce pays,
05:29 nos enfants, ce qu'ils mangent le plus à l'école, c'est le pain.
05:33 Pourquoi ? Parce qu'il y a une industrialisation de nos cantines scolaires
05:37 qui, au fond, nos enfants n'en veulent pas et donc ils se concentrent sur le pain.
05:42 Donc nos enfants et les parents, y compris,
05:45 puisque j'ai entendu certains dire que c'était un problème de riche
05:47 et que c'était simplement pour les étoiles et Michelin que ce combat était mené,
05:51 non, les parents qui emmènent leurs enfants dans le 93
05:53 ont le droit de savoir ce que leurs enfants mangent.
05:55 Les ouvriers, avec leur ticket restaurant, lorsqu'ils vont acheter un repas,
06:00 ils ont le droit de savoir si c'est le micro-ondes qui vient de tourner.
06:03 Et donc, potentiellement, une alimentation avec des pesticides et de mauvais produits
06:09 et si c'est fait maison, je ne dis pas que le fait maison est meilleur que l'industriel,
06:13 je dis juste que le consommateur doit savoir.
06:14 Alors justement, en parlant de nourriture, vous n'êtes pas venu les mains vite ce matin.
06:17 Non, je voulais vous scénariser un peu un restaurant type.
06:22 Hier soir, j'étais chez un ami restaurateur qui affiche fièrement son boudin.
06:26 Il ne le fait pas lui-même, mais la conserve est affichée
06:29 parce qu'il est fier de l'artisan avec lequel il travaille.
06:31 Et donc, le client le sait.
06:33 Il sait qu'au fond, ce boudin, c'est un artisan du Sud
06:37 qui a des porcs noirs de bigorre, qu'il élève et qu'il fait avec beaucoup d'amour.
06:42 Le consommateur le sait, il en veut, il en réclame.
06:44 Il y a du sucré aussi sur la table.
06:45 Oui, je vous ai ramené deux choses.
06:46 Ce que nos enfants mangent régulièrement dans les cantines scolaires.
06:49 Alors, je vais vous faire un test.
06:50 Là, vous avez une crème, une mousse au chocolat.
06:52 Et on peut goûter ?
06:53 Je veux vous la faire goûter, mais avant, je voudrais vous faire une chose.
06:55 Vous voyez, là, je la remue.
06:57 Il y a une dose sucrée dans l'équipe, c'est Thomas qui nous rejoint.
07:00 Je vois que ça lui dit de vraiment goûter cette belle mousse au chocolat.
07:05 Je vais te voir.
07:06 Regardez, Thomas.
07:07 Là, vous voyez que c'est plein.
07:09 Là, je la remue.
07:11 Et donc ?
07:12 Vous voyez que le niveau n'est plus le même.
07:14 D'un côté, vous avez de l'air.
07:16 Voilà.
07:17 Et ici, on peut le voir, il n'y a absolument plus rien.
07:19 C'est incroyable.
07:20 Et ici, vous avez une mousse au chocolat.
07:22 Regardez la cuillère, comme elle tient droit.
07:24 Elle est faite maison.
07:25 D'un côté, vous achetez de l'air.
07:28 Et c'est de l'industriel.
07:29 Et pardon, je vais faire mon Jean-Pierre Coffre, c'est de la merde.
07:32 Ça détruit, en fait, votre estomac.
07:34 Thomas, en tout cas, apprécie.
07:36 Il est en train de déguster.
07:37 Ça, c'est bon.
07:37 Il ne va plus en rester, après.
07:38 Et ce n'est pas compliqué de faire une mousse au chocolat.
07:39 Non, vous l'obliguez.
07:41 Et vous voyez, vous prenez beaucoup de plaisir à la manger.
07:43 Eh bien, c'est ce que je défends.
07:44 C'est que vous, vous sachiez que demain, une mousse au chocolat,
07:47 si elle est faite maison, vous devez le savoir.
07:48 Très bien.
07:49 Et au fond, si c'est industriel, ben voilà.
07:52 Voilà.
07:53 Vous venez de résumer mon combat, cher Thomas.
07:54 Pour un exemple en direct, merci beaucoup Stéphane Manigault d'avoir été avec nous.
07:58 Je rappelle que vous êtes le président du groupe Restauration Éclore.
08:01 Je ne peux pas me satisfaire de déclarations comme ça.
08:04 Donc, je vais fouiller le dossier pendant la pub et continuer à expérimenter.
08:07 Les industriels, Thomas Soto, ne peuvent pas gagner.
08:09 Olivier Grégoire s'est battu pour que la transparence se mette en place.
08:12 Je l'appelle tous les parlementaires à ne pas subir des pressions
08:15 des corps intermédiaires, des syndicats,
08:17 qui sont ni plus ni moins au bot des industriels.
08:21 Ils sont payés et financés par les industriels.
08:22 Merci beaucoup.
08:23 - Merci d'avoir été avec nous ce matin.
08:25 - C'est ça, les négros !