• il y a 7 mois
L'actrice Vahina Giocante publie ce jeudi "A corps ouverts" aux éditions Robert Laffont. Elle y raconte l'inceste dont elle a été victime petite fille et son long combat de la reconstruction... Elle témoigne au micro de Amandine Bégot dans RTL Matin.
Regardez L'invité de RTL du 27 mars 2024 avec Amandine Bégot.

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00:02 RTL Matin
00:06 Il est 7h43, vous l'avez vu au cinéma dans
00:10 99 francs, Bellamy ou encore secret défense. Elle brise aujourd'hui un tabou. Amandine vous recevez ce matin
00:14 l'actrice Vahina Jokante pour son livre "A corps ouvert".
00:18 Vahina Jokante, je le disais, ce livre ne peut pas laisser indifférent, ne doit pas, mais ne peut pas laisser indifférent. Vous y racontez
00:26 l'inceste dont vous avez été victime toute petite fille et puis ce long combat aussi sur le chemin de la reconstruction.
00:32 Car contrairement à ce qu'on dit très souvent, on peut se reconstruire après un inceste.
00:37 Oui, c'est pas quelque chose qu'on entend beaucoup et il y a même pas mal de gens qui questionnent ma guérison.
00:43 En me disant "mais est-ce que c'est bien possible ?"
00:45 Et moi je dis souvent "une blessure, effectivement, quand elle est ouverte
00:49 on sent la douleur et quand elle est
00:52 cicatrisée on peut toucher, elle n'est plus aussi douloureuse". Et je pense que j'ai choisi ce moment là pour en parler parce que
00:57 je suis arrivée à un moment de ma vie où c'est possible de partager
01:01 quelque chose d'un peu plus lumineux.
01:04 Oui, alors ça se fait pas tout seul.
01:07 Une plaie elle se cicatrise pas aussi vite. Il faut du temps, il faut
01:13 l'investissement, il faut être accompagnée aussi.
01:16 Un livre, souvent on dit que c'est une thérapie, dans votre cas ce livre il est pour les autres.
01:20 Oui, pour les 10% de français qui disent avoir été victime d'inceste. C'est énorme ce chiffre. C'est énorme, c'est vertigineux.
01:28 Et du coup je pense que c'est aussi le but de
01:31 faire tomber ce tabou énorme, c'est-à-dire d'aider les gens à
01:36 arriver à entendre, à arriver à accepter cette réalité. Et ce livre, cette mise à nu, pour moi c'était une façon
01:43 comme j'ai réglé, enfin oui j'ai réglé en privé, dans l'intimité, je suis allée guérir
01:50 chaque couche de ce traumatisme. Il était temps pour moi de dire
01:56 ça existe partout,
01:59 absolument partout.
02:01 Et il faut le dire et l'entendre, et vous me disiez là juste avant qu'on prenne l'antenne, c'est souvent plus difficile à
02:06 entendre qu'à dire.
02:07 En fait je termine le livre comme ça, c'est-à-dire qu'il ne suffit pas de parler ou de hurler, encore faut-il
02:12 écouter, encore faut-il être entendu.
02:15 Et donc, bah merci déjà.
02:19 C'est votre père qui a abusé de vous, vous aviez à peine cinq ans.
02:23 Vous écrivez "Un âge où le mot inceste ne veut rien dire pour moi et pourtant il imprègne et façonne le restant de mon existence".
02:30 Ça commence dans un bain, à l'heure de la sieste ?
02:34 Oui, oui, ça commence de manière très insidieuse et quand on est enfant on n'a pas forcément la conscience de ce qui est
02:41 normal ou pas, de ce qui est
02:43 potentiellement destructeur ou pas, et donc on est en face de gens qui en ont confiance. Là en l'occurrence avec mon père c'était vraiment mon héros.
02:51 Donc oui, on a une paire de références et de barrières, donc c'est ça qui est aussi compliqué. Et je pense que du coup la
02:58 prévention est nécessaire aussi, parler à ses enfants, parler aux enfants de la manière la plus simple possible, leur expliquer les mots de la
03:04 manière la plus simple possible.
03:06 Ça commence à 4-5 ans, ça va durer jusqu'à l'âge de 10 ans, jusqu'au jour où vous dites à votre maman "vos parents sont séparés,
03:12 je l'explique", vous dites à votre maman "je ne veux plus aller chez lui, plus pour le week-end, plus pour les vacances".
03:17 Elle se doute de quelque chose à ce moment là ? Oui, oui. Elle vous envoie voir des psy ?
03:21 Oui, pédopsychiatres, et je sais qu'ils veulent me faire dire ça, et je sais que c'est dangereux, et
03:26 que potentiellement il y a la prison, que potentiellement il y a
03:29 la séparation, et donc je refuse de parler. Mais c'est très fréquent les enfants, c'est une façon de dire
03:37 "stop"
03:39 avec nos mots.
03:40 Il faudra attendre vos 17 ans pour que vous parliez, que vous portiez plainte aussi, pour
03:45 sauver votre sœur.
03:47 Vous découvrez qu'elle aussi est abusée par votre papa, parce que votre maman vous dit qu'elle aussi, à peu près au même âge
03:54 que le vôtre d'ailleurs, elle refuse d'aller chez lui. Exactement. Tout de suite vous comprenez ?
03:58 Ah oui, j'avais déjà eu un retour de trauma
04:00 quelques mois avant, et donc là c'était vraiment le
04:03 c'était le coup de grâce. Donc oui, oui, j'ai compris tout de suite.
04:08 Et en fait je pense que j'ai pris la mesure de la gravité quand ça l'a touché elle, pas quand ça me touchait moi.
04:12 C'est assez fréquent, c'est-à-dire que
04:15 quand ça touche les gens qu'on aime, c'est beaucoup plus douloureux que quand c'est pour soi, étrangement.
04:20 Devant le juge au procès, votre papa n'y l'est fait ?
04:24 Il va même dire que
04:27 vous êtes une menteuse, c'est vous qui l'avez harcelé pendant qu'il prenait son bain.
04:31 Oui, il est dans un mode de survie. C'est ce que je dis, c'est qu'il est
04:37 prêt à sacrifier un membre
04:39 comme un animal pris au piège.
04:41 Et je dis que ce membre c'est moi, parce qu'effectivement
04:43 là on n'est plus dans un rapport père-fille, on est dans un rapport où
04:47 il veut sauver sa peau et
04:50 je le comprends, enfin je pense que c'est...
04:52 je peux le comprendre, même si ça a été extrêmement douloureux.
04:56 Il a été condamné à trois ans de prison, dont un avec sursis.
04:59 Il vous a clairement, et vous le dites tout au long du livre,
05:02 pourri la vie, je le dis avec un mot très trivial et c'est beaucoup plus profond,
05:06 et pourtant, et alors ça je dois vous dire que j'ai été complètement scotché parce que vous lui dédiez ce livre,
05:11 on ouvre votre livre et il y a marqué "à mon père". On ferme le livre, sur une formidable lettre d'amour que vous lui écrivez.
05:19 Vous comprenez que ça puisse...
05:21 Ah oui, je comprends que ça puisse choquer ou même qu'on puisse ne pas comprendre.
05:24 Non mais en tout cas ça interpelle.
05:25 Comment on peut aimer celui qui vous a fait vivre un...
05:27 Alors vous savez, j'aime beaucoup cette phrase qui dit "un enfant
05:31 abusé n'arrête jamais d'aimer ses parents, il arrête de s'aimer lui-même".
05:35 Et ça il faut bien le comprendre, c'est à dire que
05:38 tout le parcours de reconstruction c'est de réapprendre à s'aimer et de se récupérer soi, mais l'amour de ses parents il est là.
05:45 Et c'est ça qui est dur, alors après ça peut se transformer en haine, mais la haine c'est encore de l'amour.
05:50 C'est le pendant inverse de la manifestation de l'amour pur, mais
05:56 je lui ai dédié ce livre parce que sans lui cette histoire n'aurait pas été écrite.
06:01 Donc je lui rends
06:02 quelque part la responsabilité de cette histoire et j'ai voulu terminer par une lettre d'amour, mais plus que d'amour, de pardon.
06:09 Parce que je pense que c'est la clé aussi de la reconstruction, si j'ai pardonné, j'ai pardonné aussi pour moi.
06:14 Pour récupérer mon pouvoir, pour ne pas lui donner justement ce pouvoir de détruire ma vie, mais au contraire de
06:21 me dire "voilà, ma vie sera belle et je t'offre ce pardon et j'offre le pardon aussi à mon père enfant".
06:29 C'est-à-dire que je le vois tout d'un coup comme un enfant,
06:31 je me dis "cet enfant a probablement vécu aussi des abus ou des choses terribles ou des blessures" et donc je m'adresse
06:37 à lui enfant et je lui offre mon pardon
06:40 comme une boucle qui est bouclée quelque part, c'est-à-dire voilà tu n'as pas réussi à me détruire et
06:47 tu peux partir maintenant...
06:49 Je sais pas si c'est libre parce que ça dépend de lui, mais en tout cas moi je peux continuer ma vie libre.
06:57 - Dans ce livre vous vous adressez aussi aux enfants, aux victimes et puis aux
06:59 agresseurs et puis vous parlez du milieu du cinéma, sa multitude de petits abus.
07:05 Vous ne citez qu'un seul nom d'ailleurs dans ce livre, celui de Benoît Jacot, contre qui je le rappelle Judith Godrech a porté plainte.
07:12 C'est volontaire de le citer lui ?
07:14 - Au départ je ne voulais pas le citer parce que je ne voulais citer personne qui m'a fait du mal. Je ne voulais
07:18 rendre hommage qu'à ceux qui ont été bénéfiques dans ma vie.
07:23 Et en fait c'est une raison aussi particulière, je n'ai pas voulu nommer parce que je trouve que c'est un peu l'arbre qui cache la forêt
07:28 et je voulais nommer les actes plus que les personnes. Je trouve que quand on s'attache à la personne
07:32 on enlève l'universalité du problème alors que j'avais envie que le lecteur puisse y apposer son visage, son nom et puisse pouvoir s'identifier
07:39 à ce qui se passe. Donc
07:42 c'était un choix volontaire et pourquoi Benoît ? Parce que avant la sortie, Judith a effectivement
07:48 décidé de porter plainte et je voulais être là en backup pour
07:53 empêcher Benoît de
07:55 la poursuivre en diffamation.
07:57 C'est de la sororité quoi.
07:59 - Comment vous avez vécu justement ces dernières semaines ? Le discours de Judith Gaudrech par exemple au César ou encore la réaction du milieu du cinéma ?
08:06 - Dans le milieu du cinéma on voit qu'il y a quand même pas mal de résistance encore.
08:10 Il faut que chacun prenne sa part de responsabilité, qu'on arrête l'hypocrisie générale.
08:15 Et là on commence à voir qu'il y a un intérêt
08:20 des médias de vraiment comprendre. Mais chacun à sa part on a fait partie de ce système et on l'a laissé
08:26 se développer. Donc maintenant c'est le monstre qu'on regarde en face et qu'on met à terre ensemble. On pourra pas y arriver
08:32 si on le fait pas ensemble. Et j'aimerais que ceux qui ont mal agi ou qui ont fait du mal ou du tort puissent se dire
08:39 "oui effectivement j'ai peut-être un consciemment par manque de conscience et j'en suis désolée".
08:45 - Vous dites qu'il suffirait peut-être qu'un seul de ces hommes mis en cause
08:49 assume sa part de responsabilité ou présente des excuses. C'est ce que vous leur dites ce matin à ces hommes que vous ne citez pas
08:55 dans le livre ?
08:56 - Oui parce que je suis pas en colère contre eux et donc je leur dis "mais voilà
09:00 c'est noble de demander pardon".
09:04 - Mais comment vous pouvez ne pas être en colère ?
09:06 - Je n'ai pas dit que je l'ai jamais été, je l'ai été mais la colère c'est une émotion qui nous traverse et on peut en
09:11 faire quelque chose de beau. Ça se transcende,
09:14 c'est une émotion naturelle et qui peut être très nécessaire aussi pour faire changer les choses dans une société. Donc j'ai pas peur de la
09:20 colère et je ne la rejette pas. Mais je n'en suis pas là aujourd'hui.
09:24 - Voilà je le disais ce livre ne peut pas laisser indifférent, c'est aussi plein d'espoir. Je voulais juste citer une phrase de votre fils
09:31 "Maman tu es une balle, lorsque tu tombes tu rebondis toujours plus haut".
09:36 Vous êtes une sacrée balle Vahina. Votre livre ça s'appelle "Accord ouvert" c'est publié chez Robert Laffont et ça sort demain. Merci infiniment.
09:44 [SILENCE]

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