• il y a 9 mois

Category

🗞
News
Transcription
00:00 *Générique*
00:06 Les français dorment de moins en moins longtemps, de moins en moins bien pour en comprendre les raisons
00:12 et puis pour s'interroger sur notre actualité puisque j'imagine que vous êtes en train de vous réveiller
00:18 ou alors que vous avez essayé de vous endormir cette nuit et puis une insomnie vous a empêché de mener à bien ce projet.
00:25 Eh bien nous sommes tout d'abord avec notre camarade, vous le connaissez, le neurologue Lionel Nacache.
00:30 Bonjour Lionel.
00:31 Bonjour Guillaume.
00:32 Comme vous êtes un invité aujourd'hui, je vais citer votre livre "Le cinéma intérieur" chez Odile Jacob.
00:38 Vous travaillez à l'hôpital de la Pitié-Salle-Pétrière et au bout du couloir à gauche, eh bien il y a Isabelle Arnulf.
00:46 Bonjour, vous êtes également neurologue mais vous, vous êtes chef du service des pathologies du sommeil.
00:52 On vous doit une fenêtre sur les rêves, neurologie et pathologie du sommeil, paru également chez Odile Jacob.
00:59 Isabelle Arnulf, est-ce qu'on sait aujourd'hui ce qu'est le sommeil ?
01:02 Est-ce qu'il est possible de définir ce phénomène qui parfois nous visite ?
01:09 Oui, évidemment, le corps est immobile, on est relaxé sur le plan musculaire, la respiration est calme, régulière.
01:16 Le cerveau réagit moins aux stimuli extérieurs, aux bruits et en même temps il se ralentit au niveau de son activité.
01:24 Ce ralentissement s'accompagne d'un approfondissement progressif avec de moins en moins de réactions
01:34 et en même temps d'un travail cérébral qui est différent.
01:38 C'est un travail intérieur qui se coupe du monde en fait.
01:41 Ce travail est vaste et est découvert de plus en plus tous les jours avec la consolidation de la mémoire,
01:48 la digestion des émotions négatives, toutes sortes d'associations qu'on ne ferait pas en journée, qui se font la nuit.
01:54 Donc contrairement à ce qu'on pensait avant où c'était un état de retrait et peut-être de repos général du corps et du cerveau,
02:02 c'est un état de travail différent du cerveau.
02:04 Et c'est un état indispensable Lionel Nakache ?
02:07 Oui absolument et en plus à partir du moment où on réalise qu'on passe à environ un tiers de notre existence dans cet état un peu mystérieux,
02:13 un peu la face cachée de notre vie puisqu'on n'en a pas des souvenirs très précis,
02:16 on n'est sans doute pas conscient en permanence du coup dans le sommeil,
02:19 et bien du point de vue médical, neurologique et c'est là aussi qu'il y a des interactions entre nous,
02:23 très souvent on est poussé à interroger les patients qui vont nous consulter pour autre chose que le sommeil,
02:28 sur la qualité de leur sommeil.
02:29 C'est-à-dire que le sommeil, l'interrogation, l'observation, le questionnement sur la structure,
02:33 le fonctionnement du sommeil d'un patient va souvent vous ouvrir des fenêtres très riches.
02:37 Par exemple ?
02:37 Par exemple, alors moi contrairement à Isabelle qui est vraiment l'experte du sommeil,
02:41 moi je suis spécialisé en neuropsychologie, donc la plupart des patients qui viennent me voir les vendredis en consultation,
02:45 viennent me voir en général pour un symptôme d'entrée cognitive, par exemple une plainte de mémoire.
02:51 Évidemment lorsqu'on veut explorer le fonctionnement de leur mémoire,
02:53 il y a toute une catégorie de patients, heureusement, dont les troubles de mémoire ne sont pas en rapport avec par exemple
02:59 une maladie d'Alzheimer débutante ou autre, mais avec un trouble du sommeil qui va empêcher certains des mécanismes qu'Isabelle évoquait à l'instant,
03:05 de la consolidation de nos souvenirs.
03:06 Vous voyez, donc là ça permet à la fois de poser un diagnostic, de trouver un traitement efficace,
03:10 et plus généralement que ça, c'est très important d'interroger et d'observer le sommeil.
03:14 Pourquoi durant cette période particulière de notre activité Isabelle Arnulf, le sommeil,
03:19 un certain nombre de phénomènes se déroulent comme par exemple la consolidation de la mémoire,
03:24 comme des mécanismes cognitifs différents mais bien présents ?
03:31 Il paraît difficile pour le cerveau et pour le corps de tout faire en même temps,
03:34 donc avoir des moments, en particulier la nuit où l'être humain n'est pas très performant,
03:40 il ne voit pas très bien, il ne va pas très bien chasser quand il est chasseur-cueilleur,
03:44 avoir des moments où on peut se mettre en retrait du monde et fabriquer par exemple des réparations,
03:54 un petit peu comme une maison qui réparer ses murs, qui fabriquerait des réserves comme le glycogène par exemple,
04:00 ou qui en profiterait pour reposer certains organes comme par exemple les muscles à ce moment-là,
04:08 est utile et il semble que d'avoir placé ces moments de repos sur des moments où l'homme n'est pas très performant
04:15 a rendu l'homme plus performant en journée.
04:18 Donc on ne peut pas en permanence récupérer,
04:24 il faut bien qu'il y ait des moments où on puisse le faire de façon non dangereuse et efficace.
04:29 Alors on comprend donc mieux ce qu'est le sommeil, on comprend pourquoi on dort,
04:34 est-ce que vous comprenez Isabelle Arnulf, pourquoi on ne dort pas, pourquoi on dort mal,
04:39 pourquoi tout d'abord des personnes souffrent d'insomnie ?
04:43 L'insomnie c'est effectivement le trouble du sommeil le plus fréquent,
04:47 c'est à peu près en chronique 10% de la population, plus les femmes que les hommes,
04:51 on le conceptualise plutôt comme un hyper-éveil, plutôt qu'un déficit de sommeil,
04:57 c'est-à-dire que pour démarrer le sommeil, il faut mettre au repos un certain nombre de ruminations,
05:02 de problèmes, de douleurs, etc.
05:05 Si ça ne se réalise pas, les gens vont être trop réveillés,
05:08 et curieusement, à un moment, il n'y aura pas de compensation.
05:13 Normalement si vous et moi on dort deux heures de moins,
05:15 on va redormir plus la nuit suivante ou faire une sieste.
05:19 Cet état d'hyper-éveil va mettre les personnes dans un état intermédiaire,
05:23 dans la journée ils ne sont pour autant pas mieux réveillés, un drôle d'état,
05:27 et dans la nuit, les phases d'éveil ne sont pas agréables avec des ruminations.
05:31 Donc on est plutôt sur une phase d'hyper-éveil.
05:35 Ce n'est pas la maladie du sommeil la plus fréquente,
05:39 mais il y en a d'autres qu'on connaît mieux et qu'on comprend mieux actuellement.
05:43 Il y a des gens qui dorment trop, qui vont avoir du mal à se réveiller le matin,
05:50 il y a aussi 10% de la population qui a des excès de sommeil dans la journée,
05:56 ou qui est trop somnolente.
05:58 - La somnolence dans la journée ?
06:00 - Dans la journée, mais il y a aussi de l'excès de sommeil,
06:02 il y a des personnes qui dorment plus de 11 heures,
06:04 il y a des personnes qui s'endorment en parlant, en marchant,
06:06 et là on se rend compte de l'importance de ce qu'est un bon éveil dans la journée.
06:11 Une grande part des laboratoires de sommeil travaillent actuellement sur l'apnée du sommeil,
06:18 qui est un problème respiratoire nocturne qui engendre de la somnolence dans la journée.
06:23 Et puis il y a des personnes qui s'agitent dans leur sommeil,
06:26 et qui peuvent se blesser et blesser leur conjoint.
06:28 Tout le monde connaît les somnambules, mais il y a toutes sortes d'autres pathologies autour de cela.
06:33 - Yonel Nakache ?
06:34 - Oui, un autre aspect, c'est qu'effectivement, comme dans la journée, dans la période de veille,
06:38 on est en interaction avec plein de choses, donc c'est difficile de contrôler ce qui se passe en nous,
06:42 parce que le scénario de notre vie est en permanence bouleversé par plein de facteurs non prévus.
06:46 Alors que comme le disait Isabelle, pendant la nuit,
06:49 c'est quasiment un état expérimental dans lequel le sujet est un peu laissé à l'abandon.
06:53 Et donc observer ce qui se passe dans notre corps et dans notre cerveau,
06:56 d'une certaine manière c'est plus simple en réalité,
06:58 dès lors qu'on utilise les sciences contemporaines du sommeil,
07:01 c'est-à-dire qu'on ne se limite pas à l'observation du comportement.
07:04 Et si vous visitez le laboratoire d'Isabelle, un patient qui vient dormir, passer une nuit de sommeil,
07:08 il va être filmé avec des caméras infrarouges,
07:10 comme ça on verra dans l'obscurité exactement s'il bouge ou pas,
07:12 ces mouvements respiratoires, ventilatoires.
07:15 Et il pourra également rentrer dans l'activité de son cerveau,
07:18 en enregistrant l'électro-anthralogramme et d'autres choses.
07:20 Et donc pour moi c'est un état de relatif isolement,
07:24 qui va permettre de disséquer la structure du sommeil et de voir comment l'organisme fonctionne.
07:28 C'est pour ça que de manière générale, évidemment ça nous passionne, nous le sommeil et la neurologie,
07:32 mais au-delà d'intersections neurologie-psychiatrie-sommeil,
07:35 on pourrait dire que c'est une fenêtre d'observation de la santé de l'individu en général,
07:39 d'une certaine manière peut-être plus simple que l'état de veille consciente,
07:43 à l'un des mouvements de pensée, d'interaction avec beaucoup de choses.
07:45 - De la santé, ça veut dire que si on dort mal, on a plus de chances d'être malade ?
07:50 Ou si on dort mal, on a précisément cette pathologie ?
07:54 Parce que dormir mal, c'est en soi déjà une souffrance.
07:57 - Je dirais qu'il y a les deux en fait, en réalité les deux.
07:59 C'est-à-dire que par exemple, une des grandes découvertes du sommeil,
08:03 c'est qu'alors que cet état semble assez monolithique,
08:05 quand on parle de quelqu'un, on ne dit pas "il dort en sommeil profond", on dit "il dort".
08:09 Et une des premières très grandes découvertes, on peut dire les sciences modernes du sommeil,
08:12 c'est la découverte que derrière cet état monolithique, il y a un ensemble de stades différents,
08:17 qu'on sait dans les laboratoires comme ceux d'Isabelle, reconnaître, identifier.
08:21 Et on peut associer chacun de ces stades avec des fonctions différentes.
08:23 - Isabelle Arnulf ?
08:25 - Alors, effectivement, il y a des conséquences au mauvais sommeil ou au sommeil restreint.
08:32 La plus évidente, c'est que ça retentit sur le corps.
08:37 Donc on voit bien que c'est un des trois piliers de la santé, évidemment, avec l'alimentation et l'exercice.
08:41 Par exemple, une personne qui dort moins, parce qu'elle se lève tôt ou parce qu'elle réduit ses temps de sommeil,
08:46 va avoir beaucoup plus de risques de prendre du poids, d'avoir de l'hypertension, de développer du diabète
08:51 et de se défendre moins bien contre les infections.
08:53 Donc il y a vraiment un effet corporel, physique, du manque de sommeil.
08:57 Et puis, elle va avoir un certain nombre de problèmes cognitifs, comme les évoquait Lionel,
09:02 de difficultés à mieux mémoriser, d'irritabilité, de difficultés à gérer les émotions,
09:08 à interpréter la vie relationnelle.
09:12 Et donc, tout ça, en miroir, nous donne une partie des grandes fonctions du sommeil.
09:17 Ça veut dire quoi, mal dormir ?
09:19 Mal dormir, ça veut dire soit réduire la quantité, soit avoir un sommeil qui paraît continu pour le dormeur,
09:27 mais qui est émaillé de brefs réveils, qu'on appelle micro-éveils,
09:30 et qui interrompent ce processus en cours de mémorisation.
09:35 Les micro-éveils ne sont pas perçus par le dormeur.
09:38 Une spécificité du sommeil, c'est qu'on rentre dans le champ de Lionel de perte de conscience.
09:43 Du coup, la personne ne va rapporter de sa nuit que le sentiment qu'elle a récupéré ou pas,
09:48 ou qu'elle a mal à la tête le matin, ou parfois qu'elle a été urinée 3-4 fois dans la nuit,
09:53 et que ça, c'est pas normal, ou qu'elle est fatiguée dans la journée.
09:56 Mais ce qui s'est passé réellement dans sa nuit, finalement, elle n'en a pas une conscience personnelle.
10:01 C'est là où les laboratoires de sommeil interviennent, pour voir ce qui se passe.
10:04 - Mais on a appris récemment qu'au Moyen-Âge, on dormait en deux fois, par exemple.
10:09 Est-ce que dormir en deux fois, c'est une bonne méthode ?
10:13 C'est une méthode, je dirais, qui apporte un sommeil de moindre qualité qu'aujourd'hui ?
10:19 Ou est-ce que c'est indifférent, finalement, Isabelle Arnulf ?
10:22 - Le sommeil en deux morceaux, pas particulièrement.
10:25 Il faut savoir qu'au Moyen-Âge, les gens étaient principalement des agriculteurs,
10:30 et puis ils allaient se coucher tôt, vers 19h, à la tombée du jour.
10:33 Ça coûtait cher de s'éclairer.
10:35 Et ils se réveillaient avec le jour.
10:38 En période, par exemple, actuelle, vous avez un peu plus de 12h d'écart
10:43 entre la tombée de la nuit et le lever du jour.
10:45 Les enfants les dormaient les 12h, mais les adultes, non.
10:48 Il faut 7-8h.
10:49 Et donc, une fois endormis, ils avaient souvent un réveil au bout de deux cycles de sommeil,
10:54 c'est-à-dire à peu près 3h.
10:56 Et ils se restaient réveillés 1h30 à 3h, puis se rendormaient sur un deuxième bout de sommeil.
11:00 Et ce milieu de la nuit, ce creux de la nuit, ils étaient particulièrement vigilants,
11:05 parce que les deux premiers cycles de sommeil sont très récupérateurs.
11:08 Et on appelait cette période-là la dorveille,
11:10 donc les personnes conversaient entre elles, allaient faire le feu, priaient.
11:15 Et donc, ce sommeil particulier a disparu avec l'arrivée de l'électricité et de l'éclairage,
11:22 où les personnes se sont couchées plus tard et ont rabouté les deux morceaux.
11:26 Ce qui fait qu'à partir de la fin du 19ème siècle, on considère que le sommeil doit être continu, monolithique.
11:32 Ce n'est pas le cas chez une partie des individus qui continuent à avoir ces réveils de milieu de nuit.
11:37 Et donc, on essaye de les rassurer en disant qu'ils ont un sommeil médiéval, ils ont une repréhension.
11:43 Et c'est tout aussi réparateur qu'un sommeil moderne ?
11:46 Pourvu qu'il y ait au total des 7h de sommeil, oui, pourquoi pas.
11:50 On a pu étudier nous-mêmes les moines, des moines particuliers qui gardent cet horaire-là.
11:58 Et qui se réveillent à 3h30 ?
12:01 Qui se réveillent à minuit pour les matines, ce qu'on appelle les matines,
12:04 qui se rendorment à 3h et qui vont prier une partie de la nuit,
12:06 parce qu'ils pensent que la nuit est un moment de contact divin plus important, de réflexion.
12:10 Et qui sont en pleine forme dans la journée.
12:12 On vous en parlait dans "Une fenêtre sur les rêves",
12:14 neurologie et pathologie du sommeil.
12:18 On se retrouve dans une vingtaine de minutes avec vous Isabelle Arnulf.
12:23 Et maintenant nous allons écouter Lionel Dakache, mais cette fois-ci, le chroniqueur.
12:28 Et oui, je le rappelle, aujourd'hui c'est la journée internationale du sommeil.
12:39 Alors c'est peut-être une triste journée pour ceux qui ont mal dormi cette nuit,
12:43 mais en tout cas, ça vous fait du travail en plus.
12:45 Isabelle Arnulf, vous êtes neurologue,
12:47 chef du service des pathologies du sommeil à la Pitié-Salle-Pétrière à Paris.
12:51 Et on vous doit "Une fenêtre sur les rêves",
12:53 neurologie et pathologie du sommeil, chez Odile Jacob.
12:58 Vous avez dit tout à l'heure quelque chose qui a beaucoup fait réagir Henri Gilles.
13:02 Vous avez dit qu'il faut dormir 7h par nuit, ou par jour d'ailleurs.
13:07 C'est indifférent, dormir le jour, la nuit, c'est la quantité qui compte.
13:12 Isabelle Arnulf ?
13:13 Oui, c'est la quantité qui compte d'abord.
13:15 C'est-à-dire que si une personne dort en deux morceaux,
13:17 comme faisaient les moines ou comme font les boulangers,
13:20 par exemple de dormir 5h un bout et puis 2h sur une grosse sieste,
13:24 on arrive au même bénéfice du sommeil.
13:26 Et lorsque l'on évoque ces 7h, est-ce qu'on a une idée sur les raisons pour lesquelles c'est 7h ?
13:35 Les processus que vous évoquiez il y a quelques minutes dans l'émission,
13:39 consolidation de la mémoire, diminution de l'activité physiologique.
13:44 Pourquoi faut-il 7h pour se livrer à ces différentes opérations ?
13:49 On ne sait pas en détail, mais il y a tout un petit ballet nocturne qui se fait comme un orchestre,
13:55 en faisant jouer certaines parties du cerveau puis d'autres.
13:59 Pourquoi c'est séquencé ? Ça on ne sait pas.
14:01 Pourquoi il y a d'abord le sommeil lent, puis le sommeil paradoxal ?
14:05 Une des hypothèses est que ce soit un peu comme la cuisson d'un bon pain,
14:09 vous avez une partie qui sert à consolider la mémoire,
14:13 et puis une fois que c'est fait, vous pouvez vous occuper de la régulation émotionnelle,
14:17 dont on pense que c'est une fonction, par exemple, plus du sommeil paradoxal.
14:21 Être du matin, être du soir, ça existe ?
14:24 Il y a des sujets du matin et des sujets du soir, il y a un fort déterminisme familial.
14:30 Les sujets du matin vont se réveiller sans souci très tôt, comme vous,
14:35 et par contre, tombés de sommeil en début de soirée,
14:39 les sujets du soir vont avoir du mal à se coucher avant minuit,
14:43 et du mal à se lever le matin.
14:45 C'est un système génétique qui a été plutôt bien étudié,
14:51 qui est à l'origine de plusieurs prix Nobel ces dernières années.
14:56 On peut aller contre son chronotype, mais on va le payer souvent par une dette de sommeil.
15:03 Ce chronotype est lié à des déterminismes génétiques,
15:09 mais est-ce que l'on comprend mieux pourquoi ces déterminismes nous typent autant en étant du matin ou du soir ?
15:17 Il y a un peu de plasticité dans le sommeil.
15:25 On peut aller contre le fait d'être un court-dormeur, long-dormeur, moyen-dormeur,
15:30 ou d'être du soir, du matin ou neutre.
15:32 Cela fait neuf types à peu près, mais pas trop longtemps.
15:35 Si vous mettez quelqu'un du soir en travail du matin, il ne va pas être adapté,
15:40 et assez vite, il va se désadapter avec un sommeil plus consolidé,
15:44 l'incapacité de faire la sieste au bon moment.
15:47 Il faut être assez attentif quand on a des travailleurs avec soi à leur chronotype,
15:52 et aussi temporellement, quand on va faire un voyage vers l'étranger,
15:56 on peut provisoirement s'adapter, mais sur le long terme, non.
16:00 Cela veut dire que la notion de dette de sommeil n'est pas seulement métaphorique, Isabel Arnulf ?
16:05 Non, il y a vraiment une dette, un peu comme si on accumulait ça dans un sablier,
16:10 qui a un effet immédiat avec le côté "je ne fonctionne pas bien, je m'endors brutalement",
16:16 surtout d'abord dans des conditions routinières.
16:19 Si vous êtes en train de faire une émission, l'énergie, la motivation,
16:23 va suffire à passer au-dessus de la dette.
16:25 Mais dès que vous allez être en repos, ou dans des trucs très routiniers,
16:29 comme la conduite automobile, ce qui pose souci,
16:32 là, on peut louper un feu, on ne peut pas freiner au bon moment,
16:35 et faire de l'accidentologie.
16:37 Et puis sur le long terme, il y a une accumulation de petites dettes chroniques,
16:40 juste la demi-heure ou l'heure qui manque en semaine,
16:43 qui est partiellement, mais pas complètement récupérée le week-end,
16:46 et qui donne à terme des personnes qui ont une moins bonne santé mentale,
16:49 une moins bonne santé physique, avec plus de dépression,
16:52 plus d'obésité, plus d'hypertension, plus de diabète,
16:57 et donc des conséquences physiques et mentales importantes.
17:00 Et là aussi, est-ce qu'on comprend pourquoi la dette de sommeil crée de la dépression ?
17:04 On le comprend indirectement par les fonctions qu'on connaît maintenant de mieux en mieux du sommeil.
17:11 Imaginez que vous recevez un mail très désagréable, avec des points d'exclamation,
17:16 des caractères gras, je pense que vous l'avez tous reçu, clairement.
17:20 Si vous répondez immédiatement, vous allez faire une réponse sur le même niveau émotionnel, agressif du mail.
17:25 Si vous dormez dessus, le lendemain matin, vous avez plus de chances de faire une réponse rationnelle et moins émotionnelle.
17:31 Ce jeu entre raison et émotion semble se passer pendant le sommeil, il a bien été.
17:36 On sait que c'est le sommeil qui fait ça.
17:38 Après, ce qui se passe exactement dans le cerveau, qui permet de digérer cette agressivité,
17:46 on ne le sait pas, mais on pense que ça arrive pendant les phases de rêve,
17:51 en particulier parce qu'elles sont extrêmement riches en émotions.
17:54 Et on pense que c'est un théâtre mental dans lequel on revoit l'auteur du mail,
17:59 on lui dit ce qu'on a à lui dire, et une fois que c'est fait, l'émotion est rangée au bon endroit
18:04 et on peut passer à des choses un peu plus rationnelles.
18:07 Et le lien, cette fois-ci, entre le manque de sommeil et les troubles physiologiques que vous évoquiez,
18:15 l'hypertension, l'obésité ?
18:17 Le sommeil, il y a un moment où, en plus de tout ce balai cérébral, il y a tout un balai d'hormones dans le corps
18:24 qui vont permettre de faire plus de réserves, par exemple de glycogène,
18:28 et de réguler l'insuline, l'hypocrite, la leptine, toutes sortes d'hormones.
18:33 Si on empiète dessus, on va très rapidement, avec de la dette, produire de la faim.
18:40 Et les gens vont manger, et manger des nourritures plus édoniques, c'est-à-dire pas le poulet-salade,
18:47 plutôt les snacks, les chips, les Mars, et donc des choses qui vont avoir tendance à faire grossir les personnes.
18:54 C'est aussi un moment de repos du système cardiovasculaire, où la tension artérielle va chuter,
18:59 la fréquence cardiaque va chuter.
19:01 Et si cette fenêtre de protection n'est pas faite régulièrement sur 24 heures,
19:05 il y aura une sorte de désadaptation, avec cette tension artérielle de la journée qui ne va plus chuter,
19:11 et qui va à un moment s'installer jour et nuit.
19:14 Isabelle Arnulf, vous dirigez le service de pathologie du sommeil de la PTSL Pétrière à Paris.
19:20 Aujourd'hui, c'est la journée internationale du sommeil, et il y a beaucoup de nos camarades auditeurs qui sont insomniaques.
19:27 Qu'est-ce que l'on peut aujourd'hui proposer aux insomniaques ?
19:31 La première chose, c'est de faire régulièrement de l'activité physique.
19:36 On a placé cette journée sous le thème du sport, à cause des Jeux Olympiques.
19:41 L'activité physique favorise le sommeil de plein de manières différentes.
19:46 En particulier, elle va faire fabriquer un sommeil plus profond, plus lent.
19:50 Les personnes vont être moins obèses, et donc moins faire d'apnée la nuit, moins ronfler,
19:55 et du coup avoir un sommeil plus continu.
19:58 Mais elle peut aussi partiellement remplacer la dette de sommeil.
20:01 Autrement dit, et ça, ça a été bien montré, vous faites 30 minutes de sport,
20:05 ça vous fait économiser à peu près l'équivalent en sommeil.
20:09 Y compris au niveau de la mémorisation, ça c'est des travaux tout récents.
20:13 Si avant de faire un apprentissage, vous faites vos 30 minutes de vélo,
20:19 et puis que vous ne dormez que 5 ou 6 heures au lieu de vos 7 heures habituelles,
20:23 la consolidation amnésique va être aussi bonne que les 7 heures.
20:27 Donc on voit qu'il y a une forte interaction entre l'activité physique et le sommeil.
20:33 Et donc c'est un premier conseil.
20:35 Le deuxième conseil, c'est évidemment de ne pas aller sur les écrans.
20:37 Ça, je crois que tous les insomniaques le savent.
20:40 Les écrans de téléphone et d'ordinateur contiennent des LED bleus qui bloquent la mélatonine,
20:44 et donc qui sont comme l'équivalent d'un plein jour de soleil.
20:48 Ça dit au cerveau, il faut que tu te réveilles, et pas il faut que tu dormes.
20:51 Et donc on va utiliser plutôt la nuit ou au coucher des lumières rouges,
20:55 un peu comme il y a dans les laboratoires photo,
20:57 qui permettent de ne pas bloquer la mélatonine,
21:01 et du coup de pouvoir s'endormir facilement si on a un petit réveil la nuit,
21:05 ce qui peut arriver à tout le monde.
21:07 Et voilà, c'est des conseils simples, dormir au frais, etc.
21:12 Mais même sans être insomniaque, il y a de plus en plus d'études qui convergent
21:18 pour dire que les Français dorment de moins en moins,
21:22 que les adolescents dorment de moins en moins.
21:25 C'est en partie lié à ce que vous évoquiez, par exemple,
21:29 les écrans qui empiètent de plus en plus sur le sommeil.
21:32 Est-ce que vous êtes inquiète, en tant que médecin, en tant que responsable
21:36 de ce Centre des Pathologies du Sommeil ?
21:39 Oui, je suis tout à fait inquiète, parce que ce sont des cerveaux en développement,
21:43 les enfants, les jeunes adultes, les adolescents.
21:45 Et cette idée que c'est du temps perdu le sommeil,
21:49 alors qu'ils sont en train de changer toute leur plasticité cérébrale,
21:54 de se développer la nuit aussi, ils grandissent aussi pendant le sommeil.
21:58 C'est le moment où on fait du muscle et de l'os, et où on perd du gras.
22:02 Tout ça avec ce raccourcissement qui devient exponentiel.
22:06 On savait déjà dans les années 80 que les gens dormaient un peu moins qu'avant,
22:11 mais ces dernières années, on est passé en dessous de 7 heures en moyenne dans la population,
22:16 avec des enfants qui ne se couchent plus, ou qui sont sur leurs écrans le soir ou la nuit,
22:20 ou sur Netflix, et on augmente l'irritabilité, les troubles attentionnels en classe,
22:26 tout ce qui va faire l'apprentissage.
22:28 Et c'est des personnes en plein apprentissage, l'obésité juvénile augmente aussi.
22:32 Donc il y a un vrai effort à faire pour les coucher plus tôt,
22:35 ou pour mieux les adapter, puisque les adolescents vont avoir besoin de plus de sommeil
22:38 et de se lever un peu plus tard.
22:40 - Et ça c'est un phénomène qu'on constate, l'adolescent en captivité se lève effectivement à des heures largement tardives.
22:48 - Mais un certain nombre de pays ont acquis cette idée, et ont proposé qu'à partir du lycée,
22:53 on vienne une heure plus tard à l'école.
22:55 L'Australie le fait, une partie des Etats américains,
22:58 et ils ont immédiatement augmenté les notes et les performances scolaires.
23:01 Donc il y a une vraie utilité à bien caler le sommeil, à caler les rythmes scolaires sur les rythmes des personnes.
23:10 - Mais j'imagine qu'un enfant, à tous les âges de l'enfance, d'ailleurs on ne doit peut-être pas dormir la même quantité,
23:17 mais un enfant, vous conseillez aux différents âges de la vie, qu'il dorme combien de temps, combien d'heures, Isabelle Arnulf ?
23:26 - Alors le bébé dort entre 15 et 18 heures, on peut retenir 10 heures à 10 ans,
23:33 et puis 9 heures ensuite, c'est assez longtemps, 8-9 heures.
23:37 Et c'est finalement à l'âge adulte consolidé, où le corps est formé, le cerveau est formé, qu'on peut passer à 7-8 heures.
23:43 Mais il faut vraiment que les enfants essayent de dormir un peu plus,
23:47 que les parents soient vigilants, suppriment les écrans de la chambre.
23:51 - Plus on avance en âge, plus on a la sensation d'avoir besoin de moins de sommeil, plus on se réveille tôt, non ?
23:59 - Il existe effectivement plusieurs changements avec l'âge.
24:02 Les personnes se réveillent plus tôt, les adolescents feraient volontiers des grasses matinées jusqu'à midi.
24:07 C'est plus difficile en prenant de l'âge, quoique à la retraite les personnes dorment souvent une heure de plus,
24:14 probablement avec la baisse de la charge mentale.
24:17 Mais en vieillissant, les personnes âgées se lèvent plus tôt, le sommeil est moins consolidé,
24:21 et il y a plus volontiers le retour d'une sieste.
24:24 Pas très longue, mais on conseille vraiment, dès que les personnes peuvent le faire, la sieste c'est quelque chose de très utile.
24:30 Et donc on s'est rendu compte ces dernières années, qu'elle avait aussi des effets cognitifs importants, en fonction de sa durée.
24:38 Alors là, il y a la longue sieste royale d'une heure et demie, qui va permettre elle de consolider la mémoire.
24:44 - Mais ce n'est pas mauvais ?
24:45 - Pas du tout. Il y a un peu d'inertie en en sortant, ça va être un peu plus long d'en sortir.
24:51 - Jean Lemarie redresse ses oreilles !
24:54 - La sieste courte de 15-20 minutes, qui a un rafraîchissement immédiat du cerveau, un rafraîchissement très clair,
25:01 mais qui a peu d'effet cognitif.
25:03 Et ces dernières années, on a travaillé sur la micro-sieste, qui dure une minute,
25:07 en utilisant la technique d'Edison, qui a trouvé plein de choses.
25:12 C'était un grand chercheur qui a trouvé l'ampoule électrique.
25:15 Il dormait peu, mais il se mettait dans son fauteuil, avec une boule de métal dans chaque main.
25:20 Et au moment où la boule tombait sur le sol, il se réveillait, probablement parce qu'il était juste dans la phase d'endormissement,
25:26 et il notait tout de suite ses idées.
25:28 Ses idées qu'on a juste à la transition entre la veille et le sommeil.
25:31 C'était anecdotique, Dali faisait pareil, pour avoir des idées avec une cuillère, lui, de beaux tableaux.
25:40 On s'est rendu compte, en faisant passer des questions, des équations à des personnes,
25:46 et puis en les laissant ensuite faire, avec une bouteille pour le coup, ces microsommeils,
25:51 qu'une seule minute de sommeil, et c'est du sommeil très léger d'endormissement,
25:56 permettait de multiplier par trois les chances de trouver la clé, la solution d'un problème.
26:02 Et on pense que cet état intermédiaire entre la veille et le sommeil,
26:07 en faisant s'endormir complètement, il perdait la solution.
26:10 Il fallait vraiment attraper cet état qui est entre la concentration de l'éveil,
26:16 et puis l'imagination du sommeil, et en même temps se réveiller vite pour retenir la bonne idée.
26:24 Il y a une fenêtre juste à l'endormissement, qui est extrêmement propice aux découvertes,
26:29 à la créativité, et qui s'accompagne souvent d'images.
26:32 Ce ne sont pas des rêves dans lesquels on est immersif, scénarisé,
26:35 mais plutôt des successions qu'on appelle d'imagerie hypnagogique, d'images et de sons,
26:39 qui ont l'air extrêmement propices pour des découvertes.
26:42 Donc voilà un petit truc simple à essayer.
26:45 - Alors ça c'est la micro-sieste, et la maxi-sieste, il ne faut pas en avoir peur Isabelle Arnulf ?
26:49 - Si vous n'avez dormi que 5h la nuit, non, il ne faut pas en avoir peur.
26:52 Si vous avez dormi 7h, essayez de privilégier des siestes sans inertie, c'est-à-dire de 15-20 minutes.
26:58 - Jean-Les-Maris, ça vous... - Il faut qu'on essaye tout ça.
27:02 - On va essayer ça, notamment pour rêver, vous insistez dans votre livre Isabelle Arnulf sur le rêve.
27:10 Là aussi, de la même façon que le sommeil, est-ce qu'aujourd'hui,
27:14 car vous décrivez dans votre ouvrage Isabelle Arnulf,
27:18 les difficultés qu'il y a à étudier le rêve, d'abord à savoir ce que l'on étudie,
27:24 est-ce qu'il faut étudier ce qui se passe réellement dans le cerveau,
27:28 ce dont le dormeur se souvient lorsqu'il se réveille.
27:31 Vous expliquez qu'il y a différentes manières de se représenter le rêve.
27:37 - Oui, jusqu'à ces dernières années, le rêve était un souvenir,
27:42 et un souvenir très évanescent, puisqu'on pense qu'on oublie 99% de nos rêves.
27:47 Et grâce à différents états sur lesquels nous travaillons,
27:52 on a essayé d'attraper le rêve à sa source au moment où il se produit, pendant le sommeil.
27:57 Ces différents états sont par exemple tous les comportements que certains peuvent avoir pendant le sommeil.
28:03 On connaît tous des personnes qui parlent en dormant,
28:06 et rien que d'étudier ce que le langage des somniloques nous a occupé des années,
28:12 c'est un langage plutôt préoccupé, la personne laisse une place pour la réponse,
28:16 les tours de parole sont respectés,
28:19 donc il y a une espèce de fonctionnement du cerveau qui est assez proche de celui de l'éveil,
28:22 sauf que c'est plus préoccupé, plus vulgaire.
28:25 Et puis on s'est intéressé ensuite aux états pendant lesquels les personnes ne sont pas paralysées dans la phase de sommeil paradoxal.
28:31 Et c'est des personnes qui consultent parce qu'elles s'agitent, elles crient dans leur sommeil,
28:36 elles donnent des coups de poing, y compris aux conjoints dans le lit,
28:40 et donc c'est à l'origine de blessures.
28:43 Et c'est là qu'on se rend compte comme c'est utile d'être paralysé en sommeil paradoxal,
28:47 et quand on les réveille, ce qu'elles faisaient à ce moment-là dans le lit,
28:50 correspond rétrospectivement au scénario du rêve.
28:54 On a des scénarios extraordinaires dans la phase paradoxale.
28:58 J'avais une vache dans ma cuisine et je la poussais par la porte avec difficulté parce qu'elle ne passait pas bien,
29:04 et dans la réalité je poussais ma femme au bord du lit et je l'ai fait tomber.
29:08 Et donc il y a un isomorphisme entre ce à quoi la personne rêvait, en tout cas s'en souvient après,
29:15 et ce qu'on a vu comme comportement.
29:16 Donc c'est un modèle assez fort qui nous a permis de comprendre, par exemple, à quelle vitesse on rêvait,
29:23 puisqu'il y avait beaucoup cette croyance que les rêves étaient plus rapides que la pensée d'éveil.
29:27 Pas du tout.
29:28 Les paroles "respect les tours" ne sont pas accélérées.
29:32 Les mouvements, on a un patient qui a construit un escalier dans son sommeil, un ancien menusier,
29:37 il le fait à la vitesse normale.
29:39 Il y en a un autre qui fumait une cigarette à la vitesse normale.
29:42 Sauf que c'est des mimes-marceaux qu'on voit la nuit comme ça,
29:45 et qui nous ont permis de résoudre un certain nombre de questions.
29:48 Est-ce que tout le monde rêve ?
29:49 Même ceux qui se rappellent ne rêvent pas.
29:52 On s'est rendu compte que les personnes qui avaient beaucoup de comportements
29:55 et aucun souvenir de rêve après,
29:57 tout le monde rêve mais ne s'en souvient pas.
30:00 C'était notre premier modèle.
30:02 Notre deuxième modèle, c'était le rêve lucide,
30:04 qui inversement, les personnes dorment,
30:06 et ça arrive dans la population en général,
30:08 dorment normalement,
30:10 mais de temps en temps, et ça vous est peut-être arrivé,
30:13 réalisent qu'elles sont en train de rêver.
30:15 La plupart des gens, ça les réveille.
30:16 Une personne sur deux a fait cette expérience.
30:18 Certaines personnes arrivent à rester dans le rêve,
30:21 soit à l'observer comme un spectateur,
30:23 soit à en redevenir un peu plus le scénariste.
30:25 Alors on ne change pas complètement l'histoire,
30:27 mais on peut changer des personnages.
30:29 Ce rêve lucide était une expérience intérieure,
30:32 intéressante, partagée par une partie de la population,
30:35 mais n'était pas utile aux chercheurs,
30:38 jusqu'à ce que Steve Laberge, dans les années 70,
30:41 ait l'idée de dire, si vous êtes en train de rêver,
30:44 et que vous le savez, que vous êtes en train de rêver,
30:46 essayez de faire un code oculaire,
30:48 regardez à gauche et à droite deux fois,
30:49 une pause, à gauche et à droite deux fois.
30:51 Le corps est complètement paralysé,
30:53 mais pas les mouvements oculaires.
30:54 Et tout d'un coup, ce signal, ce code, ce télégramme est apparu.
30:57 Et à partir de ce moment-là, nous les chercheurs,
31:00 on a essayé de confier des missions à nos rêveurs lucides,
31:04 qui sont nos agents infiltrés dans le rêve,
31:06 et en disant, si tu sais que tu es en train de rêver,
31:09 essaye de faire apparaître une piscine,
31:11 puisque tu es capable d'un peu de scénario sur ton rêve,
31:13 et de plonger dedans, mais tu nous fais le signal avant
31:16 et après avoir plongé dans la piscine.
31:18 On a donc un marqueur temporel d'une action
31:20 qui a été prédécidée avant de dormir.
31:22 Et là, évidemment, à notre grand plaisir,
31:24 on a vu apparaître des apnées,
31:25 puisque ça, c'est quelque chose qu'on s'est mesuré.
31:27 Et ce modèle peut maintenant être utilisé
31:30 pour avoir des interventions en direct sur les rêves.
31:33 Nous avons demandé à nos rêveurs de nous informer
31:37 sur les émotions qu'ils ressentaient,
31:39 en particulier avec des petits sourires ou des petits froncements,
31:42 ce qui nous a permis tout récemment de montrer
31:44 que les émotions sont extrêmement rapides
31:47 et alternent très vite du positif au négatif
31:49 pendant la phase paradoxale.
31:51 Ce qui va bien avec l'idée d'un traitement émotionnel
31:53 pendant la phase paradoxale.
31:55 - Mais Isabelle Arnulf, vous rappelez dans votre ouvrage
31:58 "Une fenêtre sur les rêves" aux éditions Audit Jacob
32:01 qu'il y a des rêves récurrents.
32:03 Il y a par exemple "perdre ses dents",
32:06 il y a des choses que l'on fait souvent dans les rêves,
32:10 "voler", là aussi vous faites une typologie,
32:12 et puis au contraire des choses qu'on ne fait pas lire,
32:15 par exemple, même François Angelier ne lit pas dans ses rêves
32:19 parce que c'est quelque chose de très difficile à faire,
32:22 je dis ça parce que François Angelier est en train de se mettre en place.
32:26 Isabelle Arnulf, est-ce qu'on comprend pourquoi
32:28 il y a ces typologies d'action dans les rêves ?
32:32 - On comprend cette chose, alors la perte des dents et le vol
32:35 s'est beaucoup rapportée le matin, parce que c'est un petit peu extraordinaire.
32:38 Si on fait des manques de rêves systématiques
32:40 et qu'on compte et qu'on classe, c'est finalement relativement rare,
32:43 comme l'activité sexuelle, ce n'est pas si fréquent que ça,
32:45 en tout cas ça n'a pas à être le siège principal.
32:47 Inversement, ne pas pouvoir lire ou déchiffrer des codes,
32:51 alors qu'on le fait toute la journée,
32:53 semble lié à une conformation du cerveau un petit peu différente.
32:56 Il y a une suractivation des régions émotionnelles et des images
32:59 pendant la phase paradoxale, et inversement,
33:02 il y a une moindre activation de certaines régions
33:05 qui sont plus complexes, qui permettent de lire, compter,
33:08 ou à nos moines de prier, ils prient très peu en rêve.
33:11 Par contre, les gens rigolent, ils pleurent beaucoup dans leurs rêves.
33:14 - Les personnes qui sont malades, qui ont par exemple une maladie de Parkinson,
33:19 dans leurs rêves, comment tout cela se déroule-t-il, Isabelle Arnulf ?
33:25 - La maladie de Parkinson est particulière,
33:27 parce que justement, ces agitations propres au sommeil paradoxal,
33:30 je ne parle pas des somnambules, qui sont des gens jeunes,
33:33 mais après 50 ans, les personnes qui commencent à crier,
33:35 insulter, donner des coups de poing, étrangler le conjoint,
33:38 tomber du lit, ont un trouble de la régulation du sommeil paradoxal,
33:44 qui est annonciateur de la maladie de Parkinson.
33:47 On voit cela apparaître 5 à 10 ans avant,
33:50 et donc on les suit comme du lait sur le feu, avec toutes sortes d'études actuellement.
33:54 Mais une fois endormi, et une fois que la maladie de Parkinson est apparue,
33:57 ces comportements nocturnes continuent, par perte du verrou
34:01 qui nous paralysent en sommeil paradoxal,
34:03 et une autre grande surprise, quelqu'un qui est extrêmement ralenti,
34:06 qui a du mal à parler dans la journée à cause de sa maladie de Parkinson,
34:09 ne l'est plus quand il rêve dans le lit,
34:12 et donc peut avoir une voix forte, une absence de tremblement,
34:15 comme si le circuit normal de la motricité était rétabli.
34:18 C'est vrai pour le Parkinson, les amputés sont entiers pendant leur rêve,
34:23 donc il y a probablement un corps de rêve,
34:26 et un circuit du corps de rêve qui est légèrement différent de celui de l'éveil.
34:30 On retrouve tout cela dans l'ouvrage passionnant que vous avez publié Isabelle Arnulf,
34:35 "Une fenêtre sur les rêves, neurologie et pathologie du sommeil",
34:39 paru chez Odile Jacob, et là donc on a retenu 7 heures,
34:42 mais on a la possibilité de faire une sieste, Jean Lemarie,
34:45 vous savez ce qu'il nous reste à faire.
34:48 Merci de nous avoir accompagnés Isabelle Arnulf, 8h44 sur France Culture.

Recommandations