• il y a 8 mois
Dans sa nouvelle série "La Fièvre", le scénariste Eric Benzekri dissèque la société française et ses divisions. Elle est diffusée à partir du lundi 18 mars sur Canal+. Il raconte cette fois l'histoire et l'emballement autour d'un joueur de foot noir qui traite son entraîneur blanc de "toubab". Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-jeudi-14-mars-2024-3717025

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00:00 France Inter, le 7/10.
00:02 Il est 7h50, Sonia De Villers, votre invitée ce matin est le scénariste de la fièvre
00:09 série en 6 épisodes, diffusée sur Canal+ à partir du 18 mars.
00:14 Et c'est lui qui avait déjà signé la magistrale Baron Noir, série qui passe pour avoir tout
00:18 anticipé de la décomposition de la gauche.
00:20 De quoi parle sa nouvelle saga ? Eh ben d'un joueur de foot noir qui met un coup de boule
00:26 à son entraîneur blanc en le traitant de toubabe.
00:28 Y a-t-il du racisme anti-blanc ? Voilà qui est parfait pour allumer le brasier.
00:32 Portrait d'une démocratie à la merci de l'infospectacle et des réseaux sociaux.
00:37 Bonjour Eric Benzécrit.
00:38 Vous terminez le tournage de la série et là, au mois de novembre, à Crépol en Isère,
00:43 un garçon blanc est tué à coups de couteau dans un bal de village où se sont rendus
00:47 en bande les jeunes d'une cité voisine.
00:49 A-t-il été tué parce que blanc ? En quelques heures, dans la vraie vie, la France prend
00:54 feu.
00:55 Que pensez-vous à ce moment-là ? Que la réalité finit toujours par dépasser les
00:59 meilleurs scénarios de série ?
01:00 Non, j'ai pas pensé à ça.
01:04 Je me suis dit que c'était une bonne décision d'avoir écrit La Fievre parce que c'est
01:12 une possibilité de discuter des tensions identitaires qui agitent le pays et même
01:15 qui le fracturent.
01:16 Or, fait divers justement.
01:19 C'est-à-dire que c'est très important de pouvoir poser ces sujets calmement, d'en
01:24 passer, je dirais, bien sûr avec passion mais pas avec haine.
01:28 Si jamais un fait divers embrasse tout, en fait, il n'y a pas de débouché possible
01:34 collectif.
01:35 Donc moi c'est ça qui m'importe, c'est le collectif, c'est là-dessus que j'écris
01:38 depuis le début.
01:39 C'est comment on essaye de vivre ensemble alors qu'on est, si vous voulez, des Gaulois
01:45 quoi.
01:46 C'est-à-dire des gens qui ne parlaient pas la même langue il y a de ça deux siècles.
01:50 Justement, Eric Benz écrit « Votre père a été ouvrier, syndiqué, militant toute
01:55 sa vie.
01:56 Vous avez rejoint les rangs de l'U9 quand vous étiez jeune, le syndicat étudiant,
02:00 travaillez avec Julien Drey, Jean-Luc Mélenchon, à l'époque Lionel Jospin.
02:03 Vous croyez encore en la politique ? Vous croyez encore en la capacité des partis à
02:09 prendre en charge ce sentiment de délitement ? »
02:11 Alors c'est différent.
02:12 Est-ce que je crois à la politique ? Oui.
02:15 Parce que hors politique, je ne sais pas bien comment on fait pour organiser, gérer
02:19 et vivre ensemble dans une société.
02:21 Ça s'appelle la barbarie quand il n'y a pas de politique.
02:23 Les partis politiques, ça c'est une autre question.
02:25 Et puis je commence à aller mieux et vous, vous me parlez de la fin du monde, c'est-à-dire
02:30 de l'état des partis, donc je vais passer cette question.
02:34 Dans la série « La fièvre », l'extrême droite déclare y voir un premier acte de
02:40 guerre civile.
02:41 « Vous portraiturez au scalpel les faiseurs de haine qui attisent le feu sur les réseaux.
02:47 » Justement, ce ne sont pas les partis politiques.
02:49 C'est pour ça que je vous posais la question.
02:50 D'un côté, des militants, des coloniaux qui veulent absolument faire de ce joueur
02:54 noir la victime d'un racisme systémique.
02:56 De l'autre, une influenceuse d'extrême droite qui veut absolument faire de ce joueur
03:00 noir une menace pour la France.
03:02 Et ces deux pôles aspirent tout.
03:04 Justement, est-ce qu'on peut encore être au milieu ? Est-ce qu'on peut encore ne pas
03:07 choisir son camp ?
03:08 Je ne sais pas s'il faut être au milieu, mais je pense qu'il faut être au-dessus.
03:12 C'est-à-dire, il faut savoir de quoi on parle.
03:15 Très exactement.
03:16 Quand vous avez un affrontement public quasi quotidien sur des thèmes qui essentialisent
03:22 les gens à partir d'une seule de leurs identités, je ne pense pas que chacun ou
03:26 chacune d'entre nous n'ait qu'une seule identité.
03:29 Ce n'est vraiment pas la démonstration qu'on essaye de faire dans La Fievre, mais
03:33 le message.
03:34 Parce que pour une fois, il y en a un.
03:36 C'est que nous sommes collectivement en danger.
03:38 Et donc, il faut individuellement réagir.
03:41 Donc, qu'est-ce que ça veut dire individuellement réagir ?
03:44 Ça veut dire, comme dirait l'autre, savoir s'empêcher.
03:49 Même quand on a la haine, même quand on est victime d'injustice.
03:52 Des fois, il faut être capable de garder la tête froide individuellement quand tout
03:57 le monde a la fièvre.
03:58 Comme dirait l'autre, c'est comme dirait Stéphane Swegg.
04:00 Dans le monde d'hier, je le lis, peu à peu, il devint impossible d'échanger avec
04:05 quiconque une parole raisonnable.
04:07 Je rappelle que ce texte a été écrit à l'orée de la Seconde Guerre mondiale, avant
04:11 le suicide de l'auteur.
04:12 Toutes les conversations se terminaient par de grossières accusations.
04:15 Il ne restait dès lors qu'une chose à faire, se replier sur soi-même et se taire.
04:19 Aussi longtemps que durerait la fièvre.
04:22 Valérie Ayé, candidate macroniste aux européennes, s'est essayée en meeting samedi à la comparaison
04:27 avec les années 30.
04:28 Et elle a pris un mur.
04:29 Je ne connais pas…
04:33 Valérie Ayé.
04:34 Oui, et je n'ai pas vu le meeting.
04:36 La question c'est, est-ce que la comparaison avec les années 30, est-ce qu'elle est valide ?
04:40 Est-ce qu'elle opère aujourd'hui ?
04:41 Il y a la phrase de Marx, si je me souviens bien, de mes jeunes années, c'était "l'histoire
04:47 ne se répète pas, mais il peut arriver qu'elle bégaye".
04:51 Dans le bégayement, à la fin, souvent, on arrive à sortir ce qu'on veut dire.
04:56 Donc j'espère qu'on va y arriver cette fois, et que ça ne va pas se répéter très
05:01 exactement.
05:02 Il y a des points communs, c'est sûr.
05:03 Il y a des points communs dans l'excitation généralisée, dans le bruit, la fureur, dans
05:08 les attaques permanentes, il y a des points communs.
05:11 Il y a des différences aussi, et il faut les chérir.
05:14 Par exemple, en France, on a des anticorps républicains.
05:17 On a une école dont on dit "pique-pente", mais quand même, qui réussit à fonctionner
05:25 malgré tout.
05:26 On a des institutions qui tiennent, on a des associations antiracistes qui se battent,
05:30 on a des gatekeepers, c'est-à-dire des journalistes, des gens qui tiennent le cap
05:36 et qui essayent de garder des digues.
05:38 Moi, je crois à ça.
05:40 - On a le football.
05:41 Le foot est au cœur de cette série.
05:44 Vous aimez le foot, Eric Benzigou ?
05:45 - Oui, j'aime le foot, mais je pourrais ne pas l'aimer, ça ne changerait rien.
05:48 Quand j'étais enfant ou adolescent, à l'école, dans la cour, on discutait du film de la veille.
05:55 Pourquoi ? Parce qu'il était diffusé et que tout le monde le regardait en même temps.
05:58 Ça fabriquait une culture populaire commune.
05:59 Ça, les albums de chansons…
06:01 - Du lien social.
06:02 - Du lien, oui, une culture commune.
06:03 Quelque chose qui fait qu'on se sent français, parce qu'on voit les mêmes choses, parce
06:06 qu'on entend les mêmes choses, parce qu'on se construit dans la même société.
06:10 Avec la logique algorithmique, on est dans autre chose.
06:14 Chacun est dans sa bulle et regarde son contenu.
06:17 Bientôt, il va même pouvoir le fabriquer avec l'IA, son contenu.
06:20 Donc, on regarde un contenu différent.
06:22 Et donc, on ne parle pas de la même chose.
06:25 - Mais ce club de foot que vous imaginez, ce racing, justement, que vous imaginez, dont
06:30 Benjamin Biollet fait un formidable président.
06:33 Je précise qu'il y a Anna Girardot en influenceuse d'extrême droite, qui est totalement hypnotique,
06:39 fascinante dans la série.
06:40 Nina Meurice qui joue ce personnage.
06:42 Peut-être un peu votre double.
06:45 Elle est très très dépressive.
06:46 Elle, elle regarde l'état de la société, elle ne voit pas bien.
06:48 - Je ne suis pas dépressive.
06:49 J'ai une merveilleuse petite fille, une femme formidable, plein d'amis et un super
06:54 job.
06:55 Je ne suis pas du tout dépressif.
06:56 - Tant mieux.
06:57 C'est bien que vous le disiez.
06:58 Mais n'empêche que ce club de foot que vous imaginez, présidé par Benjamin Biollet,
07:04 c'est un foot à hauteur de supporter.
07:07 C'est un club solidaire.
07:08 C'est un club franchouillard.
07:10 C'est un club qui se bat pour rester sur ses valeurs et les défendre.
07:13 C'est un foot qui existe encore ?
07:14 - En tout cas, c'est le foot qui m'émeut.
07:16 Voilà.
07:17 Donc, il faut être ému pour écrire.
07:19 Si vous voulez, je crois qu'il y a des forces collectives qui peuvent dépasser les tensions
07:27 dans le pays.
07:28 Je l'ai vécu quand j'étais jeune.
07:29 Je l'ai vécu.
07:30 Que ce soit dans les sports collectifs, que ce soit dans le syndicalisme, dès qu'il
07:38 y a quelque chose qui nous rassemble, les gens sont d'accord.
07:41 En réalité, il y a une demande de collectif.
07:44 Je ne crois pas du tout que tout le monde ait envie de sauter dans l'abîme et par-dessus.
07:49 - Et alors le rôle des séries ? Parlons-en, puisqu'on a un showrunner, comme on dit
07:54 au micro du 7h50, dans un monde complexe qui s'accélère.
07:57 Est-ce que les séries ont le pouvoir de réorganiser le réel ? Est-ce qu'elles ont le pouvoir
08:02 de nous présenter le monde dans lequel on vit sous une forme peut-être plus ramassée,
08:06 plus lisible ?
08:07 - En tout cas, il y a une structuration du récit qui force à raconter, en tout cas
08:14 qui permet de raconter ce qu'on ressent sensoriellement dans le pays.
08:19 Je pense que c'est une question de sensibilité.
08:23 La série a un avantage, c'est la longueur, mais long aujourd'hui dans la société,
08:32 c'est un peu stigmatisant.
08:34 Ce que je veux dire, c'est que dans la longueur, on peut développer des personnages.
08:38 Ces personnages-là, ils disent tout du pays.
08:41 J'ai vu par exemple la série de Camille de Castelnau, « Tout va bien », j'ai
08:46 vu « D'argent et de sang », ça raconte des trajectoires de personnages et quand on
08:50 a le temps de les suivre, on est avec eux.
08:54 - La fièvre, diffusée sur Canal+ à partir du 18 mars.
08:57 Nina Meurice, Anna Girardot, Benjamin Biolay sont parfaits.
09:00 Merci Eric Benzécrich.

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