• il y a 9 mois
Alors que les agriculteurs dénoncent depuis des semaines les conséquences néfastes des accords de libre-échange pour l'agriculture européenne et l'environnement, l'Union européenne s'apprête à entériner deux nouveaux accords commerciaux avec le Chili et le Kenya.

Quelles seront les conséquences de ces accords ultra libéraux, aussi bien pour l'Europe que pour les pays concernés ?

Analyse détaillée et débat avec deux députés européens, spécialistes des questions économiques et agricoles: Emmanuel Maurel ( La Gauche ), et François Thiollet ( Les Verts ).

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Transcription
00:00 Bonjour et bienvenue au Parlement européen de Strasbourg.
00:03 Les accords de commerce, il en est largement question,
00:06 notamment dans les mobilisations des agriculteurs depuis plusieurs semaines en France,
00:11 mais aussi dans d'autres pays européens, comme vous le savez.
00:14 L'Union européenne s'apprête à passer de nouveaux accords commerciaux avec deux pays,
00:18 le Chili et le Kenya.
00:19 Le Parlement européen s'exprime au cours de cette session et vote jeudi.
00:25 Quels vont être les enjeux et les conséquences de ces accords ?
00:29 On en parle avec vous, Emmanuel Morel, bonjour.
00:32 Vous êtes député européen, je le rappelle, de la gauche.
00:35 Et François Thiollet, bonjour, vous êtes député européen des lois.
00:37 Merci à vous deux d'être sur le plateau de l'humanité.
00:40 Alors, on va distinguer ces deux accords en cours,
00:43 bien qu'il y ait des points communs entre les deux, bien entendu.
00:46 Tout d'abord, ce que je voudrais vous demander,
00:48 c'est comment est-ce qu'il faut restituer ces accords dans la politique économique générale de l'Union européenne ?
00:55 Ce ne sont pas les premiers.
00:56 Il y a, comme on le disait, une forte opposition dans les pays européens contre ces accords
01:01 parmi les différents types de populations, j'allais dire.
01:05 Où est-ce qu'on en est ?
01:06 Le PRC, c'est signe, encore, avec de nouveaux accords.
01:10 Pourquoi ? J'allais dire, de quelle politique économique,
01:13 ces accords sont-ils ou non, si on peut le dire comme ça ?
01:15 On commence avec vous, Emmanuel Morel.
01:18 Je pense qu'il faudrait revenir plusieurs dizaines d'années en arrière, en réalité.
01:25 Pourquoi ? Parce qu'au départ, il y a la politique agricole commune,
01:29 dont la principale mission, c'est d'augmenter les rendements et la productivité du monde agricole,
01:37 mais aussi d'assurer des revenus à peu près normaux, enfin corrects, aux agriculteurs,
01:43 en fixant notamment des prix planchers ou des quotas.
01:47 Vous vous souvenez peut-être, nous, du XXe siècle, les quotas laitiers, qui étaient les plus connus.
01:53 Et l'idée, c'était comme ça, d'avoir une croissance maîtrisée, régulée, de l'agriculture en Europe.
02:00 Arrivent les accords du GATT, puis de ce qu'on appelle l'OMC, l'Organisation Mondiale du Commerce,
02:05 où la grande idée de tous ces dirigeants pour qui le libre-échange, en réalité, est une religion,
02:11 c'est de dire, il faut déréguler le commerce.
02:14 Et donc, il ne faut surtout pas fixer de prix, fixer des revenus, on va laisser faire le marché.
02:19 – Ça va se faire tout seul.
02:20 – Voilà, et ça, c'est le principe même d'un accord de libre-échange,
02:22 il faut lever le plus possible les barrières douanières, mais même aussi les barrières non douanières,
02:28 c'est-à-dire les tests qu'on fait, par exemple, quand on a des marchandises
02:32 qui arrivent sur un territoire européen.
02:37 À partir de là, on a toute une série d'accords qui va se développer en Europe,
02:43 et c'est toujours le même principe, les Européens veulent exporter plus de biens et de services,
02:49 notamment les Allemands, notamment des voitures, et en échange,
02:53 vous avez des pays qui contractent avec nous, qui disent,
02:56 "on veut bien plus de voitures avec des droits de douane réduits,
03:00 mais en échange, nous, on veut vous exporter un certain nombre de produits,
03:03 à commencer par des produits agricoles".
03:05 C'est ça la logique, en réalité, des accords depuis le CETA jusqu'à la Nouvelle-Zélande,
03:10 et demain le Kenya et le Chili.
03:13 Quel est le problème ?
03:14 C'est qu'on a face à nous une forme de concurrence déloyale, pourquoi ?
03:18 Parce que les produits agricoles, il y a une main d'œuvre très peu chère,
03:23 quand on va contracter avec le Brésil ou l'Indonésie par exemple,
03:26 ce ne sont pas du tout les mêmes salaires,
03:28 mais en plus se rajoute quelque chose qui est vicieux,
03:30 c'est que ce ne sont pas les mêmes produits qui sont utilisés.
03:33 C'est-à-dire qu'il y a des produits que nous, on interdit en Europe,
03:35 mais qui sont autorisés avec des pays qui vont contracter avec nous.
03:40 C'est là que les agriculteurs européens interviennent et protestent,
03:43 en disant non seulement vous envahissez notre marché avec des produits
03:47 qui sont très peu chers, parce qu'évidemment la main d'œuvre est peu coûteuse,
03:51 mais en plus vous nous imposez à nous des normes
03:54 que vous ne faites pas respecter aux pays contractants.
03:56 Et c'est tout le problème qu'on a avec notamment les accords Kenya-Chili qui arrivent,
04:01 mais qui ne sont pas les plus importants par rapport à tout ce qui s'est passé avant.
04:05 Et il y a un empilement, une sorte d'activisme de la Commission
04:08 qui tous azimuts veut passer des accords avec tout le monde.
04:12 Parce que là au moment où on se parle, il y a des négociations avec le Messie,
04:14 il y a des négociations avec l'Indonésie, c'est pas rien l'Indonésie,
04:18 des négociations tous azimuts, et à terme le vrai danger aujourd'hui,
04:24 c'est la disparition pure et simple du modèle agricole européen.
04:27 C'est de ça dont on parle.
04:28 – François Thielet, oui.
04:29 On est au bout d'un modèle, en effet d'une idéologie du libre-échange
04:32 qui a longtemps pensé que si on libère les échanges,
04:35 s'il y a plus d'échanges, ça va profiter à tout le monde.
04:38 On est au bout de ce modèle parce que d'une part au niveau du climat,
04:41 l'augmentation des échanges, c'est l'augmentation du CO2 dans l'atmosphère
04:46 et c'est climaticide.
04:48 Deuxièmement, ce qu'a expliqué mon collègue, c'est que la conséquence
04:52 pour les populations locales dans ces échanges, c'est pas du développement.
04:57 Quand là, ce qui exporte principalement du Kenya vers l'Europe,
05:00 c'est des haricots verts et des fleurs coupées.
05:02 – On va en parler en détail tout à l'heure, oui.
05:04 – C'est pas juste pour les Kenyans, mais c'est pas juste non plus
05:07 pour les agriculteurs français qui produisent ces choses-là.
05:12 La situation, c'est aussi, comme les modèles d'accords type Mercosur,
05:17 CETA, TAFTA, régionaux, ça ne fonctionne pas,
05:20 en fait, ce que fait l'Europe, en tout cas la Commission,
05:23 c'est faire des accords individuels avec chacun des pays
05:27 et c'est ce qui se passe particulièrement pour le Kenya
05:29 où l'Union européenne passe par-dessus la coopération d'Afrique de l'Est
05:33 pour passer un accord simplement avec le Kenya.
05:35 C'est un peu comme si la Chine décidait de passer un accord uniquement
05:37 avec le Luxembourg, sans tenir compte des accords européens.
05:41 Politiquement, c'est aussi un problème stratégique et de respect
05:46 de nos partenaires avec qui on veut discuter.
05:49 – On va en reparler de ce contexte parce qu'on raisonne toujours
05:52 de notre côté à nous, du côté européen,
05:54 mais il faut aussi raisonner du côté de ce que ça produit dans les pays
05:58 avec lesquels on passe des accords, on va en reparler tout à l'heure,
06:02 – Ok.
06:03 – de manière plus précise, mais effectivement,
06:05 il faut le voir des deux côtés pour voir la façon dont…
06:08 Alors on peut peut-être commencer par le Chili tout simplement.
06:11 Quel est le contenu exact de ces accords commerciaux ?
06:14 Alors dès qu'on parle du Chili, on sait que le Chili fournit 70,
06:20 peut-être même 80% du lithium à l'Europe, ce qui n'est pas tout à fait rien.
06:24 Alors ça, c'est une matière première, on va parler de cet aspect-là
06:28 et puis des autres aspects sans doute de ces accords qui vont être passés.
06:35 Est-ce que vous pourriez nous dire un petit peu ce qu'il y a dans ces accords
06:38 avec le Chili, Emmanuel Morel ?
06:40 – En fait, c'est un accord de libre-échange assez classique.
06:45 L'Union européenne, depuis la guerre en Ukraine,
06:48 a un problème d'approvisionnement en matière première.
06:53 De surcroît, nous avons décidé, dans le cadre de la transition écologique,
06:58 de passer par exemple à la voiture électrique
07:01 et donc on a besoin de matériaux rares, de matériaux critiques, comme on dit,
07:07 qui sont assez peu présents en Europe.
07:09 Alors ce n'est pas vrai pour le lithium,
07:11 parce qu'en réalité du lithium, il y en a en Europe.
07:12 Le problème, c'est qu'on est confronté à une situation qui est un vrai dilemme,
07:17 qui est est-ce que nous, on remet en place une politique extractive au niveau européen ?
07:22 Vous comprenez bien que dans les populations, parfois,
07:24 il y a quand même un certain nombre de doutes.
07:26 Alors qu'est-ce qu'on se dit ? On se dit "bah, ce n'est pas grave,
07:28 on va aller chercher ailleurs".
07:30 Dans des conditions, et c'est là, évidemment, le problème auquel vous faisiez allusion,
07:34 qui ne sont pas forcément très respectueuses,
07:37 et du droit du travail et de l'environnement.
07:40 Parce que, je ne sais pas, par exemple, je vais vous donner un autre exemple.
07:44 Le Brésil, si aujourd'hui vous dites "on va contractualiser avec le Brésil
07:48 dans le cadre d'un accord Mercosur",
07:50 et donc vous allez nous importer, je crois que c'est à peu près
07:52 100 000 tonnes de bœufs supplémentaires, ou de l'éthanol, ou du sucre,
07:58 ça se traduit par quoi ? Une déforestation massive.
08:01 Et c'est les populations là-bas qui en payent le prix.
08:03 De la même façon, quand vous dites "on va intensifier les flux commerciaux",
08:07 par exemple, un pays comme l'Indonésie, qui produit beaucoup d'huile de palme,
08:11 la réalité c'est quoi ? C'est qu'on aura des travailleurs
08:13 qui sont quasiment des esclaves modernes, qu'on va faire bosser pour quasiment rien,
08:17 dans des très vastes exploitations, beaucoup plus vastes que les exploitations européennes,
08:22 et donc ça se fait aussi au détriment des populations locales,
08:25 qui voient leur environnement dégradé, et leurs conditions de travail
08:27 qui ne sont pas respectées.
08:29 Et c'est la même logique pour le Chili.
08:31 Alors le Chili, il n'y a pas que le lithium ou d'autres matières premières,
08:34 il y a aussi un volet agricole avec des dizaines de milliers de tonnes
08:38 de bœufs, de porcs, de volailles.
08:41 Alors qu'est-ce que nous répond la Commission ?
08:42 Alors la Commission nous dit "mais regardez, les contingents supplémentaires,
08:46 c'est rien par rapport à la consommation européenne, ça représente 0,5%, 1%".
08:51 Et moi, ce que je leur réponds à chaque fois,
08:53 ça fait maintenant 10 ans que je suis en Commission Commerce Internationale,
08:55 donc je connais les arguments, c'est de dire "ben écoutez,
08:58 si on commence à ajouter les accords les uns sur les autres,
09:01 CETA, bientôt Mexique, bientôt Indonésie, bientôt Mercosur, Nouvelle-Zélande,
09:07 ben là on se rend compte qu'à force d'additionner les contingents agricoles,
09:11 on en arrive à des montants très importants,
09:14 qui déstabilisent complètement les marchés européens".
09:17 Parce que, évidemment pour un producteur au vin en France,
09:21 on a des agneaux, des chèvres, des moutons,
09:24 il ne peut pas concurrencer le modèle néo-zélandais,
09:26 je pense à un autre accord qui a été signé récemment,
09:29 où on a des exploitations énormes, des coûts qui sont bien moins importants,
09:34 et là où on en arrive à un truc délirant, la Nouvelle-Zélande.
09:37 L'accord a été voté par nos collègues.
09:40 La Nouvelle-Zélande, en gros, on va importer davantage de moutons et de lait
09:45 d'un pays qui est à 20 000 kilomètres d'ici.
09:47 C'est-à-dire qu'en termes, comme le disait tout à l'heure mon collègue,
09:50 en termes de développement durable,
09:52 cette intensification des échanges commerciaux avec des pays aussi loin,
09:57 ben c'est une folie, c'est une folie climatique, c'est une folie économique,
10:01 c'est la raison pour laquelle on est quelques-uns à protester.
10:05 Mais ce qu'il faut bien dire, c'est que ça prend du temps,
10:08 parce que là je vois qu'il y a beaucoup de gens qui se réveillent,
10:09 notamment parce que, et heureusement, il y a une colère légitime des agriculteurs,
10:13 mais on n'était pas très nombreux il y a 10 ans.
10:16 Pour être honnête, il y avait aussi un collègue écolo, Yannick Jadot,
10:18 qui est maintenant en partie dans d'autres institutions prestigieuses.
10:22 On était deux à l'époque, je me souviens, en commission, à dire
10:25 "Attention, ce que vous êtes en train de faire,
10:27 ça va avoir des conséquences dramatiques pour l'agriculture européenne".
10:29 Ben on y est, et donc il faut prendre des décisions radicales,
10:33 mais évidemment, ce n'est pas ce que souhaitent faire les institutions
10:36 comme le Conseil ou la Commission.
10:38 – Sur l'accord avec le Chili, deux choses qui me paraissent importantes,
10:42 c'est d'une part le fait que les populations locales ne sont pas concertées.
10:47 Il y a un principe de libre consentement pleinement éclairé des populations locales,
10:53 ça ce n'est pas le cas dans cet accord et ce n'est pas écrit.
10:55 Ensuite, dans cet accord, à partir du moment où l'accord est signé,
10:59 en fait, ce n'est pas un accord entre États,
11:01 c'est donner les mains libres aux entreprises qui s'installent,
11:04 et si par exemple le Chili d'un seul coup décide de nationaliser
11:07 ou de récupérer plus de pourcentage de l'extraction minière,
11:10 il ne pourra plus le faire puisque les entreprises,
11:12 elles pourront l'attaquer en justice.
11:13 Et en fait, finalement, c'est une logique où le Chili perd un petit peu de sa souveraineté.
11:19 Deuxièmement, il y a une vraie réflexion que l'Union européenne,
11:21 qui a été évoquée par Monsieur Morel sur la question des matières premières critiques.
11:27 On ne peut pas d'un côté dire "il nous faut plus de matières premières critiques"
11:30 et sous-traiter ça à l'autre bout de la planète,
11:32 dans des conditions sociales, dans des conditions environnementales
11:35 qui sont catastrophiques.
11:36 On ne peut pas remplacer l'ancien néocolonialisme par un éco-colonialisme
11:40 pour nous faire des voitures électriques,
11:42 permettre qu'à l'autre bout de la planète, que ce soit au Chili, que ce soit au Congo,
11:46 on a l'actualité dramatique qui se passe aujourd'hui au Congo,
11:49 mais finalement on est toujours dans la même logique d'exploitation
11:52 avec la responsabilité, encore une fois, engagée de l'Union européenne
11:56 par un accord avec le Rwanda.
11:57 Elle achète au Rwanda des matières premières que le Rwanda ne produit pas en grande quantité
12:01 et qui viennent forcément de l'exploitation illégale qui est faite au Congo.
12:05 Et l'Union européenne fait comme si tout ça n'existait pas
12:07 parce que l'obsession libérale, l'obsession du libre-échange en fait,
12:13 fait qu'on doit d'abord signer des accords
12:15 et en effet il y a une accélération en fin de mandat
12:19 alors qu'on va littéralement dans le mur.
12:22 - Le truc c'est pas terminé.
12:23 Pour le Kenya, Afrique de l'Est, on le disait tout à l'heure,
12:26 le Kenya s'est félicité puisque rappelons quand même une chose,
12:30 les accords ont été signés par la présidente de la Commission européenne sur place,
12:34 il faut l'avale, enfin il faut en tous les cas le point de vue du Parlement européen,
12:39 ensuite du Conseil des États,
12:42 mais déjà il y a eu des réactions.
12:44 Alors le Kenya se félicite en disant "on est les premiers en Afrique de l'Est
12:47 à passer des accords avec nous", etc.
12:49 Mais il y a les pays qui sont autour également qui sont là.
12:52 Ce contexte-là est effectivement très important.
12:55 Le Kenya, quel est le danger, quels sont les risques à l'heure actuelle ?
12:59 - J'étais la semaine dernière dans l'Assemblée Union européenne et Afrique-Caribe pacifique.
13:06 Ça a été l'occasion d'échanger avec des députés issus de tous les pays africains
13:09 et notamment un échange avec un représentant de l'Ouganda qui nous explique
13:13 ce que j'expliquais tout à l'heure sur le déséquilibre que fait le Kenya
13:17 en signant un accord avec l'Union européenne, ça déstabilise toute l'Union économique
13:21 parce que les produits qui vont arriver d'Europe au Kenya,
13:24 ils vont pouvoir circuler au sein de l'Union économique
13:28 et pénaliser aussi les pays voisins.
13:30 L'argument du Kenya, c'est de dire "oui, mais les pays voisins,
13:31 ils ne payent pas de taxes quand ils vont en Europe
13:34 puisque c'est des pays qui sont beaucoup plus pauvres que le Kenya".
13:37 La réalité, c'est que dans ce genre d'échange, l'échange est inégal.
13:41 Il y a aussi, j'ai été marqué par un étudiant la semaine dernière qui nous a dit
13:44 "mais pourquoi vous, vous nous envoyez des machines et nous, on continue à vous envoyer des bananes".
13:47 Il y a aussi une responsabilité de l'Union européenne, même si tout ça, c'est toujours écrit
13:51 sur le développement juste, le transfert de technologies.
13:56 La réalité, ce n'est pas celle-là. La réalité, c'est d'abord des entreprises
14:00 et qui sont souvent des entreprises européennes, sur les fleurs coupées,
14:02 c'est des entreprises qui viennent des Pays-Bas, qui s'installent,
14:05 qui produisent parce que là-bas, c'est moins cher,
14:07 parce que là-bas, on peut faire des haricots verts qui sont bien alignés et sans fil
14:11 et on les envoie en Europe et qui pénalisent à la fois les paysans locaux
14:14 parce que les paysans se spécialisent vers des cultures d'exportation.
14:18 Comme on a fait du sucre, comme on a fait du café,
14:19 comme on a fait du caoutchouc au 19ème siècle,
14:21 aujourd'hui, on va faire des fleurs coupées et des haricots verts
14:25 et surtout, on masque tout ça aux Européens avec toujours le discours
14:30 de "on les aide à se développer". Ce n'est pas ça, la réalité.
14:34 La réalité, c'est qu'on tue leur agriculture vivrière
14:37 et on tue aussi l'agriculture chez nous.
14:40 Il y avait eu exactement le même problème avec la question du lait
14:43 quand en Afrique de l'Ouest, et c'est encore le cas aujourd'hui,
14:46 le lait en poudre européen subventionné par la PAC coûte beaucoup moins cher
14:50 que du lait produit localement par des éleveurs sénégalais.
14:54 Et ça, ça pénalise à la fois les sénégalais, les producteurs sénégalais
14:59 et à la fois les Européens, les producteurs laitiers européens
15:01 qui n'arrivent pas à vendre leur lait au juste prix.
15:03 Donc, on marche sur la tête.
15:05 – Emmanuel Morel, sur le Kenya, sur cet aspect particulier du Kenya.
15:09 – Non mais, ce que je trouve particulièrement préoccupant
15:13 dans l'accord Kenya, c'est que, comme ça a été très bien dit,
15:17 on casse une logique régionale qui est en train de se mettre à place
15:20 au niveau africain.
15:22 Et d'ailleurs, c'est peut-être comme ça, je pense que c'est le modèle alternatif
15:25 qu'on devrait proposer à la religion du libre-échange au niveau européen.
15:30 C'est que, d'abord, laissons se constituer dans les différents continents
15:35 des sous-ensembles ou des ensembles régionaux,
15:38 dans lequel, d'abord, parce qu'il y a une logique de proximité,
15:41 je reprends l'exemple de la Nouvelle-Zélande,
15:43 là on n'est pas du tout dans la proximité,
15:44 il y a des logiques de développement un peu solidaires,
15:48 tout ça est complètement absent.
15:51 Oui, on peut dire en effet une forme de néo-colonialisme,
15:56 ou proto-colonialisme, qui est absolument présent dans le Kenya,
16:00 mais il y a autre chose qu'il faut rappeler.
16:02 Parce que là, prenons les fleurs ou les haricots verts.
16:06 On produit ça en Europe, hein ?
16:07 Les fleurs, on les produit, il y en a en Italie,
16:09 il y en a beaucoup en Espagne, il y en a en France.
16:12 Et à la seule raison que ça coûte forcément plus cher,
16:17 puisque la main-d'œuvre, évidemment, a des salaires plus élevés,
16:21 on en vient à désespérer une population qui vit durement de son travail,
16:26 qui essaye de s'en sortir.
16:27 C'est toute cette logique-là qu'il faut revoir,
16:30 et y compris repenser complètement la logique de proximité,
16:35 que moi j'appelle démondialisation,
16:36 c'est-à-dire, on n'est pas obligé d'échanger toujours plus
16:41 avec des pays qui sont loin.
16:43 – Voilà, je reviens à l'instant d'Abu Dhabi,
16:47 où c'était la conférence annuelle de l'Organisation mondiale du commerce,
16:51 et je posais une question très naïve à un certain nombre de partenaires
16:55 qui me regardaient avec des yeux comme ça,
16:56 notamment les gens de la Commission européenne,
16:59 qui étaient en train de dire, mais est-ce que forcément,
17:01 on est obligé d'intensifier les échanges commerciaux ?
17:04 Est-ce que c'est une bonne chose ?
17:05 Est-ce que relocaliser les productions chez nous,
17:08 ce n'est pas forcément mieux, plus vertueux d'un point de vue écolo
17:11 et d'un point de vue social ?
17:13 Est-ce que ce n'est pas ce modèle-là tout entier qu'il faut remettre en cause ?
17:16 Mais aujourd'hui, seule la logique des prix les plus bas possibles
17:21 et du marché prévalent, et c'est ça qu'il faut changer.
17:24 Mais alors, ça n'en prend pas le chemin parce que vous avez en face de vous
17:28 des gens qui ne se rendent même pas compte qu'ils sont des religieux,
17:31 des dogmatiques, et nous, il faut qu'on soit des militants laïcs,
17:34 d'une certaine façon, et qu'on leur oppose la réalité
17:37 de ce qui est en train de se passer en Europe.
17:40 - Alors, voyons un peu où on en est.
17:43 Vous le disiez tout à l'heure, on le disait,
17:45 ce n'est pas fini, ce n'est pas terminé.
17:46 On parle de deux accords particuliers qui vont être votés,
17:49 mais derrière ça, vous l'avez évoqué l'un et l'autre,
17:51 il y a le Mercosur aussi qui se profile.
17:54 Ça continue, il faut le dire, parce qu'il y a toujours un trouble
17:57 autour du Mercosur. Est-ce que c'est fini ou pas ?
17:59 Non, on arrête, la France a dit, on va...
18:01 Où est-ce qu'on en est exactement ?
18:03 Ça concerne l'Argentine, le Brésil, l'Uruguay, le Paraguay,
18:05 si je ne me trompe pas.
18:07 Donc, ça fait quand même un paquet d'échanges, si je peux dire,
18:10 qui sont quand même extrêmement importants,
18:12 avec des problématiques qui sont extrêmement prégnantes là aussi.
18:15 - Mercosur, c'est vraiment un gros morceau.
18:19 Il y a un débat entre les États membres.
18:21 C'est vrai que la France a, à plusieurs reprises,
18:23 a expliqué que c'était trop compliqué et trop dangereux,
18:28 que ça ne passerait pas dans l'opinion française.
18:31 Vous avez à l'inverse nos collègues espagnols ou portugais
18:34 qui poussent à fond.
18:36 Mais même si Emmanuel Macron donne des coups de menton
18:41 en expliquant que c'est fini, c'est absolument pas fini.
18:44 Ça, je peux vous dire, la Commission, elle continue à négocier.
18:47 Alors, les pays d'Amérique du Sud sont un peu en colère,
18:50 notamment parce qu'on a voté une législation sur la déforestation
18:53 il y a quelques mois, qu'ils estiment particulièrement dommageable pour eux,
18:57 parce que ça déforeste à fond la caisse pour produire
19:00 tout ce qu'il y a dans le Mercosur.
19:03 Là, pour le coup, c'est 100 000 tonnes de bœuf,
19:06 180 000 tonnes de volaille, le fameux poulet brésilien,
19:12 avec des produits, encore une fois, qui sont interdits chez nous.
19:16 Le Mercosur, c'est un gros morceau.
19:18 Je ne suis pas sûr que ça passe si facilement, en effet,
19:21 au Parlement et au Conseil, parce qu'il n'y a pas que la France.
19:24 La Belgique a commencé à y mettre un certain nombre de réserves.
19:28 Je crois que les Pays-Bas aussi, enfin,
19:30 et l'Allemagne elle-même, elle s'interroge,
19:32 même si elle y voyait surtout une opportunité d'exporter quoi ?
19:35 Des voitures.
19:37 Il n'y a pas que les voitures, mais c'est quand même l'obsession
19:39 d'un certain nombre de pays.
19:41 Moi, j'ai bon espoir qu'on arrive à faire échec au Mercosur
19:45 avant la fin de ce mandat.
19:46 Mais ma crainte, c'est quoi ?
19:48 C'est qu'une fois l'élection européenne passée,
19:51 les gouvernements remettent sur le métier,
19:54 pas seulement le Mercosur, tout le reste.
19:56 Mexique, Indonésie, des pays d'Asie et d'autres pays,
20:04 notamment d'Amérique centrale.
20:06 Donc, ce n'est jamais fini dans leur tête.
20:08 Il y a vraiment cette idée que plus on fait d'accords de libre-échange,
20:11 plus la prospérité arrivera.
20:12 Sauf que ça ne se passe pas comme ça.
20:14 – On se fait tuer, oui.
20:15 – Opportunément, à cause des élections,
20:17 Emmanuel Macron a annoncé et a milité pour le report du Mercosur.
20:21 Mais le fonds du logiciel de Renew Ici Renaissance en France,
20:25 c'est de voter tous les accords de libre-échange
20:27 avec le plus d'États possibles au niveau mondial.
20:30 Et ça vaut le coup aussi de regarder comment vote
20:32 le Rassemblement national sur ces accords internationaux,
20:35 puisque eux aussi se réveillent comme des protecteurs
20:38 des intérêts des agriculteurs français.
20:40 Alors que bien longtemps, ils ont voté aussi une grande partie
20:43 de ces accords.
20:44 C'est le logiciel d'Emmanuel Macron,
20:47 qui est un logiciel libéral,
20:48 qui est un logiciel qui, finalement, favorise,
20:51 de la même façon que la PAC favorise d'abord les plus gros,
20:53 Emmanuel Macron a aussi, dans les réponses qu'il apporte
20:56 aux agriculteurs, il apporte d'abord des réponses
20:59 qui sont les demandes des plus gros, pas des plus petits.
21:01 Et il fait exactement la même chose dans la logique libérale,
21:05 parce que c'est le fonds libéral d'Emmanuel Macron
21:08 et de Renew au niveau français, au niveau européen,
21:11 allié avec le PPE.
21:13 – Alors, en ce qui concerne le Chili et le Kenya,
21:16 on l'a dit tout à l'heure, c'est en cours.
21:19 Qu'est-ce que vous en pensez ?
21:20 Qu'est-ce qui va se passer au Parlement européen
21:23 jeudi ?
21:23 – On n'est pas hyper optimiste, puisque la majorité PPE, Renew, S&D,
21:29 puisque S&D ça va sans doute être divisé, donc les sociodémocrates,
21:33 mais il y a malheureusement de fortes chances
21:35 que ce type d'accord passe.
21:38 – Est-ce que les mobilisations, puisque je le disais au départ,
21:41 ça a été très présent ce thème des accords commerciaux européens,
21:45 dans les mobilisations des agriculteurs,
21:47 est-ce que ces mobilisations, ça a de l'importance,
21:49 ça joue un rôle ou pas ? Qu'est-ce que vous en pensez ?
21:51 – Évidemment, et d'ailleurs je rappelle quand même à ceux
21:54 qui nous regardent qu'il y avait un énorme projet d'accord
21:57 de libre-échange avec les États-Unis,
21:59 qui s'appelait le TAFTA ou le TTIP,
22:01 et ce qui a permis l'abandon de ce projet fou,
22:05 ce ne sont pas les députés européens, même si on a été très mobilisés,
22:08 c'est les mobilisations populaires.
22:09 Il y avait eu 350 000 personnes à Berlin, des pétitions ici et là,
22:14 une grosse mobilisation en France, en Wallonie,
22:18 et ça avait fait échec à ce projet.
22:20 Donc toute mobilisation populaire est bonne à prendre.
22:23 Et la colère des agriculteurs, d'une certaine façon,
22:28 elle exprime aussi un cri par rapport à une politique
22:32 toujours recommencée, qui à terme, condamne ce modèle,
22:36 mais condamne eux, leur vie, leur métier, leur famille,
22:40 leur savoir-faire, leur territoire aussi.
22:43 Donc là, il y a vraiment une opportunité à saisir.
22:46 Sur le vote Kenya et Chili, j'ai pas trop, hélas, d'espoir.
22:51 Pourquoi ? Parce que c'est la même majorité qu'il y avait sur la Nouvelle-Zélande,
22:55 qui est passée sans problème.
22:58 Ensuite, parce que dans les groupes,
23:00 les Français, à mon avis, voteront majoritairement contre l'accord,
23:03 que ce soit chez les Verts ou sur les sociodémocrates,
23:06 mais le reste des groupes, c'est plus compliqué.
23:10 Donc moi, je pense qu'il faut s'attendre à ce que ça soit adopté,
23:13 mais ce n'est pas une raison pour ne pas continuer à s'y opposer
23:18 et en faire un grand sujet de la campagne des élections européennes qui arrive.
23:22 – Voilà, merci à vous, merci Emmanuel Moran, merci François Thiollet.
23:26 On continuera bien sûr à suivre cette question des accords commerciaux avec vous.
23:30 Merci à vous qui nous avez suivis et à bientôt, au revoir.

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