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Retrouvez "Pascal Praud et vous" sur : http://www.europe1.fr/emissions/pascal-praud-et-vous

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Transcription
00:00 Dès que les premières notes résonnaient à la télévision dans la cellule,
00:04 je me mettais à genoux dans mes 6 mètres carrés et je me signais,
00:09 bien que je ne sois pas particulièrement croyant.
00:12 Aujourd'hui en revanche, je ne me mets plus à genoux.
00:16 Vous avez pu le constater, je ne me mets plus à genoux.
00:20 En fait c'était une musique à imprison, on a besoin de se raccrocher à quelque chose
00:27 parce que les journées sont longues, je l'ai dit et je le redis,
00:31 vous avez besoin de passer d'une heure à une autre
00:35 jusqu'à ce que ça vous amène au repas qui se passe à 18h30.
00:38 C'est pour ça que je fais un lien avec les Ehpad,
00:40 parce qu'on mange très tôt quand on mange.
00:42 Et du coup, il y a cette chanson qui passait et c'est vrai que je me suis raccroché à ça.
00:48 C'est à ce moment-là peut-être que je me suis dit aussi
00:52 qu'il y avait beaucoup de travers dans la prison
00:55 parce qu'on touche tellement le fond et c'est tellement compliqué émotionnellement
01:00 qu'on peut très vite être...
01:02 Alors ce n'est pas le cas quand on est en isolement,
01:04 mais j'imagine que les jeunes qui n'ont rien à y faire,
01:08 parce que ça peut arriver aussi,
01:09 peuvent être très vite recrutés par des fanatiques religieux
01:13 ou peuvent être recrutés par une bande organisée un petit peu plus grosse
01:17 que ce qu'il avait fait pour la moyenne en prison.
01:20 Et je pense que c'est quelque chose que si on ne le vit pas,
01:23 on ne peut pas le comprendre.
01:24 Je pense qu'il faut réellement en parler,
01:26 c'est que ça touche tellement profondément
01:29 que du coup on est capable, vous voyez, j'en parle vraiment dans le livre,
01:33 c'est que j'étais prêt à me mettre à genoux, à faire le signe de croix
01:36 alors que je ne le faisais pas jusqu'à présent.
01:38 Donc du coup, c'est ce qu'il faut ressentir aussi
01:41 à travers ce que j'ai voulu écrire,
01:43 c'est que la perversité aussi de la prison peut amener
01:47 à des choses un petit peu plus compliquées.
01:50 - Quand vous dites que vous êtes à l'isolement,
01:51 vous êtes à l'isolement en cellule,
01:52 mais aussi lorsque vous êtes en promenade,
01:54 il n'est pas question que vous soyez au contact des autres prisonniers
01:58 parce que ça pourrait très mal se passer pour vous ?
02:00 - Oui, tout à fait.
02:00 En fait, on est mis en isolement par le statut
02:03 qu'on a de policier quand on rentre,
02:05 tout simplement pour notre sécurité.
02:06 Parce que si quand vous vous promenez,
02:09 si on vous met dans une promenade où il y a tous les détenus,
02:12 ma tante m'a clairement dit que je ne tiendrai pas plus de deux minutes
02:15 quand on vous met à l'abri d'une caméra
02:16 parce qu'il y a des angles où on ne peut pas voir profondément ce qui se passe.
02:21 Et puis elle me dit, là il vous lynche.
02:22 Donc du coup, c'est par rapport à notre statut
02:25 qu'on est mis en sécurité à l'isolement.
02:27 - Et quand vous rentrez la première nuit,
02:28 c'est tellement violent qu'il y a quelqu'un qui manifestement sait qui vous êtes
02:32 et qui pendant toute la nuit va égrider votre prénom ?
02:35 - C'est ça. En fait, ça reste une énigme.
02:36 Je pense que ça vient de ma tombe
02:38 parce que je ne vois pas comment ça pourrait être ressorti autrement.
02:42 Le prénom a été distillé à quelques détenus
02:45 et le détenu de la cellule en dessous,
02:48 forcément m'a appelé par mon prénom, m'a insulté, m'a menacé.
02:51 Comme vous pouvez l'imaginer puisque ça se fait déjà à l'extérieur.
02:54 Donc vous imaginez bien quand ils sont en détention,
02:57 un endroit qui pour eux reste leur endroit.
03:01 Du coup, vous êtes policier, on vous appelle par votre prénom,
03:04 on tape pour éviter que vous vous endormiez.
03:07 Donc ça a duré toute la première nuit.
03:10 Donc ça a été compliqué, effectivement, oui.
03:13 - 69 jours.
03:15 Bon, je ne vous demande pas si vous craquez,
03:16 je ne vous demande pas comment ça se passe
03:17 parce que c'est des questions impudiques.
03:19 Mais j'imagine quand même que...
03:21 Est-ce que vous vous surprenez ?
03:22 Parce que vous faites partie de ceux qui peuvent résister,
03:26 à votre avis, lorsque vous entrez,
03:28 ou vous êtes plus faible que d'autres ?
03:31 - Non, c'est quelque chose qu'on ne connaît pas quand on rentre en prison.
03:33 Déjà, quand on ne s'y attend pas avec le statut de policier qui plus est,
03:37 on ne s'y attend forcément pas à rentrer en prison.
03:39 Et à ce moment-là, comme c'est un monde inconnu,
03:42 vous avez un peu le sol qui se dérobe sous les pieds.
03:44 Vous ne connaissez pas ce que c'est.
03:45 C'est une descente vertigineuse en enfer.
03:47 Mais vous ne vous connaissez pas.
03:49 Moi, j'ai plaisir à dire que c'est un face-à-face avec soi-même,
03:51 c'est-à-dire qu'on se regarde et on ne sait pas comment on va réagir à ce moment-là.
03:54 On peut le faire deux, trois fois,
03:56 peut-être on n'aura pas du tout la même réaction.
03:58 Moi, j'ai eu une réaction parce que je me suis tellement senti attaqué
04:04 que pour justement prouver que je n'allais pas tomber,
04:07 je pense que c'est ce qui m'a fait résister.
04:09 Et c'est en ça peut-être que l'IGPN, avec leur malice,
04:12 ont essayé de nous faire tomber.
04:13 Et c'est peut-être ce qui m'a permis à moi de tenir,
04:17 c'est que ça a été mon combat,
04:18 de leur faire voir que je tenais,
04:20 de leur faire voir qu'ils n'arriveraient pas à me mettre à genoux.
04:23 Et du coup, ça a été comme ça.
04:26 Mais après, c'est un face-à-face, on se regarde et on ne sait pas comment on va réagir.
04:29 On se dit qu'il faut garder la tête haute parce que vous avez une famille
04:32 et pour eux, vous devez le faire.
04:35 - Vous étiez combien en prison ?
04:36 - On était sept.
04:37 - Et les sept ont réagi comme vous ?
04:40 - Non, non, non, c'est individuel.
04:42 Ça, on ne peut pas savoir, comme je vous disais.
04:44 Je sais que mon voisin de cellule n'a pas du tout réagi comme ça
04:49 puisqu'il a préféré prendre, enfin préféré, c'est un grand mot,
04:52 mais il a demandé à prendre beaucoup de cachets
04:55 qui ne lui faisaient pas comprendre justement
04:58 dans quel endroit il se trouvait,
05:00 parce que c'était peut-être trop dur pour lui de s'imaginer
05:03 entre quatre murs avec une petite fenêtre.
05:06 - Et vous, par exemple, de cachets, vous n'en avez jamais pris ?
05:08 - Non, je n'en ai pas pris.
05:09 Ça a fait partie des combats où je me suis dit,
05:12 je n'en prendrais pas un.
05:13 Je ne voyais pas l'utilité parce que j'arrivais à affronter les choses.
05:17 Quand on me disait, tu ne vas pas à la fenêtre
05:19 parce que tous les voyous vont crier, vont hurler,
05:22 du coup, tu vas provoquer du bruit.
05:23 Écoutez, c'est triste d'en arriver là,
05:26 mais du coup, vous faites un pas en arrière
05:28 et vous ne vous mettez plus à la fenêtre
05:30 et puis vous verrez le soleil une fois que vous sortirez.

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