Alain Delon, la Solitude d'un Fauve - Un Jour, un Destin : Documentaire Complet

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00:00:00 ...
00:00:07 -Les trucs de quand tu étais petite,
00:00:09 ça sert à rien.
00:00:11 Mais moi, j'y tiens.
00:00:14 -Tu peux les donner ? -Non, sûrement pas.
00:00:18 Je crois que...
00:00:21 que je suis un homme pour personne.
00:00:24 Je suis aperçu que j'aime pas le mouvement.
00:00:29 J'aime que les choses restent ce qu'elles sont.
00:00:32 Ça, c'est pas bien, parce que c'est le contraire de la vie.
00:00:37 -Il m'a téléphoné, il m'a dit "je voudrais jouer au théâtre avec ma fille,
00:00:43 il faut absolument que tu m'écrives une pièce pour elle et pour moi."
00:00:45 Et il voulait que ses premiers pas sur scène, ce soit avec lui.
00:00:49 -On était très fiers l'un et l'autre de travailler ensemble,
00:00:52 et c'était un peu le père qui montrait sa fille, quoi.
00:00:56 -Je voulais pas te voir changer.
00:00:58 Hier encore, je voulais pas te voir grandir.
00:01:03 Aujourd'hui, je suis là comme un con à me demander ce qui m'arrive.
00:01:08 Alors que tout ceci est on ne peut plus normal.
00:01:12 -Il pleure vraiment.
00:01:14 Mon père pleure toujours vraiment.
00:01:16 Il a ce côté sensible comme ça, donc du coup, quand ça le submerge,
00:01:19 il met du temps à redescendre.
00:01:21 Ça le transporte, en quelque sorte.
00:01:23 -Le véritable Alain Delon, c'est un personnage ébréché.
00:01:27 -Voilà plusieurs semaines qu'Alain Delon partage l'affiche avec Anoushka,
00:01:35 sa fille de 21 ans qu'il a eue avec sa dernière compagne, Rosalie.
00:01:39 Au moment des saluts,
00:01:44 il éprouve une grande difficulté à sortir de son personnage,
00:01:48 celui d'un père quitté par son enfant.
00:01:51 ...
00:02:03 -Il regroupe ses affaires et il part.
00:02:05 On n'a même pas le temps de lui dire au revoir.
00:02:07 Des fois, tu le vois pas, t'es dans ta loge et il est parti.
00:02:09 On l'appelait Spidi Gonzales au théâtre.
00:02:11 Non mais c'est vrai, au bout de 10 minutes, il est parti.
00:02:19 -Après avoir joué, après avoir été devant une salle comble,
00:02:22 il a besoin de solitude, de voir des arbres et des animaux.
00:02:28 -Il a qu'une envie, c'est de rentrer à Douchy.
00:02:30 Ça, c'est sûr, c'est sa maison, c'est sa vie.
00:02:34 ...
00:02:50 -C'est impressionnant quand on arrive la nuit.
00:02:52 Faut aimer la campagne, faut aimer le noir, faut aimer le rien.
00:02:56 ...
00:03:06 -Il aime bien la solitude et c'est son truc.
00:03:10 Côté un peu reclus, comme ça.
00:03:13 Comme un fauve.
00:03:16 -C'est un endroit où il n'est pas en danger,
00:03:20 où il n'est pas menacé, où il n'est pas vu non plus.
00:03:25 Il est avec son chat, il a un vieux chat qu'il a ramassé dans la rue.
00:03:29 Il a des chiens, mais lui, il est au milieu de tout ça.
00:03:32 Et je crois qu'à Douchy, il a la paix.
00:03:34 ...
00:03:39 -J'ai plusieurs fois dit à Alain, un jour, si ça vous chante,
00:03:44 je viendrai vous voir à Douchy, on prendra une tasse de thé ensemble,
00:03:47 on se racontera des conneries.
00:03:48 Il m'a dit "Oui, oui, j'y penserai, Patrice",
00:03:51 mais il m'a jamais fait signe pour ça.
00:03:53 Même si je crois qu'il m'aime bien,
00:03:54 c'est pas très commode d'entrebâiller la porte de la solitude.
00:03:57 -Cela fait une quinzaine d'années qu'Alain Delon vit seul ici.
00:04:01 Reclus dans ce domaine acheté dans les années 70,
00:04:05 où les ombres du passé hantent les murs.
00:04:09 -Il y a un couloir particulier à Douchy
00:04:13 où il y a toutes ces photos de tournage,
00:04:16 des photos inédites, les gens qui l'ont rencontré.
00:04:20 Il y a les photos avec Gabin, à table.
00:04:23 ...
00:04:28 Il y a des photos de Romy, de Mireille, de Nathalie...
00:04:32 Il y a pas "nous",
00:04:34 c'est-à-dire que c'est que des photos de son passé.
00:04:36 -C'est un homme hanté par le souvenir funèbre,
00:04:40 le souvenir des gens qu'il a aimés, qui ne sont plus,
00:04:44 le souvenir d'un cinéma français qui n'est plus.
00:04:47 Il y a quelque chose à Douchy
00:04:52 de l'ordre du mausolée.
00:04:53 ...
00:04:58 -Il a vécu des choses grandioses,
00:05:00 donc c'est sûr que ça devait sûrement être mieux avant pour lui que maintenant.
00:05:04 -Je crois qu'il est un peu nostalgique, oui.
00:05:07 Il accepte pas le temps qui passe.
00:05:09 ...
00:05:11 -Les photos les plus intimes,
00:05:13 Alain Delon les a placées dans sa chambre.
00:05:16 Ce sont elles qu'il regarde avant de s'endormir.
00:05:19 ...
00:05:24 Il y a une photo de lui quand il est tout bébé,
00:05:26 dans cette bassine en zinc avec sa mère.
00:05:30 Et des choses plus personnelles,
00:05:32 comme des petits objets, une croix que sa mère lui a offerte.
00:05:36 ...
00:05:42 Sa petite croix, il l'emmène partout.
00:05:44 C'est son porte-bonheur.
00:05:45 Depuis toujours, et c'est toujours sur sa table de nuit,
00:05:48 que ce soit dans un hôtel ou chez lui, c'est toujours là.
00:05:51 Ca le protège.
00:05:52 ...
00:05:55 Il appelle d'ailleurs mon petit Jésus.
00:05:57 Il lui fait un bisou à petit Jésus,
00:06:00 parce que ça doit être quelque chose que sa mère lui disait quand il était petit,
00:06:03 et du coup, ça reste le terme enfantin.
00:06:06 ...
00:06:23 Ils sont tous là, ancrés dans l'inconscient collectif.
00:06:26 Rocco, le guépard, M. Klein, les deux corps enlacés de la piscine.
00:06:30 Pour nous, des films, des images, un plaisir de voir et revoir ces instants.
00:06:34 Mais pour lui, des souvenirs.
00:06:36 Tellement de souvenirs qui résonnent à l'aune du temps qui passe.
00:06:39 Alain Delon, l'icône, l'un des derniers représentants d'un cinéma flamboyant,
00:06:43 a choisi de s'exfiltrer du monde d'aujourd'hui.
00:06:46 À quelques kilomètres de Paris, Douchy, sa propriété, ses chiens,
00:06:50 et cette solitude entrecoupée de quelques parenthèses rares.
00:06:53 Pour comprendre ce qu'il s'est passé, comment tout cela a commencé,
00:06:57 et s'est arrêté aussi de manière violente,
00:06:58 il faut reprendre un à un les chapitres de son histoire.
00:07:02 L'enfance déchirée, la fascination pour le milieu et son code d'honneur,
00:07:06 les maîtres, Visconti, Melville, et puis les femmes, bien sûr.
00:07:10 Avant de les voir tous partir, les uns après les autres,
00:07:13 rien au départ n'était écrit pour qu'il les rencontre,
00:07:15 rien ne le prédisposait à devenir acteur.
00:07:18 Revenons donc tout d'abord au milieu des années 50, à 21 ans.
00:07:22 Le voilà de retour d'une expérience qui aura duré deux ans
00:07:25 et l'aura profondément marquée, la guerre d'Annauchine.
00:07:28 Il en veut à ses parents de l'avoir laissé partir là-bas,
00:07:31 alors il ne va pas les prévenir de son retour.
00:07:33 Il se dit qu'il s'en sortira sans eux.
00:07:36 En arrivant à Paris, Alain Delon s'installe à Pigalle.
00:07:41 Pour survivre, il multiplie les petits boulots,
00:07:47 garçon de café ou encore manutentionnaire au HAL.
00:07:51 Jusqu'au jour où, en suivant un ami, il découvre un coin de la ville
00:07:55 dont il ignorait l'existence, Saint-Germain-des-Prés.
00:08:00 Dans ce quartier, il y a les musiciens, il y a des explorateurs,
00:08:04 il y a des peintres, il y a des metteurs en scène, il y a des comédiens.
00:08:07 Enfin, c'est un monde artistique sensationnel.
00:08:11 On arrivait le soir et on s'asseyait à une table
00:08:15 et puis ça se passait comme ça, on se parlait, on se parlait des cinémas.
00:08:19 Tout ça, ça brille, hein, pour un petit jeune homme.
00:08:21 Il était tout content d'être là, lui.
00:08:24 Un jeune homme qui ne tarde pas à faire de Saint-Germain son repère.
00:08:29 Dans les bars à la mode, il a ses habitudes et ses amis apprentis comédiens.
00:08:33 Il y avait Rochefort, il y avait Mariel, il y avait Belmondo.
00:08:42 Ils étaient tous au conservatoire à la même époque.
00:08:45 Ce sont des univers différents, Belmondo et Delon.
00:08:47 On a le fils de bourgeois qui a suivi des cours au conservatoire
00:08:50 et puis d'un autre côté, on a l'autodidacte, fils de commerçant de banlieue.
00:08:54 Mais tout de suite, il y a cette compréhension de deux têtes brûlées,
00:08:58 de deux garçons qui en veulent.
00:08:59 Au conservatoire, Jean-Paul Belmondo n'a pas la tête de l'emploi.
00:09:05 Alain Delon, lui, n'a pas les clés de ce métier,
00:09:08 mais il a le charme et le sens du contact.
00:09:11 Une amie me dit "Il y a un jeune homme qui est au bistrot en face qui veut voir."
00:09:17 Elle me dit "Ah non, je connais pas."
00:09:19 Je lui dis "Je connais pas, il n'y a aucune raison d'y aller."
00:09:22 Et l'on me dit la même chose.
00:09:24 Brigitte Aubert est une actrice en vogue.
00:09:27 Elle a tourné dans la main au collet sous la direction d'Alfred Hitchcock.
00:09:30 Alors quand même, j'y vais, je veux voir,
00:09:35 il y a cette personne qui veut me voir.
00:09:37 Je vois un petit jeune homme charmant qui était à une table
00:09:41 avec au moins trois bières devant lui, qui m'a l'air un peu éméchée.
00:09:45 Je me dis qu'il est mignon, et puis...
00:09:55 on est attiré par son regard.
00:09:59 Parce qu'il a un oeil extraordinaire qui est bleu,
00:10:02 cerclé de noir.
00:10:04 Il me dit "Vous voulez boire quelque chose ?"
00:10:11 Je dis "Non, et puis vous non plus, ça suffit.
00:10:13 Maintenant, il faut aller vous coucher.
00:10:15 Alors, où habitez-vous ?"
00:10:17 Il me dit "Nulle part."
00:10:19 Je lui dis "Venez à la maison, vous dormirez dans un lit."
00:10:24 Et puis, qu'est-ce qui s'est passé dans la nuit ?
00:10:26 Il est venu me rejoindre.
00:10:28 Cette première nuit marque le début d'une relation amoureuse
00:10:34 entre la comédienne et celui qui rêve de devenir quelqu'un.
00:10:38 Et Brigitte Aubert va jouer auprès de lui un rôle de guide.
00:10:42 Je lui ai fait prendre des cours de comédie
00:10:47 parce que je me disais "Il va mal tourner."
00:10:50 Je l'ai mis dans les mains d'une amie qui était professeure de comédie.
00:10:54 Je lui ai dit "Écoute, c'est même pas la peine qu'il apprenne.
00:10:57 Avec la gueule qu'il a, les yeux qu'il a,
00:11:00 il n'a qu'à aller devant n'importe quelle caméra,
00:11:03 puis ça marche ça."
00:11:05 Je me trouvais personnellement fadas,
00:11:14 c'est-à-dire mièvre, jeune, trop...
00:11:16 Je ne me trouvais pas assez physiquement viril.
00:11:19 Il y avait un décalage entre mon physique,
00:11:22 ce qui n'était pas responsable,
00:11:24 et ce qu'il y avait vraiment à l'intérieur de moi.
00:11:26 Et cette part de lui-même, plus sombre,
00:11:29 c'est précisément ce qu'a perçu sa compagne
00:11:32 en vivant à ses côtés.
00:11:34 Nous n'avions pas du tout la même mentalité.
00:11:38 Ses copains étaient un peu des petits voyous.
00:11:43 Moi, alors, ça me débecque totalement.
00:11:47 C'est ça qui l'excitait.
00:11:50 Aller passer des frontières en douce,
00:11:53 passer du tabac, des machins, tout ça.
00:11:56 On était dans la voiture, on rentrait à la maison,
00:12:07 et je ne sais pas pourquoi, je dois l'engueuler pour quelque chose.
00:12:11 Elle me dit "Je m'en fous, de toute façon, un jour, moi, je réussirai."
00:12:15 Je lui dis "Réussir, réussir."
00:12:17 "Par n'importe quel moyen, mais je réussirai,
00:12:19 je ferai quelque chose."
00:12:21 "Par n'importe quel moyen, alors tu prends la porte."
00:12:24 Et voilà, et il est parti.
00:12:26 La rupture est sans appel.
00:12:30 Mais la promesse de réussite n'est pas loin de se réaliser.
00:12:34 Alain réussit à décrocher des petits rôles au cinéma.
00:12:41 Et un réalisateur lui a même demandé
00:12:44 de passer un casting pour un premier rôle.
00:12:48 Les essais d'Alain ont été les meilleurs,
00:12:50 non seulement au point de vue photogénie,
00:12:53 il était beau comme un dieu,
00:12:56 mais ensuite, comme acteur, il s'en est très bien sorti.
00:13:00 Et c'est bien lui qui va être choisi
00:13:04 pour être le partenaire d'une actrice prestigieuse.
00:13:07 Bien avant le tournage,
00:13:09 la production veut mettre en scène leur rencontre.
00:13:12 La presse a été convoquée le 10 avril
00:13:16 à l'aéroport d'Orly.
00:13:17 Il porte une cravate,
00:13:19 il est bien coiffé,
00:13:21 vraiment, j'ai l'impression qu'il a mis,
00:13:24 vous savez, la brillantine qu'on mettait sur les cheveux à l'époque.
00:13:28 Il fait exactement ce qu'on lui a demandé de faire.
00:13:31 C'est pas le bad boy, c'est pas le voyou,
00:13:34 c'est tout sauf Alain Delon.
00:13:36 Les journalistes ne sont évidemment pas là pour lui.
00:13:39 Ils attendent l'héroïne de Sissi,
00:13:41 la star allemande du moment,
00:13:44 qui n'a pas encore 20 ans,
00:13:45 son nom, Romy Schneider.
00:13:47 Mais l'entente cordiale que laissait présupposer cette photo
00:14:02 n'est pas vraiment au rendez-vous
00:14:04 lorsque le tournage du film Christine est lancé.
00:14:07 Dès le début, vous ne pouvez pas la piffer.
00:14:10 Il y avait une telle différence
00:14:13 entre eux de caractère.
00:14:15 Il se sentait très inférieur, lui,
00:14:18 qui était...
00:14:20 pas très bien élevé,
00:14:23 à côté d'une petite bourgeoise
00:14:26 très... très polissée.
00:14:29 Le premier temps, ça a été très dur.
00:14:32 Alain Delon ne cherche pas à faire connaissance avec Romy.
00:14:37 Les relations qu'il entretient avec les autres comédiens du film,
00:14:41 Marie-Ali et Sophie Grimaldi, lui suffisent.
00:14:44 C'est avec eux qu'il a pris l'habitude de partir
00:14:47 pour de longues virées nocturnes.
00:14:49 La voiture, si je suis en l'air au bout de 3 jours,
00:14:55 Alain, jeune fou, on s'amusait, bien sûr.
00:14:58 On n'a pas vu, c'était la nuit,
00:15:00 des lignes de tramway qui étaient fermées.
00:15:03 On fonce là-dedans et pouf, dans les travaux.
00:15:06 Les barrières à droite à gauche,
00:15:08 la voiture décapotable un peu abîmée,
00:15:10 mais surtout, elle était sur les règles de tramway,
00:15:13 elle ne bougeait plus.
00:15:15 Au petit matin, les techniciens attendent toujours les comédiens.
00:15:19 La production convoque aussitôt le réalisateur.
00:15:22 Le producteur m'a dit "Vous me les remplacez."
00:15:25 Je dis "C'est pas possible, c'est moi qui les ai engagés."
00:15:30 Comme ça, je peux pas.
00:15:32 "Ah, mais dans ce cas-là,
00:15:34 "vous aurez une semaine de tournage de moins à Vienne."
00:15:40 Le réalisateur a sauvé la tête d'Alain Delon et de ses camarades.
00:15:44 Et à Vienne, justement,
00:15:46 celui qui agaçait tant Romy Schneider
00:15:49 va finir par trouver grâce à ses yeux.
00:15:52 Ce qui lui plaît par-dessus tout,
00:15:55 c'est le garçon un peu sauvage, un peu rebelle.
00:15:58 Et c'est ce type d'homme qui l'attire.
00:16:01 Cette espèce de liberté,
00:16:04 ça, ça le pousse tout à faire.
00:16:07 C'est ce qui a fasciné Romy,
00:16:10 qui était en admiration devant ce garçon.
00:16:14 -Cet intérêt soudain que manifeste Romy à son égard
00:16:18 ne laisse pas Alain Delon insensible non plus.
00:16:21 Eux qui se trouvaient si différents socialement
00:16:24 partagent en fait des fragilités communes.
00:16:27 Une enfance solitaire marquée par l'absence du père.
00:16:31 Derrière sa caméra,
00:16:34 le réalisateur va être le premier témoin de ce rapprochement.
00:16:39 -C'est dans le parc où je tournais à Vienne.
00:16:44 Il y a une scène de baiser.
00:16:48 Et là, j'ai senti qu'il y avait quelque chose.
00:16:51 C'était pas un baiser cinéma,
00:16:54 ça devenait quelque chose de très...
00:16:57 Ça devenait vrai, vous savez.
00:17:03 -France! -Christine!
00:17:06 -France!
00:17:08 -J'assure... -De t'aimer!
00:17:11 -J'assure...
00:17:13 -Pour l'éternité!
00:17:18 -Pour l'éternité!
00:17:20 -Ne ris pas, France.
00:17:23 Tu entends cette rumeur?
00:17:25 Ce sont tous les serments d'amour qu'on a criés dans le vent avant nous.
00:17:29 L'écho ne les oublie jamais.
00:17:32 Seulement, il n'y a que les vrais amoureux qui les entendent.
00:17:37 -Je revois les petits mots dans la boîte aux lettres de l'hôtel.
00:17:49 "Au petit soin pour Romy, Romy était au petit soin pour Alain."
00:17:53 Autant au départ, c'était faux, pour moi, c'était fabriqué,
00:17:57 autant là, après, c'était vraiment vrai.
00:18:00 -Au côté d'Alain Delon, Romy s'émancipe enfin.
00:18:04 Par amour, elle va transgresser l'autorité de sa mère,
00:18:08 qui régente sa vie depuis toujours.
00:18:11 Après le tournage de Christine, elle a fait le choix de ne pas rentrer en Allemagne.
00:18:16 -Dans sa petite voiture décapotable, il va lui faire parcourir Paris la nuit.
00:18:21 Delon adore la nuit.
00:18:23 Pour Romy Schneider, c'est une aventure incroyable.
00:18:26 La liberté, l'alcool, les boîtes, les cinémas.
00:18:29 ...
00:18:33 -Qu'elle découvre un milieu un peu bohème, plus artiste,
00:18:37 qu'elle ne soupçonnait pas.
00:18:39 Elle a vécu sous cloche entre ses tournages.
00:18:42 Elle a beaucoup tourné, elle a travaillé tout le temps.
00:18:46 -La sortie du film Christine attise la curiosité des journalistes.
00:18:50 Qui est donc ce jeune homme qui joue le partenaire de Romy Schneider,
00:18:54 à l'écran et dans la vie ?
00:18:56 Combien sa vie privée pouvait être aussi un accélérateur de notoriété ?
00:19:00 -Chacun, au fond, va trouver chez l'autre ce qu'il n'a pas.
00:19:05 Elle, elle a cette réussite.
00:19:08 Et lui, il aspire aussi à la réussite.
00:19:12 Il y a de l'ambition, évidemment, chez ce garçon.
00:19:15 ...
00:19:17 -Romy Schneider et Alain Delon ouvrent une séquence heureuse de leur vie.
00:19:21 Elle se sent enfin libérée de la tutelle maternelle
00:19:24 et lui se voit proposer un grand rôle.
00:19:27 René Clément fait de lui la tête d'affiche de son film "Plein soleil".
00:19:31 Celui qui se promettait de réussir devient un comédien en vue
00:19:35 dont le talent est salué par les spectateurs et par la critique.
00:19:40 Il va donc falloir désormais compter avec Alain Delon.
00:19:44 -Pierre Mondy nous a dit qu'il fallait 10 ans pour faire un acteur.
00:19:48 Un jeune premier n'a pas le temps d'attendre 10 ans.
00:19:51 Vous le considérez comme un acteur ?
00:19:53 -Non, je ne le considère pas comme un acteur.
00:19:56 Je suis de la vie de Pierre,
00:19:58 quoique moi, il faut encore plus de 10 ans pour devenir un acteur.
00:20:02 Un acteur, c'est de longues années de travail.
00:20:05 C'est une carrière, et pour moi, ça représente une vie.
00:20:09 ...
00:20:12 -Les clins des yeux, le regard, le corps,
00:20:16 le mouvement de cet homme, sa voix aussi,
00:20:19 elle est très belle, Delon.
00:20:21 Il est starisé immédiatement.
00:20:24 -Ca a été un démarrage, on peut dire, foudroyant,
00:20:27 et même sur le plan international,
00:20:29 parce que "Plein soleil" a été sur le plan international.
00:20:32 -L'apparition d'Alain, quand il rentre sur l'écran,
00:20:35 dans la salle, tout le monde faisait "Ah !"
00:20:38 Tout à coup, il voyait quelque chose, quoi.
00:20:41 -Vous faites cet entraînement de boxe
00:20:44 pas uniquement pour perfectionner vos muscles,
00:20:47 c'est parce que le cinéma est derrière.
00:20:49 -Oui, c'est ça, mais je suis très content de pouvoir perfectionner mes muscles.
00:20:53 -Et le cinéma est derrière de quelle manière ?
00:20:56 -C'est un film de Visconti que je dois faire fin janvier.
00:20:59 J'ai le rôle d'un boxeur dedans.
00:21:01 -J'espère, ça tombe bien.
00:21:03 ...
00:21:05 -En rencontrant l'acteur français,
00:21:07 Lucchino Visconti, le célèbre réalisateur italien,
00:21:10 a eu un coup de foudre.
00:21:12 Il a immédiatement vu en Delon le héros de son prochain film,
00:21:16 un boxeur à la fois viril et sensible.
00:21:19 -Visconti est profondément amoureux de l'image
00:21:22 que renvoie Delon dès qu'il le voit.
00:21:24 -Visconti aimait beaucoup Alain Delon.
00:21:27 -Alain Delon fait tourner la tête de toutes les filles,
00:21:30 mais il fait aussi tourner la tête de certains garçons.
00:21:33 -Visconti, c'était vraiment un metteur en scène assez...
00:21:37 Il te disait tout ce que tu devais faire et tout ça.
00:21:40 Tout devait être précis, quoi.
00:21:42 -Visconti était le dieu d'Alain.
00:21:45 Il a vraiment façonné Alain.
00:21:49 -Avec ce rôle de Rocco,
00:21:53 le metteur en scène fait émerger une fragilité
00:21:57 de la beauté brute et de la violence contenue de son comédien.
00:22:01 -Qu'est-ce qu'il y a, Rocco ? C'est papa ?
00:22:09 -Tu vois, Giroud, c'était facile pour moi, cette victoire.
00:22:13 Parce que ce n'était pas lui que j'avais devant moi.
00:22:16 C'était comme si je me battais contre quelqu'un d'autre,
00:22:20 quelqu'un d'autre qui attirait ma haine,
00:22:23 toute cette haine que j'avais accumulée en moi,
00:22:26 sans le savoir, peut-être.
00:22:28 C'est une chose horrible, Giroud.
00:22:32 Si tu savais comme c'est horrible.
00:22:35 -De la haine, toi ? Toi qui es la bonté même ?
00:22:40 -Allez, Rocco, tu deviendras un grand champion.
00:22:43 Il deviendra un grand champion. J'en suis sûr.
00:22:46 -Rocco et ses frères marquent le début d'une longue histoire
00:23:00 entre Alain Delon et ce Pygmalion.
00:23:02 Lucchino Visconti le magnifie
00:23:04 et lui offre la base solide d'une carrière très prometteuse.
00:23:09 -Papa était en admiration quand il a découvert,
00:23:14 la première fois, il avait une affiche de cinéma
00:23:18 avec les acteurs connus
00:23:21 et en dessous, avec Alain Delon et untel et untel.
00:23:25 Papa était très fier.
00:23:27 Il était surpris, et puis surtout après une absence très longue,
00:23:31 d'apprendre qu'Alain Delon était un acteur très connu.
00:23:36 D'apprendre qu'Alain joue dans un film.
00:23:41 -Depuis son retour d'Indochine,
00:23:44 le comédien n'a pas repris contact avec sa famille.
00:23:48 L'un des siens va franchir le pas à l'occasion d'une première au théâtre.
00:23:53 Cela fait 5 ans qu'il n'a pas vu son frère.
00:23:56 -J'étais le premier à le voir dans sa loge après.
00:24:00 J'étais impressionné. J'avais 12 ans.
00:24:03 "Et je les vous voyais." C'est quand même incroyable.
00:24:07 Je lui ai dit "Vous ne me reconnaissez pas ?"
00:24:11 "Non, ils me voient... Je suis Titi."
00:24:15 "Mais t'es Titi ?"
00:24:17 Il était très ému de me voir.
00:24:21 Je lui ai dit "Tu sais, papa aime bien te voir."
00:24:25 -Ces retrouvailles inattendues pourraient donner l'occasion
00:24:29 à Alain de renouer avec son père.
00:24:32 Mais qu'en a-t-il vraiment envie ?
00:24:35 -Il me répond "Il y a des choses que tu ne peux pas comprendre."
00:24:40 Après que j'ai compris, la séparation, se sentir abandonné,
00:24:44 il en voulait à ses parents.
00:24:47 Je comprends très bien qu'il en voulait à ses parents.
00:25:00 -L'origine de cette blessure remonte aux premières années d'Alain Delon.
00:25:05 Tous ses jouets lorsqu'il avait 4 ans.
00:25:08 -Le père d'Alain était projectionniste
00:25:13 et sa maman était ouvreuse.
00:25:15 Ils se sont connus et ça fait tilt.
00:25:18 Ils ont fait un beau petit.
00:25:20 -Ses parents sont connus dans une passion extraordinaire.
00:25:27 C'était très fort.
00:25:29 Une passion parfois tellement forte.
00:25:32 Après, ça peut être le crash. Il a vécu ce crash.
00:25:36 -La mère d'Alain, surnommée Mounette,
00:25:39 obtient la garde de son fils lors du divorce.
00:25:42 Mais elle ne peut l'élever.
00:25:44 Car sa rencontre avec Paul Boulogne,
00:25:47 à la tête d'une charcuterie de Bourg-la-Reine,
00:25:51 a changé sa vie.
00:25:53 -Mounette ne pouvait pas, en travaillant toute la journée,
00:25:57 s'occuper de son fils, etc.
00:26:00 Ils étaient tous seuls dans la charcuterie.
00:26:03 Papa, il était dans le laboratoire, l'atelier, derrière.
00:26:07 Elle, elle s'occupait entièrement du magasin, de tout.
00:26:12 C'était une vie de fou qu'ils avaient.
00:26:15 Et on ne pouvait pas élever un enfant...
00:26:20 Là, c'était pas possible.
00:26:23 -Le jeune Alain était confié à une famille d'accueil,
00:26:27 de mari et gardien de prison.
00:26:29 Il passe ses journées au coeur du système pénitentiaire de Freyne.
00:26:33 -Il joue dans l'enceinte d'une prison, la prison de Freyne.
00:26:37 -Freyne est une prison dure,
00:26:39 avec des conditions d'hygiène, etc., difficiles.
00:26:43 Et les gens qu'on emmène, qui sont menottés,
00:26:47 les barreaux, la voie, tout cela.
00:26:51 -Mais cette vie chaotique ne s'arrête pas là.
00:26:55 A l'âge de 8 ans, Alain Delon doit quitter sa famille d'accueil.
00:27:00 Sa mère le place alors dans un internat.
00:27:03 -Ca durait jamais très longtemps, parce qu'on lui ramenait.
00:27:07 Il était assez impossible.
00:27:10 Il avait le diable dans le corps.
00:27:13 Je ne sais pas ce qu'il pouvait faire dans une classe,
00:27:16 mais ça durait jamais très longtemps.
00:27:18 -Il est viré de toutes les écoles de Bourg-la-Reine.
00:27:21 On n'en veut pas, parce qu'il est insupportable,
00:27:24 parce qu'il est totalement indiscipliné.
00:27:27 Tout ce qu'il ne faut pas faire, il doit le faire,
00:27:30 par esprit de révolte, de liberté.
00:27:34 -Il y a dans cette indiscipline le désir de provoquer
00:27:38 et sans doute d'attirer l'attention de celui qui lui a tant manqué.
00:27:43 Son père, Fabien Delon, qui lui aussi a refait sa vie.
00:27:48 Avec Élise, il a eu un second fils, prénommé Jean-François.
00:27:53 ...
00:28:01 -Mon père avait sa petite caméra, 9,5, après 8 mm,
00:28:05 après Super 8, il adorait filmer.
00:28:08 Les vacances, les voyages, les amis qu'il se rencontre.
00:28:13 -Les moments où Alain apparaît dans le champ de la caméra de son père
00:28:17 sont rares et fugaces.
00:28:21 Le voici à 12 ans, tendre et complice avec son demi-frère.
00:28:25 Des images qu'il n'a peut-être jamais revues depuis.
00:28:29 -On le voit par bribes sur ses images, mais pas présent tout le temps.
00:28:33 Et ça illustre bien le fait qu'il n'était jamais là
00:28:37 et assez solitaire et à part.
00:28:40 ...
00:28:43 -J'ai des souvenirs d'Alain qui lit un journal
00:28:46 en descendant la rue de l'Aile des Roses.
00:28:50 Un petit moment, comme ça, furtif.
00:28:52 ...
00:28:55 -Le père d'Alain met en scène son fils dans cette séquence de lecture.
00:28:59 Ce sont, en quelque sorte, les premiers pas d'un tout jeune acteur.
00:29:04 ...
00:29:09 -Je me souviendrai toujours d'un moment où, dans la maison,
00:29:13 il me dit "Regarde ce que je sais faire".
00:29:17 Il prend une allumette, il allume,
00:29:19 et puis, hop, il la prend dans sa bouche, il avale la flamme.
00:29:24 Alors j'étais impressionné, imprécédé par ça.
00:29:27 Et je lui dis "Tu peux me le refaire ?" "Oui, bien sûr."
00:29:31 ...
00:29:39 -Quelques années plus tard, à 14 ans,
00:29:42 Alain Delon est renvoyé d'un sixième pensionnat.
00:29:46 Il faut se rendre à l'évidence, les études ne sont pas faites pour lui.
00:29:51 ...
00:29:54 -Il passe un CAP de charcutier, poussé par son beau-père et sa mère,
00:29:58 où il se demande ce qu'il va faire. Il a 15-16 ans.
00:30:01 -Comment échapper à un avenir qu'il n'a pas choisi ?
00:30:04 L'idée de s'engager dans l'armée lui vient en découvrant une affiche.
00:30:08 Et il va trouver l'argument essentiel pour convaincre ses parents
00:30:12 de les laisser partir.
00:30:14 -En faisant le service militaire plus tôt,
00:30:17 ça diminuait le temps du service militaire.
00:30:20 Son père et sa mère ont dit "Oui, s'il a envie d'y aller,
00:30:24 "comme ça, c'est bien, il fera six mois de moins, ça sera bien."
00:30:28 -Alors qu'il rêvait d'intégrer l'armée de l'air,
00:30:32 Alain Delon est finalement affecté dans un autre corps.
00:30:36 -Il s'est retrouvé dans la marine, alors qu'il a le mal de mer absolu
00:30:40 et qu'il déteste tout ce qui touche au bateau.
00:30:43 -Un avionier aidé, ravitailleur de sous-marins basé à Toulon,
00:30:47 il se retrouve matelot radio.
00:30:49 Il intègre une petite unité de 12 soldats.
00:30:52 -On voyait un jeune garçon,
00:30:56 beau garçon, j'insiste,
00:30:59 beau garçon, mais difficile à sonder.
00:31:04 Il parlait très, très peu.
00:31:07 C'était "oui", "non" et c'est tout.
00:31:11 On savait pas d'où il provenait,
00:31:13 on savait pas s'il avait des parents,
00:31:16 s'il avait de la famille, où il était né.
00:31:19 -Ce caractère mystérieux se prolonge les soirs de permission,
00:31:30 lorsque le jeune matelot disparaît dans les lueurs du port de Toulon.
00:31:35 -Il sortait toujours tout seul.
00:31:38 On le trouvait se baladant dans les fêtes foraines.
00:31:42 Il aimait bien, et c'est là qu'on le retrouvait,
00:31:45 il aimait bien les stands de tir.
00:31:47 -Mais la fête foraine n'est pas le seul lieu qu'il fréquente.
00:31:51 Alain s'aventure également dans un quartier de Toulon
00:31:55 qui n'a pas très bonne réputation.
00:31:58 -Y avait pas de meurtre, y avait pas de bagarre au couteau comme ça.
00:32:02 Non, y avait des filles
00:32:05 qui faisaient un peu de scandale de temps en temps.
00:32:09 -Il a une attirance pour ce qui est marginal,
00:32:16 quelque chose qui doit s'apparenter dans son esprit
00:32:20 à ce qui est hors-la-loi, à ce qui est l'aventure.
00:32:23 -Le jeune marin se lie d'amitié avec le patron d'un bar,
00:32:27 Charles Marc-Antony.
00:32:29 En le fréquentant, il découvre, fasciné, le monde des affranchis.
00:32:35 Musique douce
00:32:38 ...
00:32:40 -Il retrouve dans la figure du parrain du milieu
00:32:43 l'image d'un père, d'un père bienveillant
00:32:46 et d'un père qui véhicule des valeurs antiques
00:32:50 que sont la parole donnée,
00:32:54 la fidélité en amitié
00:32:57 et la loi du silence.
00:32:59 -Ca compte dans l'imaginaire
00:33:02 la construction d'une image masculine,
00:33:06 d'une figure masculine, héroïque, virile,
00:33:09 avec une sensibilité, car ces hommes ont aussi une sensibilité.
00:33:13 -Influencé par ces nouvelles fréquentations,
00:33:16 le jeune matelot a quelques difficultés
00:33:19 à se conformer à l'autorité de l'armée.
00:33:22 Jusqu'au jour où il franchit la ligne jaune
00:33:26 en volant du matériel radio.
00:33:28 Musique douce
00:33:30 -On va lui dire que soit il est exclu de l'armée,
00:33:34 de la marine, soit il part en Indochine.
00:33:37 Il faut se rendre compte qu'on est en pleine guerre.
00:33:40 -Alain Delon a le goût de l'aventure
00:33:43 et la prime d'engagement dans l'armée finit de le convaincre
00:33:47 de partir faire la guerre en Indochine.
00:33:50 Il y restera deux ans.
00:33:52 A son retour, il en veut à ses parents d'avoir autorisé son départ.
00:33:56 Il a désormais la conviction qu'il ne peut compter
00:34:00 que sur la guerre.
00:34:02 Son audace se révélera payante.
00:34:04 Six ans seulement après son retour à Paris,
00:34:07 auréolé du succès de "Plein soleil" et de "Rocco et ses frères",
00:34:11 Alain Delon est devenu une star.
00:34:13 En 1962, c'est lui qui attire tous les regards au festival de Cannes
00:34:17 et clipsant sa compagne, Romy Schneider.
00:34:20 -La première chose que nos téléspectateurs remarquent,
00:34:24 c'est que vous laissez pousser la barbe.
00:34:27 -C'est pour des besoins ?
00:34:29 -Ca n'est pas pour plaire à Romy Schneider,
00:34:32 ni pour faire un genre, mais pour les besoins d'un film.
00:34:36 "Le guépard", que je vais tourner en Sicile,
00:34:39 dirigé par Lugino Visconti, avec Bertrand Caster et Claudia Cardinal.
00:34:43 -Delon ne cesse de parler de Luca,
00:34:46 puisque c'est le surnom qu'il a donné à Visconti, à Romy.
00:34:50 -Elle aurait pu être jalouse de Claudia Cardinal.
00:34:54 Elle est jalouse de Visconti.
00:34:57 Avec un merveilleux instinct et une belle intelligence,
00:35:01 Romy Schneider comprend que ses rivales seront des rivaux.
00:35:05 -C'est une grande joie pour vous de retrouver Visconti.
00:35:09 -C'est toujours une grande joie pour moi.
00:35:12 -C'est une fille extrêmement angoissée, très possessive.
00:35:16 Elle dit "Pour la 1re fois, je me suis retrouvée jalouse,
00:35:20 jalouse du succès d'Alain".
00:35:22 -Que pense Romy Schneider de la barbe d'Alain Delon ?
00:35:26 -Je le préfère sans, mais c'est assez joli.
00:35:29 -Vous ne la garderez pas après le film ?
00:35:32 -Non, pour 8 jours, elle partira dans 15, pour les 1res scènes.
00:35:36 ...
00:35:39 -Au moment où la carrière d'Alain Delon décolle,
00:35:42 celle de Romy connaît un coup d'arrêt.
00:35:45 Cela n'est pas sans conséquence sur leur couple,
00:35:48 d'autant qu'une autre femme est entrée dans la vie du guépard.
00:35:52 Elle s'appelle Nathalie.
00:35:54 ...
00:36:07 -Ils se ressemblaient, tous les deux.
00:36:10 C'est incroyable, lui.
00:36:12 Comme si c'était 2 sosies, quoi !
00:36:15 ...
00:36:24 -Ils trouvent en Nathalie son double féminin,
00:36:26 avec la même insolence, la même liberté,
00:36:29 le même non-respect des convenances.
00:36:32 C'est comme s'il y avait une possibilité d'éternité,
00:36:36 quelque chose qui aurait pu traverser le temps,
00:36:39 plus sûrement qu'avec Romy Schneider ou les autres femmes.
00:36:43 -Signe de ce changement,
00:36:45 Nathalie est la 1re femme à qui il propose de l'épouser.
00:36:49 -Nath !
00:36:52 -Elle est également celle qui fait de lui un père, à 28 ans.
00:36:55 En septembre 1964, est née en Taunis.
00:36:58 -Devenir père, pour lui, est un risque.
00:37:01 Être le père, c'est la terreur d'être son père,
00:37:05 d'être un mauvais père.
00:37:07 -Il a toujours ce truc en lui,
00:37:10 cet héritage de l'abandon.
00:37:12 L'abandon.
00:37:14 -Cette naissance va toutefois donner l'occasion à l'acteur
00:37:18 de solder les blessures du passé.
00:37:22 -Il était heureux de l'annoncer à sa mère, à son père.
00:37:27 Ca a fait beaucoup, très plaisir à papa,
00:37:30 de se sentir ce grand-père.
00:37:33 C'était un moment formidable.
00:37:36 -La fierté et le bonheur des grands-parents
00:37:39 se lisent sur leur visage le 1er mai 1966.
00:37:42 Ce jour-là, le baptême d'Anthony est organisé à Tancroux,
00:37:46 la maison de campagne de l'acteur, aux environs de Paris.
00:37:50 -Il y avait papa, il y avait sa maman.
00:37:54 On s'est tous réunis.
00:37:56 C'est la seule fois, d'ailleurs, où on s'est tous réunis.
00:38:00 -L'acteur affiche également un large sourire.
00:38:04 Tous les cercles de sa vie sont autour de lui pour la 1re fois.
00:38:09 Son ami des débuts, le comédien Jean-Claude Brialy,
00:38:13 le cinéaste, Lucchino Visconti,
00:38:16 et son père, avec sa petite caméra.
00:38:20 ...
00:38:23 -Alain était très heureux de ce moment.
00:38:26 Papa avait amené un petit cadeau.
00:38:29 C'était chaleureux.
00:38:31 Donc on peut considérer ça comme une réconciliation,
00:38:35 de pardonner, peut-être.
00:38:37 -Alain Delon semble enfin apaisé.
00:38:40 Mais le bonheur familial qu'il a construit avec Nathalie
00:38:44 ne va pas résister à l'épreuve du temps.
00:38:47 2 ans plus tard, ils finissent par se séparer.
00:38:51 ...
00:38:53 -C'est très difficile d'aimer lorsqu'on est impassionné.
00:38:57 C'est les extrêmes.
00:38:59 On est très possessif, on veut tout, on donne tout.
00:39:03 On est d'une générosité extrême.
00:39:06 J'aurais tendance à étouffer par mon amour intransigeant.
00:39:10 C'est très dur d'être impassionné et d'aimer.
00:39:14 C'est difficile d'être aimé par un homme de passion.
00:39:18 -Il n'est pas dupe du sacrifice que demande la vie à ses côtés.
00:39:22 Nathalie ne peut accepter de renoncer à sa carrière
00:39:26 pour se consacrer totalement à lui et à l'éducation de leur fils.
00:39:31 -C'est une femme entière.
00:39:33 Un jour, elle part avec Anthony.
00:39:36 Elle part et elle laisse l'appartement tout à Alain.
00:39:40 -L'acteur est désarmé.
00:39:42 Il n'a pas du tout du jeu dans sa relation aux femmes.
00:39:46 Ce départ est un échec.
00:39:48 Anthony vient d'avoir 4 ans, l'âge qu'il avait quand ses parents ont divorcé.
00:39:53 -Quelle ironie du dessin.
00:39:55 Il y a là une transmission du passé, du propre passé du père.
00:39:59 Ce n'est pas la transmission qu'il aurait souhaitée.
00:40:03 -L'acteur ne se laisse pas envahir par ses souvenirs douloureux.
00:40:07 La préparation de son prochain film,
00:40:10 réalisé par Jacques Deray, avance.
00:40:13 Il lui manque toutefois une partenaire.
00:40:16 -On avait pensé à Delphine Seric, à Monica Vitti,
00:40:20 à certaines comédiennes très connues à cette époque-là,
00:40:24 mais qui toutes hésitaient à se mettre pendant tout un film à maillot de bain.
00:40:29 -Il suggère un nom au producteur.
00:40:32 Cela fait 5 ans qu'il a quitté Romy sans la perdre de vue.
00:40:36 Elle vit à présent à Berlin avec son mari, Harry Meyenne.
00:40:40 Et elle ne tourne presque plus.
00:40:43 -Il sait qu'à Romy va mal, il sait qu'elle a besoin de quelque chose,
00:40:48 et il pense à un cadeau à lui faire.
00:40:51 -Il avait tellement envie de la remettre en piste, en sel,
00:40:55 mais surtout de payer une espèce de dette que personne ne lui demandait.
00:41:00 -Le producteur a dit "Romy Schneider, c'est une asbile, laissez-ci,
00:41:05 "vous avez une obligation."
00:41:07 -A l'époque, Alain Delon est au sommet de sa carrière.
00:41:11 Il sait que rien ne peut lui être opposé,
00:41:14 alors il insiste auprès du producteur.
00:41:17 -Alain lui dit "Je vais être clair, c'est Romy Schneider qui doit faire le rôle,
00:41:22 "c'est elle où je fais le film."
00:41:24 -Il impose Romy, il lui ouvre les portes du cinéma français.
00:41:28 -L'acteur obtient gain de cause.
00:41:31 Ce 12 août 1968, il l'accueille à sa descente d'avion
00:41:35 à l'aéroport de Nice.
00:41:37 -Je ne cacherai pas que je suis un peu ému,
00:41:42 parce que finalement, c'est à peu près jour pour jour,
00:41:46 après 10 ans qui sont découlés,
00:41:48 depuis la première fois que je suis venu l'accueillir sur un aéroport, en 1958.
00:41:53 -Ils sont fous de bonheur,
00:42:02 parce qu'ils ont fait ce qui a été le meilleur de leur vie.
00:42:06 -La première fois qu'ils se sont rencontrés.
00:42:09 -Le tournage de la piscine débute une semaine plus tard à Ramatuelle.
00:42:18 Et très vite, les doutes des producteurs s'estompent.
00:42:22 -Jacques m'a toujours raconté qu'au premier regard,
00:42:30 il était vraiment la compagne de Delon pour la piscine.
00:42:34 -Il y a quelques scènes de tendresse et d'amour entre eux
00:42:38 qu'on avait répétées, sur lesquelles on avait parlé,
00:42:42 par exemple, "personne ne gratte comme toi",
00:42:45 quand il lui gratte le dos, etc.
00:42:47 -Gratte-moi le dos.
00:42:50 -Il y a ce qui est quelque chose de très intime,
00:42:54 presque de secret, entre eux.
00:42:58 ...
00:43:07 -Ce qu'elle me racontait m'a toujours fait penser
00:43:10 qu'Alain était resté dans son coeur d'une manière très importante.
00:43:14 Elle ne l'avait pas du tout oublié.
00:43:16 Il y avait toujours quelque chose.
00:43:18 Elle avait toujours eu une émotion quand elle le voyait.
00:43:21 Probablement réprimée.
00:43:23 -Pousse la guêpe, là.
00:43:25 -Ah ! -Vas-y.
00:43:27 -Ca va, là ?
00:43:33 -Tu es encore là ? -Couche-toi, ça tourne.
00:43:38 -Alain Delon reste concentré sur son rôle
00:43:42 qui doit montrer de lui un visage plus sombre,
00:43:45 notamment dans une scène essentielle du film.
00:43:48 Une séquence au cours de laquelle son personnage
00:43:51 en vient à tuer un homme.
00:43:53 Son personnage en vient à tuer l'un de ses amis par jalousie.
00:43:57 -Delon est avant tout caractérisé
00:44:02 par une certaine impassibilité.
00:44:05 ...
00:44:10 Il peut être comme ça, ne pas bouger, tout à coup se lever
00:44:14 et faire quelque chose de très brutal,
00:44:17 comme certains fauves qui peuvent tout à coup
00:44:20 paraître endormis, paraître engourdis,
00:44:23 bondistes et sautent sur leurs proies.
00:44:25 ...
00:44:28 ...
00:44:31 ...
00:44:34 ...
00:44:37 ...
00:44:40 ...
00:44:43 ...
00:44:45 -Les séquences suivantes mettent en scène Alain Delon
00:44:48 face à un inspecteur qui vient l'interroger.
00:44:52 Et la réalité va rejoindre la fiction.
00:44:55 Le 3 octobre 1968,
00:44:58 deux policiers s'invitent sur le tournage.
00:45:01 -Ils ont dû interrompre le tournage au moins deux fois, je crois,
00:45:05 pour qu'Alain puisse aller répondre
00:45:08 à des questions de la police.
00:45:11 -C'est un fait divers survenu deux jours plus tôt
00:45:14 qui a tout déclenché.
00:45:19 -On découvre dans une décharge d'Eziveline, à Elancourt,
00:45:22 un cadavre enveloppé dans une enveloppe plastique.
00:45:26 On regarde qui c'est, on trouve son identité,
00:45:29 et il habite chez Alain Delon dans un hôtel particulier à Paris.
00:45:33 C'est son adresse, il a été son garde du corps, son homme à tout faire.
00:45:37 -Marcovitch était un ami de Delon. Il y avait un lien évident
00:45:41 et même de relative proximité entre Marcovitch et Delon.
00:45:45 -Justement,
00:45:48 les enquêteurs tombent sur une lettre écrite par Stéphane Marcovitch
00:45:51 quelques jours avant sa mort.
00:45:53 Il y porte des accusations graves contre Alain Delon
00:45:56 et l'un de ses amis, François Marcantoni.
00:45:59 -Il dénonçait, comme peut-être s'il disparaissait,
00:46:04 eh bien, un voyou qui était très connu dans le milieu,
00:46:09 qui était ami de Delon.
00:46:11 -À cela s'ajoute un éventuel mobile du crime.
00:46:16 Un mobile lié à l'ex-épouse d'Alain Delon.
00:46:18 -On accusait sa femme, Nathalie,
00:46:23 d'avoir eu des rapports avec Stéphane Marcovitch.
00:46:27 Et alors Delon l'aurait fait abattre à cause de ça.
00:46:31 -La succession de rumeurs et la personnalité de l'acteur
00:46:36 attisent la curiosité médiatique. La pression ne retombe pas.
00:46:44 Le 23 janvier 1969,
00:46:45 il est entendu par la police pendant 35 heures.
00:46:49 A l'issue de cette audition,
00:46:51 il choisit de faire une déclaration à la télévision.
00:46:55 -Mon audition a porté essentiellement sur les points suivants.
00:47:01 Reconstitution détaillée de ma vie au 22 de l'avenue de Messines
00:47:05 et de l'ambiance familiale.
00:47:07 Rappel détaillé de mon amitié avec Stéphane
00:47:11 et explication des raisons pour lesquelles,
00:47:13 en dépit de ses indélicatesses, j'avais continué à l'aider.
00:47:17 Pour beaucoup de gens, si l'énigme reste sans solution,
00:47:21 je demeure celui dont parlent les lettres de Stéphane
00:47:25 sans que l'on cherche à distinguer plus exactement
00:47:28 la portée des allégations qu'elles contiennent.
00:47:31 -Une déclaration qui touche l'opinion,
00:47:34 mais qui ne freine pas la machine judiciaire.
00:47:38 Le scénario se répète à l'identique.
00:47:40 -Alain ? -Oui ?
00:47:42 -Alors, d'abord, est-ce qu'on peut préciser tout de suite
00:47:45 que cette nouvelle audition n'est pas une surprise ?
00:47:48 -Je ne crois pas, non. -Il paraît que cela sera très long.
00:47:51 -Je ne sais pas. -C'est dépendu.
00:47:53 -M. le juge Bâtard a l'intention de vous poser beaucoup de questions.
00:47:57 -Eh ben, je lui répondrai.
00:47:59 -Alain a une grande dignité.
00:48:01 Il traverse tout, la tête haute.
00:48:05 Donc il a traversé ça comme un orage de plus,
00:48:08 en attendant qu'il arrive au bout.
00:48:11 -Dans quel état d'esprit venez-vous à cette audition ?
00:48:14 -Ni nerveux, ni crispé, ni fatigué,
00:48:16 comme la presse a l'habitude de l'annoncer.
00:48:19 -Il vous plaît.
00:48:21 -C'est atroce d'être accusé de tout ça. C'est horrible.
00:48:25 Mais quand on sait soi-même qu'on est innocent,
00:48:29 on prend sa distance.
00:48:33 -Au plus près de lui, dans cette épreuve,
00:48:35 il y a une femme,
00:48:37 une comédienne rencontrée peu de temps auparavant.
00:48:40 Mireille Dark partage désormais sa vie.
00:48:43 -Il y a Mireille, qui est très, très, très forte,
00:48:48 très rassurante,
00:48:50 très calme, très zen, très costaud.
00:48:53 -Elle lui a adouci sa vie, elle lui a organisé sa vie.
00:48:56 Mireille m'a dit un jour, "Je vis 23h30."
00:49:01 Pour Alain, par jour, et une demi-heure pour moi.
00:49:04 -C'est parce que Mireille Dark va être à ses côtés,
00:49:12 d'une patience et d'un dévouement absolus,
00:49:15 que Delon va s'attacher fortement
00:49:17 à ce qui, au départ, n'était peut-être qu'un coup de coeur.
00:49:20 -Quand un homme est attaqué,
00:49:22 il faut qu'il ait à côté de lui une femme forte et aimante.
00:49:25 -Et le couple Delon-Dark
00:49:29 saura résister à tout cela.
00:49:30 Six mois ont passé depuis le déclenchement de l'affaire.
00:49:34 Les insinuations et les soupçons n'ont pas cessé.
00:49:38 Pour tenter d'y mettre fin,
00:49:40 Alain Delon accepte de recevoir en exclusivité un journaliste
00:49:43 qu'il a déjà interviewé pour "Le Nouvel Observateur".
00:49:46 Il est cette fois mandaté par une chaîne britannique, la BBC.
00:49:50 -On a commencé à parler,
00:49:56 mais Delon a été absolument odieux.
00:49:58 Il le prenait de très haut,
00:50:00 les journalistes, la politique, moi, etc.
00:50:04 Il n'y avait pas un seul fait concret.
00:50:06 Je lui ai dit "Ecoutez, ça va comme ça,
00:50:08 vous êtes en train de me faire un numéro qui n'a ni qu'une tête.
00:50:12 On ne peut pas continuer."
00:50:14 -L'acteur accepte finalement le principe de l'interview.
00:50:17 Aucune question ne sera éludée.
00:50:20 Va-t-il trouver les mots
00:50:22 pour convaincre le public de son innocence ?
00:50:25 L'entretien est enregistré en anglais
00:50:27 à son domicile de la rue François 1er, à Paris.
00:50:30 -Pour l'interview, le réalisateur m'avait dit
00:50:33 qu'on pourrait peut-être faire ça en mouvement.
00:50:36 "On va jouer au billard, alors."
00:50:38 ...
00:51:04 -Dans le contrôle de lui-même,
00:51:06 ça me paraît évident.
00:51:10 Dans n'importe quelle circonstance,
00:51:13 il saurait se mettre en scène.
00:51:17 ...
00:51:38 -Bien sûr qu'Alain serait capable de tuer un homme.
00:51:41 Bien sûr qu'il l'a fait quand il était à la guerre.
00:51:44 Il ne pouvait pas répondre "Oui, je suis capable",
00:51:47 sans rapporter au contexte de l'affaire Markovitch.
00:51:50 ...
00:51:56 -Est-ce que dans l'affaire Markovitch,
00:51:58 il a fait semblant ? Je ne sais pas.
00:52:00 Je ne sais pas du tout.
00:52:02 Il me laisse très perplexe.
00:52:04 Il y a une partie de cet homme...
00:52:07 ...
00:52:09 qui est cachée,
00:52:11 alors qu'il fait semblant de ne pas être dissimulé du tout.
00:52:15 ...
00:52:40 ...
00:52:45 -Sept années d'enquête n'auront pas élucidé
00:52:48 le meurtre de Stéphane Markovitch.
00:52:50 En 1975, François Marc-Anthony,
00:52:53 seul inculpé dans cette affaire de complicité d'assassinat,
00:52:56 obtiendra un non-lieu.
00:52:58 Alain Delon sera lui aussi totalement blanchi.
00:53:02 -Moi, j'ai tendance à dire que Alain Delon
00:53:05 n'a pas versé de grosses larmes sur la disparition de son factotum.
00:53:09 Mais je ne pense pas qu'il ait donné des instructions.
00:53:14 Par contre, est-ce que son ami François
00:53:17 ait anticipé,
00:53:19 voilà, en disant, ce "you go", comme il parlait, etc.,
00:53:24 "il embête mon ami",
00:53:26 donc Delon,
00:53:29 hors de cause ?
00:53:31 ...
00:53:34 -L'affaire Markovitch reste à tout jamais un mystère non élucidé
00:53:38 dont les rebondissements ont mis l'acteur à rude épreuve
00:53:41 pendant plusieurs années.
00:53:43 Alain Delon en sort innocent, mais blessé.
00:53:45 Cette histoire a touché en lui quelque chose de profond.
00:53:48 Ses rôles au cinéma s'en ressentent.
00:53:50 Il creuse de plus en plus cette veine noire,
00:53:52 celle du polard, des flics et des voyous.
00:53:54 Un metteur en scène est à l'origine de tout cela.
00:53:57 L'acteur a trouvé en lui un nouveau maître.
00:54:00 -Le tir rapide de VI a aucune règle du tir classique.
00:54:03 ...
00:54:05 Il faut pas quitter la cible des yeux.
00:54:08 Négligez totalement la visée.
00:54:10 ...
00:54:12 Premier geste essentiel, le chasser de la veste.
00:54:15 -Au début de l'année 1972,
00:54:18 ...
00:54:20 Alain Delon tourne son 3e film sous la direction de Jean-Pierre Melville.
00:54:24 -Si y a quelqu'un qui a véritablement dirigé au millimètre Alain,
00:54:28 c'est Melville.
00:54:30 ...
00:54:35 -Melville souhaitait, amoureux et maniaque total qu'il était du détail,
00:54:39 pouvoir donner toutes les indications à son personnage.
00:54:43 Mais Delon les acceptait totalement.
00:54:46 -Car l'acteur mesure combien ce réalisateur
00:54:49 est en train de lui façonner une nouvelle apparence,
00:54:52 plus mystérieuse, plus trouble.
00:54:55 ...
00:54:58 -Melville va lui construire,
00:55:00 avec cette image de solitaire, de dur à cuir,
00:55:04 le mythe Alain Delon.
00:55:05 -Il a habillé comme on habillait les marginaux, les rebelles,
00:55:09 les déclassés.
00:55:11 Et il en a fait son héros.
00:55:13 ...
00:55:18 Vous avez affaire à deux hommes qui, au fond, aiment la même chose,
00:55:22 la nuit, l'inattendu, la violence.
00:55:25 -Ils ont la même fascination pour le milieu,
00:55:28 parce que les personnages du milieu sont des personnages extrêmes,
00:55:33 mais il y a aussi le code de l'honneur et la fascination de la mort.
00:55:36 -Simon.
00:55:38 Bouge pas, Simon.
00:55:43 ...
00:55:50 Bouge pas, Simon.
00:55:52 ...
00:55:59 Pas d'armes.
00:56:02 ...
00:56:20 -Je ne crois pas que t'as tiré un peu trop vite.
00:56:23 -T'es pas sûr qu'il se suiciderait ? -Lui.
00:56:29 ...
00:56:33 -Delon et Melville se sont trouvés immédiatement,
00:56:37 comme s'ils s'étaient flairés.
00:56:39 -C'est une relation père-fils, là, encore.
00:56:42 -Cette relation presque filiale n'empêche pas les tensions sur le plateau.
00:56:48 Au fil des jours de tournage, elles sont de plus en plus nombreuses.
00:56:53 Le réalisateur tente de contraindre le fauve,
00:56:58 peine perdue, le comédien ne tente pas à griffer.
00:57:00 -Delon est dans sa loge et dit "Mais moi, je devais tourner.
00:57:06 "Dès le début, je dois partir et je vais être en retard si je ne tourne pas.
00:57:10 "Demandez à Melville qu'on puisse tourner."
00:57:13 Et Melville s'obstine et dit "Je termine.
00:57:16 "Monsieur Delon attendra et on fera son plan après."
00:57:20 -C'est grotesque, c'est ridicule, c'est enfantin, c'est infantile.
00:57:24 Mais ce sont des enfants.
00:57:27 Ce jour-là, ils se sont butés tous les deux
00:57:30 et, à vrai dire, ils se sont fâchés.
00:57:33 -Alain Delon est depuis toujours un animal sauvage
00:57:37 qui a besoin de se sentir libre.
00:57:39 En quittant le plateau à la fin du tournage,
00:57:43 il rompt à une collaboration qui lui a offert quelques-uns de ses plus grands rôles,
00:57:47 avec "Le Samouraï" et "Le Cercle Rouge".
00:57:50 Dix mois plus tard, Jean-Pierre Melville vit mal
00:57:55 l'échec relatif du film "Un flic"
00:57:56 et cette brouille qui dure avec Alain Delon.
00:57:59 Philippe Labreau, son ami journaliste,
00:58:02 tente de lui changer les idées le temps d'un dîner.
00:58:05 -On discute de tout.
00:58:07 On aimait se chiner, comme on dit, on aimait rigoler ensemble,
00:58:12 faire les imbéciles.
00:58:14 Moi, je ne sais plus quelles bêtises je profère.
00:58:17 Et Jean-Pierre se met à rire.
00:58:23 Et puis le problème, c'est que ce rire devient un râle.
00:58:25 Et je m'aperçois qu'il est en train d'avoir, je sais pas moi, une attaque.
00:58:30 Ça m'y arrive et on l'emmène très très vite sur un brancard à l'hôpital.
00:58:39 Seuls quelques rares intimes sont prévenues
00:58:42 de l'accident vasculaire cérébral que le réalisateur vient de subir.
00:58:46 Parmi eux, Alain Delon, bien sûr.
00:58:51 -Alain Delon décide de prendre son hélicoptère le soir
00:58:53 et de revenir sur Paris tout de suite pour voir Jean-Pierre.
00:58:56 C'est un peu comme deux frères qui ont été fâchés,
00:58:59 qui ont besoin de se voir.
00:59:01 Il ne peut pas traverser la France en hélicoptère,
00:59:09 il y a des orages partout, c'est trop dangereux.
00:59:12 Donc il garde son chauffeur, la voiture qu'il a amenée à l'air d'embarquement,
00:59:17 et il traverse toute la France pendant la nuit.
00:59:21 -Dès son arrivée à Paris,
00:59:23 l'acteur débarque au domicile du réalisateur
00:59:26 où il est accueilli par son neveu.
00:59:29 -Je vois arriver Delon, que je n'attendais absolument pas,
00:59:33 et il me dit "Comment va-t-il ?"
00:59:35 Et à ce moment-là, je lui dis "Il est mort".
00:59:38 Delon s'effondre, je me souviendrai toujours de cette image.
00:59:49 Il tombe en bas des escaliers.
00:59:51 Et même pendant un certain moment,
00:59:53 il y a des gens qui arrivaient, des gens très proches,
00:59:56 qui enjambaient presque de l'ombre, qui restaient là, complètement prostrés.
01:00:00 -Ca a été terrible pour Alain
01:00:05 parce qu'il était complètement fou d'apprendre cette nouvelle.
01:00:11 Il en a, je pense, beaucoup souffert.
01:00:15 Musique douce
01:00:18 ...
01:00:31 -Trois semaines plus tard,
01:00:33 Alain Delon accorde un entretien à la télévision.
01:00:36 Il revient sur sa carrière
01:00:39 et forcément, une question lui est posée
01:00:42 sur la disparition de Jean-Pierre Melville.
01:00:45 -Je crois que plus qu'une rencontre entre Jean-Pierre et moi,
01:00:54 à ce stade, il s'agit pratiquement d'une communion, d'un mariage
01:00:58 entre le metteur en scène, l'auteur, et l'acteur, l'interprète Delon.
01:01:03 Après, à la vue de ces trois films que nous avons faits ensemble,
01:01:08 je crois qu'il s'est produit une espèce d'effet de saturation
01:01:12 entre Jean-Pierre et moi, que tout a été dit sur Melville Delon.
01:01:16 Tout a été transmis aux spectateurs.
01:01:18 Maintenant, pour l'un comme pour l'autre, il est bon de prendre un recul.
01:01:22 C'est une période d'écoulement passé, pour lui comme pour moi.
01:01:26 -Il évoque au présent et ensuite au futur son travail avec Melville.
01:01:31 C'est un déni, mais c'est un déni, disons, pas négatif,
01:01:35 c'est un déni fort, affirmatif. Il est là.
01:01:38 -Il a besoin, de son côté, de travailler avec d'autres acteurs,
01:01:42 de faire sa création, et moi-même, d'aller travailler ailleurs.
01:01:46 Je crois que dans quelques temps, dans quelques mois,
01:01:50 à ce moment-là, j'espère, et je pense que nous nous retrouverons,
01:01:54 que nous aurons encore beaucoup de choses à faire pour le spectateur.
01:01:58 -C'est fou de penser combien...
01:02:10 Il repousse la mort de Melville. Il veut pas l'admettre.
01:02:13 On a l'impression qu'il la rencontrera huit jours plus tard,
01:02:17 et en tous les cas, qu'il prendra rendez-vous après s'être éloigné l'un de l'autre
01:02:21 pour refaire à nouveau un film ensemble.
01:02:24 -C'est comme s'il voulait que cette interview ait lieu trois semaines avant sa mort,
01:02:29 que Jean-Pierre Melville ait pu l'entendre.
01:02:32 C'est conjurer l'inéluctable.
01:02:34 -C'est une nouvelle fois cette appréhension d'une réalité trop douloureuse
01:02:39 qui le pousse à refuser, quelques mois plus tard,
01:02:42 un film de Lucchino Visconti.
01:02:44 -Je ne veux pas voir Visconti obligé de diriger sur une chaise roulante.
01:02:52 C'est quelque chose que je ne peux pas accepter.
01:02:56 Il ne supporte pas de voir celui qui a été un père, un modèle,
01:03:05 il ne supporte pas de le voir diminuer.
01:03:09 -Deux ans après Jean-Pierre Melville,
01:03:12 Visconti s'éteint à son tour, le 17 mars 1976.
01:03:17 Avec la disparition de celui qui l'avait fait naître au cinéma,
01:03:23 c'est une page de plus qui se tourne.
01:03:26 -Il disait souvent "Dieu qu'il me manque, Dieu qu'il me manque,
01:03:32 tous ceux qui m'ont construit, qui m'ont porté".
01:03:35 Et moi j'ajoute "qui ont fabriqué sa légende".
01:03:39 -Il pense, non pas que le cinéma est fini,
01:03:43 mais que le cinéma est fini pour lui.
01:03:45 C'est-à-dire qu'il est un peu comme un orphelin
01:03:49 qui ne sait plus très bien à quelle branche se raccrocher.
01:03:52 -L'acteur ne met pas fin à sa carrière.
01:03:55 Il continue d'accepter des rôles, mais sans réelle conviction.
01:03:59 Il n'a plus envie de se laisser guider par un metteur en scène.
01:04:05 Musique douce
01:04:08 -Il était là, de ce métier d'acteur.
01:04:12 Il ne s'accomplissait plus.
01:04:14 Je crois qu'il avait besoin de réaliser.
01:04:17 -Se diriger lui-même, avoir la totale maîtrise d'une oeuvre,
01:04:22 voilà peut-être la clé pour retrouver un intérêt au cinéma.
01:04:26 En 1980, Alain Delon franchit le pas.
01:04:29 Et il va multiplier les risques.
01:04:31 Il devient la fois producteur, réalisateur et acteur du film
01:04:35 pour la peau d'un flic.
01:04:37 -Si c'est réussi, ce sera grâce à moi.
01:04:39 Si c'est raté, ce sera de ma faute.
01:04:41 -Il connaissait tous les angles de caméra, plus le texte et le reste.
01:04:45 -Il passait d'un rôle à l'autre.
01:04:48 D'abord, le metteur en scène qui précisait à ses troupes
01:04:51 ce qu'il désirait et ce qu'il voulait avoir comme résultat sur l'écran.
01:04:55 Et après, il passait au comédien, se concentré.
01:04:58 C'est le comédien qui parlait.
01:05:01 Musique douce
01:05:03 ...
01:05:06 -Il avait une espèce de regard universel et circulaire de tout.
01:05:10 Y compris si, pendant un plan ou quelque chose,
01:05:13 il se passait quelque chose juste derrière lui.
01:05:16 On aurait dit qu'il avait un rétroviseur dans l'oreille.
01:05:19 -Ce souci du détail est filmé dans la salle qui doit accueillir
01:05:23 l'avant-première du film.
01:05:25 Là aussi, Alain Delon dirige les opérations.
01:05:28 -Au-delà de la gauche de l'écran, tout est flou et net à droite.
01:05:32 Mettez pas votre main, vous êtes filmé.
01:05:35 Non, mais vous l'avez vu.
01:05:37 Y a aucune définition à gauche. Tout est net à droite.
01:05:40 Sur l'autre machine, y a une définition totale.
01:05:43 Y a vraiment un problème.
01:05:45 ...
01:05:47 Je reste là, je passe pas la projection.
01:05:50 -Delon, c'est pas forcément la soif du pouvoir,
01:05:53 mais c'est la soif, l'envie du contrôle des choses.
01:05:56 -Y a un problème au niveau du son. Le son est cotonneux.
01:06:00 Le son est cotonneux, le son est dégueulasse.
01:06:04 Vous le sentez, ça, quand même ?
01:06:06 Non ? Vous êtes à l'aise, vous ?
01:06:08 -Non, je suis à l'aise, je considère que vous êtes le patron.
01:06:12 -Ah non, pas du tout.
01:06:14 Je vous dis que le son est dégueulasse.
01:06:17 Il est cotonneux, il est pas...
01:06:19 ...
01:06:21 -Alain Delon a toujours eu la tentation d'être un démiurge,
01:06:25 qui contrôle tous les aspects d'un film.
01:06:28 Ce côté omniscient, Alain Delon présente Alain Delon
01:06:31 dans un film d'Alain Delon.
01:06:33 -OK. On va recommencer.
01:06:35 ...
01:06:41 -Le cinéaste sera-t-il à la hauteur de ses maîtres ?
01:06:44 Ce soir, devant toute la presse,
01:06:47 l'acteur va être jugé pour autre chose que son jeu.
01:06:51 Il a besoin de se sentir aimé.
01:06:53 Il a demandé aux femmes de sa vie de l'entourer.
01:06:56 ...
01:06:58 A sa droite, on retrouve Anne Pariot,
01:07:01 sa partenaire dans le film et sa compagne dans la vie.
01:07:05 A sa gauche, Mireille Dark,
01:07:08 avec qui il a vécu pendant 10 ans.
01:07:11 ...
01:07:13 -Alain quitte sans quitter.
01:07:15 La preuve, c'est lui qui a quitté Mireille.
01:07:18 C'est pas Mireille qui l'a quitté, mais il l'a jamais quitté.
01:07:22 Mireille l'accompagnera toute sa vie.
01:07:25 D'ailleurs, quand on évoque Alain, on pense à Mireille.
01:07:29 Quand on lui demande des nouvelles d'Alain,
01:07:32 c'est Bonnie and Clyde pour moi.
01:07:34 ...
01:07:36 -L'autre femme qui se tient à son bras ce soir-là,
01:07:39 c'est Romy Schneider.
01:07:41 Elle effectue sa première sortie médiatique
01:07:44 après un drame,
01:07:46 la mort accidentelle de son fils David,
01:07:49 survenue 2 mois plus tôt.
01:07:51 ...
01:07:54 -Romy ne l'a jamais abandonné, il ne l'a jamais laissé tomber.
01:07:58 Il a toujours été là, près d'elle, quand elle en avait besoin.
01:08:02 Elle en parlait beaucoup, d'ailleurs.
01:08:05 Il a cette fidélité de...
01:08:07 Quand il a aimé, je crois, une fois quelqu'un,
01:08:10 ces personnes restent toujours dans son coeur.
01:08:13 -Alain Delon est en passe de réussir son double pari.
01:08:17 Pour la peau d'un flic et salué par la critique,
01:08:21 il est publicité par 2 millions de spectateurs.
01:08:23 ...
01:08:28 7 mois plus tard, le 29 mai 1982,
01:08:32 Alain Delon est chez lui à Paris
01:08:35 et il n'arrive pas à trouver le sommeil.
01:08:38 -A 6h05, qui n'est pas une heure habituelle pour prendre des nouvelles,
01:08:42 le téléphone sonne et j'entends la voix d'Alain qui me dit
01:08:46 "J'ai un mauvais pressentiment. Qu'est-ce qui se passe ?"
01:08:50 ...
01:08:53 Je lui dis "Romy, Romy est partie."
01:08:56 -La comédienne a été retrouvée sans vie
01:08:59 au petit matin par son compagnon.
01:09:02 ...
01:09:05 Son décès serait lié à une prise excessive de médicaments et d'alcool.
01:09:10 -On pouvait pas sauver Romy.
01:09:13 Romy était la victime d'elle-même.
01:09:17 Personne pouvait la sauver.
01:09:20 On pouvait lui apporter de la chaleur,
01:09:23 on pouvait lui apporter de l'amour,
01:09:26 on pouvait lui apporter une présence, du réconfort.
01:09:30 -L'acteur se rend immédiatement à son domicile,
01:09:33 rue Barbès de Jouy, à Paris.
01:09:35 Au pied de l'immeuble, une foule est déjà massée.
01:09:39 -Avec Alain, on rentre,
01:09:41 il y avait des journalistes partout,
01:09:44 mais ils étaient très respectueux.
01:09:47 ...
01:09:54 -Elle est sur son lit, dans une robe un peu indienne,
01:09:58 une longue robe,
01:10:00 et Brialy, qui était à son chevet, enfin, qui était près d'elle,
01:10:04 va, s'éclipse,
01:10:06 et il laisse Delon en tête-à-tête avec elle.
01:10:11 ...
01:10:17 Dans cette chambre mortuaire,
01:10:20 elle avait l'air, j'ai envie de dire, sereine.
01:10:25 On y a passé pas mal d'heures.
01:10:28 Il rentrait, il sortait,
01:10:30 moi, je m'asseyais, je restais, j'étais là.
01:10:33 ...
01:10:37 Il était totalement retourné, décomposé et tout.
01:10:42 -Dans l'appartement, Alain Delon écrit une longue lettre
01:10:47 à celle qu'il a profondément aimée.
01:10:50 "Je te dis adieu,
01:10:53 "le plus long des adieux m'a pu peler.
01:10:56 "C'est comme ça que je t'appelais.
01:10:58 "Ca voulait dire petite poupée en allemand.
01:11:01 "Je ne regarde pas les fleurs, mais ton visage.
01:11:04 "Et je pense que tu es belle.
01:11:06 "Et que jamais, peut-être, tu n'as été aussi belle."
01:11:10 -Il manifestait son attachement, sa tristesse,
01:11:14 son... C'est une façon d'essayer de retenir
01:11:18 ce qui partait et qui ne reviendrait pas.
01:11:21 -"Je te regarde dormir. On me dit que tu es morte.
01:11:25 "Je pense à toi, à moi, à nous.
01:11:28 "De quoi suis-je coupable ?
01:11:31 "On se pose cette question devant un être que l'on a aimé
01:11:34 "et que l'on aime toujours."
01:11:36 -Alain Delon prend trois photos de Romy Schneider.
01:11:39 Et ces trois photos, il les garde...
01:11:42 Il les a toujours dans son portefeuille, avec lui.
01:11:46 -On est restés là longtemps,
01:11:56 et Alain a organisé complètement les obsèques de Romy.
01:12:00 Comme si l'histoire continuait.
01:12:03 C'était une façon de lui dire adieu.
01:12:06 -Le 2 juin 1982, Romy Schneider doit être enterré
01:12:10 en région parisienne, dans la commune de Boissy-sans-Avoir,
01:12:14 où est située sa maison de campagne.
01:12:17 Comme prévu, Alain Terzion passe chercher Alain Delon.
01:12:21 -Au moment de l'enterrement, devant la voiture
01:12:24 qu'il devait nous emmener, il m'a dit...
01:12:27 "Va-toi, j'irai demain."
01:12:30 Il voulait être tout seul avec Romy, et pas avec la foule.
01:12:34 Voilà.
01:12:35 -Il se cache, en fait.
01:12:37 Ce n'est pas quelqu'un qui aime exposer, vous voyez,
01:12:41 sa tristesse, ou à plus forte raison, sa souffrance,
01:12:45 qui a été réelle, parce qu'il est...
01:12:48 Une part de lui a toujours aimé Romy Schneider.
01:12:53 -Avec la disparition de Romy, c'est encore un pan entier
01:12:57 de son monde intime qui s'en va.
01:13:00 Sur le plan professionnel, Alain Delon doute son 2e film
01:13:04 en tant que réalisateur n'a pas remporté le succès escompté.
01:13:08 La presse se montre de plus en plus critique vis-à-vis d'un acteur
01:13:12 qui n'a peut-être pas saisi le tournant d'un nouveau cinéma.
01:13:16 De nouveaux visages apparaissent, des anti-héros,
01:13:19 parmi lesquels Gérard Depardieu ou les comédiens de "La Troupe du Splendide".
01:13:24 L'acteur a-t-il encore sa place ? Et bien, voici sa réponse.
01:13:28 -Vous savez, lorsqu'on arrive à un degré de carrière,
01:13:32 modestement comme moi, et je veux dire de professionnalisme
01:13:36 et de pratique, il y a quand même 70 films, 25 ans,
01:13:40 j'ai la prétention de connaître mon métier.
01:13:43 Donc il y a une espèce de stéréotype, de routine de l'on qui joue
01:13:47 comme ça, d'instinct, de telle ou telle façon.
01:13:50 9 fois sur 10, pour ne pas dire 99 fois sur 100,
01:13:53 c'est très bien, c'est parfait, ne changez rien.
01:13:56 Le directeur d'acteur, c'est celui qui demande le contraire de ce que de l'on donne.
01:14:01 -De l'on abuse peut-être du "moi, je" ou de la 3e personne du singulier.
01:14:06 Donc, ce de l'on, un peu caricatural, un peu à distance de son mythe,
01:14:11 commence à susciter l'ironie, non seulement des humoristes, mais des journalistes.
01:14:17 -Christine Ockrent n'a pas d'a priori, mais son état d'esprit va changer
01:14:20 quelques minutes avant de le recevoir sur le plateau du journal de 20h.
01:14:24 -Alain Delon m'avait promis l'exclusivité.
01:14:31 Donc, il était censé donner sa 1re interview au sujet de ce film
01:14:36 qui était coproduit par la chaîne.
01:14:39 Et je découvre, avant de descendre en plateau,
01:14:44 qu'il est sur une autre chaîne.
01:14:46 Et donc, ça, effectivement, j'ai pas trouvé ça très correct.
01:14:50 -Dès son lancement de l'interview, la journaliste ne va pas cacher son agacement.
01:14:55 -Parlons cinéma, maintenant, avec la sortie du dernier film
01:15:01 de Bertrand Billiet, "Notre histoire".
01:15:04 Un film dont vous êtes la vedette, Alain Delon,
01:15:07 un film qui n'a pas été sélectionné pour le Festival de Cannes
01:15:12 et qui a gardé curieusement le secret,
01:15:14 puisque nous n'avons même pas un extrait pour mettre les téléspectateurs en appétit.
01:15:18 Alors, c'est votre nouvelle tactique pour promouvoir votre talent
01:15:22 à un moment où certains vous disent un peu en perte de vitesse ?
01:15:26 -Ah, ben, c'est gentil. Je pourrais déjà vous répondre
01:15:29 que mon talent n'est pas concerné là-dedans,
01:15:32 que le film est visible depuis 14h dans toutes les salles
01:15:35 et que les téléspectateurs peuvent devenir simplement spectateurs de cinéma
01:15:40 et de télévision. L'idée, c'est qu'on avait un accord,
01:15:42 il n'est pas respecté, je vais le taquiner un peu.
01:15:45 -Votre rôle est plutôt celui d'un perdant, d'un alcoolique un peu paumé ?
01:15:49 -Non, ce n'est pas le rôle d'un perdant, c'est le rôle d'un amoureux.
01:15:53 Si vous considérez les amoureux comme des perdants, c'est votre droit.
01:15:57 -Pas du tout. -C'est le rôle d'un homme épris d'une femme.
01:16:00 -La brochure que vous avez eu la gentillesse de m'envoyer...
01:16:03 -Oui, façon et façon de lire les brochures, Christine.
01:16:07 C'était d'ailleurs son personnage et c'est ce qui en faisait l'attrait.
01:16:11 -C'est aussi un film très drôle, comme dans beaucoup d'histoires d'amour,
01:16:14 il y a aussi des moments d'humour.
01:16:16 -Alors, à 49 ans et au sommet d'une formidable carrière...
01:16:20 -Eh bien voilà, c'est plus aimable.
01:16:22 -Vous semblez blessé, inquiet.
01:16:24 Votre propriété, qu'on a vue photographier récemment par Images,
01:16:28 ressemble véritablement à un camp au tranché libanais.
01:16:31 Alors, c'est une impression... -Non, il ne faut pas mélanger,
01:16:35 il faut pas confondre, écoutez, laisser les choses sérieuses.
01:16:37 Le Liban là où il est, Alain Delon à sa place, c'est tout à fait différent.
01:16:40 -Il y a quand même l'Ukrainie, les fusils...
01:16:42 -Mais pas du tout, vous savez, on vit dans un monde assez particulier,
01:16:46 un monde fou, un monde dangereux, où on est à l'abri d'aucune atteinte
01:16:51 à sa vie personnelle ou à sa vie privée ou à sa vie affective
01:16:54 et je crois que c'est simplement des mesures de prudence
01:16:57 que, comme certains hommes d'État ou hommes politiques s'entourent.
01:17:03 -Il y avait tout un contexte autour du personnage public qu'il affichait,
01:17:07 il y avait un côté dur de dur, des fumées, d'extrême droite,
01:17:13 enfin tout ce... Voilà, il y avait un contexte que je trouvais
01:17:16 personnellement pas très sympathique.
01:17:18 -Une dernière question, vous semblez, vous aussi à votre tour,
01:17:21 agité par la politique, alors c'est la droite ou l'extrême droite ?
01:17:24 -Ecoutez, je ne pensais pas être venu là pour parler politique
01:17:28 et on ne peut pas, je veux dire, en si peu de temps,
01:17:30 parler de la droite ou de l'extrême droite.
01:17:32 Tout le monde le sait, j'ai toujours été un homme de droite,
01:17:34 je n'ai jamais renié mes origines et je n'ai jamais renié mes sentiments.
01:17:39 Alors que de la droite, je verse un peu à l'extrême droite,
01:17:42 je veux dire, c'est toujours la droite, soyons clairs.
01:17:45 -Cette allusion à l'extrême droite fait écho aux propos tenus
01:17:49 dans une interview à la presse écrite.
01:17:51 Alain Delon y affichait son soutien à Jean-Marie Le Pen
01:17:55 avec qui il entretient une relation d'amitié.
01:17:59 La sincérité de l'acteur et ce parfum de scandale qui l'entoure
01:18:03 incitent un présentateur de télévision à aller encore plus loin.
01:18:07 Il lui propose d'inaugurer une toute nouvelle émission.
01:18:11 -Je lui ai posé la question, avec tout le respect et la peur également,
01:18:21 parce que j'étais sûr qu'il allait me dire non,
01:18:23 "Est-ce que vous seriez d'accord pour faire la première émission
01:18:26 d'une émission qui s'appellerait "Le jeu de la vérité" ?"
01:18:28 -L'idée du "Jeu de la vérité", c'est simplement,
01:18:31 pendant une heure et demie, avoir une personnalité en direct
01:18:35 auxquelles on a le droit de poser toutes les questions qu'on a envie de poser.
01:18:38 -Et il me dit, "C'est OK."
01:18:40 A partir de là, on ne s'est plus jamais rappelés.
01:18:45 J'ai eu très peur, parce que je me suis dit,
01:18:47 jamais il va tenir sa parole, ou alors il va changer d'avis
01:18:50 ou il n'aura plus le temps.
01:18:51 -Va-t-il réellement jouer le jeu de la vérité face au téléspectateur
01:18:55 tout en mesurant le risque de ce dispositif ?
01:18:58 Alain Delon y voit une occasion unique d'éteindre plusieurs sujets polémiques.
01:19:03 Nous sommes à quelques minutes de la prise d'antenne.
01:19:07 -On se retrouve à partir de 20h15.
01:19:11 Delon a demandé à ce que tout le monde s'en aille.
01:19:15 On se retrouve derrière le rideau.
01:19:17 Et à un moment donné, Alain me prend comme ça par le cou,
01:19:21 il met sa main derrière mon cou.
01:19:27 Et il me dit, "On ne peut pas rater."
01:19:30 Et ça me glace.
01:19:33 "On ne peut pas rater quoi ?"
01:19:35 "Oui, mais bien sûr."
01:19:36 Je lui fais, "Mais on ne va pas rater."
01:19:39 Et j'ajoute, "Ça dépend de vous."
01:19:42 -Cette star, je vous demande de l'accueillir avec ferveur.
01:19:47 Voici monsieur Alain Delon.
01:19:48 (Applaudissements)
01:20:09 -J'aurais pu lui demander à monsieur Alain Delon
01:20:11 ce qu'il pensait du climat politique actuel
01:20:14 et de la traduction...
01:20:16 Est-ce que vous pouvez, si vous voulez...
01:20:18 Pardonnez-moi, est-ce que vous voulez resserrer votre question ?
01:20:20 Est-ce que vous voulez...
01:20:21 Ou alors, permettez-moi de le faire.
01:20:22 Quelle est votre position politique ?
01:20:24 Ça va nous permettre de parler de Le Pen.
01:20:26 -J'ai effectivement sympathisé
01:20:29 et été un sympathisant de monsieur Le Pen.
01:20:31 Je ne le renie pas, je le dis.
01:20:33 Je ne suis pas un militant pour autant de l'extrême droite,
01:20:37 je ne suis pas affilié au Front National,
01:20:40 mais j'ai fait certaines déclarations
01:20:42 par voie de presse ou par voie de télévision
01:20:44 qui tendaient à laisser croire
01:20:46 ou peut-être du fait de ma personnalité
01:20:48 aider un petit peu monsieur Le Pen
01:20:50 ou provoquer certaines réactions
01:20:53 dans, disons, la masse de vote française.
01:20:56 -Il avait quand même une fascination
01:20:59 pour les personnages durs, autoritaires.
01:21:02 Alors, il a été intéressé par De Gaulle
01:21:04 et puis, quelques années après,
01:21:06 tout d'un coup, il s'est mis à avoir beaucoup de sympathie
01:21:08 pour Jean-Marie Le Pen.
01:21:11 -Je connais Jean-Marie Le Pen depuis très longtemps.
01:21:13 C'est un breton,
01:21:15 avec tout ce que ça peut signifier.
01:21:17 C'est un vrai Français.
01:21:19 Et je crois que Jean-Marie Le Pen a l'avantage,
01:21:21 le tort ou raison, je ne sais pas,
01:21:23 c'est pas à moi de le décider,
01:21:25 de dire tout haut ce que beaucoup de gens en France
01:21:27 pensent tout bas.
01:21:29 -Ca a été très, très mal reçu.
01:21:31 C'est certain, à cette époque-là,
01:21:33 où Jean-Marie Le Pen était une sorte de diable
01:21:35 et ne va surtout pas se rétracter.
01:21:37 C'est pas du tout les sentiments de Delon
01:21:39 et c'est pas la méthode d'opérette Delon.
01:21:41 -Une autre question. Alain Delon vous écoute. Bonsoir.
01:21:44 -Alain Delon s'était préparé à cette question
01:21:46 sur ses opinions politiques.
01:21:48 Au cours de l'émission,
01:21:50 il est également confronté à une question
01:21:52 plus déstabilisante, car plus intime.
01:21:55 -J'ai lu récemment dans un hebdomadaire
01:21:57 que vous avez intenté un procès contre votre fils.
01:22:01 Comment un père peut-il poursuivre en justice son fils ?
01:22:06 Et pourquoi ne recherchez-vous pas
01:22:08 une conciliation avec votre fils, Antonie ?
01:22:13 -Ça m'a été très surpris.
01:22:15 Je sais pas comment il va gérer ça.
01:22:17 -Ça s'appelle le jeu de la vérité.
01:22:21 -Antonie avait lancé une marque de blousons de cuir
01:22:29 et c'était marqué "AD".
01:22:32 "AD", c'est Antonie Delon,
01:22:34 mais c'est aussi Alain Delon.
01:22:36 -La marque de Delon, de tout ce qu'il faisait, c'était "AD".
01:22:39 Donc il voulait pas que son fils s'en serve.
01:22:41 -Écoutez, tout de suite, madame,
01:22:43 je crois, sur le plan pratique, avoir répondu à ces questions
01:22:47 malgré moi, dans un très grand magazine français,
01:22:50 pour ne pas dire le premier.
01:22:52 Donc, si vous le voulez bien, j'éleverai le débat
01:22:55 pour ne pas parler de ce qui n'existe pas d'ailleurs,
01:22:58 ce genre de procès ou de blousons ou de parfums.
01:23:01 J'essaierai de lever le débat un peu plus sur un plan humain.
01:23:05 Je crois que mon fils est malheureux
01:23:08 parce que lui aussi, il a vécu une vie comme beaucoup,
01:23:11 il n'est pas le seul, de parents divorcés qui se sont séparés.
01:23:14 Il a été, comme je l'ai été, balotté de droite et de gauche.
01:23:18 Il a peut-être pas eu toute l'affection qu'il lui manquait,
01:23:22 qui lui était nécessaire.
01:23:24 J'ai peut-être été, moi, de mon côté,
01:23:26 trop dur ou trop rigoriste avec lui.
01:23:28 Je voulais lui donner une formation plus dure
01:23:31 et plus importante que la mienne.
01:23:33 Je voulais lui apprendre ce qu'était un homme
01:23:36 pour se lancer dans la vie.
01:23:38 Derrière ce procès qu'il a finalement gagné,
01:23:41 se cachent 20 années d'une histoire mouvementée
01:23:44 entre un père et un fils qui ne se parle plus.
01:23:47 Anthony a choisi de vivre aux Etats-Unis avec sa mère,
01:23:50 loin de l'éducation stricte choisie par son père.
01:23:53 Pour entrer dans sa famille très intime,
01:24:00 il faut que ses proches soient adoptés,
01:24:03 d'une certaine façon, par ses chiens.
01:24:05 Il y a des scènes assez surréalistes
01:24:07 où il va mettre dans la cage aux fauves, presque,
01:24:10 son fils, bien entendu, le surveille,
01:24:12 mais son fils, ce qui peut représenter
01:24:14 un traumatisme, une épreuve particulière.
01:24:16 Je sais pas s'il avait une vraie fibre paternelle.
01:24:19 Je pense pas.
01:24:21 Il était trop dans son monde à lui.
01:24:25 Ça veut pas dire qu'il aimait pas Anthony.
01:24:27 Il aimait beaucoup Anthony, mais...
01:24:33 Puis Anthony, il a voulu se proposer.
01:24:35 Anthony, il a toujours essayé
01:24:37 de casser un peu les...
01:24:39 la filiation.
01:24:41 Anthony, pour capter l'attention et l'amour de son père,
01:24:45 va faire quelques débordements,
01:24:48 va être interpellé par la police, va...
01:24:50 Il voudrait que son père le reconnaisse
01:24:53 à la mesure de cette admiration invraisemblable et secrète
01:24:57 qu'on ne veut pas montrer quand on a 18, 20 ans.
01:25:00 Le dialogue impossible avec son fils
01:25:03 fait écho à la propre histoire de l'acteur.
01:25:05 Alors il va profiter des caméras
01:25:07 pour adresser un message à Anthony.
01:25:10 Je lui souhaite simplement, et je lui dis simplement ceci,
01:25:14 "Dépêche-toi de grandir,
01:25:17 "dépêche-toi de comprendre.
01:25:19 "Ton père sera toujours là lorsque tu en auras besoin,
01:25:21 "il sera toujours là pour te pardonner,
01:25:23 "mais surtout, n'attends pas son dernier soupir
01:25:26 "pour lui demander son pardon et comprendre
01:25:28 "parce que tu risquerais de le regretter toute ta vie
01:25:31 "et d'en souffrir tout le reste des jours."
01:25:33 À la fin, il y a des applaudissements,
01:25:41 non pas parce qu'on est pour Alain Delon,
01:25:43 on est pour Anthony Delon,
01:25:45 on est pour ce qui vient de se passer.
01:25:48 Et l'avenir, d'ailleurs, après l'émission,
01:25:54 c'est que je sais qu'ils se sont beaucoup parlé après,
01:25:57 beaucoup parlé après.
01:25:59 ♪ Piano ♪
01:26:04 -Le "Jeu de la vérité" est un immense succès
01:26:07 qui ne suffit pas toutefois à lui redonner la place
01:26:10 qu'il occupait il y a encore quelques années.
01:26:12 Alain Delon tourne moins
01:26:13 et ses choix cinématographiques ne font plus recette.
01:26:16 Il va profiter de cette vie, loin des plateaux,
01:26:19 pour construire une nouvelle famille, un nouveau clan.
01:26:21 Il a rencontré Rosalie, avec elle il redevient père,
01:26:24 d'une fille, tout d'abord Anoushka en 1990,
01:26:27 d'un second fils, Alain Fabien, quatre ans plus tard.
01:26:30 C'est alors que le passé va ressurgir.
01:26:32 Brigitte Aubert, son premier grand amour,
01:26:35 qu'il n'a pas revu depuis des années,
01:26:37 cherche à le joindre.
01:26:39 ♪ Piano ♪
01:26:46 -J'ai pris le téléphone d'Alain dans le carden monette
01:26:49 et puis j'ai téléphoné et je lui ai dit
01:26:53 "il faut que tu ailles voir ta mère,
01:26:55 elle est très malade".
01:26:58 -Cela fait 17 ans qu'Alain Delon n'a pas vu sa mère.
01:27:02 Il n'a pas supporté qu'elle adopte un petit garçon,
01:27:05 prénommé Harry, le fils qu'Alain Delon aurait eu avec Nico
01:27:09 et géri d'Andy Warhol dans les années 60.
01:27:12 -C'est la quasi-jumelle de Romy Schneider,
01:27:16 elles ont quelques semaines d'écart à peine.
01:27:19 Elle est allemande, elle a tourné avec Fellini
01:27:23 dans la Dolce Vita.
01:27:26 C'est la mère d'Alain Delon qui va recueillir
01:27:33 et élever ce petit garçon
01:27:36 qu'Alain Delon n'a jamais reconnu.
01:27:39 -Il disait qu'il n'était pas lui.
01:27:42 Embêtant.
01:27:45 ♪ Piano ♪
01:27:51 -Mounette le voyait très peu, elle était désespérée,
01:27:55 elle me disait "qu'est-ce que je pourrais faire,
01:27:58 il n'y a rien à faire, qu'est-ce que tu veux ?"
01:28:01 Elle a continué à l'émuler de la même façon,
01:28:07 en espérant toujours qu'il allait venir ou qu'il allait téléphoner.
01:28:11 -Et l'alerte sur l'état de santé critique de sa mère
01:28:15 va provoquer ce qu'elle attendait.
01:28:18 -Il est allé la voir, elle était dans sa maison,
01:28:21 elle était folle de quoi qu'il soit venu, évidemment.
01:28:24 17 ans, 17 ans.
01:28:27 C'est dur.
01:28:29 ♪ Piano ♪
01:28:33 -On ne saura rien de ce qu'ils se sont dit ce jour-là.
01:28:37 Le 30 juin 1995,
01:28:40 Edith Boulogne, Mounette, disparaît à l'âge de 84 ans.
01:28:45 -Vous savez quand on passe autour du cercueil
01:28:48 pour faire comme ça,
01:28:51 il s'est jeté sur le cercueil,
01:28:54 puis il a serré les pieds du cercueil dans ses bras.
01:28:58 Dans son cœur à lui, je pense que c'était une réconciliation,
01:29:02 il avait besoin de ça.
01:29:04 -Les années passent.
01:29:08 Sur le plan professionnel, l'acteur de 60 ans
01:29:12 peine à retrouver cette place perdue depuis longtemps,
01:29:15 la première, en haut de l'affiche.
01:29:17 -Il va enchaîner des projets parfois hasardeux,
01:29:20 des polars à l'ancienne, comme un crime,
01:29:23 comme "L'ours en peluche" avec Jacques Deray,
01:29:26 mais qui n'a plus la main.
01:29:28 Ce sont des échecs, des désastres.
01:29:30 -L'âge venant, il y a moins de propositions,
01:29:33 il y a moins d'inspiration.
01:29:35 On a moins d'idées pour Alain Delon,
01:29:38 il est destiné à être l'éternel Alain Delon,
01:29:41 et non pas un homme plus âgé.
01:29:43 -De moins en moins présents sur les plateaux de cinéma,
01:29:49 il est pourtant un amoureux du 7e art.
01:29:52 Dans sa maison de douchy,
01:29:54 chaque fin de semaine est marquée par un appel rituel.
01:29:58 -Allô, Jean-Pierre, j'ai une projection ce soir
01:30:01 à 8h30, 9h. Tu peux venir ?
01:30:03 Il fallait pas que je dise non,
01:30:05 parce que s'il me dit "tu peux venir", il fallait que je vienne.
01:30:09 Il avait plus d'une centaine de films.
01:30:16 Il y avait certains films à lui, mais pas autant que ça.
01:30:19 Le film fétiche, c'était surtout "Apocalypse Now".
01:30:22 -L'acteur s'installe alors dans sa grande salle de projection.
01:30:27 Seul ou entouré d'amis,
01:30:29 il devient le spectateur nostalgique de films cultes.
01:30:33 -Il y avait des vieux films aussi, mais des très grands films.
01:30:39 Il avait une adoration pour Gabin.
01:30:41 C'était... c'était un mec.
01:30:43 Un mec, comme il disait.
01:30:45 Il a toujours eu quelque chose entre lui et la pellicule.
01:30:48 Lui et le cinéma, on va dire.
01:30:50 -C'est dans cette période
01:30:52 qu'il reçoit une proposition originale et rassurante.
01:30:56 Un producteur veut reformer le duo culte
01:30:59 avec un acteur à qui on l'a souvent opposé.
01:31:02 -Ce qui lui a plu, avant toute chose,
01:31:05 c'était d'être à nouveau dans un film avec Balmondo.
01:31:09 Parce qu'ils sont très amis dans la vie,
01:31:13 ils se voient pas tous les jours, mais ils se perdent pas de vue.
01:31:17 -Les deux hommes ont débuté leur carrière au même moment.
01:31:21 Et en 1969, alors qu'ils étaient tous les deux des stars,
01:31:25 Delon a proposé à Balmondo de partager l'affiche.
01:31:29 Sur le tournage de Borsalino, Jean-François Delon,
01:31:33 assistant du réalisateur Jacques Deray,
01:31:36 a été témoin de leur complicité.
01:31:38 -On préparait une séquence
01:31:41 de soirées dans un café,
01:31:42 et puis Deray me dit,
01:31:44 "Bon, bah, maintenant, les comédiens,
01:31:47 "on est prêts, allez les chercher."
01:31:49 ...
01:31:54 Je vais dans le quartier du Vieux-Plagné, à Marseille,
01:31:58 je signe les rues, je dis, "Où ils sont ?"
01:32:01 Et puis j'entends une rumeur d'enfants,
01:32:04 de voix d'enfants, comme une cour de récréation.
01:32:08 ...
01:32:10 Je vois Delon et Belmondo en train de jouer au football
01:32:14 avec 10 gamins.
01:32:16 Je vais dans la cour de récréation,
01:32:18 et je leur dis, "Qu'est-ce qui se passe ?
01:32:21 "Ça fait une demi-heure qu'on vous attend."
01:32:24 "Ah bon, vous êtes prêts ?" me disent-ils.
01:32:27 ...
01:32:31 -Ah !
01:32:34 ...
01:32:37 -Sur le tournage de Borsalino, ils étaient amis et complices.
01:32:41 C'était magnifique, ce contraste de ce côté noir-corbeau
01:32:45 des cheveux de Delon avec ce regard bleu,
01:32:49 et puis Jean-Paul avec ses mèches, sa décontraction.
01:32:53 Quel couple !
01:32:55 Quel couple d'acteurs !
01:32:57 ...
01:33:00 -On a beaucoup dit
01:33:03 à quel point il y avait une rivalité entre eux deux
01:33:05 à l'époque de Borsalino.
01:33:07 C'est pour alimenter les gazettes. C'est n'importe quoi.
01:33:11 Ils étaient très amis, très copains.
01:33:15 ...
01:33:21 -Jean-Paul m'a dit, "Tant qu'il fera des films, j'en ferai un derrière."
01:33:26 "Il y en a un qui montait sur le ring, l'autre signe un autre film."
01:33:31 C'était un combat de boxeurs amusés, bienveillants
01:33:34 et en même temps taf.
01:33:36 -Voilà pour les souvenirs.
01:33:39 Depuis, les deux acteurs ont pris de l'âge et le cinéma a changé.
01:33:44 Le duo fonctionnera-t-il à nouveau
01:33:47 dans ce long métrage qui a pour titre "Une chance sur deux" ?
01:33:51 Des séances de lecture sont organisées avant le tournage.
01:33:56 -Belmondo, est-ce qu'il le faisait exprès ?
01:34:00 J'en sais rien, mais c'est tout juste qu'il suivait pas
01:34:03 avec le doigt les lignes.
01:34:05 Et Delon, lui, avait tellement envie de prouver
01:34:09 qu'il était formidable, il jouait déjà les scènes.
01:34:14 Il avait déjà appris la moitié du texte par coeur.
01:34:18 Il était déjà sur le tournage.
01:34:20 ...
01:34:28 -Je me suis dit...
01:34:29 Je suis en train de faire un film avec Pierrot le fou et le guépard.
01:34:33 Et ça m'enchantait.
01:34:35 ...
01:34:38 Ils s'observaient du coin de l'oeil.
01:34:41 Moi, j'observais du coin de l'oeil.
01:34:43 Et eux deux se disaient "nous voilà à nouveau ensemble après 25 ans".
01:34:47 ...
01:34:50 -On va peut-être arrêter là, non ?
01:34:53 Pas la peine qu'on se déglingue de partout.
01:34:57 Alors, ça va.
01:34:58 Plus ça serait de l'air pour mon visage.
01:35:01 -Le tournage se déroule sans incident.
01:35:04 Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, Vanessa Paradis...
01:35:08 L'affiche est séduisante.
01:35:10 Seulement, les espoirs vont être déçus lors des premières projections presse.
01:35:14 -Une chance sur deux, c'est un produit marketé, un peu trop formaté.
01:35:18 On essaie de reproduire une formule, mais la magie a disparu.
01:35:22 -Pour Delon, c'était très dur.
01:35:26 Parce que c'était comme la preuve...
01:35:29 ...que eux deux, lui et Belmondo,
01:35:35 que eux deux étaient out.
01:35:38 -Une semaine avant la sortie,
01:35:42 le comédien préfère prendre les devants en direct à la télévision.
01:35:46 -J'ai toujours dit que j'étais contre le combat de trop,
01:35:51 c'est-à-dire contre le film de trop.
01:35:54 Je me suis dit que peut-être faire ce film de trop,
01:35:56 ça n'est pas celui-ci.
01:35:58 Je suis très particulier.
01:36:00 J'ai tout dit au cinéma.
01:36:02 Je ne me sens plus...
01:36:04 Je n'ai plus envie de dire des choses.
01:36:06 Je n'ai plus rien à dire dans le cinéma.
01:36:08 Dans ces cas-là, pour ne pas être vis-à-vis de mon public,
01:36:11 que je respecte et qui me suit depuis de nombreuses années,
01:36:14 je préfère me retirer.
01:36:16 -Comme il l'avait pressenti,
01:36:18 une chance sur deux ne rencontrera pas son public.
01:36:22 Il a l'intention d'arrêter le cinéma.
01:36:23 Il se retire dans son domaine de douchie,
01:36:26 dans cette maison que très peu de personnes connaissent.
01:36:29 Il y a ce couloir avec les photos de ses partenaires,
01:36:32 mais il y a aussi une pièce secrète
01:36:35 qui renferme d'autres souvenirs.
01:36:38 -Il y a cette salle de maquillage.
01:36:40 C'est drôle, je ne lui ai jamais demandé à quoi ça servait,
01:36:43 mais il doit aimer mettre des choses en scène
01:36:46 ou avoir un décor à l'huile.
01:36:48 Il y a énormément de grosses pellicules, en fait,
01:36:51 de tous ses films qui stockent là.
01:36:53 "Deux hommes dans la ville", "Melodie en sous-sol",
01:36:59 "Le samouraï", "Le guépard".
01:37:01 Il y a plein de trucs.
01:37:03 C'est impressionnant, on a l'impression d'être dans un mini-musée.
01:37:06 Ça sent vraiment le cinéma, là-dedans.
01:37:08 Il y a énormément de costumes.
01:37:13 Il a gardé le costume de "Parole de flic".
01:37:15 À un moment, il joue un clown.
01:37:17 Il a gardé le costume, la perruque, le nez.
01:37:20 Il est tiré dans cette pièce, quand il farfouille dans ses affaires,
01:37:23 dans ses pellicules.
01:37:25 Il s'isole tout seul là-dedans.
01:37:27 -À part pour sa famille et quelques rares intimes,
01:37:31 Alain Delon est plus insaisissable que jamais.
01:37:34 -Quand il m'appelait, il disait "Allô, t'en crèdes ?"
01:37:42 Et moi, je disais "Angelica !"
01:37:48 Dernièrement, je n'ai pas eu de ces nouvelles.
01:37:51 Alain, il y a longtemps que je n'arrive pas à la voir.
01:37:54 Quand il a eu 80 ans, il n'a répondu à personne.
01:37:57 -Quand il vous envoie une carte de jeu,
01:38:04 on y voit 4 jeunes gens, 4 beaux jeunes gens.
01:38:07 Casselle, Brialy, Distel, Delon.
01:38:11 C'est quand même un extraordinaire geste d'ironie et de dérision.
01:38:15 Vous vous rendez compte ?
01:38:17 Je suis au bout de la route et je suis le seul.
01:38:20 Reste le dernier des samouraïs.
01:38:23 -Il n'accepte pas le temps qui passe.
01:38:31 C'est dommage, parce qu'on se voyait tellement avant.
01:38:45 -C'est un vrai misanthrope. Il n'aime pas l'humanité.
01:38:48 Il n'aime pas la politique d'aujourd'hui.
01:38:51 Il n'aime pas la façon sociale d'aujourd'hui.
01:38:54 Il n'aime rien dans le monde d'aujourd'hui.
01:38:57 -Il peut avoir des moments taciturants,
01:39:00 un peu comme un loup terré, tapis dans l'ombre,
01:39:04 être reclus, comme ça.
01:39:06 Il va se réflechir dans la solitude,
01:39:14 avec ses grands chiens, tout seul,
01:39:17 et se dire "je suis en mer de tous".
01:39:20 Oui.
01:39:21 -Quand on est avec lui, quand on va le voir à Douchy,
01:39:25 il adore ces moments conviviaux de famille,
01:39:28 mais en même temps, je sais qu'il a besoin d'être tout seul.
01:39:32 Il faut qu'on s'en aille, c'est pas contre nous,
01:39:35 il a juste besoin de retrouver sa solitude.
01:39:38 A force d'avoir été habitué à ça, il le recherche aussi.
01:39:41 Il doit en souffrir, mais en même temps, il en a besoin.
01:39:44 -La solitude de son enfance ne l'a en fait jamais quittée.
01:39:48 Elle revient dans le dernier acte de sa vie,
01:39:51 dont il a écrit lui-même la conclusion.
01:39:54 -A Douchy, il y a une sorte de petite chapelle,
01:39:58 l'endroit où il veut être enterré.
01:40:01 Il y a les tombes de ses chiens qui sont autour.
01:40:05 -Il y a 30 tombes, parce qu'il veut se faire enterrer avec les chiens.
01:40:10 ...
01:40:14 -La solitude, c'est pas une tare pour moi, parce que j'aime ça.
01:40:18 Je m'y suis fait très jeune, très tôt.
01:40:20 Moi, je suis toujours l'enfant que j'ai été.
01:40:23 Je crois qu'on joue à l'homme comme on joue à l'acteur,
01:40:27 mais que la vérité, c'est ce qu'on a été en début de sa vie,
01:40:31 dans sa petite enfance, tout est là.
01:40:35 ...
01:40:39 -La solitude d'un fauve, voilà pour ce film
01:40:42 qui, je l'espère, vous aura permis d'approcher d'un peu plus près
01:40:46 ce mythe, cette légende du cinéma et ses 60 ans de carrière.
01:40:50 Merci à vous de nous avoir suivis et à très bientôt.
01:40:54 ...

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