• il y a 10 mois
Eric Heyer, économiste à l'OFCE

Category

🗞
News
Transcription
00:00 - Un économiste avec nous, bonjour Eric Keyer. - Bonjour.
00:02 - Vous êtes économiste à l'OFCE, l'Observatoire français des conjonctures économiques.
00:07 La semaine de quatre jours, c'est un réel progrès ou c'est un cadeau empoisonné ?
00:11 - Il faut faire attention, parce que vous avez dit la semaine de quatre jours, la semaine en quatre jours, c'est quand même différent.
00:16 - C'est quoi justement la différence ?
00:17 - La semaine en quatre jours, c'est que vous faites la semaine normale mais concentrée sur quatre jours.
00:22 Il n'y a pas de réduction du temps de travail, donc c'est-à-dire que les journées de travail sont plus longues.
00:26 La semaine de quatre jours, c'est que vous diminuez le temps de travail et donc vous gardez les horaires standards le jour où vous travaillez,
00:35 vous avez un jour en moins. Donc il y a quand même une énorme différence.
00:38 Et lorsque, vous voyez, on essaye de mettre en place la semaine de quatre jours ou la semaine en quatre jours,
00:43 la clé finalement c'est est-ce que tout le monde est d'accord avec cela ? C'est-à-dire les salariés et les employeurs.
00:50 On voit bien que la semaine en quatre jours, en fait, très peu de salariés en veulent, parce que le fait de la vie professionnelle et la vie privée
00:59 peut être compliqué par la semaine en quatre jours, puisque amener les enfants à 8h et aller les chercher à 16h30,
01:07 ce n'est pas compatible avec la semaine en quatre jours, parce que la journée de travail est beaucoup trop longue.
01:12 - Oui, ça ferait des journées qui passeraient de 7 à 9h de travail. Vous dites quoi du coup à Gabriel Attal ? Très très mauvaise idée, fiasco annoncée.
01:20 - Alors, vous voyez, en fait, globalement, quand il était dans un autre ministère, il avait proposé ça aux assédics de Picardie,
01:30 et finalement personne, de mémoire, je crois qu'il n'y a que deux salariés qui ont dit "ok" pour passer la semaine en quatre jours.
01:36 En fait, finalement, les salariés ne sont pas complètement d'accord. Alors, il ne faut pas...
01:40 Vous voyez, c'est ça l'idée de la semaine en ou deux quatre jours, c'est qu'il faut laisser libre, finalement, les entreprises et les salariés
01:47 de savoir si c'est compatible avec l'organisation du travail et avec la vie privée. Donc, il faut laisser complètement libre.
01:54 Oui, la semaine, quand on regarde dans les autres pays, en fait, globalement, la semaine en quatre jours,
01:59 finalement, n'est pas un énorme succès. Par contre, la semaine de quatre jours, ça pose quelques difficultés, mais ça amène aussi énormément d'avantages.
02:06 - Mais vous, en tant qu'économiste, justement, la semaine de quatre jours, donc, qui nécessite de baisser le temps de travail,
02:14 vous dites "banco", vous dites "oui" ? - Je dis "il faut le tester", d'accord ? C'est que, globalement, il faut laisser libre.
02:22 C'est un peu le cas aujourd'hui, mais pourquoi pas inciter les entreprises à y réfléchir ? C'est-à-dire qu'il y a quand même énormément d'avantages.
02:30 - Lesquels ? - Alors, lesquels ? Vous voyez, aujourd'hui, même, on peut faire en sens inverse. Aujourd'hui, les entreprises nous disent quoi ?
02:34 Les entreprises nous disent qu'on a un problème en France sur le marché du travail parce qu'il y a beaucoup trop d'arrêts maladie.
02:42 - D'accord. - Donc, ils nous disent aussi qu'il y a un turnover trop important, c'est-à-dire que les personnes viennent, mais partent très rapidement de leur entreprise
02:50 pour aller dans une autre entreprise. Ils n'arrivent pas à fidéliser et garder leurs salariés.
02:55 Ben oui, l'expérimentation qu'on a pu mener, soit au Royaume-Uni, soit en Espagne, nous indique que lorsque vous faites la semaine de quatre jours,
03:03 globalement, il y a beaucoup moins d'arrêts pour maladie, et vous restez fidèle à votre entreprise. Donc, vous voyez, vous arrivez à régler deux problèmes.
03:13 - Finalement, c'est meilleur pour la santé, alors ? - Ah, c'est nettement meilleur pour la santé, ça, il n'y a aucun doute.
03:18 Le gros doute, c'est, est-ce que, puisque vous maintenez le salaire, d'accord, est-ce que ça ne coûte pas trop cher à l'entreprise ?
03:25 Et c'est là où, effectivement, ça peut avoir un coût extrêmement important pour l'entreprise.
03:29 - On perd en productivité ? - Alors, ben oui, puisque vous travaillez moins.
03:32 - Donc, oui, vous ne perdez pas en productivité horaire, mais vous pouvez perdre en productivité au cours de la semaine, puisque vous avez un jour de travail en moins.
03:40 - Alors, comment on compense ? - Alors, comment on compense ?
03:42 Eh ben, on compense, en fait, par, quand vous travaillez que quatre jours, eh ben, vous avez moins de temps de pause, d'accord ?
03:49 Et les études, l'expérimentation, alors, il faut toujours se méfier de l'expérimentation, parce que, globalement, c'est les entreprises qui voulaient le faire,
03:56 qui étaient volontaires, et donc, elles avaient un intérêt à le faire. Mais, globalement, ce que ça montre, c'est que, quand vous travaillez cinq jours,
04:02 en fait, pendant vos horaires de travail, vous réfléchissez, quand même, à un certain nombre de préoccupations privées, c'est-à-dire,
04:09 "Ah, tiens, il faut que je place, eh ben, une visite médicale pour moi, pour mes enfants." Vous pensez à autre chose, d'accord ?
04:15 Quand vous avez la semaine en quatre jours, ou deux quatre jours, en tout cas, vous dites, "Non, mais ça, j'ai un jour pour m'occuper de ça,
04:21 et donc, quand je suis au travail, je me concentre au travail." Donc, la productivité de l'heure travaillée est nettement meilleure quand vous êtes dans ce cas de figure-là.
04:29 Et ce que montre l'expérimentation, notamment britannique, c'est que, le jour où vous ne travaillez pas, le jour où, normalement, c'est fait pour votre vie privée,
04:36 en fait, vous travaillez un peu. C'est-à-dire que, oui, vous faites... - Finalement ? - Ben oui, vous allez travailler un peu, parce que vous dites,
04:42 "Tiens, allez, je peux m'avancer, j'ai fait tout ce que je devais faire, je suis allé au sport, je suis allé au cinéma, et j'ai fait aussi...
04:48 - Les courses ? - Les courses, etc. Bon, il me reste une heure ou deux, ben, finalement, je m'avance un peu." Donc, la réduction du temps de travail n'est pas aussi forte que ça,
04:56 et en fait, c'est tout de même une avancée. Ce qui est compliqué, c'est pour l'employeur. - Et on va avoir aussi un autre problème, si c'est applicable partout, évidemment.
05:05 On va y revenir. On réagit ce matin aussi en direct avec les auditeurs qui nous appellent, 0142 30 10 10.
05:12 - Et on prend la direction du Val d'Oise, à Sergie-Saint-Christophe. Nous attend Françoise. Bonjour, Françoise. - Bonjour.
05:18 - Vous, cette semaine de 4 jours, vous êtes pour ou contre ? - Absolument, je suis pour, parce que, en partant du fait que plein de femmes prennent du 80 % pour pouvoir faire leur...
05:30 aller emmener leurs enfants pour des examens ou autre chose, elles sont pénalisées au niveau de la retraite. Il y a une décote qui est quand même conséquente.
05:41 Alors que, quand elles travaillent 80 %, très souvent, elles font du 100 %, puisqu'elles rattrapent le jour où elles étaient pas là. Elles rattrapent tout ce qu'elles auraient dû faire.
05:53 Donc là, et souvent même, elles ont des heures supplémentaires, justement, qui ne sont pas reconnues, qui ne sont pas prises en compte,
06:03 pour terminer ce qu'elles pensent avoir à faire. Elles se chargent de façon supplémentaire, mais il faut qu'elles fassent tout ce qui est prévu dans leur fiche de poste.
06:15 - Oui, et puis c'est la double peine, parce qu'effectivement, tout ça n'est pas calculé et ne compte pas pour la retraite. Et c'est vrai que ce matin, vous mettez un coup de projecteur
06:22 qui fait écho, je pense, à pas mal de femmes qui nous écoutent. Merci, Françoise, pour votre réaction. 0142 30 10 10.
06:28 - Il faut continuer de réagir. Éric Heyer, économiste, avec nous, c'est vrai, la semaine de 4 jours, c'est un vrai bonus, particulièrement pour les femmes qui travaillent.
06:36 - Oui, c'est certain que si vous avez un temps de travail qui est partiel, mais qui est subi, en fait, parce que vous pouvez pas, effectivement, c'est une solution.
06:44 Mais on voit bien que, souvent, la semaine... - Est-ce que ça va créer des embauches à temps plein, ou plus de contrats à temps partiel, justement, cette semaine de 4 jours ?
06:53 Parce qu'il va falloir des roulements dans certaines entreprises, ou dans les crèches, par exemple, si on la met en place. Est-ce que ça va pas multiplier les petits contrats ?
07:00 - Non, alors, oui. La personne qui a temps partiel peut, avec la semaine de 4 jours, passer à temps plein. D'accord ? Donc ça, c'est une possibilité.
07:08 Ensuite, normalement, ça ne devrait pas faire, puisque vous augmentez pas la plage horaire, donc ça ne devrait pas entraîner des petits boulots par ailleurs.
07:16 Donc non, normalement, non, ce n'est pas le cas. Alors, ça peut le faire si, en contrepartie de la semaine de 4 jours, vous décidez, votre employeur vous demande d'être beaucoup plus flexible
07:26 sur vos horaires de travail, et dire "tu vas commencer plus tôt le matin, ou finir plus tard le soir". Là, oui, ça peut effectivement entraîner, finalement, quelqu'un qui doit aller chercher les enfants tôt,
07:37 ou un peu plus tard. Bon, ça, c'est possible, et effectivement, ça entraîne des emplois, peut-être de courte durée, mais vous voyez, si on est beaucoup à le faire,
07:47 ça fait peut-être un temps plein pour la personne qui va vous aider.
07:51 - Dans une région comme la nôtre, l'Île-de-France, qui a beaucoup de mal à recruter dans le secteur de la petite enfance, justement, dans les transports, dans la santé,
07:59 est-ce que ça pourrait changer la donne ?
08:00 - Oui, parce que, vous voyez, si ça aide le travail féminin, globalement, ça va attirer peut-être un peu plus de femmes sur le marché du travail, dans un certain nombre d'emplois,
08:10 pourquoi pas même industriels, et donc développer, effectivement, ou laisser la possibilité pour des femmes qui étaient exclues du marché du travail, d'arriver sur le marché du travail,
08:19 puisqu'on réorganise, finalement, la production pour que ça soit compatible avec la vie privée.
08:25 - Eric Eyer, si c'est si formidable, pourquoi on ne généralise pas ?
08:28 - Non, parce que ça pose beaucoup de difficultés, et encore une fois, je vous ai dit, pour que ça fonctionne, il faut que les salariés et l'employeur soient d'accord.
08:36 Et donc là, on a vu, bien sûr, que les salariés seraient plutôt d'accord, il va falloir que l'employeur trouve une solution, parce que, vous voyez, en gros, c'est pas exactement comme ça a été fait.
08:43 - C'est l'employeur qui est réticent ? Qui est en retard ?
08:47 - Alors, pas en retard, oui, on donne une contrainte supplémentaire au manager, parce que l'introduction était peut-être pas tout à fait juste, c'est pas le vendredi où tout le monde va prendre le vendredi.
08:57 Non, il va falloir justement que la production soit quand même faite sur 5 jours, mais avec des personnes qui ne travaillent que 4 jours.
09:03 Donc il va falloir réorganiser complètement la production, et ça, c'est pas évident pour un manager de rajouter une contrainte.
09:10 - Oui, mais le télétravail, très souvent, est posé le vendredi, justement, et on voit que ça pose souci, parce que des entreprises font revenir les gens en présentiel.
09:17 - Vous avez raison, attention, télétravail ne veut pas dire jour d'arrêt, normalement, en télétravail, vous travaillez.
09:21 Donc, normalement, votre employeur peut vous dire de 8h à 17h, si je t'appelle, tu es bien au travail.
09:28 Donc ce n'est pas une journée où on n'a pas à t'ennuyer, on n'a pas à t'appeler, donc il y a un peu une différence.
09:34 Mais la semaine de 4 jours est souvent vue comme... - Un week-end long ?
09:38 - Non, alors c'est pas vraiment ça, c'est-à-dire que le télétravail, ça a été fait pour l'école Blanc.
09:43 En gros, globalement, tous les ouvriers ou un grand nombre de personnes ne peuvent pas télétravailler.
09:47 - Et la semaine de 4 jours, ça concernerait plus de monde ?
09:49 - Et bien oui, plus de monde. Et c'est une façon, vous voyez, pendant la crise sanitaire,
09:53 on a applaudi les salariés de première ou de deuxième ligne en disant "on pensera à vous"
09:58 une fois que la crise sera terminée, parce que vous avez été extrêmement utile et assez mal rémunéré.
10:04 Là, on voit bien que ce qui est sorti de la crise sanitaire, c'est le télétravail.
10:08 Et le télétravail ne bénéficie pas à ces catégories-là.
10:10 La semaine de 4 jours peut être justement une récompense pour ces salariés-là.
10:14 - Justement, il a fallu une crise pour imposer finalement le télétravail.
10:17 Est-ce qu'il faudra une crise pour imposer la semaine de 4 jours ?
10:19 - Encore une fois, on n'a pas "imposé", on a essayé de dire...
10:23 - Ça s'est "imposé" de manière...
10:25 - Alors ça s'est imposé pendant un mois ou deux pendant les confinements,
10:28 mais ensuite on s'est rendu compte qu'on pouvait, dans certains cas de figure, télétravailler.
10:33 Il y avait des avantages à le faire pour l'employeur et pour le salarié.
10:36 C'est pareil pour la semaine de 4 jours.
10:38 Il ne faut pas l'imposer, il faut l'inciter et dire "c'est une solution qui permettrait,
10:44 dans un certain cas de figure, d'améliorer les conditions de travail des salariés".
10:47 - Merci beaucoup Eric Ayer, économiste à l'OFCE.

Recommandations