À l'occasion de la sortie du film "May December", Natalie Portman était l'invitée de Sonia Devillers à 7h50 ce lundi sur France Inter. L'actrice américaine est notamment revenue sur l'importance du mouvement #MeToo. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-22-janvier-2024-1934996
Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Bonjour Nathalie Portman.
00:01 Bonjour.
00:02 Vous êtes productrice, est-ce que vous laisseriez, comme dans le film, une actrice entrer comme
00:08 ça dans la vie de quelqu'un pour tout aspirer, pour construire son rôle ?
00:12 Je pense que c'est un danger en effet.
00:16 Ce n'est pas l'objectif pour moi évidemment, mais c'est aussi l'une des grandes questions
00:24 qui se posent et qu'il faut qu'on se pose.
00:26 Les journalistes, les gens qui font des documentaires se la posent aussi, c'est-à-dire lorsque
00:32 l'on va présenter, représenter la vie de quelqu'un, en quel sens on va aussi perturber
00:38 cette vie, comment est-ce qu'on va pénétrer dans cette histoire par le simple fait qu'on
00:42 va la présenter, en faire le portrait.
00:43 Et il n'y a pas une seule vérité, il y a des versions de la vérité.
00:51 Et vous diriez que les acteurs sont des vampires ?
00:53 Ou qu'ils sont des espions ?
00:57 Non, j'espère que non en tout cas.
01:03 Mais c'est un peu le danger je crois, et la crainte aussi.
01:07 Il y a beaucoup d'artistes tout au long de l'histoire qui se sont posé cette question,
01:13 se sont interrogés en se disant est-ce que l'on prend la vie des gens, est-ce qu'il
01:17 y a un aspect un peu vampire à la chose, est-ce qu'on est en train de voler quelque
01:21 chose de la vraie vie, des vraies émotions et aussi de la vraie souffrance ?
01:25 Pourquoi, pour en sortir quelque chose, vous allez faire votre expression artistique ?
01:31 Alors ce n'est pas ce qu'on souhaite quand on est artiste, mais le danger est là évidemment.
01:35 Le film est inspiré d'un fait divers, cette enseignante de 34 ans qui était tombée follement
01:40 amoureuse d'un garçon de sa classe qui était en sixième et dont elle a eu un enfant,
01:44 elle avait accouché en prison, c'était en 1997 à Seattle.
01:48 Toute l'Amérique avait été marquée par cette histoire.
01:51 Vous aussi ?
01:52 Oh, absolument, c'était une histoire de tablette énorme.
01:55 Effectivement, ça a fait les gros titres de la presse à sensation.
01:59 Alors l'histoire que nous nous racontons, ce n'est pas celle-là exactement, c'est
02:03 une fiction qui s'en inspire, mais à l'époque, ça nous a tous amenés à nous interroger,
02:10 à nous dire mais c'est quoi l'effet sur la vie des gens, cette histoire qui s'est
02:14 passée ? C'est-à-dire qu'est-ce qui se passe lorsque tout à coup on a une histoire
02:19 qui fait le tour des magazines et de la presse, lorsque l'on fait toutes les émissions grand
02:26 public et qu'on est en train de raconter sa vie à soi, ses émotions et ce qu'on
02:30 vit vraiment.
02:31 Et à l'époque, vous, vous l'aviez vue, cette femme, comme une femme libre et courageuse,
02:39 comme une histoire d'amour hors norme ou bien comme un abus sexuel ? En 1997, comment
02:44 vous la regardiez cette histoire ?
02:45 Je pense qu'à l'époque, c'était quand même une histoire très choquante, une histoire
02:52 où il est question d'abus.
02:55 Vous savez, c'est une forme de viol aux États-Unis qui existe aux États-Unis et
03:03 qui est répréhensible, ce type de relation.
03:06 Et ça a été choquant pour tout le monde parce qu'on a un peu l'habitude de voir
03:12 les choses en sens inverse, c'est plutôt le monsieur d'un certain âge qui est avec
03:16 une jeune fille et c'est beaucoup plus rare, en effet, de voir une femme qui est avec un
03:22 garçon.
03:23 Et en fait, la dimension choquante de l'histoire en 1997, c'est parce que c'était une femme ?
03:27 C'était choquant de toute façon et quoi qu'il arrive, mais c'est probablement plus
03:35 inhabituel et donc de ce fait peut-être plus choquant parce que c'était une femme.
03:38 Et aussi, c'est un peu tout le questionnement de ce film, à savoir, il y a des versions
03:50 de la vérité, laquelle va l'emporter ? Qui raconte quoi ? Qui fait la narration ? Il
03:55 y en a deux personnages, on a ces deux femmes qui vont, si vous voulez, se batailler un
04:00 peu pour faire valoir leur version de l'histoire.
04:02 Et toute la question que pose ce film, avec beaucoup de subtilité, c'est est-ce qu'un
04:08 enfant de 12 ans a le choix ?
04:09 Oui, et puis aussi, la question derrière ça, c'est est-ce que l'art peut être amoral ?
04:18 Est-ce qu'on peut se contenter de montrer le comportement humain sans porter de jugement
04:23 lorsqu'on fait de l'art ? Est-ce qu'on peut étiqueter ou est-ce qu'on peut s'abstenir
04:28 d'étiqueter les choses qu'on observe ? Et c'est un film qui, de ce fait-là, amène
04:33 à beaucoup de réflexions parce que c'est des questions qui n'ont pas beaucoup de réponses.
04:36 On est tout le temps dans la limite, dans une frontière subtile entre qu'est-ce qui
04:40 est de l'amour et qu'est-ce qui est de l'emprise.
04:42 Oui, ces personnages, il y a toute cette réflexion sur leur vie qui se fait.
04:57 On va explorer leur vécu à travers ce récit, leur histoire, à travers aussi les forces
05:05 extérieures qui interviennent et qui sont présentées.
05:09 Vous savez que c'est un débat vraiment de sept semaines en France.
05:13 C'est-à-dire qu'il y a une actrice qui est un petit peu plus âgée que vous qui s'appelle
05:16 Judith Godrej qui vient de signer une série qui s'appelle Icon of the French Cinema et
05:24 qu'elle a réalisée aux Etats-Unis.
05:26 Elle raconte comment elle a vécu quand elle avait 14 ans seulement, comment elle a été
05:31 la muse légérie d'un cinéaste français qui s'appelle Benoît Jacot qui avait 40 ans.
05:36 Elle, elle en avait 14 ans.
05:38 Et c'est vraiment la semaine dernière, elle était dans un grand talk show français et
05:43 elle a dit ça sur le plateau.
05:44 Elle a dit mais à 14 ans, on n'a pas le choix.
05:47 Et vous pensez qu'entre 1997 et aujourd'hui, le regard sur cette histoire a changé ?
05:54 Je ne peux pas dire pour ce qui se passe ici.
06:00 En revanche, je peux vous dire ce qui se passe aux Etats-Unis et c'était à l'époque
06:07 un crime et ça reste un crime aujourd'hui.
06:10 Il n'y a pas de débat sur cette question puisque de toute façon, c'est répréhensible
06:23 finalement.
06:24 Donc après, il va y avoir des récits, des histoires de telle ou telle personne.
06:28 C'est ce qu'on voit par exemple dans ce film.
06:32 Ce sont des gens qui vont rester ensemble et qui vont même avoir des enfants ensemble.
06:37 Ce qui pose la question de savoir si précisément une personne aurait pu vivre autre chose que
06:44 ce qu'elle est amenée à vivre.
06:45 Mais ça, c'est des questions qui se posent, celles-ci étant d'autres.
06:48 Mais au final, si quelqu'un dit qu'elle n'a pas fait le choix et qu'elle n'a pas
06:56 fait le choix, c'est que c'est vrai.
06:58 On écoute ce que vous dit la personne.
07:00 En France, on est en train de vivre une période très charnière dans l'industrie du cinéma
07:05 parce qu'il y a les débats autour du comportement de Gérard Depardieu sur des tournages de
07:08 cinéma.
07:09 Il y a eu justement les révélations de Judith Godrech.
07:13 On a grandi nous avec elle.
07:16 Moi, les filles de mon âge la regardaient très très jeune dans les films, comme on
07:20 vous a vu vous très jeune dans les films de Luc Besson.
07:23 Donc, il y a tout un débat qui s'ouvre sur l'industrie du cinéma en France.
07:28 Est-ce que la France vous paraît très à la traîne par rapport à l'industrie du
07:32 cinéma aux États-Unis ?
07:33 Non, je dirais que toutes les révélations qu'on a entendues il y a quelques années,
07:52 ici, ce n'est malheureusement pas une révélation aux États-Unis.
07:55 C'est terrible que ces choses existent.
07:58 Pour autant, moi, je suis tout à fait reconnaissante à l'égard de toutes les personnes qui ont
08:03 osé prendre la parole, qui ont élevé la voix, qui ont dit « voilà, j'ai été
08:07 victime de tel ou tel abus ». Et ces gens ont dit « c'est grave ». Effectivement,
08:13 c'est très difficile de prendre la parole et de dire ce qui s'est passé.
08:17 Et je pense que c'est vraiment la bonne chose, c'est qu'on a vu à ce moment-là
08:22 naître une solidarité entre les femmes, entre des femmes qui se soutiennent maintenant
08:28 parce qu'elles savent qu'elles vivent des choses très difficiles et qu'elles
08:32 ont besoin de ce soutien.
08:34 Et la raison pour laquelle elles prennent la parole, c'est pour protéger les autres
08:39 femmes, et pas simplement les femmes, il y a aussi des enfants et même parfois des
08:44 hommes qui ont pris la parole pour dire qu'ils avaient vécu des choses semblables, même
08:49 si c'est surtout des femmes.
08:50 C'est un tournant très important.
08:52 C'est très important que l'on dise clairement que ce n'est pas possible de se comporter
08:57 comme ça et que les femmes se sentent en sécurité quand elles travaillent, par exemple,
09:03 qu'elles puissent explorer leur sexualité, y compris leur expression artistique, sans
09:09 crainte.
09:10 Je suis vraiment très reconnaissante envers tout ceux qui ont le courage de prendre la
09:18 parole et on espère que la génération qui nous suit vivra les choses différemment.
09:22 Alors qu'en France, ça a déchiré le milieu du cinéma, le débat autour de Gérard Depardieu
09:28 et ça a déchiré les actrices, c'est-à-dire que ce sont des femmes qui se sont répondues.
09:33 Bref, c'est une question française.
09:37 Il y a d'ailleurs une séquence incroyable dans le film où votre personnage d'actrice
09:43 célèbre accepte de répondre à des questions de lycéens qui lui demandent, évidemment
09:48 tout de suite en ricanant, comment on joue une scène de sexe au cinéma.
09:51 Et donc ça glousse, ça ricane et puis l'actrice que vous jouez transforme ça en moment de
09:58 vérité.
09:59 C'est une scène vraiment très forte où les adolescents sont complètement saisis.
10:04 Et je pense que ça dit bien ce que vous racontez, c'est-à-dire comment une femme peut avoir
10:09 le choix d'explorer elle-même sa sexualité, y compris à travers le cinéma, sans être
10:14 l'objet du fantasme de quelqu'un d'autre.
10:17 Oui, et puis ça soulève aussi beaucoup de questions qui sont liées au fait de faire
10:27 son jeu d'acteur, la performance.
10:29 Il faut, lorsqu'on est en scène ou lorsqu'on est devant la caméra, on est là, on joue
10:37 un personnage, mais est-ce qu'on ne fait que ça ? Il y a toujours cette espèce de
10:40 double aspect qui est en jeu.
10:42 Il y a tellement de couches qui se jouent lorsqu'on joue un personnage.
10:47 Vous voyez, Elisabeth par exemple, elle arrive au barbecue, elle dit « Ah, bonjour, je
10:51 suis quelqu'un de normal, je suis une actrice comme les autres ». Ça, c'est déjà une
10:54 manière de jouer un personnage.
10:58 Elle dit, oui, effectivement, lorsque l'on joue des scènes de sexe, on ne sait pas
11:05 si on a du plaisir ou qu'on fait, pourquoi pas, aussi semblant de ne pas en avoir.
11:11 Et effectivement, lorsqu'on joue un rôle, on prend conscience de toutes ces choses.
11:16 Et pour finir, il y a quelque chose de très habile dans le scénario, c'est qu'en fait,
11:22 on va pénétrer l'intimité de cette famille dans un moment très particulier qui est la
11:28 cérémonie de remise des diplômes des enfants qui sacre la fin du lycée.
11:34 Alors, c'est quelque chose qui n'existe pas en France.
11:37 D'ailleurs, le président de la République voudrait qu'on ait des cérémonies de remise
11:43 des diplômes, sans doute sur le modèle américain.
11:45 Est-ce que vous pourriez nous dire en quoi c'est un moment important dans une famille
11:50 américaine ?
11:51 Je pense que ça marque vraiment une transition.
11:57 C'est la fin de quelque chose et c'est le début d'une autre étape.
12:02 Et c'est important, je crois, d'avoir ces cérémonies qui marquent les jalons importants
12:09 de la vie.
12:10 C'est vrai, c'est amusant, je ne savais pas réfléchir à ça.
12:14 Je ne savais pas qu'on avait passé en France, mais en effet, ça a été le point de départ
12:20 et à ce moment-là, elle a réfléchi à la scénariste.
12:25 Elle dit que c'était son point de réflexion de se dire que, après tout ce qui s'est
12:31 passé, ils se retrouvent à la maison au moment de cette cérémonie, ils sont en famille
12:35 et qu'est-ce qui se passe ?
12:36 Et à ce moment-là, tout est clair.
12:37 Et c'est particulièrement intéressant parce qu'aux États-Unis, c'est le moment
12:42 où la plupart des enfants quittent la maison pour aller à l'université.
12:47 C'est différent ici.
12:50 Oui, ça dépend dans les grandes villes françaises.
12:51 Il y a pas mal d'adolescents qui peuvent continuer à faire leurs études, mais dans
12:55 les petites villes, forcément, il faut quitter.
12:56 Mais aux États-Unis, on quitte régulièrement son foyer à ce moment-là.
12:59 Donc forcément, c'est un moment où on fait l'inventaire, on fait une sorte de bilan
13:03 familial.
13:04 C'est exactement ça.
13:05 C'est aussi le moment où vous voyez vos enfants devenir adultes, c'est un vrai tournant.
13:13 Ils prennent leur indépendance et ils vont découvrir le vaste monde.
13:18 Donc c'est un moment particulier, charminant.
13:21 Et pour le couple, c'est le moment où on se demande qu'est-ce qui reste de son désir,
13:28 qu'est-ce qui reste de son histoire ?
13:29 Exactement, c'est aussi une transition parce que jusqu'à ce moment-là, on est
13:37 autour des enfants et à partir de ce moment-là, on se retrouve à deux.
13:40 Et d'ailleurs, est-ce que vous diriez que ce film, au fond, c'est une exploration
13:44 du désir ? Une exploration de qu'est-ce que c'est que le désir d'un adulte à
13:51 l'âge mûr ?
13:52 Oui, je pense que c'est vrai.
13:55 Mais en fait, il y a beaucoup d'aspects.
13:57 Il y a aussi une exploration de qu'est-ce que c'est jouer ? C'est quoi la performance
14:03 ? C'est quoi l'identité ? C'est quoi l'art ? Est-ce que l'art peut être amoral ?
14:08 Après tout, est-ce que l'art vaut que l'on vienne s'ingérer dans la vie des gens ? Est-ce
14:20 que ça vaut la peine ? Et aux États-Unis, c'est le type de film dont on parle après
14:31 y être allé.
14:32 Ça amène à réfléchir.
14:33 Donc il y a beaucoup de débats actuellement.
14:34 C'est une sorte d'autopsie d'un scandale.
14:36 Merci, Nathalie Bortman.
14:38 Merci.