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Plus que jamais l'économie souffre de son repli disciplinaire sur elle-même. La critique n'est pas nouvelle, pour ne pas dire qu'elle est banale. Karl Polanyi pointait déjà en 1944, dans son célèbre ouvrage « La Grande Transformation », la tendance de l'économie de marché autorégulée à se concevoir comme un corpus autonome, soumettant toute la société à sa loi…. En s'emparant de sujets de plus petite échelle, d'ordre micro-économique, en s'intéressant davantage à l'hétérogénéité des comportements, en donnant la part belle aux expériences naturelles, la science économique peut donner le sentiment d'avoir modéré sa prétention hégémonique sur les autres disciplines. Mais à négliger le dialogue avec ces dernières, elle fait du surplace sur au moins deux enjeux décisifs : celui de la transformation climatique et sur la question liée de la place à accorder aux objectifs de croissance et de productivité. [...]

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00:00 [Générique]
00:09 Plus que jamais, l'économie souffre de son repli disciplinaire sur elle-même.
00:14 La critique n'est pas nouvelle, pour ne pas dire qu'elle est banale.
00:18 Karl Polanyi pointait déjà en 1944, dans son célèbre ouvrage "La Grande Transformation",
00:24 la tendance de l'économie de marché autorégulée à se concevoir comme un corpus autonome,
00:30 soumettant toute la société à sa loi.
00:33 En s'emparant de sujets de plus petite échelle, d'ordre microéconomique,
00:37 en s'intéressant davantage à l'hétérogénéité des comportements,
00:42 en donnant la part belle aux expériences naturelles,
00:45 la science économique peut donner le sentiment d'avoir modéré sa prétention hégémonique sur les autres disciplines.
00:52 Mais à négliger le dialogue avec ces dernières, elle fait du surplace sur au moins deux enjeux décisifs,
00:59 celui de la transformation climatique et sur la question liée de la place à accorder aux objectifs de croissance et de productivité.
01:07 L'enjeu de la transition climatique est par excellence un champ sur lequel le dialogue interdisciplinaire devrait être considéré comme incontournable.
01:17 Au lieu de cela, nombre d'économistes préfèrent laisser croire que le problème est morcelable
01:22 et peut entièrement se résoudre via les instruments propres à leur discipline,
01:27 autrement dit des taxes, des permis négociés sur un marché et des subventions.
01:32 Chacun dans son champ fait ce qu'il a à faire.
01:34 Aux ingénieurs, les questions d'ingénieurs.
01:37 Aux climatologues, les questions de climat.
01:39 Aux sociologues, les questions de société, etc.
01:43 Quel est le résultat de cette prétention à tenir les manettes du pilotage tout en faisant l'impasse sur les autres domaines de connaissance ?
01:51 Une résistance sociale, qui à force d'être traitée comme le mur de l'ignorance, ne fait que s'exacerber.
01:58 Et un marécage cognitif, qui plutôt que de bâtir un consensus propre à l'action efficace,
02:04 instaure le doute permanent, affaiblissant la légitimité des politiques climatiques.
02:10 Comment croire au pilotage du processus quand les ingénieurs pointent la non-soutenabilité du tout électrique du point de vue des ressources nécessaires ?
02:19 Quand le coût, l'impact écologique ou les besoins de recyclage,
02:23 à tenance aux énergies alternatives et aux systèmes de stockage, demeurent encore débattus ?
02:29 Quand l'innovation, enfin, bien plus qu'elle ne résout l'équation climatique,
02:34 produit un nouveau monstre énergivore à travers la course digitale ?
02:39 Résultat, l'économie, dans son abstraction, nous dit d'aller dans une direction, tout en restant brumeuse sur les techniques,
02:47 les rapports de production ou la société qui en découle.
02:51 En s'en remettant avec une confiance aveugle à l'innovation,
02:55 en continuant à placer la croissance et la productivité au cœur de ses objectifs, comme si de rien n'était,
03:02 l'économie, dans sa version orthodoxe du moins, dévoile l'autre impensée, ou plutôt l'autre non-repensée de la discipline.
03:10 Robert Solow connaissait la force d'attraction intellectuelle de son modèle de croissance équilibré.
03:17 Mais ayant mis en valeur le fait que l'essentiel de la croissance était imputable aux résidus qui portent son nom,
03:24 il était conscient aussi que le progrès technique demeurait la part mystérieuse et difficilement manipulable des économies.
03:31 Sur cette part, il se contentait de faire des hypothèses,
03:35 suggérant que l'investissement nouveau était un des vecteurs de propagation les plus efficaces du progrès technique,
03:41 ralliant aussi, sans confiance excessive, les propositions de Rohmer et Lucas
03:45 sur le fait qu'une partie du progrès technique pouvait être endogénéisée via plus d'éducation ou plus de R&D.
03:53 Mais s'il avait pointé en 1987 le paradoxe de la productivité,
03:58 c'est-à-dire le faible impact visible des ordinateurs sur la croissance et la productivité,
04:04 c'était aussi pour souligner le temps de latence et toutes les incertitudes qui entourent le lien entre innovation et croissance,
04:12 pleinement conscient de tous les aspects sociétaux et institutionnels non quantifiables qui agissent sur ce lien.
04:20 Or, jamais ce lien entre innovation, productivité, croissance n'a été aussi distendu.
04:27 Et jamais l'objectif même de croissance n'a été autant contesté.
04:32 En s'emparant de la question écologique, sans sortir de leur discipline,
04:36 nombre d'économistes s'en remettent à un effet magique, celui de l'innovation, quand l'urgence ne laisse plus place aux jeux de hasard.
04:45 Esquivant la question du comment, selon quelle technique, quelle filière, quel rythme, quel aménagement du territoire, etc.,
04:53 ils deviennent co-responsables de la grande procrastination climatique.
04:57 S'ouvrir, travailler le doute, affronter efficacement les défis contemporains,
05:02 la science économique ne progressera pas sans sortir de son silo méthodologique.
05:07 [Musique]

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