L'analyse de la notion de « stupidité fonctionnelle des organisations » nous avait par le passé permis de mettre en évidence qu'elle n'est jamais aussi élevée que lorsque les individus au travail cessent de s'interroger sur les conséquences de leurs actions quotidiennes. Chacun faisant « ce qu'il a à faire », sans se poser de question sur les conséquences environnementales, morales et techniques. La bêtise organisationnelle s'étend tandis que le nombre de questions soulevées diminuent. [...]
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00:08 L'analyse de la notion de stupidité fonctionnelle des organisations
00:12 nous avait par le passé permis de mettre en évidence
00:14 qu'elle n'est jamais aussi élevée que lorsque les individus au travail
00:18 cessent de s'interroger sur les conséquences de leurs actions quotidiennes.
00:21 Chacun faisant ce qu'il a à faire, sans se poser de questions
00:24 sur les conséquences environnementales, morales et techniques.
00:28 La bêtise organisationnelle s'étend tandis que le nombre de questions soulevées diminue.
00:32 Alors, posons cette question.
00:34 Sommes-nous encore capables de prédire les suites de nos actes ?
00:38 Devant le déploiement prodigieux de nouvelles formes artificielles d'intelligence,
00:42 sommes-nous même encore en mesure de décider ce que sera notre propre destin ?
00:47 Ne sommes-nous pas plutôt en train d'assister, impuissants,
00:50 à une victoire totale des capacités machiniques ?
00:53 Des capacités dont nous sommes de plus en plus dépendants
00:56 dans tous les domaines de l'industrie et des services,
00:58 et rares sont les secteurs d'activité qui échappent à leur domination.
01:01 Au point que l'on est en droit de se demander si bientôt
01:04 ces machines auront encore besoin de nous consulter.
01:07 L'IA n'a plus vraiment besoin de personnes pour penser à notre place.
01:11 Tous passant comme-ci, honteux de ne pouvoir utiliser nos propres capacités de jugement,
01:15 nous remettions à nos outils, comme les esclaves admettant leur défaite
01:18 et se rangeant du côté de la force occupante,
01:21 le soin de déterminer nos finalités et de fixer le cap.
01:25 Se devenir appareil de l'humanité,
01:27 dans lequel les machines finiront bientôt par nous classer comme corps étrangers
01:30 et à ce titre superflu,
01:32 c'est celui qu'avait imaginé 15 ans après la deuxième guerre mondiale,
01:36 dans un effort de prémonition tout à fait surprenant,
01:38 le philosophe Gunther Anders.
01:40 Élève des grands philosophes allemands de son temps,
01:42 notamment Husserl avec qui il passe son habilitation,
01:45 le premier conjoint d'Anna Arendt est l'auteur d'une œuvre redécouverte aujourd'hui
01:49 qui repose sur le projet de développer une philosophie de l'occasion,
01:53 située quelque part entre le commentaire journalistique et le travail du concept.
01:58 C'est la bombe nucléaire qui précisément lui donna cette occasion,
02:01 en postulant que la surabondance des produits létaux
02:03 ont dépassé depuis longtemps notre capacité à mourir.
02:06 Nous sommes dans l'impossibilité de mourir, écrivait-il en effet,
02:10 en proportion de ce que l'amoncellement actuel de bombes à hydrogène peut nous livrer.
02:15 Tirons ici quelques enseignements.
02:17 Primo, les machines, comme pour se venger de s'être chargées pour nous
02:21 du travail servile pendant des siècles,
02:23 nous tiennent aujourd'hui en leur pouvoir et fixent notre horizon.
02:27 Nous ne sommes plus au centre du monde que nous avons créé.
02:30 Secondo, l'impératif catégorique contemporain consiste à ce que tout fonctionne.
02:35 Pour cela, il faut que tous les appareils, hommes et femmes inclus,
02:38 collaborent les uns avec les autres pour constituer un état idéal
02:42 où l'appareil avec un grand A dépasse et abolit en lui tous les micro-appareils.
02:48 Tertio, nous nous trouvons ainsi dans cet état
02:51 où nous ne sommes même plus en mesure de comprendre l'ordre auquel nous sommes soumis.
02:55 Non seulement nous ne savons plus rien du fonctionnement complexe des machines,
02:59 mais aussi nous ignorons que nous n'en savons plus rien.
03:01 Pire encore, nous ne savons plus ce que c'est que savoir quoi que ce soit.
03:06 C'est ainsi qu'Anders s'exprime notamment dans le texte intitulé "Le rêve des machines"
03:11 qui révèle une lettre inédite adressée à un certain Powers du nom d'un pilote
03:16 capturé par l'armée rouge et chargé, durant la guerre froide,
03:18 de surveiller le territoire soviétique.
03:20 Un procédé qu'il avait déjà utilisé avec le Major Heatherly
03:24 qui fut chargé d'observer la météo et d'autoriser
03:27 le largage de la première bombe atomique sur Hiroshima.
03:30 Le but de cette correspondance, tenter d'empêcher la destruction de la dignité humaine,
03:35 pousser les acteurs à imaginer et à éprouver les effets possibles de leurs agissements,
03:39 d'entrevoir les possibles catastrophes engendrées par notre docilité à l'égard des machines.
03:45 En bref, ce texte écrit le 25 août 1960 tente de lutter contre le processus enclenché de mécanisation
03:54 et de dépossession de notre vie intérieure, de notre volonté et de nos devoirs.
03:58 Il reste donc, à ce titre urgent, pour celles et ceux qui ne le connaîtraient pas encore, à découvrir.
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