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00:00 9h11h, Europain Culture Média, Thomas Hill.
00:04 Alors il y a quatre ans, Michel Desmurgés, vous avez publié un bouquin qui avait fait beaucoup de bruit
00:08 qui s'appelait "La fabrique du crétin digital, les dangers des écrans pour nos enfants".
00:13 C'était un constat assez alarmant.
00:16 Et là vous venez de publier en quelque sorte l'antidote.
00:18 Pour en finir avec le crétin digital, faites les lire.
00:22 C'est le cri que vous poussez tout au long de cet essai qui est très fouillé
00:26 où vous compilez de très nombreuses études qui toutes convergent vers l'importance cruciale de la lecture
00:32 et du contact avec les livres dès le plus jeune âge, c'est ce que vous nous dites.
00:36 Oui, je crois qu'on sait tous que la lecture ça nous apporte des choses, on sait que c'est bien, on le sait intuitivement.
00:42 Mais je crois qu'on ne mesure pas l'ampleur de ce que ça nous apporte.
00:47 C'est-à-dire que quand on regarde toute la littérature scientifique, les gens disent "Ah c'est bien, gentil, le crétin digital,
00:52 on sait que les écrans ça a des impacts négatifs sur le développement, l'intelligence, etc."
00:56 Mais qu'est-ce qu'on fait ?
00:58 Et donc j'ai regardé la littérature, et quand on regarde la littérature scientifique,
01:01 on s'aperçoit qu'il y a plein de choses qui sont bénéfiques au développement et à la structuration du cerveau.
01:05 Voilà, l'art, la musique, le sport, toutes ces activités ont des impacts très positifs,
01:13 mais il n'y a pas d'activité qui ait des impacts aussi profonds, aussi positifs et surtout aussi transférables que la lecture.
01:18 C'est-à-dire qu'on nous parle souvent du "apprendre à apprendre", c'est une espèce de concept souvent un peu fumeux,
01:23 mais s'il y a vraiment un domaine dans lequel ce concept s'applique, c'est la lecture.
01:27 Et la lecture, c'est la seule compétence qui a à ce point-là la capacité à transformer la vie des enfants pour le meilleur,
01:36 à transformer leur réussite scolaire, leur vie professionnelle, mais en plus leur vie personnelle.
01:40 Et je n'ai pas trouvé d'autres activités qui aient des impacts aussi profonds et aussi positifs.
01:44 Il n'y a pas mieux que la lecture, ça améliore le vocabulaire, l'orthographe, l'imagination, la créativité, la raison.
01:51 Vous expliquez même Michel Desmergers, et ça c'est plus étonnant que la lecture accroît l'empathie, la compréhension de l'autre.
01:57 Même pour ça, il faut lire.
02:00 Alors c'est un peu la cerise sur le gâteau, si j'ose dire.
02:02 C'est-à-dire que depuis des années, on sait que la lecture a des effets très positifs,
02:05 surtout ce que vous avez cité en termes intellectuels, si j'ose dire, le langage, les connaissances, etc.
02:10 Mais ça fait une vingtaine d'années ou légèrement plus que les chercheurs ont commencé à s'intéresser à ce qu'on appelle l'intelligence sociale, l'intelligence émotionnelle.
02:17 Et on s'aperçoit que la lecture a des impacts extrêmement profonds sur l'empathie,
02:21 sur notre capacité à nous comprendre nous-mêmes, à comprendre les autres, à interagir avec les autres.
02:25 Et ça s'explique assez bien parce que c'est le seul média qui nous permet de rentrer dans la tête des gens.
02:31 C'est-à-dire que vous êtes vraiment, littéralement, dans la tête des gens.
02:34 Comment prendre un exemple ?
02:35 Si vous regardez, par exemple, prenez Madame Bovary.
02:37 Madame Bovary, vous le regardez au cinéma, vous voyez Emma, ou à la télé, vous voyez Emma et vous vous dites "Bon, franchement, Emma, elle est pas cool, quoi."
02:42 Vous la voyez agir, vous voyez Charles, vous avez envie de le secouer un peu en disant "Charles, faudrait quand même te bouger un peu maintenant."
02:47 Et puis, vous prenez le livre.
02:49 Et dans le livre, mais c'est pareil sur d'autres...
02:51 Voilà, vous prenez Hunger Games, c'est exactement la même chose.
02:54 Et vous prenez le livre, là, et vous rentrez dans la tête d'Emma.
02:57 Vous comprenez ses contradictions, ses peurs, vous comprenez pourquoi elle agit comme elle agit.
03:01 Et en faisant ça, les études montrent que vous vous comprenez mieux vous-même à terme, vous comprenez mieux les autres.
03:05 Mais non seulement ça, mais vous éprouvez ces émotions.
03:08 C'est ça qui est fascinant.
03:09 C'est-à-dire que la littérature montre, quand vous faites des études d'enregistrement de l'activité cérébrale,
03:13 on s'aperçoit que ce que le personnage éprouve, vous l'éprouvez vous-même.
03:18 Et c'est les mêmes circuits cérébraux qui vont s'activer.
03:20 C'est-à-dire qu'un thème éprouve de la joie, de la colère ou d'autres personnages, vous allez éprouver ces mêmes choses.
03:25 Et non seulement vous allez comprendre, mais en éprouvant, vous allez ressentir ce que ressent l'autre.
03:29 Et c'est via ces facteurs-là et ces biais-là que vous allez avoir des impacts extrêmement profonds sur l'intelligence émotionnelle, l'empathie.
03:36 Et à ça, j'ai fini, mais vous ajoutez aussi, le langage des livres est beaucoup plus riche, notamment en termes émotionnels.
03:41 Dans une BD, ou quand je vous vois, je vois sur votre tête si vous êtes en colère, si vous êtes heureux, si vous êtes pressé, etc.
03:47 Et dans un livre, je n'ai pas tout ça.
03:49 Il faut des mots pour décrire tout ça.
03:51 Et ces mots sont extrêmement fins.
03:52 Et plus j'ai de mots pour exprimer mes émotions et comprendre et décrire ceux des autres,
03:56 et plus j'ai une amélioration de ces compétences émotionnelles.
03:59 Donc oui, ça améliore l'intelligence au sens intellectuel, mais aussi tout ce qui est intelligence sociale et émotionnelle.
04:04 - Sauf qu'aujourd'hui, le constat est assez alarmant, parce qu'une étude menée en 2018 révélait que la moitié des collégiens ne lisait que s'ils étaient obligés.
04:11 Plus d'un quart considèrent même la lecture comme une perte de temps.
04:14 Et tout ça, ça ne va pas en s'arrangeant.
04:16 C'est-à-dire qu'année après année, les chiffres sont de pire en pire, en fait.
04:20 - Oui, oui. Alors ça, c'est une étude PISA.
04:23 Les chiffres sont vraiment... Alors pour la première fois, rendons-lui hommage,
04:26 le ministre de l'Éducation a fait un bilan quand même assez clair des capacités inquiétantes,
04:33 c'est son mot, de nos enfants en lecture.
04:36 Je crois qu'on ne se rend pas compte à quel point les capacités de lecture d'un grand nombre de nos enfants sont faibles,
04:43 à quel point un grand nombre de nos enfants sont en difficulté.
04:46 Quand on prend les données des évaluations nationales et internationales,
04:50 on s'aperçoit qu'on a à peu près 50% d'enfants qui sont faibles,
04:53 on a 25% d'enfants qui sont capables de comprendre des textes concrets, d'en sortir l'idée simple.
05:00 C'est-à-dire qu'on a 75% des enfants qui sont capables au mieux de comprendre des textes simples,
05:05 concrets et d'en sortir l'idée évidente.
05:07 On a à peu près 20% de bons lecteurs et on a 10% de lecteurs qui sont des lecteurs avancés,
05:12 c'est-à-dire qu'ils sont capables de comprendre l'implicite dans un texte, de relier les idées,
05:15 enfin qu'ils sont vraiment des lecteurs.
05:17 Et ce qui est amusant, si j'ose dire, et il n'y a pas de coïncidence dans les chiffres,
05:20 c'est que vous avez 10% de lecteurs avancés et 10% en France de ce qu'on appelle des gros lecteurs.
05:24 Je ne sais pas quel est le sociopathe au ministère de la Culture qui a inventé ce mot,
05:28 mais gros lecteurs, pour faire peur à tout le monde, il n'y a pas mieux.
05:30 - Ce n'est pas énorme un gros lecteur.
05:32 - Ce n'est pas énorme, c'est très raisonnable, c'est 20 livres par an, c'est 20 à 30 minutes par jour.
05:37 Donc il y a effectivement un effondrement des compétences.
05:39 - Et ce qui nous empêche de lire, c'est ce que vous appelez l'éléphant numérique,
05:43 qui prend de plus en plus de place. On en parle dans un instant.
05:45 Michel Desmurgé, vous êtes avec nous jusqu'à 11h.