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Xavier Jaravel, professeur d'économie à la London School of Economics était l'invité éco de franceinfo, jeudi 21 décembre, pour son livre "Marie Curie habite dans le Morbihan".

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Transcription
00:00 Bonsoir à toutes et à tous et bonsoir à vous Xavier Géravel.
00:03 Bonsoir.
00:03 Vous êtes professeur d'économie à la London School of Economics.
00:06 Vous avez reçu le prix du meilleur jeune économiste en 2021
00:10 et vous venez de publier au seuil un petit livre rose au titre un peu étrange
00:15 "Marie Curie habite dans le Morbihan".
00:18 Pourquoi ce titre énigmatique ?
00:20 Titre curieux mais qui s'explique pas 76 pour ceux qui veulent regarder le livre.
00:24 En fait c'est une des principales conclusions du livre qui s'attache à une grande question
00:27 qui est celle de l'innovation et des inégalités.
00:30 Et en fait ce qu'on voit c'est qu'on a beaucoup de potentiel en France
00:33 pour avoir à la fois plus d'innovation et moins d'inégalité
00:35 parce qu'il y a beaucoup de potentiel inexploité.
00:37 Des Marie Curie perdus, des gens qui auraient pu faire de l'innovation
00:41 mais qui ne se sont pas lancés dans cette voie,
00:43 pas à faute de compétence mais faute d'envie, de modèles à suivre.
00:47 Et donc en fait le livre fait tout un travail de données
00:50 pour regarder la trajectoire des gens qui deviennent de grands scientifiques,
00:53 des innovateurs, des entrepreneurs.
00:55 En France on a un déficit d'ailleurs de vocation scientifique depuis une dizaine d'années.
00:58 Et en fait ce qu'on voit c'est que chez les femmes,
01:01 chez les gens d'origine modeste, chez les gens de certains territoires
01:03 où il n'y a pas d'écosystème d'innovation,
01:05 vous avez beaucoup de gens qui ont les résultats scolaires, par exemple au lycée,
01:08 pour aller dans les filières scientifiques, pour aller en classe prépa,
01:10 pour faire plein de choses, mais qui ne font pas tout simplement par auto-censure.
01:14 Et on a des outils très concrets pour changer ça,
01:16 notamment avec la politique d'orientation.
01:18 Et là aussi avec des résultats de recherche qui montrent que
01:21 des choses assez simples comme présenter les carrières de la science,
01:24 venir dans les écoles, dire quel est le rôle des classes prépa scientifiques,
01:27 ça change vraiment la donne.
01:29 Et notamment si on peut s'identifier aux gens qui font ces présentations.
01:32 Donc en l'occurrence il y a une étude qui montre que vous pouvez atteindre la parité
01:35 femmes-hommes dans les taux d'inscription en classe prépa scientifique
01:38 uniquement en allant présenter les carrières,
01:40 dès lors que c'est une femme qui vient présenter sa carrière.
01:42 Et aujourd'hui il y a donc des inégalités de genre,
01:45 également liées au milieu social.
01:47 En ce qui concerne l'innovation,
01:49 en 2019 aux Etats-Unis, 83% des inventeurs-détenteurs de brevets étaient des hommes.
01:55 Donc aujourd'hui ces inégalités, elles existent,
01:58 et l'innovation reproduit les inégalités sociales et de genre.
02:02 Voilà, de genre, de territoire, de milieu social,
02:05 et il y a un peu d'amélioration spontanée, mais très peu,
02:07 s'agissant des inégalités femmes-hommes.
02:09 Ça va prendre environ encore 150 ans pour atteindre la parité
02:12 si on continue à progresser au rythme qui est le nôtre,
02:14 qui est très très faible.
02:15 Et donc le message du livre c'est de dire qu'en fait,
02:18 on peut voir le verre à moitié plein,
02:20 parce que ça veut dire qu'en fait on n'utilise pas tout un potentiel
02:22 chez les femmes, chez les personnes d'origine modeste.
02:24 Et tout simplement aujourd'hui on ne voit pas ça comme un pilier central
02:27 de la politique d'innovation.
02:28 C'est-à-dire que c'est vu comme quelque chose de sympathique,
02:30 mais pas de central.
02:31 La politique d'innovation c'est investir dans les semi-conducteurs,
02:34 c'est pas la politique d'orientation,
02:35 et moi c'est ce que je veux changer,
02:37 en disant qu'en fait non, ça doit devenir une priorité,
02:39 il y a plein de choses très concrètes à faire à court terme.
02:41 Et donc investir dans les semi-conducteurs,
02:43 c'est pas une bonne idée, c'est pas comme ça qu'on favorise l'innovation.
02:46 C'est aussi une bonne idée, mais c'est pas du tout que comme ça
02:49 qu'on favorise l'innovation,
02:50 parce qu'il n'y aura tout simplement personne pour aller travailler
02:52 dans les usines de semi-conducteurs,
02:53 ou beaucoup trop peu de personnes.
02:56 Donc il y a tout un enjeu lié à l'orientation,
02:58 et puis plus généralement lié à l'éducation,
03:00 tout un décrochage éducatif en France,
03:02 qui sape nos capacités d'innovation,
03:04 et qui est très lié aux inégalités,
03:06 puisqu'on a des inégalités éducatives très fortes.
03:08 Et souvent quand on regarde l'économie française,
03:10 on dit "ah ben en fait on est assez productif en France".
03:12 L'enjeu c'est de travailler plus d'heures.
03:14 Mais ça ce n'est plus vrai, c'est le constat que fait le livre.
03:17 Depuis une dizaine d'années en fait,
03:18 on est moins productif par heure travaillée,
03:20 et c'est notamment à cause de ce décrochage éducatif.
03:22 Et donc le message c'est de dire,
03:23 il faut avoir une nouvelle priorité,
03:25 qui est celle de l'éducation.
03:26 Et vous avez vu donc les annonces de Gabriel Attal,
03:28 le nouveau ministre de l'éducation,
03:30 qui propose des groupes de niveau,
03:32 mis en place au collège.
03:34 Est-ce que c'est une bonne initiative ?
03:36 Est-ce que ça pourrait permettre de réduire
03:38 les inégalités dont vous parlez dans ce livre ?
03:40 Je pense que ce qui est intéressant,
03:41 c'est déjà de parler du sujet,
03:42 de dire qu'il y a une baisse de niveau,
03:44 qui concerne aussi d'ailleurs jusqu'aux meilleurs élèves.
03:46 Il veut dire qu'on veut lancer plein de choses.
03:48 Dans le plan de Gabriel Attal, il y a d'autres choses.
03:50 Et il y a notamment les groupes de niveau.
03:52 Et sur ça en fait, la recherche est assez nuancée.
03:54 C'est-à-dire que les groupes de niveau,
03:56 si c'est fait de manière flexible,
03:58 c'est-à-dire que vous êtes dans un petit groupe
04:00 au sein de votre cours de maths pendant une heure ou deux,
04:02 et ensuite la prochaine fois,
04:04 vous réintégrez le groupe global,
04:06 ça marche plutôt bien.
04:08 C'est-à-dire qu'on vous permet de travailler plus sur les fractions
04:10 pendant un petit moment, après vous revenez dans le groupe général.
04:12 Ça, ça a l'air de marcher.
04:13 En revanche, si c'est des groupes de niveau
04:15 qui sont plus systématiques,
04:17 où vous avez les moins bons d'un côté, les meilleurs de l'autre,
04:19 ça a l'air de ne pas donner de bons résultats.
04:21 C'est ce que nous dit la recherche en économie d'éducation.
04:23 Il faut donc que ce soit fluide et que ce soit flexible.
04:25 Ce que propose Gabriel Attal, c'est entre les deux.
04:27 Et on ne sait pas exactement de quoi il s'agit pour l'instant.
04:29 Donc on verra.
04:31 À suivre. Un bon point.
04:33 Il ne faut pas se focaliser sur une seule mesure.
04:35 Il faut jouer sur les deux.
04:37 Par exemple, les deux lois des classes de CP,
04:39 ça a très bien marché, mais c'est assez faible
04:41 par rapport à l'ampleur de la réduction des inégalités
04:43 et de la hausse du niveau qu'il nous faut accomplir.
04:45 Donc, il faut jouer sur l'inégalité pour réduire les inégalités.
04:49 Parlons des politiques publiques et notamment des financements publics.
04:53 Il y a toujours un débat en France qui revient sur
04:56 où va l'argent public en termes d'innovation,
04:59 en termes de financement.
05:01 Vous avez parlé des semi-conducteurs.
05:03 Vous parlez également beaucoup du crédit impôt recherche.
05:06 7 milliards d'euros par an.
05:08 Il ne faut pas y toucher, dit le gouvernement.
05:10 Qu'en pensez-vous Xavier Genravel ?
05:12 Plutôt l'inverse.
05:14 C'est une des parties du livre.
05:16 La manière habituelle de faire la politique d'innovation en France,
05:18 c'est les subventions.
05:20 En l'occurrence non ciblées pour tout type d'innovation
05:22 avec le crédit d'impôt recherche.
05:24 Et à mon sens, on pourrait avoir beaucoup plus d'efficacité
05:26 de la dépense en se concentrant sur d'autres postes de dépense.
05:28 Et s'agissant du crédit d'impôt recherche,
05:30 on a plusieurs études où on voit qu'il n'y a pas
05:32 d'effet d'entraînement.
05:34 Les groupes qui en bénéficient ne font pas
05:36 beaucoup plus de recherche par euros dépensés.
05:38 Il n'y a pas un grand effet d'entraînement.
05:40 Il y a plein de raisons à ça.
05:42 Où doit-il aller cet argent ?
05:44 Sur l'éducation, sur l'orientation.
05:46 Pas pour financer la recherche au sein des entreprises ?
05:50 Du tout.
05:52 On en fait beaucoup pour les subventions à l'innovation.
05:54 On a aussi le plan France 2030.
05:56 En termes de priorité, il faudrait un peu changer de pied.
05:58 Sur le crédit d'impôt recherche,
06:00 on comprend bien pourquoi.
06:02 Il y a plein de raisons et de manières
06:04 dont on peut optimiser le dispositif.
06:06 Si on veut le garder,
06:08 sur les entreprises, on pourrait au moins
06:10 le décaler sur les plus petites entreprises.
06:12 Ce qu'on voit empiriquement, c'est que c'est là
06:14 qu'il y a un effet d'entraînement,
06:16 plutôt que sur les plus grands groupes.
06:18 À qui profite l'innovation ?
06:20 Est-ce qu'il profite aux plus aisés ?
06:22 Aux ceux qui bénéficient
06:24 déjà d'un certain nombre de choses ?
06:26 Ou est-ce qu'il permet de réduire
06:28 les inégalités ?
06:30 Parmi les inégalités récentes,
06:32 il y a l'intelligence artificielle.
06:34 Beaucoup d'innovations sont en open data.
06:36 On peut imaginer que ça profite
06:38 aux plus grands nombres.
06:40 Souvent, on s'inquiète
06:42 de la disparition des emplois
06:44 qui pourraient être liés à l'intelligence artificielle,
06:46 les robots...
06:48 Pas vraiment à raison.
06:50 Je pense qu'il y a un peu trop de catastrophistes.
06:52 Quand on regarde les données,
06:54 les entreprises qui automatisent ou qui adoptent l'IA
06:56 créent plus d'emplois.
06:58 C'est aussi vrai pour les secteurs d'activité,
07:00 pour les pays. Par exemple, l'Allemagne
07:02 a beaucoup plus robotisé son industrie que nous
07:04 et est beaucoup plus forte, a mieux préservé son industrie.
07:06 Ce n'est pas le souci principal.
07:08 En revanche,
07:10 un élément que je mets en avant,
07:12 c'est que dans des pays comme les États-Unis,
07:14 où il y a une hausse des inégalités de revenus,
07:16 ce n'est pas le cas en France, c'est le cas aux États-Unis,
07:18 l'innovation amplifie ce phénomène
07:20 parce que vous avez des incitations financières
07:22 à adopter l'IA,
07:24 à adopter l'automatisation et d'autres formes d'innovation
07:26 pour améliorer la qualité
07:28 des produits sur les marchés en croissance.
07:30 Vous avez des gens qui deviennent de plus en plus riches,
07:32 vous pouvez investir et du coup,
07:34 ça amplifie les inégalités de pouvoir d'achat
07:36 parce que ça améliore les produits
07:38 qui sont destinés à ces populations-là.
07:40 C'est ça pour moi l'effet principal
07:42 qui fait le lien entre innovation et inégalité.
07:44 - Merci beaucoup Xavier Geravel,
07:46 économiste auteur. Au seuil de Marie Curie,
07:48 Habit dans le Morbihan,
07:50 vous étiez l'invité Echo de France Info ce soir.

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