Alors que la situation humanitaire semble un peu plus catastrophique chaque jour à Gaza, Maud reçoit Isabelle Defourny la présidente de Médecins sans frontières.
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00:00 Bonjour Isabelle Defourny, bienvenue sur le plateau de Télé Matin.
00:03 Merci, bonjour.
00:04 La ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a appelé hier à une trêve humanitaire immédiate à Gaza avec une dizaine d'autres ONG.
00:13 Vous allez vous aussi cet après-midi lancer un appel au cessez-le-feu. Pourquoi est-ce que votre appel serait entendu ?
00:19 On va de fait renouveler notre appel au cessez-le-feu parce qu'on sait que c'est la seule solution pour ébargner la vie des habitants de Gaza
00:29 pour réussir à mettre en place des secours médicaux.
00:32 On est dans une situation aujourd'hui désespérée à Gaza, désespérée dans les hôpitaux notamment.
00:37 Mais vous croyez au poids d'un appel des ONG ?
00:40 On a vu que le président Emmanuel Macron nous a écoutés lors de la conférence humanitaire qu'il a organisée.
00:48 Aujourd'hui, ce dont on a besoin, c'est du soutien des États-Unis.
00:53 Et puis ce qui serait idéal aussi, c'est d'avoir une position unifiée de l'Europe.
00:56 Vous trouvez-vous qu'il n'y a pas assez de pression de la communauté internationale sur ce sujet-là ?
01:00 Il manque évidemment les États-Unis qui ont mis leur veto lors de la dernière résolution.
01:06 Et ça, c'est évidemment l'acteur majeur.
01:09 Cette trêve, si elle intervient, qu'est-ce qu'elle permettrait concrètement ?
01:14 Comme je vous le disais, pour mettre en place des secours, on a besoin de ce cessez-le-feu.
01:20 C'est impossible de mettre en place les secours nécessaires sous des bombardements
01:26 dans une ville qui est devenue un champ de ruines et à nouveau qui est sous des bombardements permanents.
01:33 Ce que l'on fait en général dans des conflits, c'est qu'on met en place des postes avancés
01:39 pour recevoir, stabiliser les blessés proches des combats.
01:43 Mais on les amène à l'arrière, dans des zones sûres.
01:47 Et aujourd'hui, ce que l'on voudrait, c'est qu'il y ait la possibilité de sortir plus massivement
01:52 les blessés de Gaza, qu'ils soient pris en charge, notamment en Égypte.
01:57 Il y a un convoi humanitaire qui est entré hier dans la bande de Gaza
02:00 par un point de passage israélien qui est à l'extrême sud de la bande de Gaza.
02:04 79 camions qui transportaient quoi concrètement ?
02:08 Hier, je ne sais pas exactement, mais ce que les camions amènent en général,
02:12 ce sont des médicaments, du matériel médical et de la nourriture.
02:16 Et ça, la nourriture, elle manque beaucoup.
02:20 La faim se fait sentir.
02:22 Nos équipes sur place, qui discutent avec des populations déplacées,
02:26 avec les patients, eux-mêmes rapportent le manque de nourriture de plus en plus sévère.
02:32 Qu'est-ce qu'elles vous rapportent justement, ces équipes qui sont sur le terrain ?
02:35 Il reste quoi de Gaza aujourd'hui ?
02:37 Alors la ville est un champ de ruines.
02:41 Ça, c'est une réalité. Il y a de moins en moins d'hôpitaux qui fonctionnent.
02:44 Mais il y a encore des hôpitaux debout par exemple ?
02:46 Oui, environ, on estime, une dizaine d'hôpitaux dans le sud,
02:49 deux hôpitaux je pense dans le nord et 8, 9 dans le sud de la bande de Gaza qui fonctionnent encore.
02:55 Nous-mêmes, on travaille dans plusieurs de ces hôpitaux.
02:57 Mais ces hôpitaux font face à afflux de blessés, sur afflux de blessés,
03:01 conditions extrêmement difficiles pour prendre en charge les patients,
03:04 très peu de place. Les hôpitaux sont vraiment débordés.
03:07 Énormément d'enfants parmi les blessés.
03:09 Les blessés, ça c'est quand même assez unique.
03:12 Un quart environ des blessés ont moins de 12 ans, la moitié moins de 18 ans.
03:18 Des blessures extrêmement sévères, des brûlures très graves, des traumatismes multiples.
03:26 Les personnes sont écrasées.
03:28 Les blessés que l'on reçoit sont des victimes des bombardements.
03:33 Ils arrivent écrasés en fait.
03:35 Il y a aussi toute cette population qui a été déplacée.
03:37 85% de la population de Gaza s'est réfugiée à Rafa, dans le sud.
03:42 Dans quelles conditions vit cette population aujourd'hui ?
03:44 Alors là aussi, des conditions de plus en plus compliquées.
03:47 Une partie de la population arrive à trouver des abris, souvent des abris précaires.
03:52 Il y a aujourd'hui des personnes qui sont complètement à la rue.
03:57 Il pleut.
03:58 Une autre inquiétude, c'est le froid.
04:01 Le froid commence et déjà, par exemple, les vêtements chauds manquent.
04:05 Il manque les couvertures.
04:08 Donc la faim, le froid, la pluie, des personnes à la rue.
04:13 Et alors pousser vers un réduit de plus en plus petit,
04:18 qui ne permet pas du tout de mettre en place des conditions sanitaires, des abris corrects.
04:24 Le ministre de la Défense israélien a prévenu que ce serait une guerre qui durerait plusieurs mois.
04:29 Quelles conséquences humanitaires ça aurait ?
04:32 Alors évidemment, c'est extrêmement inquiétant.
04:34 Aujourd'hui, on parle déjà de plus de 50 000 blessés, ce qui est gigantesque.
04:39 On n'arrivera pas à prendre en charge tous ces blessés dans le peu d'hôpitaux qui restent.
04:44 Et surtout, si le cessez-le-feu ne se met pas en place.
04:48 Les millions, finalement, presque 2 millions de personnes sont déplacées.
04:53 Et donc, si la quantité d'aide qui rentre n'augmente pas,
04:59 on va faire face à, aujourd'hui, la plupart des personnes qui décèdent,
05:04 ce sont de bombardements ou après avoir été blessé.
05:07 À l'avenir, on craint évidemment les épidémies, les maladies diverses liées à la promiscuité, au froid, etc.
05:14 Il y a aussi les craintes pour vos équipes sur le terrain.
05:17 Plusieurs médecins de Médecins sans frontières sont morts dans des bombardements.
05:21 Est-ce que vous avez pensé un moment quitter la zone parce que trop dangereuse ?
05:25 Tous les jours, on se pose la question du risque et de notre plus-value,
05:33 de notre capacité à réellement mettre en place des secours.
05:37 C'est très, très, très difficile.
05:38 On a dû sortir de plusieurs hôpitaux.
05:41 Quatre de nos personnels ont été tués.
05:43 L'un dans un bombardement qui a touché sa maison au nord, dans le camp de Djalabia.
05:49 Deux autres qui travaillaient dans un hôpital.
05:51 Et enfin, un autre qui est décédé alors qu'il était dans un convoi de médecins humanitaires,
05:57 un convoi identifié.
05:59 Il a été ciblé par des snipers israéliens.
06:03 Donc, il y a des tirs directs sur des équipes humanitaires.
06:08 Depuis le 7 octobre, on parle beaucoup aussi des crimes sexuels qui ont été commis par le Hamas.
06:13 Est-ce que vos équipes ont eu affaire aussi aux victimes de ces crimes ?
06:17 Non, on n'a pas eu affaire à ces victimes-là.
06:21 C'est évidemment une horreur absolue.
06:25 Après le 7 octobre, on avait proposé aux autorités israéliennes d'intervenir,
06:30 d'aider dans les hôpitaux.
06:32 Bon, ils n'en ont pas eu besoin.
06:34 Donc, finalement, nous, on n'a jamais eu accès aux victimes israéliennes.
06:38 Et dans les hôpitaux, dans la bande de Gaza où on travaille aujourd'hui,
06:41 on n'a pas pris en charge de personnes victimes de violences sexuelles.
06:45 Alors, on sait que vos équipes, elles sont habituées à intervenir sur des terrains de guerre.
06:49 Est-ce que là, on est sur des conditions particulières ? Est-ce que vos équipes sont marquées ?
06:54 Les équipes sont marquées, oui.
06:56 Il y a une équipe internationale qui est sortie il y a quelques jours.
07:00 Et de fait, ils décrivent une situation effroyable qu'ils n'ont pas vue précédemment.
07:07 Ce qui est unique dans ce conflit, c'est d'avoir une population qui est coincée
07:13 dans une zone assez petite et qui est soumise à des bombardements permanents.
07:21 Et pour qui, finalement, toutes les structures qui pourraient les aider,
07:26 comme les hôpitaux, sont détruits les uns après les autres.
07:30 Donc, c'est une situation quand même extrêmement complexe, rare.
07:34 Et l'ampleur et l'importance des blessures est aussi très marquante
07:40 pour les médecins qui en témoignent.
07:43 D'où l'importance de faire sortir rapidement les blessés et certains malades vers des pays tiers.
07:52 Merci beaucoup Isabelle Defourmy pour votre témoignage.
07:55 Je rappelle que vous êtes la présidente de Médecins sans frontières.