Comment faire de sa vie un théâtre ? La question qui par Maïa Mazaurette

  • l’année dernière
Parler le vieux françois, appuyer certaines syllabes, faire traîner la voix sur une voyelle, rouler les r, bref, parler comme au temps de Molière. Il existe dans le monde du théâtre des gens qui continuent de faire vivre son héritage à travers une pratique de la langue et du geste particulière !

Retrouvez "La question qui" de Maïa Mazaurette sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out

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😹
Amusant
Transcription
00:00 C'est l'heure de la question de Maya Masorette, introduite par son invité Benjamin Lazare,
00:04 qui interprétait le maître de philosophie dans le Bourgeois Gentilhomme.
00:08 * Extrait de « Le Bourgeois Gentilhomme » de Maya Masorette *
00:11 Vos deux lèvres s'allongent comme si vous faisiez l'amour.
00:14 Tout bien que si vous la voulez faire à quelqu'un et vous moquez de lui, vous ne sauriez lui dire que...
00:20 « I ! »
00:21 * Rires *
00:23 « I ! »
00:25 « I ! Cela est vrai !
00:27 Je crois que je n'ai étudié plus de temps pour savoir tout cela ! »
00:32 Alors, comment faire de sa vie un théâtre ?
00:35 Alors, je spoile un peu ce qui va suivre, mais on va parler de déclamations baroques,
00:38 un art très spécifique qu'on va découvrir ensemble,
00:40 mais qui me donne l'occasion de raconter un secret de notre métier.
00:44 La manière dont on parle, Marie, Marine et moi,
00:47 elle n'est pas du tout conforme à la manière dont on parle dans la vraie vie,
00:50 parce que pour qu'une phrase paraisse normale à la radio, il faut la surprononcer,
00:54 et pour qu'une émotion s'entende, il faut la surjouer.
00:57 Du coup, quelqu'un qui arriverait dans le studio, hors contexte,
01:00 se demanderait sans doute pourquoi je déclame, car là, oui, je déclame,
01:04 mais sans image, si on n'en fait pas des caisses, tout tombe à plat.
01:07 Ah d'ailleurs, vous connaissez la légende urbaine qui veut que les gens des médias
01:10 soient sous cocaïne du matin au soir ?
01:12 Et bien, à mon avis, la légende vient justement de cette manie qu'on a de mettre de l'emphase sur tout.
01:17 Et peut-être un peu de la réalité aussi.
01:18 * Rires *
01:20 Parfois, mais presque jamais.
01:22 Et puis, ce n'est pas tout. Notre parole est scénarisée, soumise au chronomètre,
01:24 distribuée pour éviter qu'on parle en même temps,
01:26 on enfile nos personnages au début de chaque émission.
01:28 Bref, vous l'aurez compris, ici, on fait un peu de théâtre,
01:32 et à mon avis, vous qui nous écoutez, vous en faites aussi.
01:35 A la boulangerie, en surjouant la cliente sympa,
01:37 au bureau, en surjouant l'employé modèle.
01:40 Je vous ai adoré en Robert De Niro la dernière fois qu'on vous a grillé une priorité.
01:44 Je vous ai adoré en Isabelle Huppert la dernière fois qu'un goujat a voulu vous draguer.
01:47 Et vraiment, j'ai adoré votre prestation en Calimero,
01:50 pour le dernier échec de votre équipe de foot préférée.
01:52 Alors, je ne suis pas en train de dire qu'on va tous finir à la comédie française, loin de là.
01:56 Mais quand même, de la scène au public, il y a quelques continuités,
01:59 et pourquoi pas, quelques inspirations à grappiller.
02:01 - Et Maya, aujourd'hui, tu reçois Benjamin Lazare.
02:04 - Bonjour Benjamin Lazare. - Et bien, bonjour.
02:06 - Alors, vous êtes metteur en scène et comédien,
02:08 et vous avez été formé à la déclamation baroque.
02:10 Avant de nous donner un exemple, est-ce que vous pouvez juste nous expliquer ce que c'est ?
02:14 - Bah, déclamer, c'est dire en public, voilà,
02:17 dire un texte en public, pour un public.
02:20 - Et le baroque, pour nous, c'est... - Et la déclamation baroque,
02:22 on désigne baroque par baroque le XVIIe siècle en général,
02:26 comme on dit musique baroque, voilà, pour simplifier.
02:29 Donc, la déclamation baroque, c'est l'art de dire un texte en public,
02:33 selon ce qu'on a pu retrouver et rêver à nouveau des règles
02:38 de déclamation, de jeu, de l'art de l'acteur du XVIIe siècle.
02:42 - Alors, on vous a entendu dans une pièce de théâtre,
02:43 mais je vous ai écrit un petit texte,
02:45 pour voir ce que ça donnerait avec quelque chose de plus contemporain.
02:48 - Ah oui, c'est un texte qui n'est pas écrit à la base pour ça,
02:50 mais ça permet d'entendre une autre langue aujourd'hui.
02:55 - La langue n'est pas aussi parfaite que celle de Molière, c'est ça qui nous détonne.
02:58 - Elle a son intérêt aussi, elle a son intérêt, je suis ravi d'interpréter.
03:02 - C'est du Maya Masorette.
03:03 - Bonjour, il est 17h35, et 58 secondes,
03:13 et vous écoutez France Inter, dans l'émission "Jusqu'ici tout va bien",
03:17 nous chahutons les idées en recevant des personnalités qui s'engagent
03:23 et qui enchantent notre vie quotidienne.
03:27 - Et c'est incroyable, parce que ces mots, on les dit tout le temps,
03:29 on les dit tous les jours, et pourtant, vous nous emmenez complètement dans un autre monde.
03:32 C'est ça le but, c'est de nous emmener complètement ailleurs ?
03:35 - Oui, c'est effectivement à la fois faire un écart par rapport à la langue quotidienne,
03:42 faire du théâtre un moment d'exception par rapport à la langue qu'on utilise tous les jours,
03:48 mais ce détour, paradoxalement, amène aussi à quelque chose d'assez direct.
03:53 On touche à d'autres zones de la compréhension et de l'émotion,
03:57 sans que ça empêche de comprendre le texte non plus au bout de quelques minutes.
04:01 - Ce qui est amusant, c'est que vous parlez avec les mains.
04:03 - Oui, mais on parle tous avec les mains, en fait.
04:06 Dans le théâtre baroque, disons qu'on utilise la gestuelle d'une manière consciente.
04:13 Ce ne sont pas seulement des gestes émotionnels, ce sont des gestes choisis,
04:19 rhétoriques, qui accompagnent le discours, qui parfois permettent de montrer le ciel, la terre, l'amour,
04:27 une seconde avant que le mot soit prononcé.
04:30 - C'est comme des sous-titres.
04:31 - C'est comme un écran qui permet de mieux entendre.
04:36 Ça fait partie de l'art de l'acteur au XVIIe siècle, mais encore aujourd'hui sous d'autres formes.
04:41 Quand je travaille avec des enfants, par exemple,
04:44 on fait un peu l'inventaire des gestes qu'ils utilisent eux-mêmes ou que leurs parents font.
04:52 On se rend compte que selon les cultures, selon les familles, il y a des gestes différents.
04:58 C'est intéressant d'avoir conscience de ce langage-là.
05:01 - C'est pour que ces gestes soient vus que vous êtes toujours face au public ?
05:05 - Oui, le public dans la représentation fait partie du moment présent.
05:13 Un peu comme dans un stand-up où le public est présent.
05:17 Là, l'acteur parle à son partenaire, mais capte la lumière des bougies qui est devant lui,
05:24 la rend aussi au public par sa réflexion, et puis l'inclue et lui parle aussi à lui.
05:34 - Ça vous arrive de déclamer dans la vraie vie ?
05:37 Quand vous êtes amoureux, par exemple ?
05:39 - Non, je ne vous dis pas "vos beaux yeux me font mourir d'amour".
05:45 Je le laisse à Monsieur Jourdain.
05:49 Mais par contre, quand on répète, toute la journée, on finit par dire "passe-moi le sel".
06:01 - Est-ce que cette interprétation du passé a encore quelque chose à nous apporter aujourd'hui ?
06:05 Pourquoi on va vous voir faire de la déclamation baroque ?
06:08 - Ça ne se passe pas vraiment en question de passé et de présent.
06:18 On va chercher dans le passé d'autres amis, qu'on fait rentrer dans la danse du présent.
06:24 Molière, Shakespeare, Cyrano de Bergerac, l'auteur.
06:29 Je crois que c'est ça qui est important, c'est de les inclure dans le monde vivant.
06:34 - Vous hochez la tête de Nipo Daliès quand il a dit "d'autres amis".
06:40 - Là, il y a le théâtre de la liberté de Génine à Gaza qui a monté Roméo et Juliette.
06:47 Ils en ont eu besoin de montrer ce texte-là.
06:51 Vous savez qu'il y a plusieurs personnes qui sont arrêtées en ce moment de ce théâtre.
06:57 Il y a un appel à soutien qui est notamment relayé par le site du festival Sens Interdit.
07:03 Voilà pour eux, le passé est venu au secours du présent.
07:10 Merci.
07:10 Faire de sa vie un théâtre, c'est aussi une très belle image que vous employez.
07:19 C'est aussi se réapproprier la vie et inverser les choses.
07:24 Quand les autres veulent que vous soyez le personnage de ce qu'ils ont décidé,
07:30 le théâtre peut parfois renverser la perspective et la table.
07:35 - Très bien. Soyons toutes et tous Molière.
07:37 Merci beaucoup Benjamin Lazar.
07:39 Je rappelle que vous êtes comédien, metteur en scène et donc déclameur baroque, déclamateur baroque.
07:44 En ce moment, vous jouez l'Orfeo de Sartorio, un opéra vénitien baroque de 1672
07:48 sous la direction musicale de Philippe Jarouski.
07:51 C'est ce soir et demain à 20h au théâtre, l'Athénée à Paris, puis le 2 mars à Juvisy.
07:56 Avant de nouvelles dates la saison prochaine.
07:58 - Merci.
07:59 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org

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