• l’année dernière
Vincent Lapierre est directeur du Centre de Prévention du Suicide à Paris et psychologue clinicien.En ce mois de mobilisation pour la santé masculine, nous l'avons interviewé pour notre série de vidéos « Tu n’es pas seul·e » . Depuis quelques années, Vincent est aussi porte-parole de Movember en France pour les questions de santé mentale.

Movember agit pour une meilleure prise en compte de ces enjeux et appuie sur les leviers de prévention efficaces : plus que la parole des experts, c’est la solidarité entre les mo-bros et les mo-sistas qui peut aider à faire bouger les lignes.

Si vous avez besoin d’aide, nous vous conseillons de contacter le 3114.

STAY TUNED pour les prochains témoignages.

Direction : @musaetomorrow
Journaliste : @christelle_tissot
Production et montage vidéo : @musaetomorrow et @pauline.lcmt
DA by : @musaetomorrow et @_siobhankeane_
Motion design : @adrienlopes

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Transcription
00:00 Si à un moment donné ça va loin, si à un moment donné on souffre vraiment très intensément
00:03 et ça a un impact sur l'ensemble de notre vie, on va continuer de faire exactement la
00:07 même chose et pas forcément, quand on est un homme, aller chercher plus d'aide que
00:11 ça.
00:12 Et c'est bien là le problème.
00:13 Je m'appelle Vincent Lapierre, je suis psychologue clinicien de formation et depuis quelques
00:22 années je dirige le Centre de Prévention du Suicide à Paris.
00:25 Je suis engagé dans la santé mentale, on va dire ça comme ça, depuis très très
00:29 longtemps j'ai d'abord travaillé en psychiatrie.
00:31 Et puis je me suis intéressé à la prévention du suicide parce que c'est quelque chose
00:35 qui nous touche tous, qu'on peut dire une question philosophique de fond, en tout cas
00:40 ça fait partie de l'histoire de l'humanité et je trouve vraiment intéressant de penser
00:44 ce qu'est cette prévention.
00:45 75% des morts par suicide sont des hommes.
00:51 On se rend compte en fait que tout l'effort de prévention qu'on fait est assez efficace,
00:56 que le suicide baisse, mais que quand même pour les hommes et particulièrement les hommes
00:59 entre 30 et 50 ans, il y a besoin d'actions spécifiques et je me suis intéressé en
01:04 fait à c'est quoi une mesure de prévention efficace pour les gens comme moi, puisque
01:09 je suis un homme entre 30 et 50 ans.
01:11 Et Movember agit pour ça, soutient des actions, des initiatives et l'idée c'est chaque
01:16 année d'aider un peu à la collecte de fonds pour qu'on puisse avancer, être plus
01:20 efficace et puis aussi aller à la rencontre des hommes qui sont en souffrance.
01:24 La boutade que je fais souvent c'est de dire que la santé mentale est un des seuls
01:33 endroits où les stéréotypes de genre jouent en défaveur des hommes, mais en revanche
01:37 en défaveur et très fortement et avec des conséquences tout à fait délétères sur
01:42 leur vie et le déroulé d'un problème de santé mentale.
01:45 Un homme déprimé va beaucoup moins bien se soigner et ça va prendre beaucoup plus
01:50 longtemps qu'une femme qui aura plus tendance à consulter des professionnels de santé.
01:54 Qu'est-ce qui va amener un homme à consulter ? Et on s'est rendu compte que ce n'était
01:58 pas les messages de prévention qu'on pouvait faire passer, que ce n'était pas des gens
02:01 comme moi qui allaient porter la bonne parole, mais qu'au fond, ce qu'on appelle pression
02:04 sociale positive par les pairs, techniquement, mais ça revient à un pote, un camarade de
02:10 la salle de sport, un collègue avec qui on s'entend bien, qui va dire « tu sais
02:14 moi j'ai rencontré des soucis et je sais que ça, ça m'a aidé ». C'est beaucoup
02:17 plus efficace que tout ce que je pourrais dire directement à la caméra.
02:20 Alors on parlait des stéréotypes de genre, moi je retiens une idée, et c'est vraiment
02:27 une idée clé, c'est du côté de l'intimité.
02:29 En fait, quand on regarde la manière dont on pense les choses, l'intime est très,
02:34 on va dire très marquée du côté du féminin.
02:36 En tout cas, tout ce qui relève de son vécu intérieur, les femmes ont l'habitude d'en
02:42 parler et on a l'habitude, quand on est un homme, de se confier à une femme, mais
02:45 dans un cadre d'intimité.
02:47 Le problème c'est qu'une fois qu'on est adulte, l'intimité en question, c'est
02:51 très difficile de la détacher de quelque chose qu'on va appeler amoureux, sexuel,
02:56 érotisé, je peux le dire comme ça.
02:58 Un vrai frein à la consultation psychologique pour un homme, c'est ça, c'est cette situation
03:02 d'intimité non érotisable.
03:04 Après, de manière plus générale, il y a effectivement ce modèle de l'homme qui
03:09 ne pleure pas, qui ne s'apitoie pas sur son sort, qui prend sur lui.
03:13 L'exemple le plus marquant qu'on a de ça, c'est comment on gère une rupture.
03:16 Les femmes ont tendance à se tourner vers leur copine et à faire quelque chose de solidarité,
03:22 mais à parler de ce qui s'est passé.
03:24 Là où les hommes vont plutôt aller au pub, boire des bières avec leurs potes et parler
03:27 d'autre chose, éventuellement de regarder un match de foot, mais on ne va certainement
03:30 pas s'apesantir sur "ça ressemblait à quoi ces dernières années et qu'est-ce que
03:33 t'as vécu".
03:34 Évidemment, quand je dis ça, c'est une caricature, et bien sûr que c'est plus
03:36 nuancé que ça.
03:37 Mais le fond de la question, c'est si à un moment donné ça va loin, si à un moment
03:41 donné on souffre vraiment très intensément et ça a un impact sur l'ensemble de notre
03:45 vie, on va continuer de faire exactement la même chose et pas forcément, quand on
03:48 est un homme, aller chercher plus d'aide que ça.
03:51 Et c'est bien là le problème.
03:52 L'idée de vulnérabilité qui ne serait pas très compatible avec la masculinité,
04:00 en tout cas la virilité, ouais, ça c'est quelque chose qui aussi est très difficile
04:05 à travailler.
04:06 Quand on est un homme avec une moustache, bah oui, on est censé gérer.
04:10 La vérité, c'est qu'il y a plein d'événements de la vie qu'on ne peut pas gérer tout
04:13 seul.
04:14 Il y a plein de moments de difficultés qu'on ne sait pas gérer tout seul.
04:17 Et si on parle vulnérabilité, c'est quand même quelque chose qui est difficile à définir
04:21 parce que c'est très changeant, très mouvant.
04:23 Moi-même, je me suis senti vulnérable à plein de moments de ma vie et de plein de
04:25 manières différentes.
04:26 Moi, je sais que je le situe toujours en termes de ressources.
04:29 Avec les difficultés que je rencontre aujourd'hui, est-ce que j'ai les ressources qui vont
04:32 m'aider à supporter ce qui se passe ? Et parfois, la vulnérabilité, elle vient d'un
04:37 manque de ressources et il faut aller en chercher des nouvelles.
04:39 Et c'est ça qu'au fond, les hommes sont peu encouragés à faire tout au long de
04:44 leur vie et qu'il faut les aider, je crois, à penser.
04:48 Parfois, même pas à penser, il faut les aider à agir.
04:50 Ça peut être très aidant de prendre un pote par la main, par l'épaule, et de l'amener
04:56 à une consultation ou en tout cas de lui dire « voilà, il y a cette adresse-là,
04:59 vas-y, appelle ». Il faut carrément faire, pas juste inciter.
05:02 Il y a la notion d'utilité.
05:07 Moi, je me souviens d'un rapport de la Fondation de France sur l'isolement des jeunes qui
05:11 disait « t'as pas d'amis, tu sers à rien ». C'est quand même un truc qui cogne.
05:14 Mais si on va plus loin que ça, effectivement, il y a cette notion d'utilité, on peut dire
05:18 de participation, une vie sociale, etc.
05:21 Et que ça peut mettre dans une situation de vulnérabilité de ne pas se sentir participer,
05:25 de se sentir seul.
05:26 Je me sens seul, c'est quand même un truc très difficile à sortir.
05:29 Il y a aussi quelque chose du côté de la virilité ou du fait d'être fort, c'est
05:34 un « attendu » que les hommes soient forts.
05:37 Moi, en tant que civil, j'ai plein de moments où je suis en difficulté et je me dis « faut
05:42 pas que ça se voit, les gens ont besoin que j'ai l'air d'aller bien, je vais
05:45 sourire, rire alors que j'ai juste envie d'être tout seul chez moi, rouler en boule
05:49 ». Et ça, on le fait tous, très clairement.
05:51 Après, c'est jusqu'où on le fait et à quel moment ça devient un problème.
05:54 Je pense qu'il faut mesurer l'impact sur nos relations d'intimité, en tout cas
06:03 nos relations de proximité.
06:04 On peut penser au couple, mais ce n'est pas le seul maître étalon de la question.
06:09 Les amis, le boulot, l'activité sportive, etc.
06:11 Et en fait, le vrai signe d'alerte, c'est quand on commence à se retirer des relations
06:17 qui sont autrement des ressources pour nous.
06:20 Et si quelqu'un vous le fait remarquer, parce que ça arrive assez souvent que finalement
06:23 ce soient les autres qui le voient avant nous, si quelqu'un vous le fait remarquer, il
06:26 faut que ce soit un signe d'alerte qui vous fasse vous dire « qu'est-ce qui est
06:29 en train de se passer pour moi ? ». Et si vous sentez que vous n'êtes pas en
06:32 mesure, vous, d'accéder à ces ressources-là, peut-être de vous tourner vers des professionnels
06:37 de santé qui sauront vous accompagner sans vous juger, sans vous dire qui vous êtes,
06:43 au contraire qui seront à l'écoute de qui vous êtes, de ce que vous êtes et d'où
06:46 vous avez envie d'aller.
06:47 Ma définition pour moi, ce qui me rend vulnérable, c'est justement cette impression de ne pas
06:57 être aimé.
06:58 Parce que plein de choses peuvent me donner cette impression-là et le chemin que je fais,
07:01 en tant que personne, tout au long de ma vie, c'est d'affiner un peu ça, de me rassurer
07:05 tout seul quand je le peux.
07:07 Et quand je me rends compte que je ne peux pas me rassurer tout seul, d'aller trouver
07:10 des gens qui me le font sentir.
07:12 Parfois, ça passe par faire son intéressant devant une caméra.
07:15 Et puis parfois aussi, justement, plutôt par des moments d'intimité avec des gens
07:20 que j'aime et qui vont vraiment me faire sentir que je suis important pour eux, qu'ils
07:23 sont contents que je sois là.
07:24 J'ai eu des moments où j'ai vraiment beaucoup souffert de ne pas me sentir aimé et de me
07:29 sentir nul et d'avoir l'impression de servir à rien.
07:31 C'est un équilibre précaire, c'est jamais gagné.
07:34 Il faut, je crois, sans cesse, tout au long de la vie, aller chercher des nouvelles ressources.
07:38 La vulnérabilité, ce n'est pas un combat d'une journée, c'est quelque chose avec
07:41 lequel on est né.
07:42 Je crois que tous les humains sont vulnérables au fond.
07:46 Mais il y a cette question de qu'est-ce qu'on en fait, à quel endroit ça se joue
07:49 et est-ce qu'on est capable de faire avec.
07:51 Aujourd'hui, je suis content de témoigner et je peux dire que j'ai été aidé par
07:55 des psys d'ailleurs pour faire face à ma vulnérabilité et aujourd'hui, j'arrive
07:59 à vivre avec plutôt bien.
08:00 Mes personnalités préférées sont des écrivains, des peintres dont beaucoup ont
08:08 fini par se suicider.
08:09 Donc dit comme ça, c'est assez terrible.
08:12 Mais je pense justement que ce sont des personnes qui ont témoigné de ce que c'est en fait
08:15 cette question de l'amour et de cette crainte qu'on peut avoir de à quoi ressemblerait
08:22 un monde sans amour.
08:23 Je pense à Romain Garry, je pense à Nicolas Dostal.
08:26 C'est des gens comme ça qui, je pense, moi me touchent particulièrement depuis toujours.
08:32 Mais ce n'est pas des modèles, je dirais presque que c'est des anti-modèles.
08:34 À la fois, ils montrent le chemin, ils peuvent dire comment ils ont cherché et puis on peut
08:39 aussi s'interroger de à quel endroit ça a foiré pour eux et se dire « moi je vais
08:43 être beaucoup plus fort et faire autrement ». Mais au-delà de ça, si je devais dire
08:47 qui sont mes modèles, mes amis proches.
08:49 Ils sont super forts.
08:50 Donc ouais, si j'ai des modèles, c'est eux et s'ils me regardent, merci.
08:54 Ils peuvent se sentir seuls, ça ne veut pas dire qu'ils le sont.
09:01 Il y a des endroits, il y a des gens, il y a des gens qui ont envie et notamment tous
09:04 les gens qui se mobilisent autour de Movember par exemple, tous les mobroses qui se laissent
09:08 pousser une moustache, qui portent des t-shirts.
09:10 Mais ça va bien au-delà de ça, bien entendu.
09:13 Et qu'il y a cette solidarité, elle est possible.
09:15 Mais l'idée c'est, ce n'est pas un mois par an, toute l'année, vous pourrez trouver
09:19 des personnes qui auront envie d'entendre qui vous êtes, où vous êtes et qui auront
09:23 aussi envie de pouvoir vous tendre la main.
09:25 Demander de l'aide à un pote quand on ne se sent pas bien, c'est lui donner l'occasion
09:28 de devenir un ami et c'est se donner à soi l'occasion d'avoir un nouvel ami.
09:31 Et puis après, en termes de messages de prévention, il y a le 3114 qui est un numéro national
09:36 H24, 7 jours sur 7 où vous aurez des professionnels géniaux, formés, qui sauront vous accompagner,
09:43 vous écouter et vous orienter.
09:44 Et puis sinon, d'autres dispositifs que vous pourrez trouver sur le site du 3114,
09:50 sur le site infosucide.org, sur le site de Movember bien entendu.
09:53 Et puis suivez, musez.
09:55 [Musique]

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