La journaliste Salhia Brakhlia est notre invitée à l'occasion de la parution de son livre intitulé « Essentielles » paru chez Clique éditions à travers lequel elle s'arrête sur des femmes aux métiers indispensables mais invisibles au sein de la société.
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00:00 -Bonjour, Salia Braklia. -Bonjour.
00:01 Bienvenue. Ce livre résonne drôlement
00:03 avec l'actualité de ces derniers jours, je trouve.
00:05 Il y a 13 portraits de femmes là-dedans,
00:08 des femmes qui ont un métier indispensable
00:10 et qui, pourtant, sont invisibles dans la société.
00:13 Salia Braklia, vous, tous les jours,
00:15 dans votre quotidien, vous donnez la parole à tout un tas de gens,
00:17 à des femmes, au premier plan de la vie publique,
00:19 notamment, à quel moment vous vous êtes dit "et les autres, alors ?"
00:23 Ça arrive assez vite.
00:25 Effectivement, tous les matins, j'interviewe des personnalités politiques,
00:28 des grands patrons, majoritairement des hommes,
00:30 et puis, je me suis rappelée du Covid, aussi,
00:34 de la réforme des retraites, où on entendait les gens dire,
00:37 et même les études, dire que les femmes,
00:40 elles pâtissaient de la situation au travail.
00:42 Par exemple, une femme, même qualification,
00:44 même temps de travail, même poste, gagne beaucoup moins qu'un homme.
00:47 Une femme, quand elle tombe enceinte,
00:49 quand elle revient, elle n'est pas sûre de retrouver son job,
00:52 alors qu'un homme qui devient père est considéré comme plus responsable,
00:55 donc lui, il va avoir une promotion.
00:58 Et donc, tout cet déséquilibre-là,
01:01 le fait que les femmes qui exercent un métier essentiel,
01:04 parce que vous vous rappelez, c'est le gouvernement qui a décidé
01:07 de classer les métiers selon s'ils sont essentiels ou pas,
01:09 les libraires n'étaient pas essentiels, contrairement à d'autres métiers,
01:13 je me suis dit, il y a quelque chose à faire,
01:14 aller voir ces personnes-là,
01:16 qui n'ont pas la parole, effectivement, dans les médias traditionnels.
01:19 Je le dis d'autant plus franchement que moi-même,
01:22 je reçois les politiques et les grands patrons,
01:24 et je me suis dit, ce serait intéressant d'aller les voir
01:26 dans leur environnement, là où elles travaillent, ces femmes,
01:30 qui exercent un métier essentiel, c'est des caissières,
01:33 c'est des auxiliaires de vie, c'est des juges d'instruction,
01:35 des commandants de police.
01:36 -Ça les a étonnées ou pas, cette proposition de votre part,
01:38 d'aller les voir et de parler d'elles et de leur métier ?
01:40 -En fait, elles n'ont tellement pas l'habitude qu'on leur tente un micro,
01:43 qu'elles se sont posées la question, quand on les a appelées,
01:46 avec Paul Plumet, qui est mon collaborateur, c'est "Pourquoi ?
01:49 Pourquoi vous vous intéressez à nous ?
01:51 On s'intéresse à vous parce que ce que vous faites est essentiel à la société."
01:54 Et quand on leur dit ça, elles disent, "Ah bon, je m'en rends même pas compte."
01:58 Et d'ailleurs, même quand je me rendais sur place,
02:00 qu'elles me racontaient leur quotidien, qui est incroyable,
02:03 il faut le dire, ce sont des femmes qu'on a autour de nous,
02:06 et peut-être qu'on n'accorde pas suffisamment d'attention à ces femmes-là,
02:10 mais quand elles se dévoilent, quand elles se racontent,
02:13 à la fin, elles posent quand même la question,
02:15 "Vous êtes sûres que ça intéresse, ce que je raconte ?"
02:17 Vous voyez le manque de confiance en elles ? Il est incroyable.
02:20 -Vous parliez à l'instant de la différence de salaire femme-homme.
02:23 C'est un chiffre qu'on a rappelé la semaine dernière.
02:27 15,4 % de moins en salaire pour les femmes par rapport aux hommes,
02:31 tout poste confondu en France.
02:33 Est-ce que ça passe par l'égalité salariale,
02:35 le fait de rendre visibles les femmes,
02:37 notamment que vous, vous avez interviewées, et d'autres ?
02:39 -Bien sûr, c'est de la reconnaissance.
02:41 La reconnaissance, elle passe par le regard.
02:43 Le regard que la société doit avoir sur ses femmes,
02:46 se rendre compte que l'utilité de nos métiers, en fait,
02:50 est peut-être plus importante qu'être visible
02:53 sur les réseaux sociaux, comme les influenceuses,
02:55 avoir du pouvoir, la puissance,
02:58 ça ne remplace pas l'utilité, en fait.
03:00 Donc peut-être mettre le curseur à ce niveau-là.
03:02 Et puis sur la rémunération, je me rappelle
03:04 de cette phrase d'Emmanuel Macron pendant le Covid,
03:06 "Il faudra se rappeler que la société ne rémunère pas assez."
03:08 Ces femmes et ces hommes qui...
03:10 -Elles ont dit quoi, Bénédicte, la caissière que vous avez interviewée ?
03:12 -Elle ne nous fera pas changer.
03:14 Bénédicte, comme Anne, les boueurs, elles disent,
03:18 "Il était beau, le discours pendant le Covid,
03:20 "mais là, ça n'a pas changé.
03:21 "On n'a pas eu des augmentations dingues.
03:23 "D'ailleurs, on n'a pas eu d'augmentation du tout."
03:25 Et c'est ça qui est problématique, c'est qu'on a vite oublié.
03:27 On se rend compte de la valeur de ces femmes
03:29 quand il y a une grève, les éboueurs,
03:30 on n'a plus tendance à klaxonner derrière le camion tous les jours
03:34 parce qu'ils mettent du temps à avancer,
03:35 mais en fait, quand ces éboueurs-là ne sont pas là,
03:38 on est littéralement dans la merde.
03:41 -Et on l'a vu ces derniers mois par ailleurs.
03:42 Le rapport annuel du Secours populaire
03:44 a tiré la sonnette d'alarme cette semaine sur la pauvreté,
03:47 qui s'aggrave avec, pour cette association,
03:49 plus d'un million de personnes qui ont été aidées en 2022.
03:52 Vous, vous avez rencontré Marie.
03:53 Marie qui est retraitée, qui est bénévole au Resto du Coeur.
03:56 Quel constat elle tire-t-elle de la pauvreté
03:59 qui, par ailleurs, se féminise ?
04:01 Est-ce qu'elle s'en rend compte ?
04:02 -Marie Papey, qui est bénévole au Resto du Coeur,
04:04 il faut se rendre compte,
04:06 elle a commencé à quelques heures de bénévolat.
04:08 C'était un truc en plus.
04:09 Là, c'est devenu un temps complet.
04:11 Pourquoi ? Parce que les demandes ont explosé.
04:14 Mais elles ont explosé pour l'alimentaire,
04:16 elles ont explosé pour les vêtements,
04:18 pour les demandes de formation.
04:19 En fait, le Resto du Coeur, c'est devenu un véritable service public.
04:22 On a l'impression que ça se substitue
04:24 aux services publics, aux organismes de l'État.
04:27 Et elle, elle voit la misère.
04:30 Ce qu'elle me confie, c'est que les profils ont vraiment changé.
04:33 Elle a vu arriver des étudiants en masse,
04:36 elle a vu arriver des travailleurs.
04:38 Elle m'a dit "Les gens travaillent et ils sont pauvres."
04:42 Et alors, quand vous êtes face à eux,
04:43 vous vous dites "Je vais essayer de trouver des solutions,
04:46 mais tu travailles déjà."
04:48 Encore une fois, c'est la reconnaissance par le salaire
04:51 qui doit importer dans ces temps,
04:54 avec ces actualités qui sont pesantes.
04:56 J'aimerais lire la première phrase de votre livre.
04:58 "Nous, les femmes, on morfle."
05:01 C'est impactant et j'ai envie de le mettre en miroir
05:03 avec un chiffre qui est tombé il y a quelques heures seulement,
05:06 plus 15 % de violences conjugales en France.
05:09 C'est en Hausse, donc, les femmes qui sont les premières victimes
05:12 de ces violences conjugales.
05:14 Vous avez rencontré Clara.
05:15 Clara qui est psychiatre, que vous avez interrogée.
05:18 Quel regard elle porte sur cette situation
05:21 des violences conjugales qui sont en Hausse ?
05:23 Clara, elle fait un travail formidable
05:25 parce qu'elle travaille dans une maison des femmes
05:27 à l'hôpital Bichat à Paris.
05:29 Elle accueille des femmes qui sont victimes des violences
05:32 par leur mari.
05:33 Et oui, elle les voit arriver dans le plus grand des désarrois.
05:38 Ce sont des femmes qui ne savent pas à qui s'adresser.
05:40 Ce sont des femmes qui ne trouvent pas la solution
05:41 parce qu'elles ont des enfants aussi
05:43 et elles ont peur de la violence de leur mari.
05:47 Elle, elle est là pour les aider psychologiquement à avancer
05:49 et à retrouver une dignité.
05:51 Parce qu'elles arrivent, elles sont en morceaux, ces femmes.
05:53 Et alors, le chiffre que vous avez évoqué,
05:55 il est alarmant, il est horrible.
05:57 On se dit qu'en 2023...
05:58 Et il est probablement sous-estimé par ailleurs.
06:00 Et il est probablement sous-estimé, vous vous rendez compte.
06:02 Alors, ça veut dire aussi, et ça, il faut s'en réjouir,
06:06 qu'il y a une libération de la parole des femmes.
06:09 Elles ont compris qu'il fallait parler,
06:10 elles ont compris qu'il fallait se révolter
06:13 parce que la situation n'était pas normale.
06:15 Et donc, elles vont dans ces maisons des femmes
06:16 et elles sont reçues par Clara, par exemple,
06:18 pour les aider à affronter ce problème-là
06:20 et à reprendre une dignité.
06:22 Et ça, c'est important de le raconter.
06:23 C'est ce que j'ai essayé de faire dans le livre.
06:26 Et vous le faites très bien, c'est très humain et c'est essentiel.
06:28 C'est le titre aussi de ce livre.
06:29 Merci beaucoup, Salia Brahia, d'avoir été avec nous.
06:32 Je rappelle par ailleurs que vous êtes tous les matins
06:34 sur la radio France 5 fois, la coprésentation de l'interview
06:37 du 8h30 et aussi dans le 9-10.
06:38 Merci beaucoup.