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Xerfi Canal a reçu Maria Guérin, maître de conférences HDR, IAE Paris Sorbonne, pour parler de l'addiction à TikTok. Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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00:00 Bonjour, Maria Merkant-Higuérin. Bonjour Jean-Philippe Denis.
00:11 Webcrash, comment internet a fait faillite ? On creuse ensemble cette question. Vous êtes maître
00:17 de conférence à l'IEE Paris-Sorbonne, l'université parisien Panthéon-Sorbonne, spécialiste de
00:22 marketing, marketing digital. Webcrash, ce fameux krach numérique, les ressorts profonds, quels
00:30 sont-ils ? Alors c'est vrai qu'on parle beaucoup d'addiction et on est face à, autour de nous,
00:37 des gens qui peuvent plus passer de leur mobile et un réseau social qui a été très très ciblé
00:44 est TikTok qui représenterait le réseau social le plus addictif du monde. Effectivement il est,
00:51 et ça m'a intéressée de comprendre pourquoi. En fait tout vient d'un rapport assez important de
00:59 la société Bernstein & Co qui est une société de courtage. En août 2022, ils éditent un rapport
01:06 qui s'appelle « TikTok a-t-il ruiné internet ? ». Ils expliquent que ce qui s'est développé,
01:12 ce sont les formats courts, ces fameux « snack content », notamment très portés par les vidéos
01:19 extrêmement courtes et addictives. Pourquoi on a besoin de beaucoup plus de contenu sur le web ?
01:25 Parce que le contenu est le support de la publicité. Si vous n'avez pas de contenu,
01:29 vous n'avez pas de publicité, vous n'avez pas de clics et vous n'avez pas d'achat de produits. Donc
01:35 je dirais tout le modèle économique du web repose sur la publicité. Le « snack content ». Voilà,
01:41 le « snack content ». Et ils disent « ben voilà, on a essayé de produire des contenus de plus en
01:47 plus et de plus en plus courts pour générer de plus en plus de publicité. Et ça pose problème
01:52 au marché. » Alors cette société a une vision assez particulière. Ça ne leur pose pas de
01:57 problème parce que ça développe l'addiction, parce que les jeunes ne peuvent plus suivre en
02:03 classe parce qu'ils ont passé leur nuit sur TikTok. Ils disent globalement « les vidéos sont
02:09 tellement courtes, ce contenu est tellement addictif que le consommateur ne voit plus la
02:13 pub. Il ne peut plus s'y intéresser, il la zappe. Il devient, alors il s'appelle ça le phénomène du
02:20 « lean back », c'est-à-dire complètement passif, comme si je regardais la télé sur mon canapé,
02:25 alors qu'au départ Internet c'est un consommateur actif qui clique et c'est interactif. Et donc
02:33 finalement on se retrouve avec ce qu'ils appellent un « inventaire de basse qualité », c'est-à-dire
02:38 que globalement la pub est de moins en moins cliquée, elle est de moins en moins vue parce
02:44 qu'elle est entre des contenus de plus en plus addictifs et de plus en plus nombreux, qui font
02:49 que le consommateur ne la voit plus du tout. Donc ils assignent ça à du « crack », c'est quand
02:55 même assez fort comme terme. C'est ça qui est intéressant, c'est le double mot, le jeu de mots
03:00 sur « crack ». C'est de la drogue, on ne s'en sort pas, on tombe dedans et après on ne s'en sort pas.
03:07 Mais voilà, c'est vraiment une position un peu particulière. Ce qui les gêne, c'est le fait que
03:15 ça détruit l'industrie publicitaire alors qu'au départ c'était censé la promouvoir. Donc il y a
03:22 un problème. Évidemment quand on est un législateur ou quand on est un parent, ce qui nous préoccupe
03:28 c'est que ça détruit plutôt le cerveau de nos enfants, c'est quand même ça le problème pour
03:32 nous. Donc on voit que quand même ça soulève de multiples problèmes. Et quand on étudie TikTok,
03:37 le souci c'est que TikTok c'est une boîte qui marche formidablement bien, ultra performante. Et
03:47 pourquoi ? Parce que quand vous rentrez dans l'algorithme, vous vous rendez compte qu'il y a
03:51 une ultra personnalisation du contenu. Bon ça c'est pas nouveau, mais ils vont utiliser par exemple
03:58 des outils comme le computer vision qui permet de proposer des images qui vont faire titre dans le
04:05 cerveau de l'utilisateur. Ou le NLP, Natural Language Processing, qui permet d'utiliser les
04:12 bons mots qui vont faire titre. Donc ils vont aussi avoir une influence considérable sur
04:17 l'industrie créative. Et ils consacrent une partie finalement de la page adaptée à l'utilisateur à
04:25 de la sérendipité. C'est-à-dire que globalement, ils vont tester des contenus que vous n'êtes pas
04:30 censés voir, enfin qui ne correspondent pas à votre centre d'intérêt, et ils vont voir si vous
04:35 arrêtez sur la vidéo. Et en fait, ça va leur permettre de vous connaître mieux que vous,
04:44 c'est-à-dire de découvrir des choses qui vous intéressent alors que vous n'en êtes même pas
04:49 conscient. Et c'est quelque part ça aussi le crack, mieux connaître la personne et savoir
04:57 comment développer l'addiction. Et il y a des chercheurs qui travaillent sur ce qu'on appelle
05:03 la captologie, comment capter l'attention, les technologies persuasives. Et notamment au Canada,
05:11 voilà, un gros groupe de chercheurs qui se sont dit « on va se saisir du sujet », qui ont beaucoup
05:18 travaillé sur ce qu'on appelle le dark design, c'est-à-dire le design des sites internet qui
05:22 font que vous êtes enfermé dans un parcours de conversion qui fait que quoi que vous fassiez,
05:27 vous ne pouvez pas en sortir. Et on vous pousse à cliquer sur des éléments sur lesquels vous ne
05:34 vouliez pas cliquer au départ. Et c'est toutes ces technologies-là qui sont extrêmement inquiétantes
05:40 pour, quelque part même pour la démocratie et pour l'état mental de notre société.
05:46 Évidemment, web crash, comment internet a fait faillite, comment internet nous a tous rendus
05:51 drogués, voilà, et vous avez raison, notamment nos enfants, comment il nous a tous rendus drogués,
05:57 addicts au crack. Quand on a les images du crack en tête, ça ne fait pas envie.
06:01 Ça ne fait pas envie.
06:02 Merci Maria Mercantigal.
06:04 Merci Jean-Philippe Denis.
06:05 Merci.

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