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Art et designTranscription
00:00 Les Matins de France Culture
00:03 Guillaume Erner
00:05 Bonjour Lydia Georges
00:07 Bonjour
00:08 Vous êtes l'une des plus grandes écrivaines portugaises, vous publiez Misericordia aux éditions Métellier
00:16 et vous êtes lauréate avec cet ouvrage du prix Médicis étranger
00:23 Bravo, félicitations tout d'abord pour avoir obtenu ce prix
00:29 Nous sommes très heureux de vous recevoir parce que ce livre est un livre universel
00:35 Il offre à voir le quotidien d'une femme dans une maison de retraite
00:41 avec un procédé d'écriture que j'aimerais que vous nous décriviez
00:44 car les premières pages sont une retranscription de 38 heures d'enregistrement audio de témoignages de cette femme
00:52 Donna Alberti, en réalité elle s'appelle Maria Alberta Nunes Amado, pardon pour mon accent portugais
01:00 Ce témoignage enregistré pendant un an, quasiment jour pour jour entre avril 2018 et avril 2019
01:08 Le quotidien dans une maison de retraite
01:11 C'est un roman sur la vieillesse, sur la bataille ultime de la vie
01:15 mais aussi sur les sentiments, la joie, l'humour, l'amour également
01:19 C'est très lié, Lydia Georges, à la vie de votre mère
01:24 J'aimerais que vous nous disiez quelques mots justement sur la façon dont
01:29 des dimensions autobiographiques se mêlent à d'autres choses qui relèvent de l'invention dans ce très beau roman
01:36 Merci beaucoup, "Misericordia" est un titre un peu extravagant, trop solennel
01:44 C'est un titre qui demande beaucoup, qui est très ontologique et au même temps religieux
01:51 C'est un titre que ma mère m'a commandé
01:56 Au début vous n'en vouliez pas d'ailleurs de ce titre ?
02:01 Non, non, non, parce que ça était pour moi étrange
02:06 Vraiment, après le jour, le 20 avril, le 8 mars 2000
02:19 Elle m'a demandé finalement de l'écrire, je lui ai demandé pourquoi
02:24 Pourquoi elle me demandait ça ?
02:26 Et elle m'a dit, bon c'est pour que les gens aient pitié les uns des autres
02:36 Quand on ne peut plus se soigner nous-mêmes
02:42 Alors j'ai compris ce qu'elle voulait, évidemment qu'on n'écrit pas un livre sur cela
02:49 Ça a été la dernière fois que j'ai vu ma mère après, la maison où elle était
02:57 La maison de retraite
02:58 Elle est formée à cause du Covid et je ne l'ai vu jamais
03:07 Alors elle a décédé 40 jours après
03:11 Et pour moi ça a été comme une espèce d'obligation d'écrire
03:16 Mais je ne savais pas comment, comment commencer, comment faire
03:21 Pourtant on m'a donné les dernières choses qu'elle avait gardées
03:26 Elle avait gardé ses bijoux avec elle sur son corps
03:30 Et aussi, au cou, elle portait un petit sac avec les feuilles, les petites feuilles
03:37 Où elle écrivait jusqu'au bout des paroles comme un journal
03:44 Parce que toujours pendant la vie elle avait, elle a écrit un journal, ce journal intime
03:50 Alors pour moi ça a été comme une espèce de message
03:54 Je l'ai compris comme ça
03:56 Elle a lutté jusqu'à la fin pour la beauté
03:59 Elle a lutté jusqu'à la fin pour laisser quelque chose écrit
04:03 Et pour moi ça m'a donné l'idée d'écrire ce livre
04:07 Pas sur la bonté, sur la compassion, mais au contraire, sur la résistance
04:15 Alors j'ai écrit un livre sur la résistance, sur le désir de continuer à vivre jusqu'au bout
04:22 Et alors pour moi ça a été très très important
04:25 C'est comme un hommage que j'ai fait à quelqu'un que j'ai connu
04:29 Qui a lutté jusqu'à la fin pour la beauté et aussi pour la mémoire écrite
04:35 Et en même temps, pas seulement sur elle, mais tout en collectif
04:40 Tout en collectif où j'ai vu la rencontre entre deux types de marginaux
04:47 Les marginaux de l'âge et les marginaux sociaux
04:51 Des gens qui rôdent autour du monde, qui passent d'un pays à l'autre parce qu'ils ne gagnent le suffisant
04:59 Ce que vous racontez dans « Miséricordia » Lydia George
05:02 Ce livre qui est publié aux éditions Metellier et qui a obtenu le prix Médicis étranger hier
05:09 C'est la manière dont la vie continue, vous venez de le dire, dans une maison de retraite
05:12 La vie et l'amour aussi, il y a des scènes drôles, tendres
05:17 La manière dont par exemple les pensionnaires peuvent s'aimer, ce qui se passe d'une chambre à l'autre
05:22 C'est ce que j'ai observé, au contraire de ce que l'on pense, que les sentiments s'amondrissent
05:33 J'ai compris que pour quelques ans, parce que ça ne se passe pas égale, ce n'est pas universel
05:41 Mais pour quelques ans, c'est au contraire, les sentiments grandissent
05:46 Les gens ont besoin de vivre avec intensité jusqu'à la fin de la vie
05:54 Peut-être parce que le temps passe, parce que le délai est petit
06:01 Alors on a envie de tout vivre, de vivre avec une grande intensité
06:08 Exactement parce qu'ils savent que le temps est court et en même temps ils ont la mémoire de la vie
06:14 Alors le sens de la vie est joué à la fin
06:19 Pour moi, ça a été une révélation très touchante
06:26 J'ai écrit sur ça, j'ai écrit sur ce désir d'amour
06:30 Où il y a une confusion, une coïncidence entre la mémoire des grands moments de la vie
06:40 Où l'amour est arrivé et en même temps ce qui est encore autour
06:45 Et sur lequel on peut parier autour de la question de l'amour
06:52 Cette vieille dame, Donna Jenner, consuit dans votre roman
06:56 Donna Alberti dans cette maison de retraite qui s'appelle l'Hôtel Paradis
07:01 Elle raconte aussi ses souvenirs de jeunesse, elle raconte tout, y compris ses trous de mémoire
07:06 Lydia Georget
07:08 Elle raconte ses trous de mémoire, elle comprend, elle essaie, elle comprend qu'il y a des trous de mémoire
07:15 Elle essaie de dépasser, alors elle lutte contre
07:20 Elle essaie de trouver une espèce de stratégie pour dépasser ça
07:29 Et d'ailleurs sa conversation avec la nuit, cette ombre, cette ombre noire qui la visite
07:41 C'est un dialogue avec elle-même et c'est exactement un dialogue sur ce qu'elle a retenu
07:49 Ce qu'elle est capable d'avoir dans la mémoire
07:55 Et c'est un dialogue avec elle-même et avec le fantôme de la fin
08:01 Oui, parce qu'on ne sait pas très bien qui est ce fantôme, c'est la mort, Lydia Georget
08:05 C'est surtout un dialogue intime entre l'idée de survivre et l'idée de la mort
08:16 C'est une autre chose, ce n'est pas un fantôme réel, c'est une création à elle-même
08:23 C'est le débat qu'elle a surtout autour de la mémoire, autour du savoir
08:33 Elle a l'idée de la culture, une culture sauvage, une culture qu'elle a apprise par des lectures
08:42 Pas une lecture, une culture formelle
08:46 Alors elle veut savoir "Qu'est-ce que je sais ?"
08:49 "Je suis capable encore de connaître le monde, de connaître l'histoire, de connaître la géographie"
08:55 "Est-ce que je suis capable ?" Elle est en train de faire un bilan de ce qu'elle connaît sur le monde
09:01 Oui, parce que ce qui est formidable chez elle, chez Dona Alberti, c'est qu'elle ne s'arrête jamais de penser au futur
09:07 Oui, c'est ça, elle ne s'arrête jamais de penser au futur
09:10 Elle est engagée avec le changement du monde
09:14 Elle comprend ce qui va se passer, parce qu'elle est quelqu'un qui a l'expérience de la terre, l'expérience des plantes
09:21 L'expérience de la pluie, l'expérience de la sécheresse
09:26 Et elle comprend ce qui est en train de se passer
09:31 Et surtout, elle a l'idée que l'humanité va continuer
09:35 L'humanité va continuer et elle est inquiète avec tout ça
09:41 Et même au moment où le Covid entre, elle qui avant voulait mourir, elle est curieuse
09:51 "Qu'est-ce qui va se passer ? Quelle est cette maladie ? Sera-t-il la fin du monde ?"
09:57 "Je veux être debout pour comprendre ce qui va se passer devant cet énigme"
10:02 Elle est complètement mêlée à la vie des autres et au changement politique
10:14 Et je pense que c'est son secret, c'est pour ça qu'elle est résistante
10:19 Vous réussissez à tirer vers la poésie ces moments les plus anodins, ces moments aussi d'une grande tristesse
10:26 Parce qu'on se souvient tous de cet épisode du Covid où on était coupés de nos aînés par des mesures sanitaires, Lydia Georges
10:35 Et vous réussissez à donner de nombreux détails anodins et à les embellir, à les magnifier
10:43 À leur donner une portée presque métaphysique pour reprendre le titre de votre livre, Lydia Georges, "Misericordia"
10:50 Qui est un titre très religieux
10:52 Ce qui s'est passé, et je crois que ce dernier chapitre du livre parle indirectement de ça
10:59 C'est que ce Covid et tout ça que nous avons vécu, ça fonctionne comme une espèce de métaphore de notre futur
11:08 Alors il y a une menace sur l'humanité
11:12 Je crois que Donald Berty comprend que ce qui est autour d'elle, tout ce fléau qui se développe dans cette maison
11:23 Est une espèce de métaphore de quelque chose qui peut avancer, qui peut venir
11:29 Et je crois que pour moi ça m'a touchée beaucoup
11:34 Ce livre, c'est une création artistique, c'est de la littérature, c'est une fiction
11:44 Pourtant c'est vrai que ce qui m'a touchée vraiment, qui m'a donné l'idée, c'est exactement quelque chose qui a été vécu
11:54 C'est qu'elle, ma mère, qui m'a donné l'idée, elle vivait comme ça ces derniers moments
12:01 C'est un superbe livre, je vais l'offrir d'ailleurs à mon camarade Lionel Nacache qui est là
12:06 Lydia Georget, Misericordia, aux éditions Métellier, vous avez obtenu le prix Médicis étranger
12:13 Merci beaucoup