• l’année dernière
Arrêtée en Iran en 2019 pour atteinte à la sécurité nationale, Fariba Adelkhah, spécialiste reconnue du chiisme et de l’Iran post-révolutionnaire, avait été condamnée en mai 2020 à une peine de prison de cinq ans.
Depuis le mardi 17 octobre, Fariba Adelkhah est enfin de retour en France.
Elle est l'invitée exceptionnelle de Quentin Lafay.

#iran #otage #france
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Transcription
00:00 Les matins de France Culture, Quentin Laffey.
00:04 Quatre ans et quatre mois de privation, de liberté et en leur sein des années d'incarcération
00:10 dans l'une des prisons les plus redoutées au monde.
00:13 Celle d'Evine, honneur de Téhéran, Farida Adelka, anthropologue, directrice de recherche
00:19 aux séries Science Po, spécialiste reconnue du chiisme et de l'Iran post-révolutionnaire,
00:23 a pu regagner la France le 17 octobre dernier.
00:26 C'est la première fois qu'elle parle à un média depuis son retour en France.
00:30 Bonjour Farida Adelka.
00:31 Bonjour.
00:32 Et nous sommes très heureux de vous savoir en France d'abord, honorés aussi de vous
00:35 savoir dans ce studio à France Culture.
00:37 Il faut peut-être commencer par nous rappeler votre histoire.
00:41 Vous êtes arrêtée le 5 juin 2019 en Iran, en même temps que votre mari Roland Marshall,
00:45 chercheur lui aussi au Centre de Recherche Internationale de Science Po Paris.
00:50 Comment s'est passée concrètement votre arrestation et à ce moment-là, est-ce que
00:54 vous savez même pourquoi vous êtes arrêtée ?
00:56 Oui.
00:57 En fait, j'allais chercher Roland Marshall à l'aéroport et donc on m'a appelée
01:05 et on m'a montré une feuille avec ma cousaine d'espionnage.
01:10 Et puis bon, je voulais expliquer qu'ils se sont peut-être trompés.
01:14 Qui vous attendait ? Qui vous a montré cette feuille ?
01:16 Quatre personnes.
01:17 Trois hommes et une femme qui se sont rapprochées à moi en étant très polies d'ailleurs.
01:24 En m'appelant par mon qualificatif de docteur, c'est très respectueux normalement en Iran.
01:31 Et donc voilà, ils m'ont tendue cette feuille et après, comme je ne comprenais bien sûr
01:38 pas en me disant que je devais d'abord attendre mon ami Roland Marshall et ensuite les joindre,
01:46 ils m'ont dit juste une petite explication.
01:49 Et la petite explication, c'était dans une voiture et je suis partie.
01:52 Sans voir Roland Marshall bien sûr.
01:54 Le motif de cette arrestation, le motif officiel, c'est une atteinte à la sécurité nationale.
02:01 Comment est-ce qu'on prouve ?
02:03 Non, le motif d'arrestation c'était l'espionnage.
02:07 Et après, l'accusation a été commuée, avant que ça soit une peine, a été commuée,
02:14 collusion, atteinte à la sécurité nationale comme vous dites.
02:18 Et comment est-ce qu'on prouve quelque chose qui n'existe pas ?
02:21 Comment est-ce qu'on démontre qu'on n'est pas coupable dans un régime comme celui-ci ?
02:26 C'est tout un travail.
02:27 Et puis, quand on vous prive d'un terrain de recherche et on vous emmène quelque part,
02:33 vous en trouvez un autre terrain.
02:34 Donc c'était tout mon travail et tout mon espoir, ça l'est toujours d'ailleurs,
02:39 de pouvoir dire que la recherche se qualifie toujours, se met toujours en avant par ses publications
02:47 qui sont vues par tout le monde.
02:48 Enfin, ce sont des publications pas secrètes.
02:51 Donc ce sont des publications en bonne et due forme.
02:53 Et ensuite, les universités sont des universités, il y a le droit à l'expression,
02:59 le droit à l'enseignement, le droit à la recherche.
03:01 Donc j'ai essayé et je continue de faire un peu de monnaie ce combat
03:07 parce qu'effectivement, j'étais emprisonnée pendant…
03:10 J'avais une sentence de cinq ans.
03:13 J'ai passé quatre ans en prison et j'étais ensuite graciée, malheureusement pas acquittée, mais graciée.
03:19 Mais donc j'espère pouvoir faire parvenir cette voie,
03:24 la voie de liberté académique, liberté d'universitaire, scientifique si vous voulez.
03:30 Et que le métier de chercheur ou de l'enseignant ou de l'universitaire,
03:34 c'est pas… on le regarde pas seulement elle ou lui,
03:38 regarde aussi la société parce que qui dit contrainte à l'enseignement ou à la recherche, dit aussi
03:44 la contrainte pour les autres d'écouter l'expression libre si vous voulez.
03:50 Donc le combat il est là, il va être emmené et je vais…
03:53 Je suis toujours, si vous voulez, je reste très naïve parce que je suis une personne très moyenne.
03:58 Une personne moyenne, vie avec cette naïveté.
04:01 Finalement notre métier est de pouvoir passer un message, de pouvoir…
04:06 C'est cette interaction de laquelle on se lord toujours, mais donc j'espère y arriver.
04:11 Je suis de toute façon… J'ai quitté l'Iran légalement avec mon passeport
04:16 et donc j'espère pouvoir un jour plus communiquer avec les autorités iraniennes
04:22 sur la nécessité de laisser la liberté académique.
04:25 Est-ce que vous savez pourquoi vous avez été arrêtée vous particulièrement, vous et votre mari ?
04:31 Vous travaillez effectivement sur l'Iran, vous êtes anthropologue de ce pays
04:36 et vos recherches sont notamment centrées sur l'Iran post-révolutionnaire,
04:41 mais votre mari travaille sur un tout autre sujet, il travaille notamment sur les conflits en Afrique.
04:46 Alors pourquoi vous vous arrêtez vous tous les deux ?
04:50 C'est une question qu'on peut se poser encore aujourd'hui, mais pour les gens qui nous arrêtent,
04:54 ils ont quand même leur raison à eux, peut-être qu'ils échappent à ma raison et à moi.
05:01 Mais non, c'est une question encore ouverte, notamment pour ceux qui concernent, comme vous avez très bien dit,
05:07 mon ami qui travaille donc sur l'Afrique et qui ne parlait même pas le persan
05:13 et qui a finalement été victime de cette situation.
05:18 Non, la question est ouverte et restera ouverte pour savoir exactement.
05:22 Mais pour les autorités, effectivement, il y avait cette...
05:25 Bon, à moi, les questions lors des interrogatoires nombreux,
05:30 ça concernait quelques passages de mon livre, alors qu'un livre, vous savez, c'est quelques pages,
05:35 quelques centaines de pages et finalement, ça arrêtait sur une phrase, on ne comprenait pas véritablement.
05:40 Quelles étaient ces questions ? Quelles étaient les phrases sur lesquelles il pouvait buter ?
05:44 C'est un peu paradoxal parce que c'est ce qu'on me reproche en Occident.
05:49 Les autorités iraniennes se contestaient, par exemple, au fait que je m'opposais au voile,
05:57 non pas au voile en soi parce que c'est une liberté de porter ce qu'on veut,
06:02 mais à la loi qui interdisait aux femmes de ne pas pouvoir se détacher du voile.
06:08 Et donc voilà, alors qu'en Occident, quelques fois parmi mes collègues, on me reproche de soutenir le voile.
06:16 En fait, je soutiens la liberté de porter le voile qu'on veut, mais je suis de toute façon contre la loi.
06:24 Un des exemples un peu banal et puis un peu, disons, incompréhensible, c'était ça.
06:30 Donc quand on arrête quelqu'un au nom de la sécurité nationale, enfin l'atteinte à la sécurité,
06:36 et on lui reproche d'avoir parlé du voile, c'est un peu difficile de comprendre,
06:41 effectivement, le raisonnement qui est au fond de cette arrestation.
06:45 Non, je n'ai pas compris.
06:48 Comment s'est déroulée votre incarcération, Fariba Adelka, au sein de cette prison tant redoutée, tristement célèbre, la prison d'Evin ?
06:57 Est-ce que vous avez subi des sévices, des maltraitances ? Racontez-nous.
07:03 Si vous voulez, des sévices, maltraitances, si vous voulez, le plus grand, disons, problème qu'a une prisonnière,
07:15 donc en l'occurrence moi, avait, c'était peut-être n'être pas comprise, l'irrespect, si vous voulez.
07:22 Bon, effectivement, on est, en tout cas pour ceux qui m'ont concerné, je crois que j'ai eu d'autres discussions avec d'autres,
07:29 des co-détenus, les expériences sont diverses et variées.
07:32 Pour moi, d'abord, l'arrestation, on peut dire qu'elle est composée en deux moments.
07:40 D'abord, c'est ce qu'on appelle l'arrestation provisoire, où j'étais dans des cellules sol, la majorité du temps,
07:48 et l'interdiction de lecture pendant plus de quatre mois.
07:53 Et puis, bon, des interrogatoires, effectivement, vous essayez de comprendre qu'est-ce qui ne va pas,
07:58 donc vous vous battez avec les quatre, cinq personnes que vous avez devant vous pour les convaincre.
08:05 Mais je dirais, s'il y avait quelqu'un qui a maltraité les autres, c'était plutôt moi,
08:11 en jetant quelquefois des bouteilles d'eau à mes interlocuteurs.
08:14 Vous, vous avez maltraité les autres ?
08:16 Parce qu'effectivement, ou ils sont très calmes, ou ils font leur travail,
08:20 ils ont été chargés de cette arrestation, ils continuent, et donc sans véritablement être irrespectueux.
08:27 L'irrespect vient du fait que je suis absolument ignorée, mes raisonnements ne sont pas compris,
08:34 et que je suis coupée de mes liens, et puis surtout de mon travail, mon métier, qui m'est très, si cher,
08:40 mais de mon milieu, ça c'est la première, enfin si vous voulez, le problème le plus grand,
08:46 parce qu'on ne sait pas pourquoi on est là.
08:49 Mais, employer de la force, ou des mots, je dirais, de maltraitance, non.
08:57 En tout cas, mon expérience ne me permet pas de savoir, mais par contre, d'autres détenus,
09:01 effectivement, elles étaient interrogées les yeux bandés, face au mur,
09:05 avec des mouvements, assis, debout, assis, debout, en expliquant, en donnant les raisons,
09:10 alors que c'était, bon, d'abord c'est peut-être mon âge, et puis ensuite, ça faisait plus de 30 ans que je travaillais sur l'Iran.
09:16 Donc, quelque chose qui est tombé, et que finalement, moi, je ne l'ai pas compris,
09:21 pourquoi pendant 30 ans j'étais libre, et que soudain, je ne l'étais plus.
09:24 Donc, je pouvais, je sortais de mes gants, effectivement, oui, moi j'étais quelquefois très violente,
09:30 je passais du temps à crier, quelques fois, et puis surtout chanter,
09:34 pour pouvoir essayer d'exhorter, enfin, essayer de me libérer un peu, de comprendre où je suis,
09:41 me sentir un peu plus vrai.
09:43 Oui, moi j'étais très violente, et contrairement à mes interlocuteurs, enfin, mes interrogateurs,
09:48 qui n'étaient absolument pas dans ce registre, ils avaient un cahier de charges, je dirais,
09:54 je trouve absolument fondé, ça, que la République, qui se sent toujours menacée par tout le monde,
09:59 c'est idéologique, c'est un peu le chiisme, ils se sentent maltraités,
10:03 c'est le martyr dans le monde entier, etc.
10:06 Donc, qu'ils puissent un moment douter de la nature d'être à haut d'une chercheure,
10:11 en l'occurrence, puisque j'étais, et je trouve normal qu'ils puissent, moi,
10:16 j'aurais espéré que finalement, les thèmes d'accusation soient différents,
10:22 les thèmes de, disons, au moment de, au tribunal, la dernière lettre qu'on vous lit,
10:31 j'espérais que cette lettre soit différente par rapport à, réquisitoire on appelle ça,
10:36 par rapport au premier thème d'accusation, c'est pas venu, parce que j'ai essayé,
10:41 j'ai fait tous mes efforts pendant un an, et je passais mes soirées à noircir des feuilles,
10:45 expliquant quelle sont la façon dont nous travaillons,
10:48 quels sont les tenants et les aboutissants de ce métier, si vous voulez,
10:52 c'était un peu mon espoir de me faire comprendre.
10:55 C'était ça l'enjeu quotidien, c'était d'essayer de démontrer quel était le fond de votre travail,
10:59 le fond de votre démarche scientifique, est-ce que c'était possible, au fond,
11:04 de les convaincre véritablement de la démarche qui était la vôtre,
11:07 de votre démarche sincèrement scientifique ?
11:09 Si vous voulez, je suis chercheure, je reste convaincue que c'est toujours possible.
11:14 Maintenant, vraisemblablement, je n'ai pas réussi de convaincre la justice,
11:19 dans cette instance, et mes interlocuteurs, ça veut dire les interrogateurs que j'avais devant moi,
11:26 c'est vrai que je n'ai peut-être pas réussi, mais ça ne veut pas dire que le combat s'arrête là.
11:31 Donc j'espère vraiment, mais le travail c'était ça.
11:33 Donc, encore une fois, comme je disais, c'est coupé en deux fois.
11:36 La première partie, c'est l'arrestation provisoire, pour vous dire que c'est légal,
11:41 parce qu'on vous fait signer tous les mois une feuille, comme quoi vous êtes d'accord de rester en prison
11:46 et de continuer les interrogatoires.
11:48 Donc cette arrestation provisoire, pour beaucoup, ça dure une semaine, deux semaines,
11:52 et les gens sont libérés sous caution et ils passent à la prison.
11:56 Et pour moi, ça durait onze mois et demi, mais pour bien des gens,
12:00 comme l'ONG de l'environnement, ça durait deux ans.
12:05 Merci beaucoup, Farid Iba, Adelka.
12:07 On va poursuivre cette discussion à 8h20 et vous nous parlerez notamment de la prison des Vignes,
12:11 où vous avez continué d'avoir, sur cet endroit si particulier, un regard de chercheur,
12:16 un regard d'anthropologue. Ce sera à partir de 8h20.

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