Au moment où l’immense majorité des médias a brusquement cessé de couvrir la guerre qui continue de faire rage en Ukraine pour se focaliser sur le conflit israélo-palestinien, j’ai eu envie de vous dire un mot sur la situation des journalistes russes.
Retrouvez l'édito média de Bruno Donnet sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-mediatique
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00:00 L'édito média Bruno, ce matin, le martyr des journalistes russes.
00:04 Oui, au moment Nicolas où l'immense majorité des médias a brusquement cessé de couvrir
00:07 la guerre en Ukraine, pour concentrer toutes ses forces sur le conflit israélo-palestinien,
00:12 j'ai envie de vous dire un mot de la situation des journalistes russes.
00:15 Car deux informations se sont entrechoquées en à peine 24 heures.
00:19 La première concerne une certaine Alsou Kourmacheva.
00:22 Et bien c'est une consoeur Léa, qui travaille pour Radio Liberty dont le siège est à Prague.
00:28 Alsou vit donc en Tchéquie avec son mari et ses deux filles adolescentes.
00:32 Au sein de la radio qu'il emploie, elle couvre l'actualité russe et le conflit ukrainien.
00:37 Seulement voilà, Alsou est russe, c'est sa nationalité et elle a de la famille dans
00:41 le pays.
00:42 Au mois de mai dernier, elle a dû y rentrer d'ardeur pour une urgence familiale.
00:46 Mais là, le régime de Vladimir Poutine en a profité pour lui confisquer son passeport,
00:50 l'empêcher de quitter le territoire.
00:52 Et hier, au motif qu'elle a omis de se déclarer comme agent de l'étranger, elle a été
00:56 arrêtée, emprisonnée, pour une durée indéterminée.
00:59 Et un agent de l'étranger Bruno, vous en avez précisément croisé un autre avant-hier.
01:04 Oui, dans les colonnes du journal Le Monde.
01:05 Il s'appelle Dmitri Mouratov, il est le rédacteur en chef d'une journal Novaya Gazeta.
01:09 Il a reçu le prix Nobel de la paix en 2021 et vous l'aviez interviewé Léa, ici même,
01:14 il y a un peu moins d'un an.
01:16 C'est Sylvie Kaufmann qui s'est entretenue avec lui ce week-end et l'interview qu'elle
01:20 a réalisée est proprement saisissante.
01:22 « Mon numéro d'agent de l'étranger est le 665 », lui a dit Dmitri.
01:27 « Je suis l'ennemi du peuple, numéro 665 ». Car comme Alsou Kourmacheva, à 61 ans,
01:33 le rédacteur en chef de Novaya Gazeta est désormais considéré par Moscou comme un
01:37 ennemi à sa propre patrie.
01:40 Toutefois, contrairement à notre consoeur qui est empêché de rentrer, Dmitri Mouratov,
01:44 lui, s'est interdit de partir.
01:46 Et ce qu'il raconte au Monde, c'est un déchirement.
01:49 Parce que depuis 13 mois, son journal a été interdit, fermé par le régime.
01:54 Pour continuer à travailler et à faire paraître Novaya Gazeta, la plupart de ses collègues
01:58 se sont donc exilés à Riga, en Lettonie.
02:01 Ils ont fui la Russie, mais Dmitri, lui, a choisi d'y rester.
02:05 « C'est très étrange de vivre dans sa patrie sans liberté », dit-il, avant d'ajouter
02:10 « mais c'est tout aussi étrange de concevoir la liberté sans sa patrie ». Subtile nuance
02:16 et de subtilité, Dmitri Mouratov ne manque pas.
02:18 La preuve, pour continuer à pratiquer le journalisme dans son pays, il vient de lancer
02:22 une toute nouvelle revue.
02:24 Elle a pour titre « Gorbi ». Gorbi, comme le surnom de Mikhail Gorbachev, le héros
02:28 de la perestroïka et du vent de liberté des années 90.
02:31 Selon voilà, sa revue n'est tirée qu'à 999, tout petits exemplaires.
02:36 999, parce qu'à partir de 1000, l'enregistrement comme média officiel et les emmerdements
02:42 qui vont avec, devient obligatoire.
02:45 Alors voilà, autrefois, Dmitri Mouratov tirait 250 000 exemplaires tous les jours de Novaya
02:51 Gazeta.
02:52 Aujourd'hui, il publie 999 numéros de Gorbi une fois par mois.
02:56 Il a des petits pas, Nicolas, qui racontent l'oppression mais qui disent aussi l'abnégation
03:01 qu'il faut pour continuer à pratiquer le journalisme dans un pays où publier la vérité
03:05 à plus de 999 exemplaires est un crime.
03:09 Merci Bruno.