Attentat d'Arras: "Les enseignements les plus contestés sont ceux qui traitent des valeurs: la laïcité, la liberté d'expression, la mixité", affirme Jean-Pierre Obin (ancien inspecteur général de l’Éducation nationale)

  • l’année dernière
Des hommages ont eu lieu partout en France pour Dominique Bernard, professeur de français tué vendredi à Arras et Samuel Paty, également assassiné dans un attentat islamiste il y a trois ans jour pour jour à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines).

Category

📺
TV
Transcription
00:00 52% des enseignants déclarent aujourd'hui s'être déjà auto-censurés,
00:04 dont la moitié dans l'année précédant le sondage.
00:09 Quel thème par exemple sont sortis du programme pour éviter de créer des troubles ?
00:17 Jusqu'à faire cette enquête, j'étais persuadé,
00:20 d'après mes enquêtes précédentes, mes connaissances précédentes,
00:24 que c'était les enseignements d'histoire-géographie qui arrivaient en tête.
00:27 Pas du tout, les enseignements les plus contestés aujourd'hui
00:30 sont ceux qui traitent des valeurs.
00:32 Laïcité, la liberté d'expression, la mixité,
00:36 l'égalité entre les hommes et les femmes, la lutte contre l'homophobie.
00:40 Voilà les principales cours qui sont contestés aujourd'hui par les élèves,
00:46 influencés par l'islamisme.
00:48 Donc c'est l'éducation civique en fait ?
00:51 C'est l'éducation civique, c'est aussi la mixité peut-être contestée en cours d'EPS par exemple.
00:57 Mais Jean-Pierre Aubin, pourtant, quand on voit ces images,
00:59 on voit bon nombre d'élèves, de jeunes, qui viennent déposer des fleurs,
01:03 qui pleurent sincèrement.
01:05 Donc ça veut dire qu'il n'y a qu'une partie des élèves qui sont dans cet hommage ?
01:08 Tout à fait. Les professeurs que j'ai interrogés, j'en ai interrogé 24 dans le livre,
01:13 disent que c'est un petit nombre d'élèves, toujours les mêmes, qui perturbent les cours,
01:19 mais que les autres se taisent. Voilà ce qu'ils disent.
01:21 Et il y en a un qui dit, de manière un peu angoissée,
01:25 "En fait, je ne sais pas ce qu'ils pensent, les autres."
01:28 Mais est-ce qu'on met finalement les problèmes sous le tapis à ce qu'il y ait cet effet de pas de vagues ?
01:32 On ne veut pas remonter les problèmes pour ne pas créer d'autres problèmes ?
01:34 C'est une autre chose, oui, mais il y a aussi, dans la peur des professeurs aujourd'hui,
01:40 le fait qu'ils ne se sentent pas soutenus par leur administration,
01:43 qu'ils l'accusent de pusillanimité, de manque de courage,
01:46 et du coup ils retiennent les informations, souvent ils n'en parlent pas.
01:51 Parce qu'on ne veut pas stigmatiser ? C'est le fameux stigmatiser ?
01:55 Alors, ils pensent que s'ils en parlent, ça pourrait jouer contre eux.
01:59 C'est-à-dire conduire à une mauvaise évaluation,
02:04 à l'idée qu'ils manquent de compétences, qu'ils ne savent pas faire avec les élèves, etc.
02:08 Et en fait, lorsqu'on interroge les chefs d'établissement,
02:11 qui sont en quelque sorte les accusés dans ce que disent ces professeurs,
02:15 ils disent la même chose.
02:16 Nous, on ne fait pas remonter non plus parce qu'on a peur d'être mal évalués
02:21 par notre hiérarchie, par l'inspecteur d'académie, par le recteur.
02:25 Donc en fait, à tous les échelons, la peur s'est installée.
02:30 Et on aboutit à cette espèce de blocage, de silence.
02:35 Mais ce n'est pas partout en France.
02:38 Est-ce que c'est ciblé dans certains quartiers ?
02:40 Alors, si on regarde les enquêtes sur lesquelles je m'appuie,
02:43 celles de l'IFOP depuis 2018,
02:46 on a deux catégories en général dans les zones d'éducation prioritaire,
02:50 en zone d'éducation prioritaire, et les différentes académies.
02:54 Donc en fait, aujourd'hui, plus aucun territoire n'est épargné.
02:58 Même dans le premier degré, c'est 25% des instituteurs
03:03 qui disent s'auto-censurer du fait d'incidents en classe
03:08 ou avec des parents d'élèves.
03:11 Simplement, les chiffres qui sont produits sont encore supérieurs
03:16 en zone d'éducation prioritaire.
03:17 Que demandent-ils ces professeurs ?
03:19 Est-ce que le président Macron a encore tweeté aujourd'hui
03:22 qu'il promet que l'école restera un sanctuaire ?
03:25 Est-ce que l'école, visiblement, n'est plus un sanctuaire ?
03:27 Et comment faire pour que l'école redevienne ce sanctuaire ?
03:31 Oui, c'est une question qui est éminemment complexe.
03:35 Je pense qu'à court terme, il n'y a pas de solution possible.
03:40 On est face à un phénomène d'ampleur de long terme.
03:45 La pénétration de l'islamisme ne se fait pas que dans l'école,
03:48 elle se fait dans toute la société et pas seulement en France.
03:51 Donc, il faut sortir de l'illusion que par quelques mesures
03:55 à court terme, on parviendrait à juguler le phénomène.
03:58 Donc, il faut absolument que nos dirigeants prennent conscience
04:03 de cet enjeu et développent des politiques à long terme,
04:07 dans lesquelles l'unité nationale est requise,
04:11 dans lesquelles on n'a pas des coups d'accordéon des politiques
04:13 comme on vient de l'observer avec les trois derniers ministres
04:17 de l'éducation nationale ou des politiques contradictoires.
04:21 Ce sont des politiques qui se sont développés.
04:22 Il semble affirmer une certaine fermeté, Gabriel Attal.
04:25 Tout à fait.
04:26 Et il y a une certaine lucidité, je dirais,
04:30 parce que c'est le premier qui ose dire,
04:33 il vient de le dire dans la remise du prix Samuel Paty samedi à la Sorbonne,
04:38 que 50% des professeurs s'auto-censuraient,
04:41 que les professeurs avaient peur.
04:43 Donc, il est conscient du problème.
04:45 Et qu'il fallait aboutir, il se donnait comme objectif
04:50 que tous les enseignements soient dispensés.

Recommandations