L'universitaire, spécialiste du monde arabe et de l'Islam, était l'invité du "8h30 franceinfo", samedi 14 octobre 2023.
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00:00 Bonjour Gilles Kepel. - Bonjour.
00:01 - Dominique Bernard, professeur de lettres, a été assassinée hier, victime d'un attentat islamiste,
00:06 trois jours avant l'anniversaire des trois ans de l'assassinat de Samuel Paty.
00:11 D'abord, impossible de ne pas être frappé par ce mimétisme, ces deux drames.
00:15 C'est finalement quasiment l'histoire qui se répète.
00:18 - Oui, c'est l'histoire qui se répète et dans un contexte international qui la rend encore plus,
00:22 malheureusement, audible, puisque ça suit l'incursion du Hamas dans la bande de Gaza.
00:29 Et les scènes de carnage qu'on a vues à la télévision.
00:32 Alors même s'il y a des éléments différents qui ont lancé les deux événements,
00:39 on ne peut pas ne pas s'interroger sur le parallélisme.
00:43 - Notamment l'origine tchétchène-russe des deux assaillants.
00:48 - Oui, en effet, une communauté qui a été généralement accueillie en France à partir des années 2000
00:55 pour lutter contre les persécutions russes.
00:59 Et ce qui est d'autant plus curieux, c'est qu'ensuite, le monde tchétchène,
01:02 en tout cas dans son leadership, s'est largement retourné,
01:06 puisque aujourd'hui, le leader des tchétchènes, M. Kadirov,
01:10 fait partie de ceux qui fournissent les troupes d'assaut russe contre les Ukrainiens,
01:16 Ukrainiens qui ont par ailleurs coopté aussi un certain nombre de tchétchènes anti-Kadirov dans leur rang.
01:21 C'est une communauté qui a lutté pour sa survie assez fortement dans l'Empire russe,
01:28 connue notamment pour des actes, selon certains, de bravoure, d'autres de violence ou de pré-terrorisme,
01:35 et qui est connue comme telle, y compris dans la littérature russe,
01:39 sur le tchétchène qui aiguise son couteau, si vous voulez,
01:41 c'est quelque chose qui est récurrent dans la littérature russe.
01:44 Et la situation-là est particulièrement frappante,
01:48 parce qu'on a quand même le sentiment que, de la même manière qu'Abdollah Ansarov,
01:55 l'assassin du professeur Samuel Paty, avait été socialisé dans un milieu
02:02 qui marquait une rupture totale avec la société française
02:06 au nom de ce qu'on appelle dans le salafisme "al-walaha wal-balaha",
02:09 c'est-à-dire l'allégeance exclusive à la charia et le désaveu des lois de la République,
02:15 qui considère que les mécréants sont des infidèles et que donc leur sang est licite,
02:21 en arabe "dem wa halal", de même, dans le cas de ce Mohammed M,
02:27 puisque un certain nombre de titres ne révèlent pas encore son nom de famille,
02:31 d'autres l'ont fait, on a un système familial et intellectuel qui fonctionne de la même façon.
02:39 Et là, on est très déconcerté, puisque on voit bien comment,
02:43 alors même que la veille, celui-ci avait été contrôlé par le service de la sécurité intérieure,
02:52 la loi ne permet de rien faire au stade actuel.
02:57 Et ça, c'est un énorme problème qui, bien sûr, interroge l'ensemble des citoyens
03:02 et de leurs représentants qui votent la loi.
03:05 C'est la deuxième fois qu'un enseignant est tué sur son lieu de travail,
03:11 l'école qui est la cible de toutes les attaques de la mouvance djihadiste,
03:16 toutes tendances confondues.
03:17 – Mais ça signifie, Gilles Kepel, ce que vous disiez sur la Tchétchénie,
03:20 que l'islamisme n'a pas de frontières, l'idristaïsme n'a pas de frontières,
03:25 et ça n'a rien à voir avec la France ou un passé colonial de la France,
03:29 avec un certain pays comme certains, et d'expliquer parfois les événements,
03:34 c'est que c'est la même idéologie qui frappe, quel que soit le pays d'origine.
03:40 Les Tchétchènes n'ont pas de contentieux historiques avec la France.
03:44 Ceux qui font aujourd'hui, dans certains groupes d'extrême-gauche,
03:49 une sorte de culture de l'excuse en disant "mais s'il y a des attentats en France,
03:54 c'est parce que la France doit expier la colonisation je ne sais quand",
03:58 évidemment sont à côté de la plaque.
04:03 La mondialisation de ce type de phénomène est un fait aujourd'hui
04:07 qui est incontournable, qui passe aussi par les réseaux sociaux,
04:11 par ce que j'ai appelé autrefois le djihadisme d'atmosphère,
04:15 et qui fait que des individus, sans même qu'il y ait une organisation structurée,
04:21 ont été formatés à la fois par leur environnement familial,
04:25 par les réseaux sociaux, les influenceurs et les influenceuses
04:28 qui sont biberonnés là-dessus, que ce soit des poutchistes du Niger,
04:33 ou si vous voulez, aux assassins des enseignants français.
04:38 - Et ça, ça les rend quasiment impossibles à être détectés,
04:41 le fait de passer un peu sous les radars et de passer à l'acte,
04:45 peut-être sur un coup de tête et peut-être à mauvaise expression,
04:48 mais de manière autonome, indépendante ?
04:51 - C'est-à-dire que ça n'est pas vraiment une indépendance,
04:54 parce qu'ils sont formatés, il y a quelque chose qui est passé dans leur tête,
04:58 et c'est tout le problème de ce qu'on peut faire.
05:03 Alors, le président de la République, vous savez,
05:06 15 jours exactement avant l'assassinat de Samuel Paty,
05:09 avait fait son fameux discours des mureaux,
05:12 où il pointait le séparatisme islamiste.
05:16 Ce qui, je crois, est une bonne formulation, une bonne idée.
05:19 Simplement, quels sont les dispositifs légaux
05:24 que les sociétés démocratiques peuvent prendre face à ce type de phénomène ?
05:29 Alors, je vais vous dire quelque chose qui va peut-être vous faire bondir,
05:32 mais entre le port de l'Abaya à l'école et les exactions que nous avons observées,
05:38 il y a un continuum.
05:40 Alors, ça, ça va faire hurler.
05:41 Ce que je veux dire par là, c'est que c'est la même logique
05:45 qui veut que l'école est le lieu dans lequel la laïcité est enseignée,
05:50 et donc, c'est perçu par les tenants de l'islam politique
05:54 comme une institution qui dilue la force de la communauté.
05:58 Alors, ça ne veut pas dire que toutes celles qui portent un Abaya
06:01 vont passer à l'acte et vice versa.
06:03 Mais il y a une continuité intellectuelle et mentale dans cette affaire
06:08 qui est résumée, encore une fois, par le concept du sadafisme
06:12 que j'ai appelé, qui s'appelle al-Waala wal-Bala, la légence et la rupture,
06:16 ou la légence et le désaveu que j'ai mentionné tout à l'heure.
06:18 - Gilles Keppel, spécialiste de l'islam et du monde arabe.
06:21 On se retrouve dans un instant, juste après le Fil info à 8h39 avec Diane Ferchitte.
06:26 - Un rassemblement spontané hier soir dans le centre d'Arras
06:30 en hommage à Dominique Bernard, ce professeur de français
06:32 tué à l'arme blanche au lycée Gambetta.
06:35 Un autre enseignant ainsi que deux agents de l'établissement
06:37 ont été blessés par l'assaillant, un jeune homme de 20 ans,
06:40 fiché S pour radicalisation.
06:42 Il a pu être interpellé, huit de ses proches sont aussi en garde à vue.
06:45 L'Élysée annonce ce matin le déploiement d'ici lundi soir
06:48 de 7000 militaires de la force Sentinelle.
06:51 Une semaine tout jusque le Hamas a lancé sa première attaque contre Israël.
06:54 Le conflit a déjà fait plus de 1300 morts, comptez israéliens.
06:58 1900 dans la bande de Gaza, Gaza dont des milliers d'habitants du nord
07:01 tentent de fuir au sud après l'ordre d'évacuer lancé hier par Israël.
07:05 L'armée israélienne dit ce matin avoir tué un haut responsable militaire du Hamas
07:09 et plusieurs terroristes, selon ces mots, qui tentaient d'entrer en Israël
07:13 à partir du Liban.
07:15 L'équipe de France de football qualifiée pour l'Euro 2024.
07:18 Les Bleus vainqueurs hier soir des Pays-Bas à Amsterdam,
07:20 deux buzins grâce au doublé de Kylian Mbappé.
07:23 Prochain match pour les Français, un match amical,
07:25 ce sera un mardi soir face à l'Écosse.
07:28 *Générique*
07:36 Toujours avec Gilles Kepel, spécialiste de l'islam et du monde arabe.
07:40 On parlait à l'instant du djihadisme d'atmosphère.
07:43 C'est un concept que vous aviez identifié il y a trois ans
07:45 et sur lequel vous revenez dans votre dernier livre,
07:48 "Prophètes en son pays", aux éditions de l'Observatoire.
07:52 C'est un livre dans lequel vous racontez votre quart de siècle
07:54 à étudier l'islamisme des villes égyptiennes au quartier français.
07:58 Vous avez suivi la naissance de cet islamisme.
08:01 On parlait de ce djihadisme d'atmosphère dans le cas d'Arras,
08:05 l'attaque d'hier, mais il y a aussi un contexte international.
08:10 Hier, le ministre de l'Intérieur a dit qu'il y avait sans doute un lien
08:14 entre ce qu'il s'est passé au Proche-Orient et cette attaque d'hier.
08:18 Est-ce que c'était prévisible ?
08:20 - Alors prévisible à ce point-là, c'était difficile de l'imaginer,
08:23 de l'anticiper, mais bien évidemment, il y a une vision partagée.
08:29 Et quand on a vu ces images d'enfants massacrés,
08:36 de civils tués en Israël, en Suisse, par les gens du Hamas,
08:42 qui se réclament de la même idéologie que le tueur,
08:45 l'assassin de notre collègue, le professeur d'Arras, tout récemment,
08:51 bien évidemment, on est dans la porosité des réseaux sociaux.
08:55 Et à partir du moment où l'assassinat civil est perçu
08:58 d'une manière complètement désinhibée d'un côté,
09:01 il va l'être également de l'autre.
09:02 Et c'est ça qui était un gros problème depuis les attentats,
09:07 la radia à Gaza, tout le monde retenait son souffle pour savoir
09:12 si quelque chose de comparable allait se produire en France.
09:17 Ça n'est pas totalement comparable, mais ça appartient à une même logique.
09:22 Et surtout, ça fait écho à ce qui s'est produit il y a trois ans.
09:26 C'est un redoublement de l'assassinat de notre autre collègue,
09:30 de la décapitation monstrueuse de Samuel Pesny.
09:34 - Il y a aussi le Hamas qui avait appelé hier à un jour de colère
09:37 tous ses partisans dans le monde.
09:38 Il a appelé à attaquer les Israéliens et les Juifs.
09:42 Ce genre d'appel à l'international, ça peut avoir des conséquences
09:46 très concrètes en France ?
09:48 - Je ne saurais pas vous le lire exactement parce que j'ai bien vu ça.
09:51 Je ne sais pas si c'est l'appel du Hamas comme tel
09:57 ou bien c'est plutôt tout simplement la contagion des images.
10:00 Et les médias et les médias sociaux totalement incontrôlés
10:05 qui sont pris au piège de ce qu'ils diffusent.
10:07 Et finalement, on s'habitue à cette espèce d'obscénité de l'image.
10:12 Vous savez, c'est Daesh qui a lancé ce phénomène
10:16 avec la multiplication des scènes de décapitation, etc.
10:19 qui crée un mécanisme de voyeurisme qui est un peu comme celui de la pornographie
10:24 où on va regarder avec avidité des scènes atroces
10:29 et qui malheureusement a un effet de contagion, de contamination
10:35 qui était très difficile à maîtriser.
10:37 Et justement, les systèmes juridiques sont aujourd'hui très incapables
10:46 devant ce type de problème.
10:48 C'est la question qu'a posée Gérald Manin hier soir, je crois,
10:53 quand on l'a interrogé sur la loi qui interdisait l'expulsion de quelqu'un
10:58 qui était entré en France avant l'âge de 15 ans.
11:01 - La France n'est pas suffisamment armée législativement en parlant.
11:04 Et vous l'évoquiez aussi tout à l'heure, tout de même,
11:06 cet homme, il était fiché S depuis 11 jours
11:10 parce qu'il était en contact avec des radicalisés.
11:12 Son frère est en prison pour apologie du terrorisme.
11:15 Son père a été expulsé en 2018.
11:17 Il était activement suivi par la DGSI.
11:19 Il était sur écoute, il était suivi.
11:21 Physiquement, comment peut-on passer à travers les mailles du filet ainsi ?
11:25 Est-ce que ce sont des experts en dissimulation ?
11:27 Est-ce que c'est tous les trous dans la raquette de notre système à nous ?
11:31 - Il faut ajouter malheureusement aussi que la famille qui habitait auparavant en Bretagne,
11:36 autant que je puisse le savoir, avait fait l'objet d'une arrêté d'expulsion
11:41 et ils avaient été in extremis maintenus sur le territoire français
11:46 grâce à la mobilisation d'associations de défense des droits de l'homme,
11:50 dont on peut se demander dans quelle mesure elles savent ce qu'elles font dans ce cas-là.
11:55 Et ce qui pose un énorme problème, un problème d'expertise.
11:59 - C'était il y a dix ans, donc c'est aussi compliqué d'anticiper sur...
12:02 - Oui bien sûr, mais ça fait...
12:04 Vous avez très gentiment rappelé l'existence de mon livre.
12:07 Malheureusement, ce n'est pas seulement un quart de siècle, c'est 40 ans de travail.
12:11 Et ça fait 40 ans que le titre, c'est bien sûr une plaisanterie,
12:15 enfin du moins sur nul n'est prophète dans son pays.
12:18 Et au fond, quand on a un travail sur ce type de questions
12:23 qui oblige à poser un certain nombre de problèmes qui sont extrêmement gênants,
12:28 mais l'enjeu pour un universitaire, ça n'est pas de plaire à l'idéologie du moment
12:34 ou aux contorsions du système politique, c'est d'analyser des faits
12:38 et de faire comprendre à la société qu'est-ce que ces faits posent comme problème.
12:43 - Vous avez eu du mal, vous le racontez dans ce livre,
12:46 vous avez rencontré les verrous, la désapprobation parfois de l'État,
12:51 du monde universitaire, qui parfois vous traitait de raciste.
12:54 Vous avez eu du mal à étudier la naissance de l'islamisme,
12:57 parce que certains ne voulaient pas le voir.
12:59 - Surtout pas le voir, on est dans le déni.
13:01 Vous avez eu la gentillesse de rappeler que mon titre de professeur des universités,
13:05 c'est bientôt fini puisque je suis chassé dehors de l'université,
13:09 parce que ce que je suis en train d'expliquer, alors qu'on ne peut pas penser quand même,
13:13 on ne peut pas dire que c'est totalement à côté de la plaque ce que je fais
13:16 dans la situation actuelle si vous voulez,
13:18 on me fait partir pour me remplacer par des enseignements, des coloniaux,
13:23 WOC, etc., qui sont dans l'esprit idéologique du temps.
13:26 Mais on est là face à une question de l'impéritie et de l'irresponsabilité
13:32 de nos structures universitaires par rapport à ça.
13:34 Le nombre de connaisseurs de la langue arabe dans l'université française,
13:38 s'est effondré au cours des dernières années.
13:40 Et ça, c'est un énorme problème.
13:43 On est remplacé par l'idéologie.
13:46 L'université est devenue une machine où il faut dire ce qui plaît sur le plateau, etc.
13:52 Et ça, c'est une véritable catastrophe.
13:54 - De fait, vous pointez aussi l'irresponsabilité des associations,
13:57 des associations de droit de l'homme, de certains partis politiques,
13:59 notamment de gauche, puisqu'on l'avait vu, en l'occurrence,
14:01 le Parti communiste s'était mobilisé pour cette famille il y a une dizaine d'années.
14:05 Est-ce qu'il y a une forme d'irresponsabilité ou est-ce qu'on peut aussi convenir
14:08 que c'est difficile d'anticiper, disons, auparavant ?
14:10 - Bien sûr, et il ne s'agit évidemment pas de mettre en cause
14:13 l'ensemble des associations de défense des droits de l'homme.
14:15 Mais elles sont dans leur rôle quand elles défendent également
14:19 les empiétements de l'autoritarisme d'État sur telle situation, etc.
14:23 Mais je crains que le défaut d'information, l'incapacité à penser les choses,
14:30 parce qu'il y a un tabou, il ne faut pas donner l'impression
14:33 qu'on est raciste ou qu'on est, entre guillemets, islamophobe.
14:36 Moi, j'ai été traité abondamment d'islamophobe.
14:39 J'ai passé ma vie avec des musulmans et des musulmanes.
14:42 C'est une chose qui est complètement délirante de me reprocher ça.
14:45 Mais le problème, c'est d'être capable de produire de la connaissance en temps réel,
14:50 de la diffuser, de faire en sorte d'avoir des étudiants à l'université
14:55 qui peuvent rendre le relais.
14:56 Or, ça, aujourd'hui, c'est un processus qui est cassé
14:58 du fait de l'impéritie de l'enseignement supérieur français.
15:02 Les autorités politiques feraient bien de mettre le nez
15:05 dans ce qui se passe dans l'enseignement supérieur français à ce niveau.
15:07 L'autorité politique qui, néanmoins, passe au niveau alerte, urgence, attentat,
15:11 c'est le plus haut niveau du plan Vigipirate.
15:13 Est-ce que vous pensez que ça peut avoir un effet dissuasif sur des personnalités
15:16 qui, dans leur fort intérieur, seraient prêts à passer à l'acte ?
15:20 – Elles s'en foutent complètement, disons les choses comme elles sont.
15:22 Ce qui va se passer, c'est que les autorités de police seront plus présentes,
15:27 c'est qu'on va avoir un sentiment d'urgence.
15:31 Mais si un autre Tchétchène ou je ne sais qui,
15:35 qui fonctionne selon la même idéologie de l'allégeance et du désaveu,
15:41 va le faire, ce n'est pas ça qui va lui faire peur, évidemment.
15:44 L'enjeu est un enjeu culturel beaucoup plus profond.
15:48 Et c'est là que je pense qu'il n'y a pas de coordination
15:53 à l'échelle de l'État et de la société.
15:56 Il y a aujourd'hui un phénomène d'impéritie qui est très préoccupant.
16:00 – Gilles Kepel, spécialiste de l'Islam,
16:02 auteur de prophètes en son pays aux éditions de l'Observatoire.
16:05 On se retrouve dans un instant après le Fil info de Yann Ferchit à 8h49.
16:08 [Générique]
16:09 – La France en alerte, urgence, attentat.
16:12 7 000 militaires de la force sentinelle vont être déployés
16:14 après l'assassinat hier d'un professeur de français
16:17 au lycée Gambetta d'Arras.
16:18 Un autre professeur et deux agents de l'établissement sont blessés.
16:21 Ce matin, 9 personnes sont en garde à vue.
16:23 L'assaillant, âgé de 20 ans, est né en Russie.
16:26 Il est fiché S pour radicalisation, selon le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin.
16:30 Il y a sans doute un lien entre son passage à l'acte
16:32 et la situation au Proche-Orient.
16:34 Le Proche-Orient, où l'armée israélienne dit avoir tué
16:37 un haut responsable militaire du Hamas dans la bande de Gaza.
16:40 Elle affirme avoir mené des incursions dans l'enclave palestinienne.
16:43 Ce n'est que le début des opérations prévues à Benyamin Netanyahou.
16:47 Le Premier ministre israélien et ce sont désormais 15 Français
16:50 qui ont été tués en Israël, selon la ministre des Affaires étrangères,
16:54 Catherine Colonna, qui se rendra sur place demain.
16:56 17 autres Français sont toujours portés disparus.
17:00 Les deux premiers quart de finale de la Coupe du monde de rugby
17:03 avant France-Afrique du Sud, demain à 17h à Marseille.
17:06 L'Argentine fera face au Pays de Galles et à 21h,
17:09 l'Irlande affronte la Nouvelle-Zélande au Stade de France.
17:12 France Info.
17:16 Le 8.30, France Info.
17:18 Agathe Lambret, Jean-Rémi Baudot.
17:20 Toujours avec Gilles Kepel, spécialiste de l'islam et du monde arabe,
17:24 professeur des universités, vous publiez "Prophète en son pays"
17:27 aux éditions de l'Observatoire.
17:29 On en parlait à l'instant.
17:30 Gilles Kepel, cette attaque est survenue une semaine
17:33 après l'attaque terroriste du Hamas contre Israël.
17:36 Aujourd'hui, l'État hébreu riposte, semble préparer
17:39 une opération terrestre d'ampleur qui pourrait être imminente.
17:43 Ce n'est que le début, a prévenu Benyamin Netanyahou hier.
17:46 On a vu hier des dizaines de milliers de personnes manifester
17:50 à Bagdad, à Beyrouth, à Amman, à Téhéran notamment.
17:54 Quand on voit ça, on se dit qu'une contagion du conflit,
17:57 une guerre régionale est possible ?
17:59 Je crois que la planète retient son souffle en ce moment.
18:02 Il faut voir, il y a plusieurs niveaux dans cette opération.
18:05 D'abord, pour M. Netanyahou, qui porte certainement,
18:10 et ça on le verra parce que la justice israélienne,
18:13 les commissions d'enquête verront ce qu'il en est,
18:15 une responsabilité que j'imagine écrasante
18:18 dans le manque de précaution par rapport à l'attaque.
18:22 Puisque je suis allé plusieurs fois à Gaza
18:25 pour rencontrer notamment des dirigeants du Hamas,
18:28 dans le cadre de mon travail, de mes recherches et de mes enquêtes.
18:31 Rentrant de Gaza sur le territoire israélien,
18:34 on traversait une frontière ultra sécurisée
18:36 avec des champs labourés partout, plein de mines,
18:40 un couloir, des appareils électroniques.
18:43 Toute la frontière qu'on a vue cisaillée par un bulldozer
18:48 a été payée un milliard de dollars, je crois.
18:52 Et le gouvernement israélien, M. Netanyahou,
18:57 otage de ces ennuis judiciaires,
18:59 a cédé tout à son extrême droite,
19:03 c'est-à-dire M. Ben Gvir et M. Smotrich,
19:07 en soutenant la colonisation à outrance en Cisjordanie.
19:11 Ce qui fait qu'il a engagé l'armée israélienne,
19:14 essentiellement pour faire la police en Cisjordanie,
19:17 dégarnissant Flands Sud.
19:19 Donc il y a cette dimension-là.
19:21 Et du point de vue interne israélien,
19:23 et du point de vue aussi de M. Netanyahou,
19:26 même s'il a été contraint de prendre le général Gantz,
19:28 son opposant, dans son cabinet de guerre,
19:31 quelqu'un qui a sans doute, d'un point de vue objectif,
19:34 disons un peu plus les pieds sur terre militairement que lui,
19:37 parce que Netanyahou n'a aucune compétence dans ce domaine,
19:40 il est obligatoire de mener cette opération de rétorsion,
19:46 quelles que soient les conséquences humaines qu'elle va mener.
19:50 Pourquoi ? Parce que de son point de vue...
19:51 - Parce qu'il a pris un coup mortel.
19:52 C'est comme, vous compariez ça au 11 septembre 2001,
19:57 Ben Laden qui avait réussi à montrer que l'Amérique était un colosse
20:01 aux pieds d'argile.
20:02 - Exactement. Et vous voyez ce qu'a fait George Bush ensuite.
20:06 En attendant un petit peu, George Bush fils,
20:08 il a attaqué l'Irak de Saddam Hussein.
20:12 L'Irak de Saddam Hussein, sous le prétexte fumeux
20:15 que c'était eux qui avaient des armes de destruction massive,
20:18 ce n'était pas du tout l'objectif, c'était de changer le système du monde
20:22 en faisant en sorte que Saddam serait dégagé,
20:25 qu'on mettrait à la place de Saddam la majorité chiite au pouvoir,
20:29 dont certains représentants faisaient la cour aux Américains à Washington,
20:34 dans l'illusion qu'il créerait un État pro-américain et philo-israélien dans la région.
20:39 Les Iraniens, très rapidement, ont sifflé la fin de la récréation
20:43 et se sont emparés du pouvoir à Bagdad.
20:45 Ce qui se passe aujourd'hui en Israël, c'est un peu du même ordre,
20:49 c'est-à-dire que pour des raisons internes,
20:50 parce que c'est la première fois aussi qu'à ce jour en tout cas,
20:54 le nombre de victimes israéliennes est supérieur au nombre de victimes palestiniennes.
20:59 C'est en train de changer ensemble.
21:01 – Mais là on est à 1900 côtés, au dernier des comptes,
21:04 1900 côtés palestiniens, 1500 côtés israéliens.
21:06 – Ça vient de basculer, mais pendant une semaine, si vous voulez,
21:09 l'invincibilité de l'État d'Israël, entre guillemets,
21:12 qui protégeait celui-ci contre les incursions,
21:15 et qui s'était traduit du reste par aussi le fait que beaucoup d'États arabes
21:19 avaient commencé à signer des accords de paix avec l'État hébreu
21:23 parce qu'ils pensaient ainsi bénéficier d'une technologie militaire israélienne invincible.
21:29 C'est le cas du Maroc face à l'Algérie,
21:30 c'est le cas des Émirats arabes unis face à l'Iran, etc.
21:35 Technologie invincible qui aujourd'hui va être remise en question.
21:38 Donc pour toutes ces raisons et pour des raisons de politique interne,
21:42 Netanyahou aujourd'hui a décidé de lancer l'offensive terrestre
21:46 en prenant bien sûr un risque gigantesque,
21:49 c'est que ça se traduise par un massacre de civils palestiniens.
21:54 L'idée étant, on va dissocier le Hamas,
21:57 on va tuer tous les gens du Hamas, les liquider,
22:00 et ainsi on va pouvoir traiter avec les Palestiniens.
22:04 Le problème fondamental de tout ça aussi,
22:06 c'est que tous les traités de paix qui ont été menés,
22:09 y compris avec les États arabes,
22:11 ont considéré que la question palestinienne avait été évacuée,
22:14 il n'existait plus les Palestiniens, si vous voulez.
22:16 Et c'est ça qui a nourri, je ne m'excuse évidemment rien en disant cela,
22:20 mais c'est ça qui a nourri une très grande frustration
22:22 et qui, dans le monde arabe aussi,
22:27 accuse les Israéliens, les Occidentaux, etc.
22:30 de faire de poids de mesure.
22:31 Alors on a vu la monstruosité des images,
22:34 ce qu'on fait suite à la radia évidemment,
22:36 ça c'est quelque chose qui est très frappant.
22:39 Aujourd'hui bien sûr, plus il y a,
22:42 on aura d'images et de réalité de civils palestiniens massacrés,
22:47 plus on va relativiser les choses.
22:50 Et il y a un autre élément, je voulais juste dire,
22:53 je suis dans mon raisonnement,
22:55 c'est qu'en réalité, ça n'est pas là que ça se passe.
22:59 Là, la négociation se passe à un autre niveau.
23:02 Deux escadres américaines sont l'une arrivée sur place,
23:07 l'autre en voie d'arrivée,
23:09 celle qui est autour du porte-avions Gerald Ford
23:12 et le porte-avions Dwight Eisenhower,
23:15 c'est une centaine d'avions de chasse américains
23:18 qui peuvent contrôler le ciel
23:19 et la négociation, elle se fait en réalité avec l'Iran.
23:23 Alors justement, le rôle de l'Iran,
23:26 tout le monde pense, une bonne partie des gens pensent
23:28 que l'Iran a officiellement,
23:30 enfin non, justement, pas officiellement aidé,
23:32 mais que se pose la question du rôle de l'Iran.
23:35 Bien sûr, alors l'Iran dit qu'ils sont bien sûr très contents
23:38 que la résistance palestinienne se soit manifestée ainsi,
23:41 puisqu'ils se présentent comme les champions
23:44 de ce qu'ils appellent l'axe de la résistance,
23:46 ce que les sunnites appellent plutôt le croissant chiite,
23:49 qui va doter l'Iran au Hezbollah et au Hamas,
23:52 même si le Hamas est un parti sunnite,
23:54 mais je vous expliquerai ça tout à l'heure si vous souhaitez.
23:57 Voilà, qui passe par Bagdad,
23:59 qui passe par Damas de Bachar el-Assad
24:02 et qui passe bien sûr par le Hezbollah.
24:03 Mais officiellement l'Iran n'assume pas du tout.
24:05 Voilà, officiellement ils disent "c'est pas nous",
24:07 mais le Hamas est complètement dans la dépendance
24:10 aujourd'hui de l'Iran.
24:11 Vous savez, depuis que Daesh a été liquidé,
24:15 Al-Qaïda et autres, et que les frères musulmans eux-mêmes
24:18 ont perdu leur accès au Qatar et même à la Turquie,
24:20 puisque Erdogan a besoin de l'argent des Saoudiens dans ses coffres,
24:24 et donc il a chassé les frères musulmans réfugiés sur son territoire,
24:28 il n'y a plus de grand leadership djihadiste sunnite international.
24:32 Il y a un vide qui s'est fait là,
24:33 et du coup c'est l'Iran qui remplit ce rôle
24:36 et qui à travers cela veut apparaître
24:39 comme le leader de l'ensemble des musulmans du monde.
24:41 Ça c'est quelque chose qui est présent déjà depuis longtemps.
24:44 Le 14 février 1989, quand il y a eu la fatwa contre Roujdi,
24:48 c'était pour l'Iran l'occasion de tirer le tapis
24:50 sous les djihadistes sunnites qui chassaient le lendemain
24:54 les troupes soviétiques de Kaboul.
24:56 Ensuite le 11 septembre, c'est aussi une réponse au 14 février 1989,
25:01 c'est Ben Laden qui reprend le leadership sunnite face aux Iraniens.
25:05 Aujourd'hui, on voit, à mon sens, en grande partie,
25:08 l'Iran à travers l'instrumentalisation du Hamas
25:11 se poser comme le véritable "défenseur" des musulmans opprimés
25:16 face à la "trahison" des États arabes
25:20 qui pactisent avec l'ennemi sioniste.
25:24 – Merci beaucoup Gilles Kepel,
25:25 il y aurait évidemment des heures à décrypter
25:28 ce qui est en train de se passer au Moyen-Orient,
25:29 mais merci beaucoup d'avoir apporté votre éclairage.
25:32 Gilles Kepel, spécialiste de l'Islam, du monde arabe,
25:34 professeur des universités, je rappelle que vous publiez
25:37 "Prophète en son pays" aux éditions de l'Observatoire.
25:39 Merci d'avoir été avec nous, merci Agathe.
25:41 On se retrouve demain pour un nouveau 8/30
25:43 et pour, dans quelques instants, l'info sur France Info.