• l’année dernière
"La bonne information n'est pas donnée aux Français."
 
Après avoir fui son pays, il a été fait esclave en Libye. Comme des milliers de personnes, tous les jours, c'est à bord d'une embarcation de fortune qu'il décide de rejoindre l'Europe, par la mer. Sauvé par SOS Méditerranée, Alpha Kaba raconte son histoire.
Transcription
00:00 On ne peut pas arrêter l'immigration.
00:01 Nous fuyons pour une raison ou pour une autre.
00:03 Ressauffement climatique, danger de mort, ségrégation et tout, tout, tout.
00:07 Il y a toujours une raison par rapport à ça.
00:09 Et ça ne va pas s'arrêter.
00:11 J'ai quitté la Guinée pour venir en Algérie
00:26 et traverser le désert où j'ai eu beaucoup de compagnons de route qui sont décédés.
00:30 J'ai été esclavagisé.
00:32 J'ai été revendu à 350 dinars en Libye.
00:35 J'ai travaillé dans des plantations,
00:37 j'ai travaillé dans des chantiers comme manœuvre
00:41 parce que je n'avais pas le métier de maçon.
00:43 Mais vu que je pouvais quand même avec mes forces transporter le sable, le ciment et tout.
00:47 Donc au fur et à mesure, j'ai été revendu à 3 mètres.
00:50 Et c'est comme ça, un jour, on a eu l'occasion en tribus humaines
00:53 de traverser la Méditerranée en 2013.
00:56 La mer quand même, ça fait peur.
01:03 Je ne m'attendais pas que c'était aussi grave que ça.
01:06 Parce que moi, j'essaie de nager, mais c'est dans des petites piscines
01:09 ou dans des petites rivières de chez nous.
01:11 Mais la mer Méditerranée, c'était la première de monter
01:14 d'ailleurs même dans un zodiaque et traverser.
01:16 Au départ, on ne peut pas estimer le niveau de gravité
01:19 et le niveau de risque qu'on est en train de prendre pour la traverser.
01:23 Et dans cette traversée, il y a eu des morts.
01:25 7 morts dans notre zodiaque et on a été sauvés par l'Aquarius à l'époque.
01:29 Un bateau affrété par SOS Méditerranée.
01:31 Les chiffres qu'ils ont donnés, les 28 000 jeunes décédés en Méditerranée,
01:36 ça nous permet d'estimer le nombre de personnes qui ont décédé.
01:39 Mais il faut le multiplier par deux.
01:41 Là où moi je suis, j'ai encore des familles qui me contactent
01:43 pour me demander si j'ai pas vu leurs enfants.
01:46 Ou de demander autour de moi si telle personne, telle personne, elle est encore vivante.
01:50 Donc il y a des parents encore qui réfusent de passer le deuil du décès,
01:54 vrai ou faux, de leurs enfants.
01:56 Il y a tout ça en Afrique actuellement.
01:58 Donc c'est un peu difficile de donner les chiffres exacts
02:01 parce que quand tu décèdes dans l'eau, c'est fini.
02:04 Ce sont les morts décomptées par SOS Méditerranée qui sont décédées.
02:07 J'avoue qu'en Libye, c'est pas facile de gagner de l'espoir
02:12 parce que chaque jour, tu peux dire que tu vas mourir demain.
02:14 Tu peux pas garder forcément espoir mais tu peux, pour te soulager,
02:18 penser que demain tu vas t'en sortir aussi.
02:20 La Libye, c'est un enfer en quelque sorte.
02:22 C'est un voyage de non-retour.
02:24 Une fois que tu rentres dans le territoire libyen, jusqu'à ce que tu sortes,
02:27 tu es transporté dans des coffres de voiture.
02:29 Tu vas même pas au ciel.
02:30 300 km, 400 km, tu es toujours gardé dans des coffres de voiture.
02:34 Avant d'interpeller même l'Europe, il faut interpeller le chef d'État africain
02:43 parce que ça se passe sur le continent africain.
02:45 Quoi qu'on va faire, on peut pas arrêter l'immigration.
02:48 Depuis la nuit des temps, les gens continuent à bouger.
02:50 Il faut que les gens apprennent ça.
02:52 Les gens continuent à bouger et ça va pas s'estopper aujourd'hui.
02:54 Ça va continuer.
02:55 Nous fuyons pour une raison ou pour une autre.
02:58 Réchauffement climatique, danger de mort, ségrégation et tout, tout, tout.
03:02 Il y a toujours une raison par rapport à ça.
03:04 Et ça va pas s'arrêter.
03:05 Le vrai débat que je voulais qu'on pose en Europe et en Afrique,
03:08 c'est la solidarité et l'humanisme.
03:10 Parce que d'ici 20 ans, 30 ans,
03:13 les jeunes enfants qui vont naître ne verront pas ce qu'on appelle la solidarité.
03:17 Ne sauront pas ce qu'on appelle l'humanité.
03:19 Ne sauront pas ce qu'on appelle le goût de la vie.
03:21 Ce que je peux demander à toutes ces institutions,
03:24 à l'Union Européenne, aux Nations Unies,
03:26 à tous ceux que vous connaissez,
03:28 c'est d'arrêter d'alimenter de faux débats autour de l'immigration.
03:31 Moi j'étais à Saint-Étienne pour une conférence.
03:33 La femme qui devait m'accueillir, elle savait rien de la migration.
03:36 Un jour, elle regardait une chaîne de télévision française
03:39 où on parlait des migrants.
03:41 Tout d'un coup, elle a refusé de m'accueillir
03:43 parce que je suis un migrant.
03:44 Mais le jour de la conférence, elle est venue quand même m'assister à la conférence.
03:48 Et quand elle m'a écouté, elle a pleuré.
03:51 Elle est venue me supplier, me demander des excuses.
03:53 Je pense que la bonne information n'est pas donnée aux Français.
03:56 En France, il n'y a que des gentils Français.
03:58 Il n'y a aucun mauvais Français.
03:59 Et l'homme naît derrière bon et gentil.
04:01 Donc j'invite ces Français à ouvrir leur cœur,
04:04 à tendre la main aux migrants.
04:06 Qu'ils arrêtent d'écouter les fausses informations.
04:09 Qu'ils arrêtent de se détourner le regard face à la situation
04:11 parce que nous sommes en pleine crise humanitaire.
04:14 Je rêve un jour de rentrer dans mon pays
04:16 et profiter de la vie comme il le faut.
04:19 Comme vous êtes en train de profiter de la vie dans votre pays ici.
04:22 Je veux un jour profiter de la vie comme ça chez moi.
04:25 Comme n'appelle pas migrant, comme n'appelle pas exilé.
04:28 Depuis le premier jour où je suis monté dans le bateau de l'Aquarius,
04:31 j'ai eu l'espoir à la vie.
04:33 Donc pour moi, un jour, ça va s'arrêter tout ça.
04:35 On ne peut pas vivre sans espoir.
04:37 Donc j'ai l'espoir encore.
04:39 [Musique]

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