Martin Boudot, présélectionné pour le Prix Albert Londres pour sa série « Vert de rage » : « Les journalistes environnementaux sont ceux qui se font le plus tuer dans le monde »

  • l’année dernière
Le numéro de ce lundi soir sur France 5 alerte sur la pollution dans le métro parisien
Transcript
00:00 Votre invité média, Céline Bédard, court et journaliste et réalisateur de la série documentaire
00:04 "Vers de Rage sur France 5", un magazine qui enquête sur des scandales environnementaux
00:07 et ce soir, il propose une plongée sous terre très inquiétante.
00:11 Bonjour Martin Boudot.
00:12 Bonjour.
00:13 Ce nouveau numéro va particulièrement intéresser les 8 millions de personnes qui prennent quotidiennement
00:17 le métro et le RER en région parisienne.
00:20 Avec Mathilde Cuzin qui a rejoint l'équipe de Vers de Rage cette saison, vous avez réalisé
00:23 une étude sur l'air que respirent les voyageurs dans les réseaux souterrains.
00:28 Les résultats sont édifiants.
00:29 Avant vous, personne n'avait jamais mesuré la pollution dans le métro ?
00:32 Des associations l'avaient fait mais de manière assez limitée et ils n'avaient pas surtout
00:39 analysé l'air qui était à l'extérieur.
00:40 Nous ce qu'on a réussi à faire c'est faire le différentiel, la pollution qui est à
00:43 l'extérieur de Paris mais également celle qui est à l'intérieur parce que la RATP
00:48 a longtemps dit "mais vous savez si l'air est pollué c'est aussi parce qu'on subit
00:51 l'air pollué de Paris" et nous on a voulu mesurer le différentiel.
00:54 On l'a fait dans toutes les stations.
00:56 332 stations ?
00:57 435 pour être précis aussi.
00:59 De 18h à 20h.
01:00 Du lundi au vendredi, on n'a pas passé les meilleures soirées de notre vie mais c'était
01:05 très efficace parce qu'on a pu vraiment se rendre compte de la pollution et de disparité
01:09 entre les différentes lignes.
01:10 Alors quels résultats justement ?
01:12 Les résultats sont variables en fonction de là où on est mais ce qu'on voit c'est
01:15 que de manière générale, il y a entre 2 et 3 fois plus de pollution à l'intérieur
01:19 du métro qu'à l'extérieur dans la ville de Paris.
01:21 On voit aussi des niveaux de métaux lourds relativement préoccupants, du fer, du manganèse,
01:26 du nickel.
01:27 On s'est rendu compte que dans des stations, on atteignait parfois 20, 25, 30 fois les
01:32 niveaux recommandés par l'OMS, l'Organisation Mondiale de la Santé, pour l'air extérieur.
01:36 Il n'y a pas de normes.
01:37 Il n'y en a pas pour l'intérieur.
01:39 Il n'y a pas de normes de qualité de l'air dans le métro finalement.
01:42 Et on se rend compte au final quand on va voir Jean Castex, quand on va voir Clément
01:45 Beaune, ministre des Transports, que tous réclament une norme.
01:48 Bon, ça fait des années qu'ils le demandent, on verra si ça va bouger.
01:51 Quel conseil vous pouvez donner aux usagers qui n'ont pas le choix que de prendre le
01:54 métro ou le RER ?
01:55 Est-ce qu'il y a des endroits moins pollués que d'autres dans les stations ?
01:58 De manière générale, c'est un peu bête, mais quand le métro est aérien, extérieur,
02:03 il est clairement beaucoup moins pollué que les tunnels qui n'ont aucune sortie jamais.
02:06 Ce que me disaient les scientifiques avec lesquels je travaillais, c'est qu'en cas
02:10 de pic de pollution, d'aller dans le métro c'est encore pire.
02:13 Quand Paris est très pollué, la région parisienne est très polluée, d'aller dans
02:17 le métro ça va être encore pire.
02:19 Les conseils qu'on peut donner, c'est évidemment de choisir d'aller sur le site de France
02:24 Info, on a mis une carte interactive avec la pollution dans chaque station, vous pouvez
02:28 aussi regarder comment ça se passe près de chez vous.
02:31 Ne pas se mettre au-dessus d'une bouche d'aération dans la rue.
02:34 Oui, on a beaucoup joué ça, j'ai fait ça avant de faire cette enquête, ma fille jouait
02:38 sur les bouches d'aération, ça la faisait beaucoup rire.
02:41 Quand on a fait des mesures au-dessus de ces bouches d'aération, on est parfois 10,
02:45 15, 20 fois au-dessus des normes de l'OMS.
02:47 Il ne faut surtout pas faire ça, là quand vous voyez les touristes du côté du Moulin
02:50 Rouge le faire, il faut éviter de le faire.
02:52 Le résultat de votre étude est sorti il y a quelques mois, est-ce qu'il y a eu des
02:55 avancées depuis ? Vous avez réussi à faire bouger les lignes ?
02:58 Cette enquête a eu un impact considérable.
03:00 D'abord, la RATP a annoncé plusieurs chantiers, une enveloppe de 57 millions pour améliorer
03:07 la ventilation, ils ont mis en place des filtres nouvelle génération à porte de
03:12 clichy si je ne me trompe pas.
03:14 Ils ont également mis en place des nouveaux freins, des nouveaux freinages.
03:17 Bref, Jean Castex a considéré notre étude comme un aiguillon.
03:21 Il se trouve que l'île de France Mobilité, les patrons de RATP, ceux qui régissent la
03:25 RATP, nous ont remercié.
03:27 On a été convoqués, auditionnés le 1er septembre pour présenter nos résultats et
03:32 depuis ça a quand même pas mal bougé.
03:33 Et cette étude a même eu un impact à New York ?
03:35 Oui, il se trouve que pendant notre enquête, on a été en contact avec une équipe de
03:40 scientifiques à New York qui veut faire la même chose que nous.
03:42 Notamment ce qu'on a mis en place pour des filtres à nez.
03:44 On a équipé une cinquantaine de volontaires de filtres à nez pour mesurer leur niveau
03:48 de métaux lourds et les scientifiques de New York veulent faire exactement la même
03:51 chose dans leur métro.
03:52 Ils sont en train de le faire.
03:53 On aura les résultats dans quelques mois.
03:54 Vous êtes en liste pour le prestigieux prix Albert Londres, Martin Boudot et précisément
03:58 pour cette série, pas un numéro en particulier, la série Verdeurage.
04:01 C'est la quatrième fois que vous êtes présélectionné, c'est la bonne ?
04:05 J'espère, sinon je serai le poulidor du Albert Londres.
04:07 En tout cas, il y a une très belle sélection cette année et d'être présélectionné
04:11 pour nous, c'est une grande satisfaction pour l'équipe.
04:13 Verdeurage, je tiens à le dire, c'est vraiment un travail d'équipe essentiel.
04:16 On passe un an sur des enquêtes à se prendre la tête, à voir comment on peut réaliser
04:20 avec des moyens qui ne sont pas toujours au rendez-vous.
04:22 Mais vraiment, on fait le maximum pour essayer de sortir des enquêtes qui font bouger les
04:26 lignes.
04:27 Je suis ravi que le prix Albert Londres nous ait trouvé plutôt bon.
04:29 Pour une autre de vos émissions, Planet Killer, vous enquêtez sur des crimes environnementaux
04:35 et en fin d'année dernière, vous avez été menacé de mort par l'un des hommes auxquels
04:39 vous aviez consacré un numéro, un fraudeur à la taxe carbone sous le coup de quatre
04:42 mandats d'arrêt.
04:43 Vous l'aviez interrogé en caméra cachée.
04:44 Vous étiez sous surveillance policière, me semble-t-il, depuis.
04:49 Est-ce toujours le cas aujourd'hui ?
04:50 Je ne peux pas vous répondre à cette question.
04:52 Mais oui, ça a été un moment très compliqué pour ma famille et moi.
04:56 C'est aussi ce qui arrive à des journalistes en France et encore pire dans le monde.
05:02 Il ne faut pas oublier aujourd'hui que les journalistes dans le monde entier sont menacés,
05:05 que les militants environnementaux dans le monde sont ceux qui sont le plus tués.
05:08 Ce ne sont plus les militants politiques, ce sont ceux qui s'intéressent à l'environnement.
05:12 Donc les journalistes qui eux aussi s'intéressent à l'environnement en payent le prix.
05:16 Vous, vous aviez déjà été pris pour cible de cette manière, subi autant de pression ?
05:19 Sur le terrain, oui.
05:20 Mais pas en France.
05:21 Au Niger, on a été arrêté en Pologne, on a été expulsé de Chine, ça a été très
05:26 compliqué au Maroc également.
05:27 Mais on voit bien que les questions environnementales sont de plus en plus sensibles dans les pays.
05:32 Avant, on disait qu'on était journaliste environnemental, il n'y avait pas de problème,
05:35 on regardait un peu de haut.
05:36 Moi, ça m'allait très bien.
05:37 Aujourd'hui, on sent que ce sont des thématiques quasi géopolitiques et qui sont des thématiques
05:42 qui ont de multiples conséquences.
05:45 Vous avez travaillé, Martin Boudot, 5 ans pour Cache Investigation.
05:47 Donc vous connaissez les méthodes de France Télé en matière d'enquête.
05:51 Est-ce que parfois vous vous êtes senti baillonné, empêché de traiter tel ou tel sujet ?
05:55 Je fais référence évidemment aux propos de Jacques Cardoze, ancien complément d'enquête.
05:59 J'étais ce week-end à Budapest pour défendre les journalistes hongrois qui eux sont pour
06:03 le coup très muselés.
06:05 Moi, j'ai une chance incroyable, je n'ai jamais été censuré.
06:08 Depuis que je travaille à France Télévision, ça fait depuis 2009.
06:11 J'ai fait de l'investigation sur à peu près tout ce que vous pouvez imaginer, enfin
06:15 avec Cache Investigation ou Verdeurage, sur tout ce que vous pouvez imaginer de sujets
06:20 sensibles économiques, politiques, sous Hollande, sous Sarkozy, sous Macron.
06:23 Et on n'a jamais été censuré.
06:25 Et je crois même pouvoir dire qu'aujourd'hui, le service public est the place to be, l'endroit
06:30 où vous voulez être pour pouvoir investiguer sur tous les sujets de société.
06:35 Merci beaucoup d'être venu, Martin Boudot.
06:36 Et bonne chance quand même pour le prix Albert Londo.
06:38 Métro à l'air, t'as l'air.
06:40 Nouveau numéro de Verdeurage ce soir à 21h05 précisément sur France 5.
06:43 Merci Cédric.

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