Louis Dreyfus livre ses pistes pour garantir l’indépendance et la fiabilité des médias
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00:00 Et votre invité média, Céline Baydar, court-préside le directoire du groupe Le Monde,
00:04 qui vient de renforcer son indépendance en changeant d'actionnariat.
00:07 Vous le recevez à l'occasion du lancement aujourd'hui des États généraux de l'information.
00:10 Bonjour Louis Dreyfus.
00:11 C'est un comité indépendant qui est chargé de réfléchir aux moyens de garantir le droit à l'information au XXIe siècle,
00:16 autrement dit à l'heure du numérique.
00:18 Il est vraiment menacé ce droit d'informer et d'être informé ?
00:22 Je crois qu'on a eu encore une fois dans les dernières semaines plusieurs exemples
00:27 qui montrent que ce droit peut être menacé.
00:29 J'en veux pour preuve ne serait-ce que la semaine dernière,
00:32 où cette journaliste de Disclose, Ariane Avrieux, a passé 39 heures en garde à vue.
00:36 Quand vous voyez les menaces que peut subir le journaliste de Mediapart, Fabrice Arpifi,
00:42 de la part d'Arnaud Mimeron, en prison, en disant qu'il souhaite lui régler son compte,
00:47 on a ça.
00:47 Vous avez l'histoire du JDD cet été, où les journalistes ont dû massivement quitter ce journal,
00:53 faute d'être entendus sur la ligne éditoriale.
00:55 Vous avez des éléments graves et puis vous avez des éléments économiques.
01:00 Une partie de la presse est en difficulté parce qu'elle ne trouve pas de modèle économique.
01:04 Et si on souhaite avoir un débat citoyen équilibré et de qualité,
01:08 on a besoin d'une presse de qualité.
01:09 Donc il faut trouver les voies et moyens d'améliorer ces modèles économiques.
01:13 Citoyens, vous faites bien de le dire, parce que les Français vont pouvoir participer
01:16 et alimenter ce débat tout au long de l'année.
01:19 Qu'est-ce que vous attendez, vous, Louis Dreyfus, au monde de ces états généraux ?
01:21 Quelles mesures concrètes sont indispensables ?
01:25 – Moi je pense qu'il y en a une première qui est la nécessité que les rédactions,
01:31 que les journalistes s'expriment et aient un droit de vote
01:34 sur l'adménation du directeur de la rédaction.
01:36 Il y a un principe d'autorité qui est compliqué dans ce métier.
01:39 Prendre un directeur de la rédaction qui est illégitime pour ses équipes,
01:43 c'est aller dans le mur, c'est éroder un peu plus le lien de confiance qu'on a avec nos lecteurs.
01:48 On sait que nos lecteurs doutent régulièrement de l'indépendance des rédactions.
01:53 Il faut régulièrement, au contraire, qu'on donne des signes extérieurs d'indépendance,
01:57 qu'on rajoute des dimensions statutaires.
02:00 Si le gouvernement pouvait pousser cette proposition de loi
02:03 qui obligerait les actionnaires à demander l'avis des rédactions
02:08 avant d'en donner un directeur de la rédaction,
02:09 je pense que ce serait une avancée notable.
02:10 – C'est ce qui se passe au monde et on va en parler dans un instant.
02:12 Mais comment faites-vous dans votre journal et dans votre groupe,
02:15 plus globalement, pour attirer de jeunes lecteurs
02:17 qui préfèrent aller s'informer sur les réseaux sociaux ?
02:20 – Dans le groupe, ça fait 4 ans qu'on investit beaucoup sur les plateformes numériques,
02:26 considérant que ces jeunes générations sont avant tout sur ces plateformes.
02:31 Ça peut être Snapchat, ça peut être TikTok, ça peut être YouTube.
02:34 Et penser qu'on peut les amener à nos médias sans passer par ces plateformes est très illusoire.
02:38 Donc on a une édition quotidienne sur Snapchat,
02:40 faite par une rédaction qui dépend de la direction de la rédaction.
02:42 On a une édition sur TikTok, sur YouTube.
02:45 Aujourd'hui, on doit avoir 1,8 millions d'adolescents français
02:48 qui nous suivent tous les jours sur Snapchat,
02:51 on en a 1 million sur TikTok et on voit qu'au bout de 2 ou 3 ans,
02:54 ces adolescents qui ont commencé à avoir une relation avec nous via ces plateformes,
02:58 eh bien après, s'abonnent au monde à l'édition numérique,
03:01 quand ils dépassent les 18 ans.
03:03 Donc il faut qu'on aille sur ces terrains, il faut aller chercher sur terrain.
03:08 Et d'ailleurs, quand on parle d'aide publique ou du droit à l'information,
03:10 quand je vois les réticences du gouvernement à accompagner ce type d'investissement,
03:14 pas pour nous mais pour les autres, en disant "les plateformes, on n'est pas très pour",
03:17 c'est se voiler la face.
03:18 Ces générations s'informent sur ces plateformes,
03:21 il faut aider les rédactions de qualité à pouvoir créer des formats pour ces plateformes.
03:26 - Et l'intelligence artificielle, Louis Dreyfus,
03:27 quel regard vous portez sur son utilisation ?
03:30 Est-ce une opportunité pour le journalisme,
03:32 gain de temps, gain de moyens,
03:35 ou au contraire une source d'inquiétude pour la qualité des articles
03:39 et la fiabilité de l'information ?
03:40 - C'est évidemment une source d'inquiétude pour la fiabilité
03:43 parce qu'on va avoir une information qui va être produite sans intervention humaine.
03:49 Et puis pour nous, il y a une question de droit d'auteur,
03:52 c'est-à-dire qu'on prend le risque que nos contenus soient scrollés par les robots
03:55 de ces outils d'intelligence artificielle.
03:56 - C'est-à-dire qu'ils s'entraînent avec vos contenus ?
03:57 - Ils s'entraînent avec.
03:58 Et ils le mélangent avec des sources de moindre qualité.
04:01 Donc il y a une question de droit d'auteur et puis il y a une question de fiabilité de l'information.
04:05 Donc on est très réticents et attentifs.
04:07 - Vous demandez une rémunération, une compensation financière ?
04:08 - Et on demande évidemment une rémunération pour les éditeurs et pour les journalistes.
04:12 - Alors beaucoup de titres de la presse quotidienne sont contrôlés par des milliardaires.
04:15 Comment allier indépendance éditoriale et réalité économique
04:18 puisque sans ces grandes fortunes, beaucoup de ces journaux auraient déjà disparu
04:21 et vous-même au monde, vous avez été sauvé par Xavier Niel, Pierre Berger, Mathieu Pigasse ?
04:26 - Tout à fait. On fait quelque chose d'assez compliqué.
04:28 C'est-à-dire que pour transformer les bonnets et les communiques de ces journaux,
04:31 on a besoin de beaucoup de ressources financières.
04:34 Xavier Niel, Pierre Berger et Mathieu Pigasse ont globalement investi 125 millions dans "Groupe le Monde".
04:39 Donc il faut avoir des milliardaires à soi pour ça.
04:42 Et pour autant, comme l'information est un bien très différent des autres biens,
04:47 ce n'est pas parce qu'ils mettent autant d'argent qu'ils ont les droits proportionnels à cet investissement.
04:51 Et ce que Xavier Niel a fait récemment, c'est-à-dire qu'il a investi beaucoup d'argent,
04:55 mais il comprend que pour autant, il n'a pas le droit d'intervenir sur les contenus,
04:58 que même les nominations des directeurs éditoriaux sont soumises au vote préalable,
05:02 même le licenciement du directeur du journal ou des directeurs de la réaction au cours de mandat
05:06 est soumis au vote préalable de la réaction.
05:08 Donc il faut accepter cette contradiction qui est qu'on a besoin de beaucoup de ressources,
05:13 donc qu'il ne faut pas stigmatiser ces milliardaires,
05:15 mais qu'il faut qu'eux-mêmes reconnaissent le statut très particulier de l'information.
05:20 Mais ça, vous voyez que ce n'est pas du tout la réalité dans plein d'autres médias, avec plein d'autres milliardaires.
05:24 Alors nous, on essaye de pas...
05:25 Et eux, eux interviennent, justement.
05:26 On essaye effectivement de ne pas donner de leçon, mais de montrer qu'un autre exemple est possible.
05:33 Donc on a eu des milliardaires, des gens très fortunés qui ont investi dans le journal
05:37 et qui aujourd'hui transfèrent leur part, c'est-à-dire ne les vendent pas,
05:42 les transfèrent dans un fonds de dotation qui, lui, aura les parts et ne pourra pas les vendre.
05:46 Donc c'est possible. Pourquoi ils le font ?
05:48 Parce qu'ils considèrent que la qualité de vie du débat démocratique dépend de ces médias
05:53 et qu'ils n'auraient pas grand-chose à gagner à intervenir sur tel ou tel article
05:57 au détriment de la qualité de ces actifs.
05:59 – Les deux actionnaires du Monde aujourd'hui,
06:01 donc, sont le Fonds pour l'indépendance de la presse et le Pôle d'indépendance
06:05 qui est composé des sociétés de journalistes et de personnels des titres du groupe Le Monde.
06:09 Ça, ça veut dire liberté éditoriale totale, zéro interventionnisme possible ?
06:13 – C'est déjà le cas.
06:15 La différence en apportant les parts de ces personnes au fonds de dotation,
06:22 c'est qu'ils ne pourront pas revendre les parts.
06:24 C'est-à-dire que le comportement très vertueux qu'ont eu ces…
06:28 – Xavier Niel ne récupérera jamais son argent ?
06:30 – Jamais. C'est-à-dire qu'ils ont investi depuis 13 ans,
06:34 vous pourriez imaginer qu'ils le vendent à tel ou tel,
06:36 et dans ce cas-là, les garanties qu'il a données,
06:39 ou le comportement vertueux qu'il a eues, seraient soumis à débat.
06:42 Il les apporte au fonds et le fonds ne pourra pas les vendre.
06:45 Donc là, on a sanctuarisé cette indépendance.
06:47 – Et votre stabilité financière au Monde est garantie et pérenne ?
06:51 – Le Monde, le groupe est rentable depuis 7 ans,
06:56 on considère qu'on a une croissance des abonnés numériques qui est très importante.
07:00 Le Monde vendait 240 000 exemplaires il y a 13 ans,
07:05 on en vend aujourd'hui presque 500 000.
07:07 Donc vous avez un chiffre à faire qui a progressé.
07:09 Aujourd'hui, pour donner un chiffre, l'abonnement numérique du Monde,
07:13 le pur numérique du Monde, pourrait suffire à financer 100% de la rédaction
07:17 qu'elle travaille pour le magazine, pour le quotidien.
07:19 Donc ça aussi, l'indépendance, c'est ça qu'il faut garder en tête.
07:22 Un journal qui perd de l'argent a du mal à rester un journal indépendant.
07:26 – Merci d'être venu nous expliquer tout ça sur France Info, Louis-Dreyfus.
07:29 président du directeur du groupe Le Monde. Merci à vous Céline.