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De plus en plus de galeries s’occupent de l’héritage, matériel ou immatériel, laissé par un artiste. Le terme anglo-saxon s'installe dans le paysage français : on parle d’un estate artistique. Le galeriste est alors mandataire pour une fondation ou des ayants droit, et s’occupe de valoriser la postérité d’un artiste.

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00:00 Et tout de suite c'est l'interview de la semaine. On s'intéresse aux estates artistiques avec Jérôme
00:08 Poggi qui est directeur de la galerie Eponyme et représentant notamment de l'estate d'Anna-Eva
00:13 Bergman. Merci beaucoup d'être avec nous. On va commencer l'interview bien sûr par une petite
00:17 définition parce que c'est un terme assez vaste. Est-ce que vous pouvez nous dire qu'est-ce qu'un
00:21 estate ? Alors estates est un terme anglo-saxon qui est devenu très employé ces dernières années
00:27 mais qui en fait recouvre une notion qui est bien plus ancienne. Avant on appelait ça des ateliers
00:31 d'artistes voire des fonds d'ateliers et donc ça correspond en fait à l'héritage que laisse un
00:37 artiste. Alors à sa mort voilà quelle oeuvre laisse-t-il dans son atelier. Donc avance très
00:43 souvent il y avait des ventes aux enchères en fait des ateliers et puis petit à petit depuis
00:48 quelques années donc se sont organisées donc des estates c'est à dire que les successions des
00:51 artistes avec parfois donc même des fondations d'artistes puisque c'est un dispositif qui a
00:56 été facilité fiscalement ces dernières années et voilà mais tous les artistes n'ont pas les
01:02 capacités à ce que soit créer une fondation à leur mort donc il y a aussi des formes qui sont
01:07 plus associatives et qui donc gèrent l'oeuvre qui reste de l'artiste. Après on sait que cette
01:12 oeuvre est forcément vivante donc il n'y a pas uniquement celle que l'artiste a laissé il y a
01:16 des oeuvres qui réapparaissent sur le marché aussi et donc voilà l'estate recouvre à la fois le fond
01:22 propre de l'atelier mais aussi une espèce de stratégie générale et parfois peut aller jusqu'à
01:27 aussi recouvrir le droit moral de l'artiste voilà en particulier. Et puis bien prendre note que
01:34 c'est pas l'estate juridique comme l'utilisent les anglo-saxons mais que voilà on parle vraiment de
01:39 l'estate artistique qui lui peut être beaucoup plus malléable par rapport aux galeristes. Et
01:44 vous en tant que galeriste qu'est ce que concrètement qu'est ce que vous possédez quand
01:47 vous possédez un estate, quand vous représentez un estate ? Déjà on ne le possède pas c'est très
01:52 rare parce qu'on travaille pour les ayants droit déjà des artistes donc soit les ayants droit
01:57 direct ou indirect parfois ça peut être une fondation donc dans le cas d'Anna Eva Bergman
02:02 donc avant leur mort Anna Eva Bergman et son époux Ansar Toung avaient donc décidé qu'une fondation
02:11 serait créée et aujourd'hui donc c'est une fondation qui est passée devant le conseil d'état qui est
02:17 propriétaire donc de l'oeuvre matérielle et morale de l'artiste mais qui ne peut pas
02:22 statutairement intervenir sur le marché et qui donc a un mandataire donc en l'occurrence c'est
02:28 la galerie Poggi, enfin ma galerie pour l'oeuvre d'Anna Eva Bergman de manière à pouvoir intervenir
02:32 sur le marché pour vendre, pour promouvoir, pour faire des foies, faire des expositions,
02:36 pour racheter aussi, pour actionner tous les leviers du marché que la fondation ne peut pas
02:42 toucher en fait. - Mais c'est un appel d'offre ? Comment ça s'est passé ? Comment vous avez rencontré du coup ?
02:47 - C'est pas un appel d'offre, ce qui n'a pas nécessité, c'est une fondation de droits privés même si
02:51 évidemment tout cela est très encadré parce que Bercy veille évidemment très près à tout cela
02:57 mais c'est une fondation privée donc après je crois que tout se fait, tout est cas particulier,
03:02 la fondation Arthur Bergman est une fondation que je fréquentais beaucoup quand j'étais historien de
03:06 l'art, je le suis toujours mais un peu moins parce que j'ai moins le temps de cultiver cette qualité
03:10 donc maintenant que j'ai la galerie mais voilà donc je fréquentais beaucoup cette fondation et ce qui
03:16 m'a rendu très familier de l'oeuvre d'Annaëva Bergman et quand j'ai ouvert ma galerie voilà très
03:21 spontanément si vous voulez comme j'avais aussi un attrait pour la Norvège puisque j'ai publié
03:27 les écrits de Edvard Munch qui est l'autre grand géant de l'art norvégien, voilà j'ai fait une
03:31 exposition où très rapidement j'ai invité Bergman et puis de fil en aiguille je suis devenu vraiment
03:36 le mandataire et puis j'ai mis en place beaucoup d'actions qui ont contribué mais simplement
03:42 contribué, il faut être très humble et modeste donc à l'extraordinaire redécouverte de Bergman
03:47 ces dernières années. Et justement quelles étaient ces actions ? Ces actions ça a été, ce qui est
03:52 particulier c'est que ma galerie est une galerie vraiment d'art contemporain, Bergman est née en
03:56 1909, elle est morte à la fin des années 80 donc on n'est pas vraiment dans l'art contemporain donc
04:02 il y aurait plusieurs façons si vous voulez dont on pourrait s'occuper de son estate, il pourrait y
04:07 avoir donc d'un point de vue de l'histoire de l'art en disant voilà Bergman qui désormais n'est plus
04:13 de ce monde, elle n'est plus vivante, on pourrait s'intéresser à la place de son oeuvre dans
04:17 l'histoire de l'art. Moi en fait en étant une galerie d'art contemporain ce qui m'intéresse
04:21 c'est la présence de l'oeuvre, c'est la contemporanéité d'une oeuvre et Bergman c'est fou, ceux qui ont
04:26 vu les rétrospectives au musée d'art moderne, l'oeuvre est archi présente et contemporaine,
04:30 on a l'impression qu'elle était peinte hier, c'est une oeuvre qui continue de nous regarder d'un point
04:34 de vue artistique pas uniquement d'un point de vue historique donc en étant une galerie d'art
04:38 contemporain j'ai apporté à Bergman une espèce de regard contemporain qui a certainement contribué
04:44 aussi à l'inscrire dans une dynamique plus contemporaine et notamment un marché plus
04:49 contemporain que si j'avais été une galerie de la rue de Seine qui travaillait plutôt sur des
04:54 artistes modernes donc je pense qu'on a perçu très différemment Bergman par le fait que j'étais à
04:58 l'époque une jeune galerie d'art contemporain. Justement on voit qu'il y a de plus en plus de
05:03 galeries d'art contemporain qui se tournent vers des esthétes, ça peut sembler être un paradoxe,
05:06 à votre avis pourquoi ? Il y a plusieurs raisons, moi personnellement parce que moi ma conviction
05:13 profonde c'est que l'art est contemporain et que moi j'aime l'art tout court, évidemment quand les
05:19 artistes sont vivants c'est un plaisir de collaborer avec eux mais sinon pour moi l'art est vivant,
05:23 quand un objet d'art perd sa contemporanéité, il perd sa dimension artistique,
05:28 il va devenir un objet d'histoire, un objet de curiosité, une antiquité mais pas de l'art
05:33 vraiment, quelque chose qui fait vibrer celui qui regarde donc l'art ne peut pas être autre
05:37 chose que contemporain et vivant. Donc voilà de ce fait il peut y avoir des galeries d'art
05:45 contemporain qui d'une façon extrêmement sincère vont s'intéresser à des esthètes d'artistes dont
05:50 l'oeuvre est encore très présente, vivante, nous interroge, nous interpelle, nous regarde si vous
05:55 voulez. Ça c'est donc la dimension artistique des choses, après il y a une dimension plus économique
06:01 évidemment où on peut percevoir ces temps-ci peut-être une espèce de potentiel économique
06:08 d'esthètes, d'arts plus anciens qui est valorisé à un moment où pendant longtemps c'est l'art
06:16 contemporain qui avait vraiment les prix les plus hauts, peut-être aujourd'hui, cherchant un petit
06:21 peu des réserves. Mais je pense qu'il y a un autre aussi aspect qui est celui qui m'intéresse aussi
06:26 beaucoup c'est que de plus en plus de galeries sont devenues véritablement des petites institutions
06:32 c'est à dire que d'une part les galeries aujourd'hui on est très loin des galeries du 19e siècle qui
06:38 faisaient des accrochages à touche-touche, avaient une vitrine et qui étaient vraiment des marchands
06:42 au détail. Aujourd'hui toutes les galeries ou presse sont des petits centres d'art, toutes les
06:47 expositions sont curatées comme on dit, la plupart des galeristes aujourd'hui ont une qualité
06:52 curatoriale, je dis même souvent que vendre est un acte curatoriel mais cette organisation que
06:58 nous avons comme galeristes et peut-être cette institutionnalisation aussi du marché nous rend
07:03 peut-être aussi capables d'administrer donc un estate parce que ce qu'il faut dire c'est que
07:09 vendre des oeuvres d'un artiste qui n'est plus là doit s'accompagner aussi d'un travail scientifique
07:13 qui est un travail de documentation, d'archives, d'études, de commandes de textes, commandes
07:19 d'ouvrages peut-être aussi, de séminaires, de bourses de recherche. - Avec la fondation aussi toutes les archives,
07:24 toute l'histoire aussi. - Pour la fondation Arthoun Bergman c'est particulier parce que la fondation
07:29 existe depuis la mort des artistes donc elle fait un travail considérable. - Déjà de ces recherches,
07:34 mais pour un estate en règle générale il doit sûrement y avoir aussi des fondations ou des
07:39 ayants de roi par exemple qui vont faire ce travail ? - Il y a des estates qui n'ont pas encore cette
07:44 capacité. A la mort d'Arthoun Bergman il y avait des moyens même financiers qui ont permis à la
07:49 fondation d'être créée mais sinon des associations, je pense à l'association Verapagava qui est une
07:55 nation extrêmement dynamique mais qui n'a pas du tout de moyens et donc nous les aidons à imaginer
08:02 des dispositifs, prendre une partie des ressources financières pour créer des bourses de recherche
08:07 pour faire ce travail scientifique. - Et en quelques secondes est-ce que vous pouvez juste nous dire
08:10 pourquoi ce serait intéressant pour un collectionneur de se tourner vers des oeuvres d'un estate ?
08:14 - D'une part comme pour un artiste vivant par rapport à ce que cette oeuvre peut lui apporter
08:20 et comment cette oeuvre peut changer sa vie. Après c'est accompagné puisque je pense que tous les
08:25 collectionneurs sont quelque part des mécènes aussi, mécènes des artistes vivants mais peuvent
08:29 être aussi mécènes de l'art tout court et donc de ce travail aussi de recherche autour d'artistes
08:33 qui ne sont pas là et puis de permettre justement de les faire redécouvrir. - Merci beaucoup Jérôme Poggi
08:38 d'avoir pris le temps de nous répondre à nos questions. Je rappelle que vous êtes directeur
08:42 de la galerie Poggi. Quant à nous on se retrouve la semaine prochaine pour un nouveau numéro d'Art et Marché.
08:46 [Musique]

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