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L'invité du grand entretien est Olivier Wieviorka, professeur à l'École normale supérieure Paris-Saclay et historien spécialiste de la seconde guerre mondiale. Ali Baddou et Marion L'Hour reviendront avec lui sur son ouvrage "Histoire Totale de la Seconde Guerre Mondiale" (chez Perrin).

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Transcription
00:00 France Inter, Alibadou, Marion Lourds, le 6/9
00:06 L'invité du grand entretien de la matinale avec Marion Lourds, nous avons le bonheur
00:10 de recevoir l'un des plus grands spécialistes de la Seconde Guerre Mondiale, grand historien,
00:15 professeur à l'école normale supérieure Paris-Saclay, il publie un grand livre chez
00:20 Perrin, "Histoire totale de la Seconde Guerre Mondiale", 6 années de travail pour aboutir
00:24 à une synthèse impressionnante, 1000 pages qui couvrent tous les fronts au sens propre
00:30 comme au sens figuré, front militaire mais aussi politique, idéologique, économique,
00:35 la question sociale, un livre qui raconte et qui interroge, qui nous interroge sur le
00:40 conflit le plus meurtrier du XXe siècle.
00:42 Vos questions, vos interventions chers auditeurs, au 01 45 24 7000 ou sur l'application France
00:49 Inter.
00:50 Bonjour Olivier Vievierca.
00:51 Bonjour.
00:52 C'est un livre très connu, c'est un livre important, c'est un livre sur une histoire
00:56 qu'on a le sentiment de tous connaître, c'est l'histoire de 39 45, sans doute les
01:02 dates les plus connues de l'histoire collective.
01:05 Mais pourquoi d'abord, avant d'y venir, cette histoire totale, l'idée, l'ambition
01:09 d'une histoire totale, qu'est-ce que ça veut dire ?
01:11 Alors l'ambition d'une histoire totale, je m'excuse du caractère peut-être un peu
01:14 prétentieux du titre, mais l'histoire totale cela veut dire que ce n'est pas simplement
01:19 une histoire militaire, une histoire militaire dont Marc Bloch avait rappelé qu'elle avait
01:23 quand même ses limites.
01:25 Et donc lorsqu'on parle de la seconde guerre mondiale, on pense immédiatement aux batailles
01:29 à Stalingrad, à Kursk, à Midway, à Pearl Harbor.
01:32 Mais ces batailles, elles s'insèrent dans un contexte, elles s'insèrent dans un contexte
01:35 géopolitique.
01:36 Les batailles, il faut également des hommes, il faut aussi du matériel, il faut donc les
01:41 produire.
01:42 Ce que je veux dire en d'autres termes, c'est qu'il faut resituer cette histoire militaire
01:46 dans un contexte général.
01:47 Et à un événement militaire, une bataille doit être liée par exemple au contexte économique,
01:52 à la situation sur le terrain, à la question des femmes par exemple, à la question sociale,
01:57 à la question économique et politique.
01:59 On va en parler évidemment.
02:00 Deuxième question, elle va vous paraître peut-être absurde, en tout cas absurde pour
02:03 beaucoup de nos auditeurs, la formule de « seconde guerre mondiale », elle nous paraît évidente,
02:08 absolument acquise.
02:09 Elle ne l'était pas pour les acteurs de l'époque.
02:11 Elle ne l'était pas et elle ne l'est encore pas.
02:13 Toujours pas.
02:14 Non, toujours pas. Elle ne l'était pas parce qu'à l'époque, vous avez deux éléments.
02:18 Premier élément, les dirigeants ne désignent pas nécessairement cette guerre comme la
02:21 seconde guerre mondiale.
02:22 C'est le cas par exemple de Staline qui va parler de « grande guerre patriotique ».
02:26 L'autre élément, c'est que les individus qui vivent, combattent à cette période n'ont
02:31 pas nécessairement le sentiment d'être dans une seconde guerre mondiale.
02:34 Ils ont par exemple le sentiment en France d'être dans un « sempiternel affrontement
02:39 entre la France et l'Allemagne ». Et le général de Gaulle d'ailleurs à cet égard
02:42 parle d'une guerre de 30 ans.
02:44 Ce qui est assez paradoxal, c'est que de Gaulle, qu'on caractérise comme un visionnaire,
02:48 l'appel du 18 juin, « cette guerre est mondiale », lorsqu'il désigne la guerre
02:51 pendant la guerre et après la guerre, il parle de la guerre de 30 ans.
02:55 Pourquoi ?
02:56 Parce que je pense qu'il cherche à désidéologiser le conflit et à le ramener à fond à une
03:00 problématique familière aux Français.
03:02 En d'autres termes, ce qu'on prend pour une évidence, et c'est ce qui m'a intéressé
03:06 dans ce questionnement, la seconde guerre mondiale, elle est beaucoup moins évidente
03:11 en fait, tant pour les contemporains de l'époque qu'aujourd'hui.
03:14 Et 39-45, c'est vrai que c'est une histoire, des dates qu'on connaît, on les a apprises
03:18 à l'école, on a l'impression qu'on a presque tout dit.
03:20 Et pourtant, il y a du nouveau dans votre livre par exemple, votre thèse, expliquez-nous
03:23 au fond, vous dites « on ne peut pas parler de guerre mondiale avant 1941 », donc ça
03:26 serait 1941-45 ?
03:28 Alors, sur les dates si vous voulez, vous avez des débats, parce que les historiens
03:31 aiment bien se distinguer et donc dire « attendez, on pense que la guerre commence en 1939, mais
03:36 en fait, elle commence en 1931, et donc ce sont les partisans d'une histoire très
03:41 internationale qui insiste sur le théâtre asiatique ». Oui, bien sûr.
03:46 1937, l'invasion…
03:47 Alors, 1931, conquête de la Manchourie par le Japon, 1937, guerre entre le Japon et la
03:51 Chine.
03:52 Donc, effectivement, pourquoi pas ? Mais si on prend les termes au pied de la lettre,
03:57 il faut admettre que la guerre mondiale, si la guerre est vraiment mondiale, on pourra
04:00 y revenir, commence en 1941, date à laquelle l'Union Soviétique, le Japon et les États-Unis
04:06 sont dans la danse.
04:07 C'est l'opération Barbarossa, c'est l'attaque japonaise contre Pearl Harbor.
04:10 Vous mettez en doute le fait qu'elle soit complètement mondiale ?
04:12 Alors, si vous voulez, tout dépend de ce qu'on appelle « mondial ». Je pense, par
04:16 exemple, que pour les Japonais, jamais les Japonais n'ont eu l'idée de planter le
04:20 drapeau nippon sur le Capitole.
04:22 Donc, les Japonais mènent une guerre asiatique.
04:24 Les Soviétiques, hormis en 1945, mènent une guerre européenne.
04:29 Les Allemands, autre élément important dans cette idée de guerre mondiale, n'aident
04:33 pas les Japonais.
04:34 Et les Japonais, qui sont liés aux Soviétiques par un pacte de non-agression, laissent les
04:38 convois américains ravitailler la Russie dans les accords dits de prébail, qui apportent
04:43 de l'armement mais également du ravitaillement, sans absolument les couler.
04:48 Donc, guerre mondiale pour qui ?
04:50 Guerre mondiale pour qui ? Vous vous attaquez à de très nombreux mythes qui entourent
04:54 aujourd'hui encore la Seconde Guerre mondiale.
04:56 Exemple, l'une des plus grandes opérations de ce conflit, c'est l'opération Barbarossa,
05:01 quand Hitler retourne ses armes contre les Soviétiques en 1941.
05:05 Et pour beaucoup, c'est une repli, une redite de l'histoire napoléonienne et de l'offensive
05:14 de Napoléon contre la Russie.
05:16 L'échec d'une campagne à cause de l'hiver, à cause du froid.
05:18 Vous racontez que c'est pas ça en fait ?
05:20 Non, là j'ai beaucoup utilisé les travaux, notamment d'Américain, Glantzhaus et de
05:25 Jean Lopez, pour montrer que cette guerre contre l'Union Soviétique est perdue d'avance.
05:31 Pourquoi ? Parce que là aussi, nous sommes un peu victimes du mythe.
05:34 Et le mythe, c'est que les Allemands sont très organisés.
05:37 Et en fait, pas du tout.
05:39 L'opération Barbarossa, elle est mal conçue, mal menée.
05:41 Mal conçue, mal menée, mal préparée.
05:43 Et alors, vous avez un mythe qui est que les officiers allemands voient de leur jumelle
05:49 les coupoles du Kremlin.
05:50 Non, c'est faux.
05:51 De toute façon, même si Zhukov n'avait pas contre-attaqué le 5 décembre 1941, les
05:57 Allemands n'avaient pas assez d'essence.
05:58 Et ils n'avaient pas non plus assez de voies ferrées et de routes pour apporter le matériel
06:03 nécessaire.
06:04 Donc cette opération était condamnée d'emblée.
06:06 Vous faites tomber effectivement un certain nombre de mythes du même ordre.
06:10 Vous écrivez « Ces vérités n'ont cependant pas toujours réussi à s'imposer auprès
06:14 du public, signe que les effets de la propagande, loin de se dissiper au fil du temps, perdurent
06:19 bien après que les canons se sont tués ». En quelque sorte, notre vision de la deuxième
06:23 guerre, elle est polluée par quoi ? Par les fake news de l'époque ?
06:25 Oui, elle est polluée par les fake news de l'époque.
06:28 Je vais donner deux exemples.
06:29 Rommel, voilà, on a une admiration sans bande sur Rommel.
06:32 C'est celui qui dirige les troupes allemandes en Afrique du Nord.
06:35 Il est perçu comme un grand chef militaire et côté britannique, on l'appelle le renard
06:39 du désert.
06:40 Voilà, et donc vous avez une peur de Rommel.
06:43 Et Rommel est effectivement un très bon tacticien.
06:45 Il fait en Afrique du Nord des miracles avec très très peu de moyens.
06:48 Mais c'est un logisticien désastreux.
06:51 Donc pour Rommel, aurait dit le général de Gaulle, l'intendance suit.
06:54 Il n'a pas assez de chars, il en reste toujours un peu dans la lampe à huile pour au fond
06:59 faire des miracles.
07:00 Donc cette image, elle est totalement contradictoire.
07:03 Elle est complètement fausse.
07:04 Il y a le regard de l'historien et il y a aussi la vision, allez j'allais dire romanesque,
07:09 elle est indissociable de la seconde guerre mondiale.
07:12 C'est d'ailleurs l'un des rares conflits qui ait cette dimension-là aujourd'hui dans
07:15 nos imaginaires Olivier Vievurka.
07:17 On a l'impression de connaître, et Marion le disait, cette guerre sur le bout des doigts,
07:22 Stalingrad, Perlerbourg.
07:23 Vous dites qu'il y a d'autres batailles, même plus importantes.
07:27 Course Ichigo, c'est une opération japonaise, la plus grande offensive contre la Chine de
07:31 toute la guerre.
07:32 Elle reste ignorée du grand public.
07:34 Comment est-ce que ça s'explique ça ?
07:36 Je pense que vous avez deux raisons.
07:38 La première raison, c'est qu'au fond, déjà nous, nous sommes des Européens, nous sommes
07:41 des Français.
07:42 Donc nous connaissons très mal le théâtre asiatique, qui a été un théâtre extrêmement
07:46 important.
07:47 Et l'autre raison, c'est qu'au fond, vous avez dans certaines opérations, ce qu'on
07:51 pourrait appeler une dramaturgie.
07:52 Prenons par exemple le débarquement du 6 juin 1944.
07:56 La tempête se lève.
07:58 Est-ce qu'ils vont réussir ? Est-ce que les Allemands seront au courant ? Est-ce qu'ils
08:01 ont percé le jour J ? Et donc vous avez non seulement une dramaturgie, mais vous avez
08:04 des personnages.
08:05 Patton, Eisenhower, Rommel, Kellgallery.
08:07 En revanche, lorsque vous prenez la guerre de 14-18, ou lorsque vous prenez Kursk, Kursk
08:13 n'est pas une bataille romantique.
08:14 Kursk, c'est des chars contre des canons, et des canons contre des chars.
08:18 Des personnages et un dilemme fondamental, puisqu'il y a cette question qui se pose
08:22 aux hommes devant la deuxième guerre mondiale.
08:24 En clair, soit vous faites un choix binaire, soit vous êtes un salaud, soit vous êtes
08:27 un héros.
08:28 Je pense que ce qui m'a beaucoup frappé en réfléchissant, c'est que pendant la
08:32 guerre de 14-18, les gens ne se posent pas de grandes questions.
08:36 Au fond, à la limite, on va se mutiner, on va essayer de fuir la pelle sous les drapeaux.
08:41 Là, on est sur les valeurs.
08:42 Mais là, vous avez des grandes questions sur les valeurs, tout simplement parce que
08:45 les individus ont été plongés dans des chocs absolument terribles.
08:49 On parle de seconde guerre mondiale, en fait, je crois qu'il faut quand même bien rappeler
08:52 que cette seconde guerre mondiale couple trois éléments.
08:54 Premier élément, la guerre elle-même, soit.
08:56 Le second élément, l'occupation.
08:58 Et le troisième élément, c'est l'imposition de régimes dictatoriaux ou totalitaires.
09:02 Donc le choc est absolument terrible et place les individus comme les dirigeants devant
09:07 des dilemmes moraux et politiques insoutenables.
09:11 Exemple.
09:12 Alors, vous êtes Bourguiba, grand leader tunisien qui veut l'indépendance de son
09:16 pays.
09:17 Les Allemands et les Italiens le sortent de prison, ou les Français l'ont habilement
09:21 mis et lui disent "voilà, on va peut-être vous aider à avoir l'indépendance".
09:25 Bourguiba n'est pas hostile au fascisme.
09:28 Il trouve que Mussolini c'est pas mal.
09:30 Est-ce qu'il doit aller du côté de l'Axe ou est-ce qu'il doit rester du côté des
09:35 Alliés ? Voilà la question que se pose Bourguiba.
09:37 Bourguiba, lui, dès la bataille d'Angleterre, pense, et il a raison, que l'Allemagne a
09:41 perdu la guerre, il restera du côté de la France.
09:43 Mais ce problème, vous êtes un ouvrier, vous n'avez pas de travail.
09:47 Vous avez l'organisation Tod qui s'occupe de construire le mur de l'Atlantique.
09:50 Vous allez travailler avec une meilleure paie ou non ? Vous allez travailler pour l'ennemi
09:55 ou non ? Voilà les questions.
09:56 Et ces questions, tous les Français les ont connues.
09:58 Et donc on ne se pose pas simplement la question "aurai-je été bourreau ou héros ?"
10:04 Alors, on se pose cette question qu'on ne se pose pas, je le répète, pour la première
10:09 guerre mondiale, mais en même temps vous avez 50 nuances de gris.
10:11 Parce que vous allez avoir des fonctionnaires qui restent en place, mais qui essayent de
10:16 freiner les ordres, par exemple, que l'administration de Vichy ou l'administration des secrétaires
10:20 généraux belges leur donnent.
10:21 On est surpris, quand on vous lit Olivier Vievorca, de voir à quel point finalement
10:26 les dirigeants semblent pris de court.
10:27 Il y a une série de hasards qui confirment que l'histoire, loin d'obéir à une nécessité,
10:33 résulte souvent de contingences.
10:35 C'est vrai que nous on a une vision organisée, presque, vu d'ici, vu de notre époque.
10:38 Et puis à l'époque, il y a des surprises et rien n'était finalement organisé autant
10:43 que cela.
10:44 Ce que je voulais dire, c'est qu'on a un peu l'impression, et ça a été une
10:47 thèse qui a été défendue, qu'Hitler, dès Mein Kampf, a un programme et qu'il
10:51 déroule le programme.
10:52 Voilà.
10:53 Et je m'érige en faux contre cette idée, parce qu'au contraire, ce que l'on voit,
10:58 c'est qu'il y a un processus.
10:59 Je vais donner juste un exemple.
11:01 La Pologne est menacée par l'Allemagne.
11:03 La Grande-Bretagne donne sa garantie à la Pologne.
11:07 Et là, vous avez un effet contradictoire.
11:09 L'effet contradictoire, c'est que les soviétiques se disent, si les britanniques
11:13 donnent leur garantie à la Pologne, c'est qu'au fond, ils sont contre l'URSS, autant
11:17 traiter avec l'Allemagne nazie.
11:18 Donc vous avez ce type de processus qui fait qu'une décision en appelle une autre.
11:23 Et bien évidemment, un pays n'a pas le contrôle de la décision du dirigeant du
11:27 pays adverse.
11:28 Il y a les paroles, évidemment, de De Gaulle, les phrases absolument mythiques de Churchill.
11:33 "Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur.
11:36 Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre."
11:39 Et puis, il y a, non pas à part, mais c'est une histoire chronologique, vous traitez de
11:45 l'extermination des juifs d'Europe et de la Shoah de manière à part, c'est-à-dire
11:50 particulière.
11:51 Dans la moitié du livre, vous citez Primo Levi et cette phrase sidérante, "Auschwitz
11:56 n'a rien à voir avec la guerre.
11:57 Elle n'en constitue pas une étape.
11:59 Elle n'en est pas une forme outrancière."
12:01 Et pourtant, c'est ce qui est très souvent au cœur de la Seconde Guerre mondiale quand
12:06 on y pense et quand on en parle.
12:07 Vous avez raison, mais ceci dit, c'est un phénomène récent parce que dans les années
12:12 50-60, on ne parle pas de la Shoah.
12:15 Ce que je veux dire, c'est qu'effectivement, vous avez au fond une histoire parallèle
12:19 qui est une histoire de la Shoah, mais la Shoah n'aurait pas été possible si la
12:23 guerre n'avait pas éclaté et surtout si l'Allemagne n'avait pas été en difficulté
12:27 à partir de 1941, tant sur le front russe que par rapport à l'aide que les États-Unis
12:32 apportent à la Grande-Bretagne.
12:35 Donc incontestablement, si vous voulez, la Seconde Guerre mondiale a offert un contexte,
12:40 a offert un cadre pour la Shoah, mais la Shoah n'est pas directement liée aux opérations
12:44 militaires.
12:45 On va aller au stand à retrouver nos auditeurs.
12:47 Vous posez d'ailleurs cette question qui est passionnante.
12:49 Est-ce que la Seconde Guerre mondiale est une guerre de races ? C'est intéressant
12:54 de voir comment vous reprenez l'idée que la destruction des Juifs d'Europe, ce n'est
12:57 pas un objectif militaire, ce n'est pas un moyen de remporter la victoire, que la
13:01 spoliation, la réduction en esclavage de populations entières ne se justifie en rien
13:06 par des raisons économiques.
13:07 Mais vous essayez de comprendre comment expliquer l'impératif exterminateur.
13:13 Bonjour Frédéric.
13:14 Oui, bonjour à tous.
13:16 Merci de participer au 6.9 d'Inter.
13:18 Votre question Olivier Vievierca.
13:19 C'est un plaisir.
13:20 Olivier Vievierca, bonjour.
13:21 J'aimerais avoir votre avis sur le jour du débarquement du 5-6 juin 1944, qui est
13:27 toujours présenté comme une victoire militaire exemplaire et décisive.
13:32 Et moi, j'ai toujours à l'esprit les hécatombes de jeunes soldats fauchés sur les plages
13:42 de Normandie.
13:43 Alors j'aimerais savoir si c'était vraiment une vraie victoire militaire ou si on n'est
13:47 pas passé ce jour-là près d'un échec.
13:50 Et je pense en particulier, vous nous en parlerez peut-être, du rôle de l'aviation.
13:53 Merci Frédéric.
13:54 Alors, nous avons du débarquement en Normandie l'image très forte du soldat Ryan avec
14:01 ses soldats qui débarquent sur Marne.
14:03 Mais cette image forte qui est vraie ne donne pas la pleine mesure du débarquement.
14:07 En fait, le jour du débarquement, Grantin, vous avez à peu près 10 000 victimes du
14:12 côté alliés.
14:13 C'est très peu.
14:14 Et c'est si peu que les états-majors sont sidérés et que les britanniques sont tellement
14:19 contents d'avoir pris les plages qu'ils prennent le thé, ce qui révulse leurs alliés
14:23 américains.
14:24 Donc le débarquement en lui-même, le "touchdown" pour être précis, a été un énorme succès
14:30 et qui ferait rêver les généraux de 14-18.
14:33 Car en 5 heures, le mur de l'Atlantique si terrible a craqué.
14:37 Ceci dit, ce n'est pas non plus une bataille décisive.
14:41 C'est-à-dire qu'entre le 6 juin 1944 et la chute de Berlin, elle va s'écouler
14:47 près d'un an.
14:48 Donc, débarquement, succès à court terme.
14:50 Mais ce qu'on oublie, la bataille de Normandie, dans le bocage, sous la pluie, là, ça a
14:55 été effectivement une hécatombe, et une hécatombe terrible.
14:58 Et c'est ça qui est passionnant, c'est de voir comment vous remettez tous les éléments
15:02 et toutes ces grandes dates, ces épisodes, dans leur contexte.
15:06 Bonjour Jacques, vous nous appelez Darras ?
15:07 Oui.
15:08 Bonjour, votre question à Olivier Vivorcat ?
15:11 Écoutez, je voudrais demander à M.
15:14 Vivorcat, déjà le remercier pour son livre et lui demander s'il envisage de faire
15:20 une suite à son livre, on va dire sur l'immédiate après-guerre, les années 45-55, pour aussi
15:29 lever certaines ambiguïtés ou certaines contre-vérités qui nous sont administrées.
15:37 Merci.
15:38 Si je prends l'exemple de la France, on a eu un seul industriel collaborateur condamné,
15:43 Louis Renaud.
15:44 En 48, tous les autres industriels qui avaient collaboré ont été amnistiés.
15:47 Idem pour les politiques, l'exemple de René Bousquet.
15:51 Et pour l'administration, les juges qui ont juré fidélité au maréchal Pétain ont
15:54 continué leur carrière.
15:56 Donc, s'ils pouvaient remettre, on va dire, l'église au milieu du village.
16:01 Olivier Vivorcat.
16:02 Merci.
16:03 Alors écoutez, la période de l'après-guerre est véritablement très importante parce
16:08 qu'au fond, cette guerre ne s'arrête pas en 1945, elle continue à produire des effets
16:12 et on le voit aujourd'hui, puisque Vladimir Poutine prétend dénazifier l'Ukraine.
16:16 Dans le même temps, je ne compte pas travailler sur l'après-guerre, malgré tout l'intérêt.
16:21 Je pense que j'ai des collègues mieux armés pour le traiter et donc au risque de décevoir.
16:26 Non mais vous faites des liens avec les époques plus contemporaines, avec justement la guerre
16:30 d'Ukraine.
16:31 Justement oui, vous parlez de la capitulation de Munich en septembre 1938, à la fin du
16:34 livre, vous savez, je rappelle aux auditeurs, entre Hitler, Daladier, Chamberlain, Mussolini,
16:38 qui permet à l'Allemagne d'annexer une partie de la Tchécoslovaquie.
16:41 Et vous faites le parallèle avec l'Ukraine.
16:43 Je vous cite "nos dirigeants contemporains ont-ils été plus lucides que lorsque Vladimir
16:47 Poutine a, dans l'indifférence générale, annexé la Crimée en 2014, avant d'agresser
16:51 huit ans plus tard l'Ukraine".
16:53 Est-ce que c'est la même compromission ? Est-ce que c'est le même aveuglement ?
16:56 Alors, moi justement, le parallèle m'a véritablement sauté aux yeux, ou en tous
17:02 les cas, m'est venu à l'esprit.
17:04 Parce que tout le monde blâme Daladier et Chamberlain.
17:08 Effectivement, je ne fais pas la défense ni l'apologie de Munich.
17:11 Mais je pense que les dirigeants occidentaux qui auraient pu être instruits par ce précédent
17:16 n'ont pas fait montre d'une plus grande lucidité.
17:19 Vous évoquez…
17:20 Vous vous rappelez la phrase de Daladier quand il revient d'ailleurs de Munich…
17:22 "À les cons !"
17:23 "À les cons !" quand il arrive au Bourget.
17:25 Voilà.
17:26 Mais dans le même temps…
17:27 Accueilli par une foule en liesse.
17:28 Par une foule en liesse.
17:29 Il faudra paix.
17:30 Voilà.
17:31 Parce que les dirigeants aussi font la politique que réclame leur peuple.
17:34 Est-ce que les Français et les Britanniques auraient été prêts à déclencher la guerre
17:39 pour les Sudètes ?
17:40 Mais donc si on vous suit, ça veut dire que ce qu'on fait avec l'Ukraine, ça pourrait
17:43 être la racine d'un conflit mondialisé ?
17:45 Si on suit votre analyse d'historien ?
17:47 Je n'en sais rien parce que j'ai cassé ma boule de cristal sur le chemin.
17:50 Mais vous faites le parallèle.
17:52 Là où vous avez entièrement raison, c'est que si on considère que les guerres sont
17:56 des processus, on peut tout à fait imaginer effectivement une ascension aux extrêmes,
18:02 dirait Clausewitz, ou au contraire un cantonnement comme par exemple le conflit du Moyen-Orient
18:08 qui reste un conflit localisé.
18:09 Tout est possible.
18:11 C'est bien le problème.
18:12 Et tout est possible parce que des dynamiques se créent.
18:14 Et ça vous le racontez très bien.
18:17 Primo Levi écrivait au sujet de la haine nazie et je le cite "si la comprendre est
18:22 impossible, la connaître est nécessaire".
18:25 Cette phrase-là, elle est vertigineuse parce qu'au fond, elle touche du doigt ce qui
18:31 est au cœur de votre livre, à savoir l'abîme.
18:33 On est face à l'abîme, il y a le travail de l'historien, du scientifique, et il y
18:37 a malgré tout ce qui résiste à toute forme de compréhension.
18:41 La connaissance ne remplacera jamais l'impossibilité de connaître, de comprendre.
18:47 Tout à fait.
18:48 Effectivement, c'est l'une des limites de l'histoire.
18:51 C'est-à-dire que j'essaye de faire une histoire qui soit à la fois un récit, je
18:55 l'espère vivant et agréable à lire, mais une histoire où on apprend.
18:58 Et c'est vraiment le cas.
18:59 Merci.
19:00 Comme un roman.
19:01 Merci.
19:02 Et c'est aussi une histoire, j'espère, où on apprend et où on comprend.
19:05 Mais il y a une part d'irréductible.
19:07 Et cette part d'irréductible, malheureusement, je dois avouer la faiblesse de l'histoire,
19:11 c'est plutôt le roman qui la comble.
19:12 Et de ce point de vue, je crois que malheureusement, Tolstoy sera toujours meilleur pour décrire
19:19 la campagne napoléonienne qu'un historien.
19:21 Et j'allais vous poser la question justement par rapport à un livre de cette rentrée,
19:24 un livre qui fait beaucoup parler, c'est « La tondue de Chartres » de Julie Héraclès
19:27 qui part d'une photo célèbre de Robert Capa, une femme qui est tondue, qui est marquée
19:30 au fer rouge pour avoir collaboré avec l'occupant nazi.
19:33 Ça ne vous choque pas donc qu'on utilise le roman pour combler ce que vous appelez
19:37 les lacunes de l'histoire ?
19:38 Alors, cela ne me choque pas.
19:40 Je n'ai pas encore lu ce livre.
19:41 À partir du moment où la vérité est respectée, et c'est là où je me permettrais d'introduire
19:48 un distinguo.
19:49 Vous avez deux éléments qui sont importants.
19:51 L'exactitude d'une part et la vérité de l'autre.
19:55 On peut être inexa, mais vrai.
19:57 Je ne suis pas sûr que Tolstoy, lorsqu'il décrit la campagne de Russie et les bons
20:02 chiffres pour les militaires, etc.
20:04 Mais il est vrai.
20:05 Et là, en l'occurrence, j'ai lu des critiques sur ce livre, je ne suis pas sûr que le livre
20:10 soit vrai.
20:11 Et comment on sait s'il est vrai ou pas ?
20:14 Parce qu'on connaît cette tondue.
20:15 Parce que vous avez eu des travaux sur la tondue de Chartres qui a été effectivement
20:18 une collabo et pas une femme égarée dans les méandres de l'histoire.
20:23 Restons justement sur le plan de l'histoire.
20:25 Parce que vous travaillez sur ce qu'on sait et ce qui est établi et sur les faits.
20:29 Lorsque vous voyez revenir régulièrement et particulièrement sous la plume ou dans
20:33 la bouche d'Éric Zemmour l'idée que le maréchal Pétain a sauvé les juifs de France,
20:38 qu'est-ce que ça vous inspire aussi longtemps après ?
20:41 Et que ça revienne et que ça revienne comme le sac et le ressac ?
20:45 Très sincèrement, cela me dégoûte.
20:48 Parce que je pense que vous avez quand même une vérité en histoire.
20:54 En tous les cas, s'il n'y a pas une vérité en histoire, il y a des erreurs.
20:56 Et là, en l'occurrence, Éric Zemmour ne dit pas la vérité.
21:00 Et donc, si vous voulez, tout ce travail et tous ces mensonges qui sont adressés à
21:06 toute une partie des Français qui ont un désir de croyance, qui veulent que Pétain
21:13 ait sauvé les juifs.
21:14 Mais pourquoi ? Parce que la droite s'est abîmée, toute une partie de la droite s'est
21:17 abîmée dans le pétainisme.
21:19 On aurait pu imaginer que les nationalistes fussent les premiers à brandir le drapeau.
21:23 Et très souvent, ces nationalistes se sont rués à la collaboration, ce qui est totalement
21:27 contre-nature.
21:28 Pas tous, bien sûr, mais beaucoup.
21:30 Et donc, cette entreprise de sauvetage de la droite, d'une droite qui, par ailleurs,
21:35 n'a jamais aimé de Gaulle, parce que de Gaulle est quand même de droite, mais toute
21:39 une partie de la droite le déteste, et bien effectivement, cela m'inspire le dégoût.
21:42 Question d'Elisabeth, sur l'application France Inter.
21:45 Elisabeth, qui est libraire à Strasbourg et qui nous écoute Olivier Vievierca, elle
21:50 vous demande si vous pouvez éclairer ce mystère.
21:53 Pourquoi cette seconde guerre continue à passionner les Français ? Elle dit qu'elle
21:57 vend beaucoup de livres sur la seconde guerre mondiale, même chez les jeunes.
22:01 Oui, parce que je crois que la seconde guerre mondiale, il y a deux éléments.
22:05 Il y a une dramaturgie, il y a des personnages, et elle pose des questions essentielles.
22:09 Elle pose des questions essentielles sur le courage, la liberté, le prix que nous sommes
22:14 prêts à consentir pour défendre la démocratie.
22:17 Et ces questions, en fond, elles sont incarnées dans des situations concrètes, dans des problématiques
22:22 concrètes que tout le monde comprend.
22:23 C'est la dernière guerre juste ? Très vraisemblablement, oui, pour l'instant.
22:26 En même temps, je pense que la guerre que l'Ukraine mène contre la Russie est une
22:30 guerre juste.
22:31 Et puisqu'Ali Baddou parlait des jeunes, le mois dernier, Emmanuel Macron a déploré
22:34 que les nouvelles générations aient perdu leur repère à cause d'un pédagogisme,
22:37 dit-il, qui fait que l'école ne doit plus transmettre.
22:40 Il veut que l'histoire soit enseignée désormais chronologiquement, ce qui est quand même partiellement
22:44 le cas aujourd'hui.
22:45 Votre livre, il est très grandement chronologique, très majoritairement, à part la Shoah qui
22:49 est vraiment sortie du reste.
22:51 Vous avez l'impression que l'histoire de la Seconde Guerre Mondiale, qui est votre
22:54 champ d'expertise aujourd'hui, elle est bien enseignée à l'école ?
22:57 Il faudrait que j'ai une meilleure connaissance du milieu.
23:02 Mais en gros, oui, je pense que les élèves connaissent beaucoup mieux aujourd'hui Auschwitz,
23:08 le maréchal Pétain, le général de Gaulle qu'il y a 30 ans.
23:12 Personnellement, je n'ai jamais eu un enseignement sur la Seconde Guerre Mondiale au lycée.
23:15 Parce que le programme n'était jamais terminé.
23:17 Vous, Olivier Burkard ?
23:18 Absolument.
23:19 Jamais.
23:20 L'enseignant n'arrivait jamais à finir.
23:22 Je crois qu'aujourd'hui, par exemple, dans les progrès qui ont été faits, le fait
23:26 de boucler un programme est un impératif pour les enseignants auxquels ils se tiennent.
23:30 Voilà, on peut ajouter aussi qu'il faudrait peut-être que le pouvoir fasse confiance
23:35 à des enseignants qui, en règle générale, notamment en histoire, milieu quand même
23:39 que je connais un peu, sont passionnés par leur discipline.
23:42 Vous y avez consacré votre vie à cette Seconde Guerre Mondiale.
23:45 Est-ce que vous avez achevé votre œuvre ? Ou est-ce que vous avez encore des choses
23:50 à explorer, Olivier Vievirka ?
23:51 Il y a toujours des choses à explorer pour deux raisons.
23:54 La première, c'est que vous avez des archives qui n'ont pas été vues et vous avez des
23:57 archives qui s'ouvrent.
23:58 Et l'autre élément, c'est que les interrogations que nous adressons au passé évoluent en
24:02 fonction du temps.
24:03 Jamais on n'aurait parlé de l'histoire des femmes dans les années 60.
24:06 Aujourd'hui, avec le temps présent, on va avoir de nouvelles questions à adresser
24:11 à la Seconde Guerre Mondiale.
24:13 J'espère bien bien entendu participer à cette aventure.
24:15 Merci infiniment Olivier Vievirka d'avoir été l'invité de France Inter ce matin.
24:19 Histoire totale de la Seconde Guerre Mondiale, c'est absolument passionnant.
24:23 C'est un livre important et il est publié chez Perrin.

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