• il y a 2 ans
Avec Arnaud Viviant Critique Littéraire, écrivain

Retrouvez les éditos culture sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-culture

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00 Arnaud Vivian, à vous Arnaud, vous êtes allé en prison.
00:02 Oui, lundi après-midi, je suis allé en prison, à l'invitation de l'association Lire pour
00:07 en sortir, fondée par Alexandre Duval-Stalla.
00:10 Cet avocat et écrivain est à l'origine d'un amendement du Code de procédure pénale
00:16 pour que la lecture soit un motif d'aménagement et de remise de peine.
00:20 Figurez-vous que l'idée vient du Brésil, où on a décidé qu'un livre lu correspondrait
00:25 à 4 jours de remise de peine.
00:27 La prison où je me suis rendu, c'est celle de la Santé, dans le 13ème arrondissement
00:31 de Paris.
00:32 La raison de ma venue était la suivante, la Santé fait partie des 40 établissements
00:37 pénitentiaires qui participent à la seconde édition du Prix Goncourt des détenus, calqué
00:43 sur le modèle du Prix Goncourt des lycéens.
00:46 Cette année, ce sont donc 600 détenus qui vont lire les 16 livres sélectionnés par
00:50 l'Académie Goncourt sur sa première liste avant d'en choisir un.
00:55 Alors, je vais être franc, quand j'ai appris la création l'année dernière de
00:59 ce Goncourt des détenus, j'ai un peu ricané.
01:02 Nous sommes bien informés du problème de surpopulation carcérale.
01:06 Les derniers chiffres, qui datent de juin, sont éloquents.
01:09 La population carcérale a augmenté de 3% en un an.
01:13 La moyenne du taux d'occupation des maisons d'arrêt approche 145%, ce qui représente
01:18 environ 3 détenus pour 2 places.
01:21 Le nombre de matelas au sol est de 2336 contre 1885 l'année dernière.
01:29 Alors, comment trouver le courage de lire quand vous disposez d'un mètre carré d'espace vital ?
01:34 Mais lundi, j'ai cessé de ricaner.
01:36 - Alors, pourquoi Arnaud ?
01:37 - Je suis resté trois heures avec la quinzaine de détenus qui ont accepté de participer à l'opération.
01:42 Les 16 livres de la sélection étaient là, disponibles en plusieurs exemplaires.
01:47 On parlait du prix Goncourt, de son histoire, de son règlement aussi, qui favorise le roman,
01:52 sur toute autre forme littéraire.
01:54 Puis, on a discuté de la sélection comme un véritable jury littéraire.
01:58 Un détenu avait déjà lu « L'échiquier » de Jean-Philippe Toussaint.
02:01 Un autre venait de se plonger dans le nouveau roman d'Éric Rennart et ça lui plaisait beaucoup.
02:06 Bêtement, je pourrais dire que je n'ai pas vu le temps passer, puisque c'est un truisme
02:10 de dire que l'expérience littéraire et la condition carcérale ont un même objet, le temps.
02:16 Dans la sélection du Goncourt 2023, il y a le livre de Laura Murat, qui s'intitule « Proust, roman familial ».
02:23 Elle y raconte cette anecdote à propos de la poétesse américaine Emily Dickinson.
02:29 Un jour, Emily Dickinson invita sa nièce de 8 ans à entrer dans sa chambre.
02:35 Elle referma la porte derrière elle, sortit une clé imaginaire de sa poche,
02:41 fit mine de l'insérer dans la serrure pour la verrouiller à double tour.
02:45 Puis elle se retourna et dit à l'enfant, en montrant la clé fantôme qu'elle tenait
02:50 entre le pouce et l'index « This is freedom ».
02:54 Tandis que je sortais dans un cliquetis de serrure bien réel pour le coup de la prison de la santé,
03:01 je me suis demandé ce que les 600 détenus de France qui liront ces lignes en penseraient.

Recommandations