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Art et designTranscription
00:00 Jusqu'à 13h30, les midis de culture.
00:04 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy.
00:08 Dans la seconde partie des midis de culture, nous consacrons à notre rencontre.
00:14 Notre invité ce midi est réalisateur avec un père distributeur, producteur et lui-même
00:18 réalisateur.
00:19 Il a baigné très tôt dans le monde du cinéma.
00:21 Son second long métrage appuie certainement là où personne n'avait vraiment envie
00:26 qu'on appuie.
00:27 Dans une société au bord de l'éclatement, le climat dégénère.
00:31 Résultat, la France est balayée par des pluies acides qui détruisent tout, tuent humains,
00:36 animaux.
00:37 Un film sous tension qui sort ce mercredi dans les salles.
00:39 Bonjour Juste Philippot.
00:41 Bonjour.
00:42 Bienvenue dans les midis de culture.
00:44 Merci beaucoup.
00:45 La première question qu'on a envie de vous poser, c'est celle-ci.
00:48 Est-ce que vous vous sentez, Juste Philippot, impuissant ?
00:50 Ouais.
00:51 Moi, ouais.
00:52 D'ailleurs, c'était un peu le sujet de cette histoire.
00:55 C'était la sincérité avec laquelle j'avais envie de traiter cette angoisse, en tout cas
01:00 à la hauteur de quelqu'un qui se pose des questions dans une société qui ne va pas
01:03 bien et de faire, je dirais, comme on dirait, de traiter à travers mon cinéma du constat
01:10 d'une forme d'impuissance qui est liée à l'environnement et pas que d'ailleurs, parce
01:14 que le film traite des mots d'une société qui ne va pas bien aujourd'hui.
01:17 Et voilà, je voulais absolument être sincère vis-à-vis de cette angoisse qui est liée
01:24 à cette impuissance et d'offrir finalement un spectacle ou un cinéma qui soit capable
01:28 lui-même de retranscrire à travers des personnages qui, petit à petit, perdent le contrôle,
01:33 petit à petit perdent les moyens d'agir et deviennent de plus en plus impuissants au
01:36 milieu d'un danger grandissant.
01:37 Alors, il y a évidemment l'impuissance face au réchauffement climatique, au changement
01:41 sur la planète, aux catastrophes naturelles.
01:43 On va en parler en évidemment décrivant aussi votre film.
01:47 Mais vous parlez d'angoisse.
01:48 Est-ce que vous avez le sentiment que le cinéma ne se saisit pas assez de cette angoisse ?
01:52 Je ne sais pas.
01:54 Je ne pourrais pas parler au nom des réalisateurs, réalisatrices qui font ou des auteurs qui
01:57 écrivent.
01:58 En tout cas, c'est quelque chose que vous, vous avez envie de mettre sur les écrans.
02:01 Moi, j'ai eu envie, malgré moi peut-être, parce que finalement, j'ai envie de dire
02:06 que tout ça est une aubaine dans mon cinéma qui ne devait pas forcément démarrer ou
02:11 qui ne devait pas continuer à traverser ces catastrophes.
02:13 Il s'avère, et j'en parle très souvent, que j'ai démarré avec du court métrage
02:17 qui était lié à des histoires sociales.
02:19 J'ai fait un documentaire ou co-réalisé un documentaire sur mon frère polyhandicapé.
02:24 J'avais des thématiques qui n'étaient pas forcément ancrées sur le réchauffement
02:28 climatique et les catastrophes du réchauffement climatique, en tout cas de cette terre qui
02:32 ne va pas bien.
02:33 Et c'est vrai que grâce à cette résidence de films de genre auxquels j'ai participé
02:37 il y a plusieurs années, je suis devenu une sorte de spécialiste des nuages avec une
02:42 capacité d'hybrider des cinémas, celui de l'intime et celui du spectaculaire.
02:46 Et j'ai employé les deux pour parler peut-être d'une véritable angoisse parce que quand
02:50 on m'a proposé cette carte blanche sur l'écriture, je me suis dit qu'il fallait
02:54 que je sois honnête et que je présente un film que je n'avais pas envie de voir.
02:56 Enfin, pas envie de subir ou de ressentir.
02:59 Ah non, ça c'est intéressant parce que vous parlez d'acteurs, de personnages qui
03:03 sont de plus en plus impuissants.
03:05 Vous avez fait un film que vous n'aimeriez pas regarder.
03:08 Et en même temps, vous dites que l'urgence climatique est une aubaine.
03:11 C'est assez paradoxal comme intention, comme moteur.
03:16 Je ne sais pas si c'est une aubaine.
03:18 Moi, je sais que l'aventure acide, si je devais la résumer comme ça, c'est cette
03:23 résidence de films de genre.
03:25 Et juste avant, ce sont des films suédais que je fabrique avec des lycéens du lycée
03:29 Viticole d'Amboise.
03:30 Et on suède une séquence de la mouche avec ses régurgitations acides.
03:36 Je retrouve via le plaisir de fabriquer du cinéma des films qui m'ont traumatisé
03:42 enfant.
03:43 J'ai une espèce de thème comme ça, pas loin de moi, grâce à des expériences formidables
03:49 qui m'ont permis de me structurer en tant que réalisateur.
03:51 Et à partir de là, je me dis que si je dois proposer des frissons, il faut que moi-même
03:55 je puisse être capable de ressentir ces frissons.
03:57 Et je suis honnête, j'invente un méchant qui prend toutes les formes et qui nous détruit
04:03 de l'intérieur ou de l'extérieur.
04:04 Et je suis embattable avec cette question.
04:07 Est-ce que j'arriverai moi-même à protéger mes enfants ? Et c'est le sujet de mes films
04:11 à partir de là.
04:13 Selon l'INRS, des pluies mille fois plus acides que la normale ont été enregistrées.
04:19 On n'a pas marre de ces merdes-là.
04:20 Tu t'en fous de la planète, c'est tout.
04:21 C'est la fin du monde tous les deux jours.
04:22 De toute manière, ça me concerne plus que toi.
04:23 Je vois que c'était pas grave.
04:24 Attends, on va pas la ramener à la maison, à la chauffer qui pleut.
04:25 L'acide sulfurique est corrosif pour la peau.
04:26 C'est ce bordel.
04:27 Qu'est-ce que tu fous, Élise ?
04:28 Les yeux, les voies respiratoires et digestives.
04:29 J'ai un département qui est en danger de la canicule du jamais vu.
04:30 Attends.
04:31 Ça va tomber !
04:32 Vas-y, vas-y !
04:43 42 degrés attendus dans les rues de la capitale.
04:56 Selma !
04:57 Selma !
04:58 Viens.
04:59 Attention !
05:00 On va où ?
05:01 On va à la maison.
05:02 On va à la maison.
05:03 On va à la maison.
05:04 Il faut que tu me fasses confiance, maman.
05:05 On est ensemble.
05:06 Des nuages de pluie acides et dévastatrices qui viennent d'Amérique du Sud et qui s'abattent
05:12 sur la France.
05:13 Michel et Élise joués par Guillaume Canet et Laetitia Doche qui doivent fuir, donc,
05:17 couple séparé mais qui va en quelque sorte être forcé de s'unir pour récupérer
05:22 leur fils Selma incarné par Patience Mückenbach et qui démarre alors ce périple qui doit
05:28 les emmener vers un endroit à l'abri, en quelque sorte, là où les pluies acides n'ont
05:32 pas encore commencé à tomber.
05:35 On le sent bien dans cette bande-annonce.
05:37 Il y a une urgence.
05:38 Il y a quelque chose de très fort, une forte tension dans un film qui vient donc bousculer
05:43 le quotidien des personnages et qui vient nous bousculer, nous aussi, en tant que spectateurs.
05:47 Oui, alors, plusieurs choses.
05:50 Je voulais juste revenir sur l'effet d'Aubaine.
05:52 Je crois que l'ambition de ce film, c'était de prendre un sujet très au sérieux et de
05:56 proposer une expérience de cinéma.
05:58 Et donc de profiter de ça pour proposer une expérience de cinéma qui soit capable d'emmener
06:03 un public à réessais et pas que, un grand public qui aime le cinéma américain et pas
06:07 que, enfin de réussir à hybrider pour profiter d'une salle de cinéma.
06:11 Parce que je crois que mon geste, en tout cas de réalisateur, c'est celui de donner
06:14 envie d'aller dans une salle de cinéma, quel que soit le film d'ailleurs.
06:17 Plus que d'être sensibilisé à la crise écologique ?
06:19 Je pense que tous les films doivent sensibiliser à tous les sujets.
06:23 Le mien, c'est celui-ci.
06:24 Après, je n'arrive pas en tant que donneur de leçons ou avec un mode d'emploi du ressenti
06:28 et de ce que doit faire le spectateur ou la spectatrice en sortant de la salle de cinéma.
06:31 Simplement, j'ai besoin qu'il ait envie d'aller voir une salle de cinéma avec des
06:34 gens qu'il ne connaît pas.
06:35 J'ai besoin qu'il aille dans une salle de théâtre.
06:38 J'ai besoin qu'il écoute de la musique.
06:39 J'ai besoin de croire en la culture et des bienfaits de la culture.
06:42 - Attendez, attendez, parce que "j'ai besoin", on dirait que ça sonne comme un cri.
06:44 Vous le martelez, c'est comme "moi président" de François Hollande.
06:49 Vous avez dit "j'ai besoin, j'ai besoin".
06:52 - Oui, parce que je pense qu'il y a aujourd'hui un moment et un endroit où il ne faut pas
06:56 rater le coche.
06:57 Il ne faut surtout pas éloigner un jeune public et l'habituer à un cinéma sur lequel
07:02 il a un rôle à jouer, c'est-à-dire exigeant, qui ne demande pas simplement d'être un spectateur
07:07 passif.
07:08 Il faut absolument créer toutes ces passerelles d'éducation à l'image, d'éducation à la
07:13 culture.
07:14 La culture et l'éducation.
07:15 Moi, vraiment, j'ai eu la chance de pouvoir grandir en tant que réalisateur grâce à
07:19 l'éducation à l'image.
07:20 Et aujourd'hui, je le martèle parce que c'est presque pour moi le ciment d'une société
07:24 qui ira mieux, je l'espère.
07:26 - Ce besoin, il est plus fort aujourd'hui ? Parce que, évidemment, quand vous nous
07:29 dites ça, on pense tout de suite à la crise du Covid qui a fermé les salles de cinéma,
07:33 les théâtres, qui a mis sous cloche la culture.
07:36 Et ce moment-là, qu'est-ce que vous, vous avez ressenti ?
07:38 - Moi, j'ai senti un repli sur soi ou un repli sur nous.
07:42 En tout cas, moi, je l'ai vécu comme un repli sur moi-même.
07:44 Donc, tout d'un coup, je me suis aussi éloigné des salles de spectacle, tout simplement parce
07:48 qu'on est resté cloîtré et qu'on a trouvé de nouvelles habitudes de "consommer" la culture
07:53 ou alors de la vivre.
07:54 Et moi, j'ai besoin de me connecter à l'autre.
07:56 Je crois que je fais un cinéma de l'autre parce que j'ai besoin de travailler avec
08:00 les autres, j'ai besoin de travailler avec des équipes, j'ai besoin de vivre avec l'autre.
08:05 - Il y a deux choses dans ce que vous dites, Juice Philippot.
08:07 Il y a à la fois l'éducation à l'image et on a envie de vous demander, qu'est-ce
08:10 qui pourrait être dangereux dans le fait de ne pas être éduqué à l'image ?
08:13 - Peut-être vulgairement de ne pas comprendre tout ce qu'on voit ou de ne pas avoir envie
08:19 de comprendre de nouvelles choses et d'avoir une espèce d'habitude que j'ai vue et que
08:22 j'ai constaté à travers les jeunes techniciens avec qui j'ai travaillé.
08:27 Quand je dis des techniciens, c'est les jeunes lycéens et lycéennes.
08:29 C'est d'aller revoir trois fois le même film parce qu'on est sûr de l'aimer.
08:33 Et là, je suis un peu dérouté parce qu'avec un ticket ou trois fois ce ticket-là dans
08:38 des salles qui coûtaient assez cher, on pouvait aller dans le cinéma à réessais qui n'était
08:42 pas très loin de chez moi et en voir dix.
08:43 Donc voilà, moi, je me dis que j'aimerais bien simplement leur donner sur les trois
08:48 films qu'ils vont voir ou le même film, une envie d'aller voir un autre et peut-être
08:51 d'aller voir encore un autre et encore un autre.
08:53 - Mais vous trouvez que les images sont dangereuses ?
08:55 Parce que quand vous dites j'ai besoin qu'on soit éduqué à l'image, ça veut dire que
09:00 c'est comme si décrypter une image nécessitait en fait d'avoir peut-être des tuyaux, des
09:06 conseils, des clés exactement.
09:07 - Oui, oui, complètement.
09:09 Moi, j'ai toujours été étonné quand je leur expliquais ce que représentait un champ
09:13 contre champ et de les voir tout d'un coup comprendre la logique du montage et ce que
09:18 pouvait raconter le montage et comment un montage pouvait manipuler ou pas des images
09:21 ou pas des informations.
09:22 Donc, j'ai été très touché par une forme de "naïveté" pourtant avec des jeunes gens
09:27 qui étaient hyper connectés, qui avaient des images partout et tout le temps.
09:30 Mais de voir à quel point cette logique du montage et de la manipulation, qu'elle soit
09:34 positive ou négative, elle était parfois à distance de leur regard et de leur compréhension
09:38 sur ce qu'ils pouvaient voir.
09:39 - Ça, c'est votre sensibilité de vouloir évidemment amener chacun à décrypter les
09:44 images, à comprendre ce qu'on veut voir.
09:46 Mais dans les thématiques aussi et dans ce qu'on vient de vivre ces dernières années,
09:51 c'est ce que vous expliquiez avec votre co-scénariste.
09:54 Vous vous êtes imprégné des crises que nous avons traversées ou que nous traversons d'ailleurs
09:59 encore.
10:00 On parlait du Covid, mais il y a la guerre en Ukraine aussi.
10:02 Il y a le mouvement des Gilets jaunes qui est d'ailleurs présent dans votre film au
10:05 tout début.
10:06 En tout cas, on va y revenir.
10:07 Mais ces crises, en quoi elles sont intéressantes pour le cinéaste que vous êtes ?
10:12 - Elles m'ont malheureusement offert une sorte de manuel de la catastrophe qui pouvait me
10:20 permettre de proposer une espèce d'effet miroir.
10:23 C'est-à-dire que pas une seule fois, je voulais tomber dans la gandiloquence de Pluacide en
10:27 trouvant ça sympa.
10:28 Moi, il fallait absolument que je puisse, avec mes moyens, proposer un cinéma ambitieux
10:33 qui n'est pas du cinéma américain, donc qui n'a pas les moyens du cinéma américain,
10:35 mais qui soit capable de donner aux spectateurs un sentiment déjà vu très fort.
10:40 Et c'est vrai que malheureusement, ces trois dernières années, on a eu une maladie qu'on
10:45 a encore du mal à expliquer aujourd'hui.
10:47 On a une colère qui tout d'un coup a des effets de déflagration avec des images d'une
10:51 violence inouïe.
10:52 On a une guerre qui n'est pas très loin de nos portes.
10:54 Et surtout, constamment, on a cette espèce de logique de se dire « nous ne sommes plus
10:58 entouchables ». Et je crois que moi, à travers cette espèce de constat, j'avais besoin
11:02 d'emmener ce sentiment-là dans la salle de cinéma, à travers de personnages qui
11:06 vivent des péripéties sur lesquelles ils prennent énormément de risques.
11:09 D'ailleurs, il y a certains personnages qui ont des trajectoires très complexes.
11:14 Et de dire aux spectateurs « mes personnages ne sont plus intouchables, vous n'êtes
11:18 plus intouchables ». Le frisson, il en est là.
11:20 L'origine de tout cela, c'est l'industrie.
11:23 Je voudrais vous résumer en quelques chiffres, dont ceux qui sont les plus acides, accompagnés
11:27 bien sûr comme chaque semaine par Frédéric Drouillon et Philippe Véronnet au synthétiseur.
11:31 Et oui, parce que l'industrie a besoin de charbon et de pétrole.
11:49 Le charbon et le pétrole, ça contient du soufre, pas beaucoup, entre moins de 1% jusqu'à
11:54 5% selon leur origine.
11:57 Quand on brûle ces minerais, 95 à 98% du soufre est émis sous forme de SO2 et de 1
12:05 à 2% sous forme d'anhydrique sulfurique, SO3.
12:07 Et puis il y a en plus de l'acide nitrique qui sort de tout cela.
12:11 Le résultat, il est très simple.
12:13 En 20 ans, entre 1950 et 1970, la quantité de SO2 rejetée par l'industrie aurait doublé.
12:20 Autrement dit, les pluies sont devenues au moins 10 fois plus acides que la normale
12:25 sur tout le continent européen.
12:26 Laurent Broumède, en 1984, dans Trajectoire, l'émission de Science de France Inter, qui
12:33 explique donc ce que sont les pluies acides.
12:35 Juste Philippe, oh pardon, mais avec les pluies acides, vous n'avez absolument rien inventé.
12:38 Puisque c'est un phénomène très ancien.
12:41 Mais ça, c'était très important pour vous de vous inspirer de quelque chose de plausible.
12:46 C'est un avenir qui peut être le nôtre.
12:48 Non, je ne le souhaite pas.
12:51 Je ne vais pas le projeter comme ça.
12:53 C'est évident.
12:54 Mais c'est vrai que ce phénomène, je l'avais gardé en tête.
12:57 Il y avait eu aussi Tchernobyl.
12:58 Alors, je ne suis pas un enfant de Tchernobyl, mais je me rappelle de ses discours sur ces
13:02 nuages qui se sont arrêtés à nos frontières.
13:04 Il y avait cette logique des nuages comme ça.
13:06 Mais vous étiez petit quand même quand il y a eu Tchernobyl.
13:08 Je suis tout petit.
13:09 Et d'avoir cette logique de pluie acide.
13:11 Donc, on a nous-mêmes fait des recherches, notamment sur ces images d'archives ou ces
13:18 témoignages qui nous racontaient un peu la catastrophe, cette catastrophe où ce sentiment
13:23 d'urgence il y a maintenant plus d'une quarantaine d'années.
13:26 Et de voir qu'il était encore aujourd'hui actuel.
13:28 Parce que j'ai fait des recherches.
13:29 Elle continue d'être aussi acide dans le nord de l'Europe, en Russie, au Canada.
13:34 C'est un phénomène qui est encore présent et qui fait peur.
13:39 Parce qu'effectivement, il est le témoin d'une espèce de surpollution.
13:43 En tout cas, d'une complication de l'atmosphère.
13:47 Il y a quelque chose qui participe de cette angoisse.
13:50 C'est que dire la pluie, il n'y a rien de plus banal qu'une pluie, si je puis me
13:53 dire.
13:54 Sauf pendant la sécheresse hibernale.
13:55 Oui, effectivement.
13:56 Mais quand il nous pleut dessus, on ne se dit pas il faut que je me protège.
13:59 Et c'est à un moment donné, on est saisi dans votre film par cette angoisse qui touche
14:03 les personnages.
14:04 On se dit ah, je me protège d'habitude de la pluie avec un parapluie.
14:09 Aujourd'hui, ça ne suffit plus.
14:11 Et donc, on est complètement bouleversé aussi dans notre quotidien, dans notre façon
14:15 de réagir par rapport aux dangers qui arrivent.
14:18 Oui, mais c'est à l'image du Covid.
14:20 C'est à dire que l'air qu'on respirait ensemble dans la même pièce devenait dangereux.
14:24 Donc, cette pluie là, elle a cette capacité de nous "replonger" comme ça à des moments
14:31 où le danger est permanent.
14:32 Il est partout.
14:33 Et cette pluie, effectivement, c'était pour moi aussi le meilleur moyen de véhiculer
14:39 une relation entre le spectateur ou la spectatrice dans la salle de cinéma sur ce qu'ils pouvaient
14:42 voir.
14:43 Parce que les nuages que j'ai mis dans le ciel, c'est des nuages normaux.
14:47 Je n'ai pas tenté de créer un design avec une couleur.
14:50 Je n'ai pas voulu manier ces menaces à travers un souci esthétique qui nous éloignerait
14:57 d'un déjà vu.
14:58 Dans votre film, on suit donc ce père, cette fille et aussi cette mère échappée à ces
15:05 pluies acides.
15:06 Vous l'avez dit, ces pluies, vous l'avez dit aussi Nicolas, ont quelque chose d'assez
15:09 banal.
15:10 Tout à coup, on doit s'en protéger.
15:11 Ça devient dangereux.
15:13 Est-ce que vous avez voulu montrer aussi la même chose avec ces êtres humains qui veulent
15:17 se protéger et qui, du coup, retombent dans une forme de danger vis-à-vis de l'autre
15:23 plutôt que d'entraide ?
15:24 Oui, alors il y a plusieurs choses à travers cette question.
15:28 Moi, je dis toujours que Acide, c'est un film noir tendu comme une arbalète parce
15:31 que l'idée, c'était de lancer une flèche et de la voir retomber le plus loin possible.
15:35 C'est un film très, très noir, mais c'est un film qui ne renonce pas et notamment qui
15:38 ne renonce pas à croire au genre humain.
15:40 Je ne voulais pas tomber dans une espèce de logique survivaliste avec des personnages
15:44 méchants les uns entre les autres.
15:46 Par contre, ce qui m'intéressait, c'était cette espèce d'idée de lutte des classes
15:50 qui est permanent dans le film à travers des repis sur soi et quelque part des logiques
15:56 qui sont des personnages qui ne se font pas confiance et de voir à quel point on a besoin
16:02 à l'opposé de confiance les uns envers les autres.
16:04 Et notamment sur cette fin de film où Michel et Selma arrivent dans cette maison et sont
16:09 face à quelqu'un qui a ouvert la porte, mais qui regrette d'avoir ouvert la porte.
16:13 Et c'est ce qui m'intéresse, c'est de voir toutes les logiques d'un danger ou des dangers,
16:18 de voir cette forme de danger agir sur une société qui déjà n'allait pas bien et
16:22 qui finalement continue de se fragiliser de l'intérieur.
16:26 Vous avez parlé du méchant tout à l'heure dans vos films.
16:29 Qui est le méchant dans Acide ? Il est un peu invisible.
16:34 On se demande comment on fait pour s'en protéger.
16:36 Et je prends par exemple l'exemple de l'eau.
16:39 Je parlais de banalité de la pluie tout à l'heure.
16:41 La banalité de l'eau, du geste, de l'habitude de boire de l'eau.
16:44 On en est dans votre film.
16:45 Les personnages en sont à se demander s'ils peuvent boire l'eau qui est devant eux.
16:49 La logique d'écriture avec Yacine, qui est un co-scénariste formidable, c'était de
16:59 créer des formes du danger.
17:01 C'est-à-dire qu'on a cette menace qui vient du ciel et puis petit à petit de nourrir
17:05 notre imaginaire ou nos frissons à travers une menace qui allait prendre d'autres formes.
17:09 C'est cette pluie qui tombe, qui infiltre les nappes phréatiques, qui devient des sources
17:13 d'eau polluées.
17:14 Nous, on s'est inspiré de plein d'archives, notamment sur la pollution de l'eau, sur
17:18 les problèmes d'accès à l'humour.
17:19 Et celle de Laurent Bonnet aussi ou pas ?
17:21 Non, pas celle-ci.
17:22 Non.
17:23 Non, par contre, tout ce qui est météo dans le film, c'est des archives France Inter.
17:26 C'est la météo de l'année dernière, je crois.
17:28 On a réussi comme ça.
17:29 Les premières archives qui ouvrent le film et qui traitent des pluies acides, c'est
17:32 une archive des années 80 qui donne la sensation d'être hyper actuelle.
17:36 On a constamment travaillé sur un matériel très réaliste puisqu'on avait déjà entendu
17:41 qu'il existait.
17:42 Et donc, notre travail, ça a été de mélanger les formes de danger à travers cette eau
17:47 qui prenait toutes les formes et qui devenait effectivement une source empoisonnée pour
17:50 nos personnages.
17:51 Après, qui est le vrai méchant ? Quelque part, moi, je l'ai toujours construite comme
17:56 ça.
17:57 Pour moi, c'est ces parents qui perdent le contrôle et qui deviennent pour l'enfant
18:02 une source de danger parce qu'elles s'aperçoient, je ne vais pas dire rapidement, mais petit
18:07 à petit, que ces parents sont dangereux puisqu'ils ont perdu le contrôle, parce que chaque
18:11 idée qu'ils vont prendre sera mauvaise, parce qu'ils n'avaient pas anticipé cette
18:14 catastrophe et malheureusement, ils n'ont pas les solutions pour tenter de la sauver.
18:18 Alors ça, c'est dans le scénario, bien sûr.
18:20 Il y a les acteurs, on va y revenir.
18:21 Mais d'abord, vous en avez dit un mot, l'ambiance et l'image, on n'est pas sur un film d'effets
18:28 spéciaux.
18:29 On n'est pas sur un film qui fait un peu cinéma américain, un grand blockbuster.
18:36 On est sur quelque chose de très travaillé, notamment au niveau de la lumière.
18:40 Qu'est-ce qui vous a inspiré ? Comment vous vous êtes dit qu'il faut que l'image
18:44 puisse être très réaliste ?
18:48 Plusieurs choses.
18:49 Déjà, moi, je me suis vachement inspiré de documentaires et c'est la source d'inspiration
18:53 numéro une.
18:54 Et souvent, quand je parle d'Assid, je cite "Un pays qui se tient sage", qui est un véritable
18:58 film noir ou un film horrible de David Dufresne.
19:01 Un film incroyable sur les violences policières durant les mouvements gilets jaunes.
19:07 Je cite aussi Stéphane Brisé, "En guerre, la loi du marché".
19:10 Et puis, je cite un cinéma russe qui m'a marqué, notamment L.M.
19:14 Klimov, "Riqueau et me pour un massacre", qui est une des références avec lequel je
19:18 voulais travailler.
19:19 Je suis vraiment aux antipodes du cinéma américain, même si on est biberonné par
19:23 ce cinéma là.
19:24 Je ne peux pas oublier d'évoquer Steven Spielberg et la guerre des mondes ou Alfonso
19:27 Cuaron avec les fils de l'homme.
19:29 Mais pour autant, j'ai eu envie d'une filmographie qui soit capable d'aller jouer sur un autre
19:34 terrain.
19:35 Je l'ai dit tout à l'heure, je n'avais pas les moyens du cinéma américain, mais je devais
19:37 offrir un spectacle aussi puissant qu'un film américain.
19:40 Donc, il fallait disséminer cette ambiance, réussir à la retranscrire de différentes
19:44 façons, que ce soit le travail du son, que ce soit le travail sur l'image.
19:47 Et c'est vrai que sur l'image, on avait une référence qu'un grand photographe américain
19:50 qui s'appelle Saul Leiter, sur ces textures, sur cette espèce de peinture, comme ça,
19:55 sur la pluie, sur de la tôle, sur des matières qui devaient être à l'image et qui devaient
20:01 me permettre petit à petit de créer une nature en noir et blanc.
20:04 C'est-à-dire que tout l'enjeu de mon travail et de la direction artistique qui a été
20:10 employée sur ce film par toutes les équipes de mon film, ça a été de retranscrire cette
20:15 logique du noir et blanc.
20:16 Et on a, à partir de là, tenté de désaturer petit à petit les couleurs, de les abîmer.
20:22 Avec Gwendal Bescon, mon chef décorateur, on a créé une nouvelle nature.
20:25 Je lui ai dit "je veux voir une nouvelle nature à l'image, cet acide doit créer
20:29 quelque chose de nouveau, donc donne-moi ces nouvelles couleurs".
20:32 Et on a tenté de trouver les moyens de retranscrire ce langage sur une nature qui deviendrait
20:36 une nature en noir et blanc, angoissée et poisseuse.
20:40 Vous parliez de Saul Leiter, photographe américain qui a beaucoup photographié New York, notamment.
20:47 Un des pionniers de la photographie en couleur, dont on a d'ailleurs parlé dans l'émission
20:51 il y a quelques jours.
20:52 Il a aussi beaucoup photographié la pluie.
20:56 Comment on photographie de la pluie, de l'eau qui tombe du ciel ? Comment on filme de l'eau
21:01 qui tombe du ciel ? Comment est-ce qu'on plonge le spectateur presque sous cette pluie ?
21:06 C'est très compliqué.
21:07 La pluie au cinéma, c'est vraiment ce qui a de plus compliqué.
21:09 Il y a deux choses qui sont très compliquées, c'est le mouvement et la pluie.
21:12 Pourquoi ? Parce qu'on est dans un environnement technique qui est très lourd et que le mouvement
21:15 nécessite de réussir à retranscrire une technique lourde sur une technique légère
21:20 ou avec des mouvements légers.
21:21 Et la pluie, c'est pareil.
21:23 C'est-à-dire qu'une pluie au cinéma, c'est une pluie très lourde qu'il faut éclairer.
21:26 C'est une pluie qui, techniquement, est très complexe.
21:29 Comment on fait ? Plusieurs moyens.
21:33 On a des moyens lumineux qui nous permettent tout d'un coup de retranscrire cette densité
21:39 à l'image.
21:40 Et puis surtout, on tente d'imaginer des moyens de voir cette pluie tomber.
21:44 Souvent, la voiture a été employée pour moi comme étant une formidable caisse de
21:48 résonance et d'angoisse par rapport à cette pluie qui allait tomber sur un habitacle et
21:52 qui allait ronger petit à petit cet habitacle.
21:55 À partir de là, quand vous avez des supports sur lesquels la pluie tombe, elle est finalement
21:59 active au sens visuel.
22:00 On la voit très bien et en même temps, on l'entend.
22:02 Et moi, je crée un langage sonore avec le spectateur où il entend une pluie qui n'est
22:06 pas une pluie de d'habitude.
22:08 - Alors, on va écouter dans quelques instants une autre archive.
22:14 Là où je voulais vous emmener et c'est là où c'est important, c'est ce film.
22:18 Comment est-ce qu'on le décrit votre film Acide ?
22:21 On a parlé d'un film noir, d'un thriller climatique, d'un film catastrophe.
22:25 Comment est-ce que vous le qualifiez et comment vous donnez aussi envie d'aller le voir ?
22:31 Parce qu'on l'a dit au début de l'émission, c'est un film qui montre les angoisses.
22:35 Est-ce qu'on a envie d'aller au cinéma pour, en quelque sorte, voir les angoisses
22:42 se jeter vers nous ?
22:45 - Pour voir un film que vous ne vouliez pas faire.
22:49 - Oui, quand je dis ne pas vouloir voir...
22:53 En fait, ce que j'aime au cinéma, c'est les émotions fortes.
22:55 Et j'ai des expériences comme ça de films qui m'ont touché, qui m'ont bouleversé.
23:02 Et j'ai fait une rencontre formidable via Arte.
23:05 Hélène Vessières qui s'occupe du programme court-métrage.
23:08 Et elle a toujours une question à la fin quand elle vous rencontre.
23:11 Elle me dit "mais comment vous avez envie que le spectateur sorte de votre salle de cinéma ?"
23:15 Et moi, je lui ai dit spontanément "j'aimerais qu'il ressorte plus fort de cette salle de cinéma".
23:20 Et je crois que c'est ce que je souhaite moi en fabriquant, en essayant de faire du cinéma,
23:23 c'est de le voir sortir plus fort avec une envie d'en découdre.
23:27 Et quand je dis une envie d'en découdre, c'est une envie de voir changer les choses,
23:30 de faire changer les choses, de discuter, de réagir, de parler.
23:34 Avoir besoin de l'autre quelque part pour avancer.
23:37 Et donc j'ai envie de dire qu'effectivement, je propose une expérience de cinéma,
23:41 j'espère pas comme les autres.
23:43 Je la propose dans une salle de cinéma où j'ai l'impression que c'est que dans une salle de cinéma
23:47 qu'on peut profiter de ce film, à travers une expérience, je dirais,
23:53 matinée de cinéma américain mais pas que, biberonnée au documentaire mais pas que,
23:58 capable je pense de parler à tout un public qui aime le frisson, qui aime l'action,
24:03 et qui aime l'amour aussi.
24:05 Et justement, je parlais de mon frère et je crois que c'est très important pour moi de dire que
24:09 j'aime l'autre et que cette histoire quelque part c'est presque le pardon d'une enfant
24:15 qui va devenir adulte avant l'heure et qui va prendre, je l'espère, le contrôle de demain.
24:20 Donc voilà, c'est une histoire d'amour à un moment compliqué où il est encore temps de changer les choses.
24:25 Tout à l'heure, juste Philippot, je sais pas si vous vous souvenez,
24:28 j'ai dit que j'avais deux choses à vous dire, j'en ai dit qu'une en fait.
24:30 C'était celle sur le besoin de l'éducation à l'image, on en a parlé,
24:33 mais vous insistez aussi sur le fait d'être ensemble dans une salle de cinéma.
24:37 Et en quoi c'est important d'être ensemble dans une salle de cinéma ?
24:41 Je vous pose notamment la question parce que moi quand je vais au cinéma,
24:44 j'ai pas l'impression d'être avec quelqu'un, j'ai plutôt l'impression d'être à côté de personnes,
24:47 sans forcément partager quelque chose avec eux, je vais pas débriefer du film après avec eux,
24:51 je vais rentrer chez moi. Qu'est-ce qui est important alors dans la salle de cinéma ?
24:54 Alors moi je crois à un truc, et c'est des expériences que j'ai eues personnellement,
24:58 et je me fais confiance parce que finalement le travail de faire un film,
25:01 c'est aussi d'être intuitivement convaincu, malgré le doute,
25:04 et une espèce d'incapacité de faire les choses de façon cohérente,
25:07 puisque le cinéma c'est 42 jours où l'histoire est morcelée du début à la fin
25:11 pour réussir à rentrer dans les clous.
25:14 Moi je sais que j'ai vécu il n'y a pas très longtemps des osmoses.
25:19 Dans une salle de cinéma ?
25:21 Ouais, dans une salle de cinéma où je sens...
25:23 Comment vous savez qu'il y a une osmose ? Qu'est-ce qui vous fait ressentir ?
25:27 Je ne sais pas, je l'ai senti comme ça, j'ai deux exemples,
25:29 mais pour moi qui ont été des exemples plus ou moins probants.
25:32 À Sidges, quand je présente La Nué, grand festival de cinéma en Espagne,
25:37 je présente La Nué, et le film démarre,
25:40 et Sullyan Brahim, actrice incroyable, apparaît,
25:43 et je sens un choc dans la salle.
25:45 Je ne peux pas le retranscrire comment, je ne sais pas, je me dis "Tiens, il y a un coup de foudre".
25:48 Et là le prix d'interprétation, une petite dizaine de jours plus tard,
25:52 et à Cannes, je sens sur une scène en particulier,
25:55 un truc dans la salle, qui est celui d'un frisson.
25:59 Je ne sais pas, c'est ce que je recherche aussi dans le spectacle vivant.
26:02 Là j'ai vu un spectacle formidable, Place Colette, samedi.
26:06 Je sens une osmose, je ne sais pas comment dire,
26:09 mais je sens une énergie qui est déployée à travers quelque chose de très organique,
26:12 peut-être totalement impossible à définir, mais qui me donne des frissons.
26:16 Et qui ne peut pas se passer tout seul sur son canapé devant une plateforme.
26:20 Moi j'ai pris énormément de plaisir pour certains films,
26:22 mais je crois que c'est avec quelqu'un que je ne connais pas à côté,
26:25 que je ressens quelque chose de plus fort.
26:27 - Même quand il mange du popcorn à côté ?
26:29 - Ah ça sur le popcorn j'ai un peu des soucis.
26:32 - Ou même quand il regarde son téléphone.
26:34 - Là j'ai un petit souci, après j'ai eu la chance de ne pas vivre des expériences traumatisantes
26:38 à côté de gourmands.
26:42 - Quand on parle de film et de cinéma, Juste Philippot,
26:45 on essaie de ne pas te remettre dans les cases,
26:47 mais on parle souvent de vous comme un réalisateur de films de genre.
26:50 Moi je ne comprends pas ce qu'est le film de genre, est-ce que vous pouvez m'éclairer ?
26:54 - Moi non plus, je ne sais pas ce que c'est.
26:56 Moi j'ai l'impression qu'on appelle cinéma de genre en France,
26:58 qu'on appelle cinéma partout dans le monde.
27:00 J'aime bien répondre à ça comme ça,
27:02 parce que vraiment je ne vois pas le principe de pouvoir se mettre des étiquettes
27:05 ou profiter d'étiquettes pour avancer.
27:08 J'ai profité d'outils "genrés" pour faire la nuée et assise,
27:12 c'est-à-dire une caméra en mouvement, des effets visuels, sonores.
27:17 J'ai eu la chance de pouvoir peut-être pousser l'idée de la fabrication d'une histoire
27:21 en dehors des clous dans lesquels on pouvait l'installer.
27:24 Et à partir de là, effectivement, on met des étiquettes.
27:27 Moi je crois qu'il y en a une qui est importante pour moi,
27:30 c'est celle de "L'étrange dans le réel".
27:33 C'est un sujet de mémoire que j'ai eu à la fac et qui représentait un peu ma vie,
27:36 parce que finalement Gildas, mon grand frère, c'était un jeune homme handicapé à 99%.
27:41 Et je me suis toujours demandé ce qui restait dans ce 1%,
27:44 ce qui restait dans le sujet du film qu'on a fait avec mon petit frère Tristan.
27:47 Et à partir de là, je ne peux pas expliquer autrement mon cinéma
27:50 qu'à travers cette relation très étrange et formidable que j'ai eue avec un homme hors normes.
27:57 Jusqu'à 13h30, les midis de culture.
28:01 Nicolas Herbeau, Géraldine Mossna Savoie.
28:05 Tu rigoles, mais les types qui sont déjà à 60 ou 100 km de leur travail,
28:09 c'est pas une rigolade pour eux.
28:11 En attendant qu'on les éjecte un peu plus loin.
28:14 C'est de l'évolution urbaine, c'est inévitable.
28:17 Il faut savoir s'adapter.
28:19 S'adapter, ça signifie quoi ? Ça signifie vivre avec son temps,
28:22 savoir bouger avec la société.
28:24 Comme François.
28:26 Autrefois, c'était autre chose.
28:29 Il ne fallait pas rire avec le progrès social, sinon il se fâchait.
28:32 "Nous sommes au service du monde", etc.
28:35 Voilà ce qu'on entendait à Maison Alfort dans les années 50.
28:39 Puis alors, je ne sais pas ce qui s'est passé, là, tout d'un coup, coup de baillette.
28:42 "Petit Spencer, dis donc."
28:44 Et à la place, une clique toute blanche à l'étoile.
28:47 "Nous sommes au service du monde, mais du beau monde."
28:51 C'est ça, l'évolution urbaine, mon petit garçon.
28:54 Les autres, ils n'ont qu'à s'installer plus loin.
28:56 C'est ça, s'adapter, t'as compris ?
28:58 Je ne vais pas entendre des conneries toute ma vie.
29:01 Recevoir des leçons imbéciles jusqu'à la fin des temps.
29:03 Écouter un écrivain qui n'écrit rien, un boxeur qui ne veut pas boxer.
29:06 Des bonnes femmes qui couchent avec n'importe quoi. Merde !
29:10 Et quand on s'en partit, celui-là qui va rester avec sa dame au sud,
29:14 quel genre de mécanique, qu'est-ce que j'en ai à foutre ?
29:16 - Écoute, François... - Ta gueule, toi !
29:18 Tu m'emmerdes, toi, je t'emmerde !
29:20 Je vous emmerde tous, hein, vous dimanche !
29:23 J'ai pas le chigo à la con ! Merde !
29:25 Vincent, François, Paul et les autres.
29:31 Film de Chloé Le Zetter en 1974, avec cette scène
29:34 où le médecin François, joué par Michel Bicollet,
29:37 perd ses moyens et s'emporte face au discours de l'écrivain Paul,
29:41 joué par Serge Rediany, qui renvoie François à ses idéaux de jeunesse,
29:44 trahis alors qu'ils sont tous établis autour d'un bon vieux gigot, juste Philippot.
29:49 Peut-être que votre façon de faire des films, aussi,
29:52 c'est de s'inspirer de Claude Sautet, dans cette idée que les personnages,
29:55 ils sont en crise, ils sont en conflit, ils ont des choses à prouver,
29:59 et peut-être aussi des choses à se dire ?
30:02 Oui, oui, parce que finalement, j'ai grandi dans une forme de silence.
30:08 Je vous reparlais du handicap de mon frère et de ce 1%.
30:11 Mon frère, c'était le silence, on n'a jamais su ce qu'il avait derrière son regard.
30:15 On n'a même jamais su ce qu'il pouvait voir, ni même entendre.
30:20 Donc on a eu une relation très sensorielle, et c'est vrai qu'on a toujours aimé le silence,
30:30 sauf que je m'aperçois, en vieillissant, qu'on a besoin de parler,
30:35 et que finalement, à travers le silence, je me suis peut-être protégé,
30:37 et qu'aujourd'hui, il est temps de parler, et de parler beaucoup.
30:40 C'est pour ça que je suis très heureux d'être ici et de parler.
30:43 - De parler pendant 40 minutes !
30:44 - Dans votre film "Acide", il y a aussi des conflits entre les personnages,
30:48 des conflits de loyauté en permanence.
30:50 Guillaume Canet, le père, en conflit avec sa fille et sa nouvelle compagne,
30:56 qui est dans le film, la mère, donc Élise, entre son frère et son mari,
31:02 et puis la fille, qui se retrouve là aussi au milieu de ses deux parents.
31:06 On a entendu tout à l'heure dans la bande-annonce, Guillaume Canet dire à sa fille,
31:09 "Maintenant, il faut que tu me fasses confiance."
31:11 Donc on est là, en tiraillé, dans ce personnage tiraillé.
31:14 On parlait d'impuissance au début d'émission.
31:16 C'est complètement paradoxal.
31:18 On est impuissant, et en même temps, il faut qu'on arrive à convaincre
31:22 les personnes qu'on aime, et vous parliez d'amour il y a quelques instants,
31:25 de leur faire confiance.
31:27 - Oui, exactement.
31:29 Et c'est là où tout d'un coup, il y a un pacte qui devient un pacte dangereux pour l'enfant,
31:33 parce que le "fais-moi confiance", ça veut dire tout l'inverse.
31:36 Et c'est ce qui m'intéressait, moi, à travers ce film.
31:38 C'était aussi des relations compliquées.
31:40 Alors, on parle de cinéma.
31:42 Moi, j'ai un film qui est une référence absolue, c'est "Faute d'amour",
31:45 qui est l'histoire de ce couple qui tente de retrouver cet enfant
31:49 qui vient de disparaître, et on voit ses parents se battre
31:52 à travers la disparition d'un enfant, et de voir que cette faute d'amour,
31:56 finalement, elle crée l'innomable.
31:59 Donc j'avais envie d'aller là aussi, moi, pour raconter des relations,
32:02 et d'être honnête sur ces relations.
32:04 Une enfant qui ne va pas bien, avec des parents qui vont encore plus mal.
32:08 Et à partir de là, moi, mon cinéma, c'est de voir à quel point
32:12 les dangers extérieurs sont venus à l'intérieur de la famille,
32:15 et vont la faire littéralement exposer, et à quel point cet enfant
32:19 va comprendre que ses parents sont maintenant des êtres dangereux.
32:23 Donc il y a tout un chemin du personnage qui doit être fait,
32:26 et qui doit se structurer sur des moments comme ça,
32:29 de normalité ou de fausse normalité, teintés, je dirais,
32:33 d'une espèce d'effet de pollution qui va, petit à petit, rendre les rapports impossibles.
32:37 - Il y a ce personnage de Guillaume Canet, qui, dès l'ouverture du film,
32:42 on ne l'a pas dit, mais en fait, lui, il est syndicaliste,
32:45 qui se bat pour les salariés de sa société, et le film s'ouvre avec une séquence
32:50 de combat syndical, filmé au téléphone portable.
32:54 Qu'est-ce que ça dit de ce personnage dès l'ouverture ?
32:57 Qu'est-ce que vous vouliez montrer avec ce personnage-là ?
33:00 - Deux choses. D'abord, je voulais complètement désamorcer les attentes sur ce film,
33:05 c'est-à-dire éviter de partir du principe qu'aller voir un film sur des puits acides
33:09 allait être rigolo. Quand je dis rigolo, c'est prendre juste un plaisir à distance du sujet,
33:14 et une fois de plus, à chaque fois, je dis que j'ai voulu prendre très au sérieux ce sujet-là.
33:18 C'était lui proposer une introduction peut-être pas imaginée, pas anticipée,
33:23 qui soit un effet de miroir, c'est-à-dire que c'est filmé au téléphone portable,
33:27 parce que c'est des images qu'on connaît, qu'on voit, qu'on a vues il n'y a pas très longtemps,
33:31 et qu'on verra de plus en plus, puisque c'est aussi aujourd'hui un outil de communication,
33:35 et de voir à quel point un lien entre cette colère qui explose à l'image,
33:40 et justement le spectateur ou la spectatrice qui lui-même continue de vivre dans une société
33:45 qui explose littéralement maintenant de façon très fréquente, ou de plus en plus répétée.
33:50 Donc ça, c'était la première chose. Et puis la deuxième, je pense que c'était important pour moi,
33:54 de lancer mon personnage à 100 à l'heure, c'est-à-dire de le comprendre très vite,
33:58 de voir cet homme capable de péter un plomb, et finalement de créer presque une bombe à retardement,
34:04 parce qu'on l'a vu faire, on l'a vu littéralement détruire, pulvériser quelqu'un,
34:08 on l'a vu même lui littéralement pulvériser, donc on s'aperçoit que cet homme,
34:13 il est capable d'aller aussi loin que ce geste fou, et à partir de là,
34:17 il y a une promesse que je voulais donner au spectateur, c'était de se dire que cet homme était une bombe à retardement.
34:22 - Quand on a écouté Vincent, François, Paul et les autres, désolé de le dire,
34:27 mais vous avez dit que c'était le film préféré de votre père, c'est pas le vôtre ?
34:30 - Si, mais c'est marrant parce que je n'ai pas reconnu l'archive,
34:34 alors j'ai reconnu Piccoli et Reggiani après coup, mais là j'ai un, comment dirais-je,
34:40 les nuits de non-sommeil avec mes enfants en bas âge ont créé une distance vis-à-vis de ma mémoire.
34:46 Non, il y a un passage en particulier où Depardieu, qui est donc un jeune boxeur, invite Yves Montand à manger,
34:54 et moi quand j'ai invité mon père à manger pour lui dire plein de choses, il m'a évoqué cet archive, ce passage.
35:01 Il a eu la pudeur de me montrer à quel point il était heureux en me parlant de cette séquence,
35:07 qui était pour moi un film qu'on avait vu au Médicist ensemble, donc voilà, c'était un petit clin d'œil du destin.
35:13 - Juste, Philippot, dernière question, vous n'avez pas... - Non, pas la dernière.
35:17 - Si, c'est déjà bientôt la fin, Juste Philippot. - Je vais partir.
35:20 - Vous pourrez rester dans le studio avec nous et discuter ensuite. - Et écouter les pieds sur terre.
35:24 - Écoutez les pieds sur terre. - Génial, je reste.
35:26 - Vous n'avez pas eu le droit de voir des Disney quand vous étiez jeune ? - Ouais.
35:30 - C'est une question qui m'interroge. - Qu'est-ce qu'un Disney ?
35:34 - Non, pourquoi d'abord ? Et est-ce que vous vous êtes rattrapé depuis ?
35:39 - Alors, je me suis rattrapé avec mes enfants, je me suis dit mince, est-ce que j'aurais dû faire comme mon père ou pas ?
35:43 Il s'avère que dans la carrière de mon père, qui a été une carrière difficile, parce qu'il a été distributeur, producteur de cinéma indépendant,
35:49 un travail acharné sur un cinéma qui a besoin de gens passionnés et qui le paye, je dirais, d'une santé ou d'une implication telle
35:59 que parfois j'ai eu l'impression de voir un cinéma qui l'abîmait, plus qu'il le rendait heureux, malgré toute la passion et le signifiant qu'il était.
36:06 Et il a eu la chance, effectivement, de travailler pour Lagomont et de s'occuper de Paul Grimault, notamment,
36:12 et de défendre le cinéma d'animation français. Et il était malade de voir que les salles ou les écoles étaient à distance d'un formidable travail
36:24 de réalisateur et de réalisatrice sur le cinéma d'animation. Et donc, il nous a, je dirais, plus ou moins pas obligé.
36:30 Alors après, on avait trois cassettes vidéo et sur ces trois cassettes, on avait "Le Roi et l'Oiseau".
36:34 Donc, bon, on n'avait pas Netflix à l'époque et on a profité du "Le Roi et l'Oiseau", qui est un film que je connais très bien,
36:38 puisque je l'ai peut-être vu 357 fois. Mais voilà, c'était sa logique aussi pour nous, peut-être nous éloigner d'un cinéma qui trouvait super,
36:48 mais qui trouvait peut-être à distance des vraies raisons d'aimer le cinéma.
36:52 Et il y a un second film que vous connaissez bien, c'est le film "Acide". C'est le vôtre, votre deuxième long métrage qui sort demain en salle,
36:58 avec à l'affiche Guillaume Canet, Laetitia Doche et Patience Mucambache, notamment Juste Philippot.
37:04 Comme c'est la fin de cette émission, je suis désolé de vous la prendre, mais vous devez faire un choix musical entre le soleil ou la pluie ?
37:10 Et bien, je dirais le soleil, parce que j'ai des rouges.
37:14 (Musique)
37:16 Vis sous l'équateur du Brésil, entre Cuba et Manille, à me péter c'est facile, prends-moi la main viens danser.
37:32 J'ai du soleil sur la borde, j'ai dans le cœur un bonbeau, j'ai dans la tête un oiseau, qui te dit tout viens danser.
37:48 Sur les Sunline des Tropiques, l'amour sera contenté.
37:54 Les Sunline des Tropiques, je pense que ça ne mérite pas d'explication.
37:57 Merci beaucoup Juste Philippot d'être venu dans les Midi de Culture.
37:59 Un grand merci aussi à toute l'équipe qui les prépare, Aïssa Twendoï, Anaïs Hisbert, Cyril Marchand, Manon Delassalle, Laura Dutèche-Pérez et Zora Vignet.
38:06 L'émission est réalisée par Nicolas Berger et à la prise de son, ce midi, Jean-Guylain Meij.
38:11 Merci à tous, merci à vous et merci à vous Géraldine Moustassavoua.
38:14 Merci Nicolas, à demain !
38:16 *rire*