La santé mentale, un « problème de blancs » ? Stencia, fondatrice de Beautiful Pendere, veut briser le tabou de la santé mentale dans les communautés afro-descendantes.
Category
🛠️
Style de vieTranscription
00:00 La santé mentale, c'est considéré comme un problème de blancs,
00:03 ou en tout cas un problème d'occidentaux,
00:04 parce que dans nos communautés,
00:06 la douleur et la souffrance sont tellement internalisées,
00:08 on n'a tellement pas l'habitude de dire quand ça ne va pas,
00:10 que le fait de le dire représente une forme de vulnérabilité.
00:13 Je m'appelle Stencia, j'ai 29 ans,
00:18 je suis danseuse professionnelle,
00:19 je suis aussi co-fondatrice de la P3
00:21 et fondatrice du média Beautiful Pendere.
00:23 On remarque, provenant d'une famille africaine,
00:26 et je pense que ça, ça a répandu dans toutes les familles africaines,
00:28 en tout cas dans beaucoup,
00:29 que c'est un réel tabou de dire qu'on va mal.
00:32 Ça représente en tout cas un tabou et une difficulté
00:34 que de s'ouvrir et de dire qu'on ne va pas bien,
00:36 parce que c'est quelque chose qui est internalisé dans nos communautés.
00:39 On a l'habitude, nos arrière-grands-parents ont eu l'habitude de faire ça,
00:42 nos grands-parents aussi, nos parents aussi,
00:44 et du coup, nous, par extension,
00:45 on va avoir du mal à se parler, à dire les choses,
00:48 à dire qu'on ne va pas bien, à assumer qu'on ne va pas bien,
00:50 et à accepter aussi qu'on peut parfois être triste, ou plus.
00:53 Le silence a un poids considérable,
00:56 parce que du coup, il nous oblige à faire preuve de résilience,
00:59 constamment, face à toutes les choses difficiles qu'on peut expérimenter,
01:02 et à normaliser les événements les plus traumatisants.
01:06 C'est ça, je pense, le plus difficile,
01:07 et c'est pour ça qu'aujourd'hui, c'est important de parler,
01:09 d'ouvrir la voie, d'aller en thérapie,
01:11 de dire qu'on va en thérapie, et de s'éduquer aussi autour de ça,
01:14 parce que ce n'est pas normal, ce qu'on vit,
01:16 ce n'est pas normal la misogynie noire qu'on va vivre,
01:18 ce n'est pas normal le racisme qu'on va expérimenter au quotidien,
01:21 et toute la microagression qui l'accompagne.
01:22 Je pense que ça a un poids tellement lourd,
01:25 pendant longtemps, ça nous a obligés à nous taire
01:28 face aux choses les plus difficiles,
01:29 et ce n'est pas normal.
01:31 Je pense que la santé mentale,
01:32 c'est considéré comme un problème de blancs,
01:34 ou en tout cas un problème d'occidentaux,
01:36 parce que dans nos communautés,
01:38 la douleur et la souffrance sont tellement internalisées,
01:40 on n'a tellement pas l'habitude de dire quand ça ne va pas,
01:42 que le fait de le dire représente une forme de vulnérabilité.
01:45 Dire qu'on va mal, c'est être faible,
01:47 en tout cas, ça peut être perçu comme de la faiblesse.
01:49 Les personnes blanches ont plus de facilité à s'exprimer,
01:52 parce que dans l'histoire et dans la manière dont les choses se sont passées,
01:55 dans le système, c'est normal en fait.
01:57 C'est complètement anodin que d'aller chez une psychologue ou un psychologue,
02:01 c'est complètement normal de dire qu'on ne va pas bien,
02:03 c'est normal d'exprimer ses sentiments,
02:04 qu'ils soient positifs ou négatifs,
02:05 chose qui est un peu moins fréquente,
02:08 en tout cas dans les communautés afrodescendantes,
02:10 on va beaucoup exprimer la joie,
02:11 c'est une notion qu'on exprime énormément.
02:13 On remarque que le deuil,
02:14 ce n'est pas quelque chose qu'on va exprimer.
02:16 On va pleurer, mais on va se donner un certain temps
02:18 pour pleurer les personnes qu'on perd.
02:20 La tristesse, pareil,
02:22 ce n'est pas bien d'être triste.
02:23 Ce cliché autour de la femme noire forte,
02:25 à la fin, il nous dessert,
02:26 parce que oui, bien sûr, on est des femmes fortes,
02:28 et ça, c'est indéniable,
02:29 mais je pense que le problème,
02:31 il est surtout lié à la représentation.
02:33 Si on ne nous représente que de cette façon-là,
02:35 c'est problématique,
02:36 parce qu'on peut aussi faire preuve de vulnérabilité,
02:38 et on a le droit.
02:39 On peut aussi parfois ne pas aller bien.
02:41 Et on a aussi besoin d'être entouré
02:44 et de se sentir porté aussi,
02:46 soutenu, voulu, désiré,
02:48 peu importe.
02:49 J'ai moi-même vécu une dépression,
02:51 et ça a été, je pense, l'événement le plus difficile,
02:55 mais à la fois le plus formateur de toute ma vie.
02:57 Ça a été un moment difficile,
02:58 parce que c'était une période où je travaillais énormément,
03:00 étant danseuse, donc du coup,
03:01 quand tu dois utiliser ton corps,
03:03 et en même temps, ton esprit ne va pas bien,
03:05 et tu es au bout de ta vie,
03:06 c'est très difficile.
03:07 Ça m'a menée à un burn-out à la fin.
03:09 Mais tout va bien aujourd'hui, ne vous inquiétez pas.
03:11 Je n'ai jamais consulté de psy noir,
03:12 mais je pense que c'est quelque chose qui est essentiel et important.
03:15 J'ai eu la chance d'avoir une thérapeute
03:17 qui était complètement déconstruite,
03:19 avec laquelle je ne me suis pas sentie mal.
03:21 Je pense quand même que c'est important
03:23 d'être face à quelqu'un qui va comprendre
03:25 nos intersectionnalités,
03:26 qui va comprendre ce parcours qu'on va être traversé,
03:28 à qui on ne va pas avoir besoin d'expliquer,
03:30 et avec qui ça va être simple.
03:31 Et ça ne représente en tout cas une charge mentale
03:33 que de devoir déconstruire quelqu'un
03:35 qui, normalement, est là pour nous aider.
03:36 Dès lors qu'on est face à un thérapeute
03:38 qui a des idées reçues,
03:39 c'est perçu comme une microagression.
03:41 C'est très difficile, parce qu'on se dit
03:42 "En fait, non seulement la personne ne me voit pas,
03:45 mais en plus de ça, elle ne me comprend pas."
03:46 Beautiful Pendegue, c'est un média que j'ai lancé
03:48 il y a maintenant deux ans, je crois.
03:51 Deux ans, bientôt trois.
03:52 Pendant le confinement,
03:53 je me posais des questions sur les problématiques
03:56 qu'on vit en tant que personnes racisées.
03:58 Depuis avril, j'ai lancé ma saison 3
04:00 sur la santé mentale,
04:01 parce que j'estimais que c'était important d'en parler,
04:03 et notamment la santé mentale
04:04 au sein des communautés afrodescendantes,
04:06 parce qu'on n'en parle pas assez,
04:07 et parce que c'est quelque chose
04:08 qui est hyper tabou chez nous.
04:10 Si je rencontrais quelqu'un,
04:13 une personne noire,
04:14 qui est en train de traverser un épisode dépressif
04:16 dans sa vie,
04:17 sache que ça va aller.
04:18 Je sais que c'est quelque chose qu'on te dit souvent,
04:20 mais ça va aller.
04:21 Il faut impérativement s'entourer de gens
04:23 qui nous font du bien,
04:24 avec lesquels on sent
04:26 qu'on n'a pas besoin de s'excuser.
04:27 Ça prendra le temps que ça prendra,
04:28 mais sois doux, douce avec toi,
04:30 et ça va aller, quoi.
04:31 [SILENCE]