La dépression c’est « un truc de blancs » ? Allez chez le psy peut aussi être une expérience raciste ? Stencia est la fondatrice de Beautiful Pendere, une safe place qui permet aux personnes racisées et queer de s’exprimer librement. Elle déconstruit les représentations sur la santé mentale des personnes racisées et nous raconte comment elle a vécu sa dépression.
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00:00 La dépression, c'est un truc de blanc.
00:02 Alors, ça, déjà, faux et complètement faux.
00:05 Je crois que c'est une croyance limitante
00:07 qu'on a dans nos communautés afro-descendantes,
00:10 et c'est assez triste, ce truc de se dire, en fait,
00:12 que la dépression, la santé mentale,
00:14 aller mal, tout simplement,
00:15 c'est quelque chose qui est réservé aux personnes blanches,
00:18 parce qu'on n'a pas eu l'habitude de parler,
00:21 on n'a pas eu l'habitude de dire quand ça va pas,
00:22 on n'a pas eu l'habitude d'exprimer, tout simplement,
00:25 nos sentiments, qu'ils soient positifs comme négatifs.
00:28 Les positifs, on les exprime assez facilement,
00:30 mais les négatifs, ça a toujours du mal
00:31 et on doit toujours faire preuve de résilience.
00:33 Et quand on regarde notre histoire aussi en tant que personne afro-descendante,
00:35 on regarde que nos parents, nos grands-parents
00:37 ont vécu des choses extrêmement traumatisantes,
00:40 mais ont toujours été obligés de passer, d'aller de l'avant,
00:43 de faire preuve de résilience, justement,
00:45 et de dire, "Nous, on n'en parle pas,
00:47 et comme on n'en parle pas, ça existe pas."
00:49 Et c'est ça qui est problématique.
00:50 Aujourd'hui, je pense qu'on arrive à une ère,
00:53 notamment grâce aux personnes de notre génération
00:55 où, en fait, on n'en peut plus,
00:57 parce qu'en fait, on est traumatisés, on est mal et on a besoin de parler.
01:01 Les femmes noires sont fortes.
01:03 Alors ça aussi, c'est un postulat qui est complètement faux
01:06 et dont on subit les conséquences en tant que femmes noires dès notre enfance.
01:10 On s'attend d'une femme noire qu'elle soit plus forte que les autres,
01:14 parce que c'est une réalité, on doit se battre plus que les autres,
01:17 parce qu'on est une femme noire, tout simplement.
01:19 Et quand on regarde même nos mamans, on voit combien elles ont porté,
01:21 combien elles ont vécu des choses extrêmement difficiles,
01:23 mais combien elles doivent toujours se lever et faire bonne figure
01:27 et du coup, c'est une charge mentale qui est assez considérable
01:29 et qui est juste impossible.
01:31 Et aujourd'hui, on n'en peut plus, on n'y arrive plus,
01:33 parce que nous, on a le droit aussi d'être vulnérables,
01:35 on a le droit de ne pas être forte tout le temps
01:37 et on ne peut pas l'être tout le temps.
01:38 Dans la représentation de la femme noire,
01:40 on est souvent et constamment représentés
01:43 comme des femmes ne pouvant pas être faibles.
01:46 On ne veut pas voir Beyoncé au bout de sa vie,
01:48 qu'elle a enchaîné un mois de tournée et qu'elle en a marre, en fait.
01:51 Elle a mal, elle a mal au dos, elle aussi, tu vois.
01:53 On ne veut pas se la représenter comme ça, ça n'existe pas dans notre imaginaire.
01:56 Pourquoi est-ce que ça existerait pour les femmes lambda,
01:59 pour les femmes noires de tous les jours, en fait ?
02:01 Dès lors qu'on commencera à montrer la réalité,
02:04 oui, on est forte, mais on n'est pas que ça,
02:06 je pense que ça changera beaucoup de choses.
02:08 Aller chez le psy peut aussi être une expérience raciste et pas peu safe.
02:12 Dès lors que tu tombes sur un thérapeute ou une thérapeute qui n'est pas racisée,
02:17 tu t'exposes au risque d'être face à quelqu'un qui ne te comprendra pas,
02:20 parce que vous n'avez pas les mêmes intersectionnalités
02:23 et que cette personne-là n'est pas forcément renseignée, déconstruite.
02:26 Et ne veut pas faire ce travail-là de comprendre
02:28 ce par quoi tu passes, toi, en tant que personne racisée.
02:31 Et donc c'est vrai que l'expérience, elle peut être traumatisante
02:33 et tu peux complètement vivre une expérience raciste,
02:37 pleine de préjugés, homophobe, transphobe, peu importe, face à un thérapeute.
02:42 Si aujourd'hui, il y a de plus en plus de personnes qui vont consulter
02:45 des thérapeutes qui sont soit racisés, soit queer-friendly,
02:49 soit muslim-friendly, etc.,
02:51 c'est justement pour ne pas avoir à expliquer,
02:53 pour ne pas avoir à faire ce travail de déconstruction
02:55 alors qu'on vient de base consulter parce qu'on va mal.
02:57 Ça permet, en fait, quand tu viens consulter,
02:59 de te sentir complètement existée et de te sentir comprise,
03:03 de sentir aussi que ta souffrance, elle est légitime,
03:06 et surtout de ne pas avoir à expliquer,
03:08 parce que je pense que c'est ça, le plus difficile, finalement,
03:11 c'est de devoir expliquer pourquoi, en tant que personne noire, par exemple,
03:15 je souffre du racisme à une personne blanche.
03:17 J'ai moi-même traversé une dépression qui a été assez longue
03:21 et très intense sur la fin, sur la dernière année notamment,
03:24 pendant l'année 2022, now you know.
03:27 Ça a été l'une des épreuves les plus difficiles de ma vie,
03:30 mais qui m'a le plus servie, finalement,
03:32 parce qu'en sortant de ça,
03:34 je me suis promis de transformer tout ce traumatisme
03:38 et toute cette expérience qui, finalement, m'a foutue en l'air
03:42 en quelque chose de positif et de lumineux pour moi et pour les autres.
03:45 Alors, j'ai lancé Beautiful Pandéry il y a deux ans,
03:50 et quand j'ai lancé Beautiful Pandéry sur Instagram,
03:52 j'avais envie de donner la parole aux personnes racisées,
03:55 aux personnes de ma communauté, donc aux personnes queers,
03:59 à qui on ne donne pas la parole
04:01 et qui allaient parler de leur expérience avec la beauté,
04:06 mais pas que, parce que, finalement, de la beauté découle la vie,
04:08 découle l'estime qu'on a de soi-même,
04:10 découle ce qu'on estime bon ou pas pour soi
04:13 et ce à quoi on aspire ou ce à quoi on ne pense ne pas aspirer,
04:17 parce que c'est ça, finalement, les limites.
04:19 C'est-à-dire qu'en grandissant, si on dit "t'es pas beau",
04:21 ça veut dire que t'es pas capable de ci, t'es pas capable de ça,
04:23 donc après, ça te met énormément de barrières.
04:25 Et après, tout récemment, j'ai lancé la saison 3
04:27 sur la santé mentale et sur la dépression, "parlons-en",
04:30 et je pense qu'il faut qu'on crée plus d'espaces safe comme ceux-là
04:33 pour pouvoir parler de ces sujets-là.
04:35 -Konbini !
04:38 ...