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Interview confession de personnalités politiques et médiatiques sur des sujets environnementaux

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00:00 [Musique]
00:20 [Sonnerie de porte]
00:25 - Bonjour Christian.
00:26 - Bonjour Edouard, comment allez-vous ?
00:27 - Ça va et vous ?
00:28 - Ah super !
00:29 - Christian Gaullier, économiste belge et directeur général de Toulouse School of Economics.
00:33 Il a participé au 4e et 5e rapport du GIEC,
00:36 groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat,
00:39 auteur de nombreux articles et livres sur le risque et l'analyse coûts-bénéfices.
00:43 Ses travaux visent à concilier économie et écologie
00:46 en évaluant les risques sur les coûts et les bénéfices des politiques environnementales.
00:50 Son travail et son engagement font de lui une source d'inspiration
00:53 pour les chercheurs, les décideurs politiques et la société dans son ensemble.
00:56 Bienvenue dans le Déclic !
00:58 - Christian, quel a été votre déclic en écologie ?
01:02 - Ouf, difficile à répondre à cette question.
01:04 Deux choses.
01:05 Quand j'étais petit, mon grand-père était abonné au Radio Digeste
01:08 et je me souviens, il m'avait acheté un atlas
01:10 et dans cet atlas, il parlait du rapport du Club de Rome
01:14 et des courbes exponentielles, la population, l'épuisement des ressources.
01:19 Ça m'avait pas mal marqué.
01:21 J'avais 12-13 ans et puis beaucoup plus tard en fait,
01:24 moi je suis un spécialiste d'économie d'indécision,
01:26 théorie d'indécision, comment on prend des décisions en incertitude.
01:29 - On y reviendra un petit peu.
01:31 - Et effectivement, très rapidement, j'ai réalisé que le sujet climatique
01:34 était un superbe domaine de jeu en quelque sorte
01:37 sur les problèmes de décision en incertitude
01:39 parce que l'incertitude sur la transition,
01:41 sur les coûts de la transition, sur les dommages si on ne fait rien
01:44 sont absolument gigantesques et devraient déterminer beaucoup
01:47 de ce qu'on devrait faire face à cette incertitude.
01:51 - Donc on va faire un petit tour d'horizon, Christian,
01:53 si vous en êtes d'accord avec 4-5 questions.
01:56 Enfant, qu'est-ce que vous rêviez de devenir ?
02:00 - Un ingénieur. Je voulais devenir ingénieur.
02:05 Mon père m'avait beaucoup intéressé, très jeune,
02:08 lui-même était un actuaire en Belgique
02:10 et il s'intéressait aux problématiques de soutenabilité
02:13 du système de retraite par répartition dans ce pays-là.
02:16 Et donc, j'avais une sensibilité aux problématiques de long terme
02:20 et je voyais bien qu'il y avait des sujets sur ingénierie,
02:25 technologie, sauver l'humanité.
02:29 Donc voilà, cette combinaison des choses m'avait laissé penser
02:33 que j'avais envie de travailler dans ces problématiques de soutenabilité.
02:38 - Est-ce que vous vous souvenez de votre premier geste écologique ?
02:41 - Celui qui est le plus déterminant, c'est celui que j'ai fait le plus récemment.
02:45 J'ai abandonné ma voiture et j'utilise mon vélo électrique
02:48 pour aller au bureau, ça me fait 40 km aller-retour.
02:51 Ça c'est vraiment quelque chose.
02:53 - D'accord. Est-ce qu'à contrario, vous avez un péché ?
02:56 - J'habite Toulouse, je dois souvent venir à Paris
02:59 et le plus simple pour moi, c'est, pour garder une vie de famille encore à Toulouse,
03:03 c'est de prendre l'avion. Donc c'est un gros péché.
03:06 Il n'y a pas encore de TGV à Toulouse,
03:09 donc pour mettre beaucoup de temps pour faire l'aller-retour d'un journée,
03:12 Paris-Toulouse, Toulouse-Paris, pardon, c'est compliqué.
03:15 Mais je vois bien que c'est un problème.
03:20 Et puis je dois aussi parfois pour mon métier aller aux États-Unis
03:23 et là il n'y a pas tant de solutions, ces avions,
03:26 même si le développement des vidéoconférences...
03:31 - ...lui permet de réduire les déplacements. - Voilà.
03:34 - Est-ce qu'il y a une loi, une invention,
03:37 quelque chose dont vous seriez le père aujourd'hui,
03:40 qui vous a marqué en écologie ?
03:42 - Écoutez, moi j'ai beaucoup travaillé avec beaucoup de gouvernements
03:45 à travers le monde pour essayer que ces gouvernements,
03:48 quand ils évaluent leur politique publique,
03:50 tiennent mieux en compte les dimensions à très long terme de leur politique.
03:55 Et donc j'ai réussi en France, en particulier en 2011,
03:58 dans un rapport que j'ai remis au Premier ministre à l'époque,
04:01 de faire baisser, c'est un peu technique,
04:04 de faire baisser le taux d'actualisation,
04:06 qui est l'intensité à laquelle on pénalise
04:09 les bénéfices de nos actions présentes,
04:12 parce que ces bénéfices se matérialisent dans un temps très long.
04:15 Et donc, en fait, le résultat, c'est qu'aujourd'hui,
04:19 grâce à mon rapport, et puis de notre collègue
04:22 qui a contribué à la rédaction de ce rapport,
04:24 dont j'ai présidé la rédaction,
04:26 aujourd'hui en France, on tient beaucoup plus en compte
04:29 le très long terme des décisions politiques
04:32 que ce qu'on faisait il y a 15 ans, 20 ans.
04:34 En France, en Grande-Bretagne, aux États-Unis,
04:37 en Norvège, aux Pays-Bas, j'ai pas mal interagi
04:40 avec les décideurs publics pour conduire
04:43 à ce qu'opérationnellement, dans les évaluations
04:46 des politiques publiques, on tienne mieux en compte
04:48 le très long terme. Et c'est en train de,
04:50 en particulier aux États-Unis, jusqu'à récemment,
04:52 le taux d'actualisation était à 7%,
04:54 ils proposent de le baisser à 1,7% dans encore quelques jours
04:56 pour remettre des commentaires au niveau de la Maison-Blanche
05:00 pour que cette opération soit validée.
05:02 Donc je travaille pas mal.
05:04 - Est-ce qu'il y a un accomplissement dans votre carrière,
05:07 un moment dont vous êtes particulièrement fier ?
05:10 - Oh, beaucoup de choses, beaucoup de choses,
05:13 parce que j'ai eu la chance d'avoir une carrière,
05:16 jusqu'à maintenant, je l'ai pas fini,
05:18 très diversifiée, j'ai à la fois des résultats scientifiques
05:24 qui sont, par mes indices de citations,
05:28 par mes publications, bien reconnus,
05:30 avec des papiers qui ont beaucoup de visibilité,
05:33 qui ont été utiles, notamment pour ce que je viens de vous dire,
05:36 le sujet des dévaluations des politiques publiques
05:39 ayant une dimension de soutenabilité,
05:42 mais aussi ça, voyez, en fait, ce qui est intéressant dans ma carrière,
05:46 c'est que je couvre l'ensemble de l'éventail
05:48 de la Tour d'Ivoire la plus pure,
05:50 avec des modèles mathématiques hyper sophistiqués,
05:52 imbitables, que je ne vous raconterai pas,
05:54 et en même temps que je rencontre des grands chefs d'entreprise
05:57 et des décideurs politiques
05:59 pour concrètement faire en sorte qu'aujourd'hui,
06:04 notre société, les individus, les entreprises,
06:08 les décideurs publics, intègrent dans leur processus de décision
06:12 la dimension à très long terme.
06:14 – Et justement, Christian, tout de suite,
06:16 quelles sont les urgences à traiter ?
06:18 Est-ce que vous pourriez en définir trois ?
06:20 – Non, il y en a…
06:22 Écoutez, moi, mon domaine de spécialité aujourd'hui,
06:24 depuis 20 ans, c'est le problème du changement climatique,
06:27 donc, et clairement, c'est imponcif maintenant,
06:30 on en parle tous les jours dans la presse,
06:32 c'est effectivement, depuis 30 ans, on sait
06:36 qu'émettre du CO2 va engendrer des tas de problèmes
06:40 pour le général futur, ça fait 30 ans qu'on le sait,
06:43 certains disent depuis 50 ans,
06:45 mais depuis 30 ans, c'est les conférences de Rio 1992,
06:49 où au niveau politique mondial, il y a une prise de conscience,
06:53 il y a une affirmation d'une volonté de faire quelque chose,
06:56 et vous savez quoi ?
06:58 En 30 ans, on a augmenté de 50% l'émission mondiale de CO2,
07:03 on aurait dû appuyer sur un pédale de frein dès ce moment-là,
07:06 et en fait, on a appuyé sur un pédale de frein.
07:09 – Est-ce que c'est lié à l'augmentation de la population au niveau mondial ?
07:12 – Certainement, c'est aussi le fait que vous avez,
07:15 depuis maintenant une bonne vingtaine d'années,
07:19 un milliard, je ne sais plus combien maintenant,
07:23 de Chinois qui sont sortis d'une pauvreté terrible
07:27 et qui sont dans un chemin de prospérité extraordinaire,
07:29 et aujourd'hui, on ne sait pas encore découpler
07:34 la problématique de prospérité de la problématique de réduction de l'émission de CO2.
07:38 Donc oui, je ne vous ai donné qu'un seul péril,
07:42 il y en a beaucoup d'autres,
07:44 mais je vous donne par exemple la biodiversité,
07:48 la biodiversité aujourd'hui, c'est un sujet extraordinaire,
07:51 perdre des insectes, perdre des oiseaux,
07:55 nous sommes assis sur une pyramide de biodiversité
07:59 sur laquelle notre vie dépend,
08:02 et on l'a depuis un certain nombre d'années,
08:05 par les pesticides, par nos modes de vie,
08:08 par nos modes de production,
08:10 on a atteint ces équilibres des écosystèmes
08:13 qui font que demain, on ne sait pas de quoi sera fait l'environnement.
08:19 Nous sommes dans un monde extrêmement fragile,
08:22 donc c'est une autre dimension,
08:23 c'est beaucoup plus compliqué que le changement climatique,
08:25 parce que le changement climatique, on sait mesurer
08:28 la quantité de CO2 émis, de méthane, etc.
08:31 Mais la biodiversité, comment vous mesurez la perte de biodiversité,
08:34 et comment vous mesurez l'impact de cette perte de biodiversité sur le bien-être ?
08:39 – Mais quand on fait ce constat,
08:41 est-ce que vous comprenez la radicalité, quelque part,
08:44 des jeunes générations aujourd'hui, des étudiants ?
08:47 – Oui, non, non, ils ont raison.
08:49 Ma génération en particulier porte une lourde responsabilité,
08:53 et nous avons émis, ma génération a émis,
08:55 la période de vie de ma génération depuis ma naissance jusqu'à aujourd'hui,
08:59 on a émis l'essentiel du CO2,
09:01 l'augmentation du CO2 contenu dans l'atmosphère,
09:03 c'est essentiellement depuis les années 60
09:06 que l'accélération s'est faite,
09:08 donc la responsabilité est sévère.
09:10 On vit dans une société qui est effectivement,
09:14 qui est devenue extrêmement tendue socialement,
09:17 parce qu'autant on a un consensus sur le fait
09:19 que nous avons une responsabilité, nous, les êtres humains,
09:23 sur nos émissions, sur nos changements climatiques,
09:26 mais en même temps, nous n'avons aucun consensus,
09:29 il n'y a absolument aucun consensus sur comment faire pour transformer la société,
09:34 pour faire en sorte que cette société soit capable
09:36 de répondre à ses responsabilités.
09:38 – Alors justement, quand on a des étudiants qui refusent d'aller travailler
09:42 chez Areva, chez EDF, chez Engie,
09:44 qu'est-ce qu'on peut faire pour que justement nos sociétés
09:48 continuent à trouver des jeunes avec des têtes bien formées ?
09:51 Comment on peut pallier cette problématique ?
09:53 – Alors, du gaz naturel, du pétrole,
09:56 on va en avoir besoin encore pendant quelques années,
10:00 disons une vingtaine d'années,
10:02 donc on a, voyez bien, on ne peut pas aujourd'hui
10:05 décider de ne plus consommer de pétrole
10:07 et de ne plus consommer de gaz naturel,
10:09 vous voyez bien ce qui s'est passé en 2022 avec la crise énergétique,
10:12 on réduit un petit peu le gaz naturel en Europe,
10:15 pouf, les prix du gaz naturel ont multiplié par 10,
10:18 donc les gens ont besoin de gaz naturel,
10:20 et ça s'est bien exprimé lors de cette crise,
10:23 qui n'est d'ailleurs pas finie,
10:25 donc on ne peut pas dire non plus, on arrête tout tout de suite,
10:30 il y a un chemin, il y a un chemin qui est compliqué,
10:33 il y a un chemin incertain,
10:35 parce qu'aujourd'hui, on ne sait pas si on va pouvoir stocker l'électricité
10:39 quand on n'a pas de soleil ou pas de vent,
10:43 et qu'on a un mix électrique 100% renouvelable,
10:46 on ne sait pas comment on va remplacer les avions,
10:49 je viens de Toulouse, les avions qui consomment de la kérosène
10:52 qui représente 4-5% d'émissions mondiales de CO2,
10:55 comment est-ce qu'on pourra en avoir ?
10:56 - Immédiatement, on n'a pas de solution ?
10:58 - Il faut au contraire, il faut investir dans la technologie,
11:02 il faut que ces ingénieurs sortis de nos grandes écoles
11:05 rentrent dans les laboratoires de recherche
11:08 qui cherchent les solutions pour la transition énergétique.
11:11 - Mais justement, vous dites qu'il ne faut pas empêcher
11:13 les financements dans les énergies fossiles,
11:16 est-ce qu'aujourd'hui, c'est quelque chose pour vous
11:19 qui est immédiatement inévitable ?
11:21 - Je veux dire, à nouveau, l'illustration 2022 est nette,
11:25 dire on va tout simplement, on ne va rien demander aux consommateurs,
11:29 on va juste demander aux compagnies pétrolières de réduire leur offre,
11:32 ça donne la crise de 2022.
11:35 La crise de 2022, on ne se l'est pas imposée à nous-mêmes,
11:38 c'est la guerre en Ukraine qui se l'est imposée.
11:40 Est-ce qu'on a envie de s'imposer à nous-mêmes
11:43 cette crise énergétique supplémentaire ?
11:45 Avec comme résultat, regardez les profits des compagnies pétrolières en 2022,
11:51 ils sont faramineux !
11:53 La baisse de l'offre fait monter les prix de l'énergie
11:58 et permet aux actionnaires des compagnies pétrolières
12:01 de s'en mettre plein la poche.
12:02 - Mais justement, dans la mesure où ces profits sont très importants,
12:05 est-ce qu'on ne peut pas imposer à ces compagnies
12:07 d'accélérer la recherche pour travailler demain sur de nouvelles énergies ?
12:11 - Je pense que Total Energy, ENGIE, BP, Shell et quelques autres,
12:18 sont bien conscientes que si elles ne se transforment pas
12:22 dans les 20 prochaines années, elles n'existeront plus.
12:24 - Mais est-ce qu'elles le font suffisamment d'après vous ?
12:26 - En 2030, l'objectif européen, c'est -55% des émissions par rapport à 1990.
12:33 On a fait grosso modo 25%.
12:35 - Et vous pensez qu'on va y arriver ?
12:37 - En 30 ans, il nous reste à faire en 7 ans,
12:39 la même distance, en plus de la même distance, en seulement 7 ans.
12:43 Donc c'est super chaud, c'est le cas de le dire.
12:47 Et les compagnies pétrolières vont perdre beaucoup
12:50 si en même temps elles n'investissent pas dans les énergies renouvelables.
12:53 Ce qu'elles font, Total Energy est un leader mondial
12:56 de l'investissement dans les énergies vertes.
12:58 - La taxe carbone, Christian, pour venir sur ce sujet,
13:02 vous proposiez justement de la multiplier par 3.
13:05 - Quand vous émettez du CO2, parce que vous prenez votre voiture,
13:07 parce que vous partez en vacances, ou parce que vous prenez l'avion,
13:09 ou parce que vous allez à un boulot, à une conférence de l'autre côté de la planète,
13:13 vous allez avoir des coûts et des bénéfices,
13:17 vous payez votre billet, vous payez votre essence,
13:20 vous vous transportez à une vitesse plus rapide
13:23 que si vous utilisiez des transports en commun, pour le cas de la voiture.
13:26 Donc il y a des coûts et des bénéfices privés.
13:28 Mais il y a aussi un sacrifice public qui est
13:32 tous les dommages engendrés par le CO2 que vous allez émettre.
13:35 Et ça, les gens ne sont pas incités à intégrer dans leurs décisions
13:39 ce dommage à autrui engendré par ces comportements de pollution.
13:44 L'idée, c'est de faire en sorte que les gens intègrent cette dimension
13:48 dans leurs décisions, et la meilleure façon de faire intégrer cette dimension,
13:51 c'est de les faire payer pour les dommages qu'ils engendrent.
13:54 Application du principe pollueur-payeur.
13:57 Ni plus ni moins.
13:59 En intégrant ce coût des dommages,
14:02 vous allez nécessairement inciter les gens à polluer moins,
14:06 à utiliser moins le transport aérien,
14:09 d'utiliser leur vélo quand ils peuvent,
14:11 plutôt que la voiture, etc.
14:13 Et il vaut bien se rendre compte, et ça, les Français n'ont pas vraiment en tête,
14:17 les prix influencent nos comportements,
14:19 les prix influencent nos modes de vie,
14:21 les prix influencent nos modes de production.
14:23 Je vais vous donner juste un exemple.
14:25 Aux États-Unis, l'essence à la pompe, depuis 30 ans,
14:29 coûte deux fois moins cher qu'en Europe.
14:31 Regardez la différence.
14:32 Aux États-Unis, les voitures sont des grosses SUV,
14:36 des voitures beaucoup plus lourdes,
14:38 beaucoup moins efficaces énergétiquement par rapport à l'Europe.
14:43 C'est parce qu'aux États-Unis, ça ne coûte rien d'énergie.
14:46 J'étais encore, il y a trois semaines, à Chicago.
14:49 Vous avez des terrasses ouvertes à tous les vents,
14:52 avec des chaufferettes qui émettent des vaporations immédiates de la chaleur.
14:56 Ça n'a aucun sens, mais parce que l'énergie est beaucoup moins chère.
14:59 Donc, les prix influencent nos comportements.
15:02 Et donc, l'idée, c'est d'agir sur les prix pour que nos comportements s'adaptent.
15:07 - Pour que nos comportements les fassent évoluer.
15:08 En mars dernier, le GIEC a sorti un sixième rapport
15:11 que vous avez qualifié d'indigent.
15:14 C'est un peu fort.
15:16 Et surtout, est-ce qu'un expert du GIEC peut lui-même critiquer le GIEC ?
15:21 - Oui, je suis un scientifique, donc je critique tout ce que je veux,
15:24 même mes propres papiers.
15:26 Je n'ai pas de soucis là-dessus.
15:28 La science évolue, les connaissances progressent.
15:31 Et ce qui était une vérité scientifique il y a dix ans,
15:35 on n'est plus nécessairement...
15:36 Aujourd'hui, je ne critique absolument pas.
15:38 - Mais qu'est-ce que vous qualifiez d'indigent ?
15:40 - Ce qui est problématique avec le GIEC, qui a une énorme utilité,
15:44 c'est d'agréger des informations à un moment donné
15:47 et la transmettre aux politiques.
15:50 Ce qui me pose problème dans le GIEC,
15:52 j'ai été l'idôteur des quatrièmes et cinquièmes rapports,
15:55 mais j'ai refusé de participer aux sixièmes rapports,
15:58 parce que d'abord, ça prend un temps énorme
16:01 de participer à ces réunions pendant six, sept ans.
16:05 Mais surtout, le GIEC a une volonté,
16:08 c'est une institution qui est émane des Nations Unies,
16:12 et les Nations Unies ont obligé cette institution scientifique
16:16 à ne pas être prescriptive, c'est-à-dire
16:18 à ne pas donner des recommandations de politique de transition.
16:23 Et ça, moi, en tant qu'économiste, Edouard, ça me...
16:28 - Oui, ça me montre un peu...
16:29 - En tant qu'économiste, je regarde les problématiques
16:33 et avec nos modèles économiques, on fait des prescriptions.
16:36 - Est-ce que vous pouvez comprendre qu'aujourd'hui,
16:38 on ne s'y retrouve plus, on ne sait plus qui écouter, qui croire ?
16:41 - Oui, tout à fait, mais c'est ce que je disais tout à l'heure,
16:43 il n'y a pas de consensus sur la façon d'agir,
16:45 il y a un consensus sur le problème,
16:47 il y a zéro consensus sur la façon d'agir.
16:50 Entre les décroissantistes et les techno-optimistes,
16:53 il y a un océan de différences.
16:55 Pour les uns, il faut tout de suite réduire la consommation,
16:58 je ne sais pas combien de pourcents, 20, 30, 40 %,
17:00 et chez les techno-optimistes, il suffit d'attendre
17:03 que les technologies progressent pour décarboner sans coût.
17:08 La réalité, c'est que tout ça va être très coûteux
17:11 et la problématique, c'est qui va payer ?
17:14 - Aujourd'hui, on est le continent qui pollue le moins,
17:16 quel rôle on peut avoir au niveau mondial ?
17:21 - Par habitant, l'Afrique pollue beaucoup moins que l'Europe.
17:24 On est le seul continent de la planète à avoir réduit
17:27 nos émissions par rapport à 1990,
17:29 les États-Unis l'ont augmenté, la Chine évidemment,
17:32 a décuplé ses émissions de CO2.
17:35 Nous sommes la seule région du monde à avoir baissé nos émissions.
17:38 Mais ça a été un coût important, la désindustrialisation de l'Europe.
17:42 C'est parce que les consommateurs européens
17:45 sont allés acheter des produits en Chine et au Brésil,
17:49 plutôt que de les...
17:51 - Pour ceux, Christian, qui nous écoutent au quotidien,
17:54 est-ce que c'est bien audible, tous ces efforts,
17:58 alors que nos autres voisins dans les autres continents
18:02 sont justement, eux, beaucoup plus pollueurs ?
18:05 - Oui, oui, il y a un problème moral,
18:08 il y a un problème de coordination de l'effort,
18:12 de lutte contre le changement climatique.
18:14 Mais ça, c'est toujours le même problème.
18:16 Si chacun atteint qu'au l'autre fasse ses efforts
18:19 avant de s'y mettre lui-même, on n'y arrivera jamais.
18:22 Donc il faut se bouger.
18:24 C'est vrai que c'est très coûteux,
18:26 mais ayons bien en tête que si on ne fait rien,
18:29 les coûts pour les générations futures
18:32 seront beaucoup plus importants que les coûts de la transition
18:35 qu'il faudrait mettre en œuvre aujourd'hui.
18:37 - Est-ce qu'il faut sortir de la transition écologique ?
18:40 - Écoutez, non, il faudra le faire.
18:43 Il y a... D'abord, il faudra le faire,
18:46 vous l'avez compris tout à l'heure, de façon graduelle.
18:49 Il ne faut pas...
18:51 Pour rester en dessous de 2 degrés,
18:53 on a encore une quinzaine d'années, quoi,
18:55 pour aller réduire de 55 % en 2030,
18:58 c'est déjà difficile,
19:00 mais on peut aller puiser dans différentes choses,
19:03 la sobriété, la décarbonation totale du mix électrique européen.
19:07 Je vous rappelle qu'en Allemagne, par exemple,
19:10 encore 45 % des kWh produits en Allemagne
19:13 sont produits avec du charbon,
19:15 qui est la pire des saloperies à faire pour le changement climatique.
19:18 - Mais justement, Christian, est-ce que ça pourra se faire sans violence ?
19:21 - En Europe, oui.
19:23 En Europe, on est déjà sur le chemin.
19:26 Le pacte vert européen,
19:28 qui est en cours de finalisation à Bruxelles,
19:31 il intègre une tarification du carbone au niveau européen.
19:34 Et pour l'ensemble des émissions de CO2.
19:37 Le système européen couvrait déjà l'industrie et l'électricité.
19:40 Demain, il couvrera aussi le transport, la mobilité.
19:44 Quand vous irez acheter de l'essence à la pompe,
19:47 vous payerez un prix du carbone.
19:49 Quand vous achèterez du gaz naturel
19:51 ou du field domestique pour vous chauffer,
19:53 vous payerez aussi, au niveau européen, un prix du carbone.
19:56 - On parle de décroissance, Christian.
19:58 Et en même temps, Emmanuel Macron veut réindustrialiser la France.
20:02 - Le pire n'est jamais certain.
20:05 C'est pas impossible.
20:08 C'est pas impossible que pour atteindre
20:10 les émissions d'air en 2050, qui est l'objectif européen,
20:13 il faille décroître.
20:15 Parce qu'on n'aura pas trouvé des technologies
20:17 qui nous permettent, à un coût raisonnable,
20:20 d'atteindre cet objectif.
20:22 - La courbe où on rebasculera à partir de 2050.
20:26 - C'est un scénario possible.
20:30 Nos scientifiques ne parviennent pas à trouver
20:33 des solutions massives de stockage de l'électricité
20:36 dans les périodes où on a beaucoup de soleil et de vent
20:39 pour pouvoir distribuer de l'électricité.
20:41 - En attendant 2050, on va fermer des entreprises, des industries ?
20:45 - Non, parce qu'on ne doit pas être à 0 émissions nette avant 2050.
20:49 Je vais prendre un exemple très concret, l'aviation.
20:55 Le coût de cette kérosène décarbonée
20:58 sera 5 fois supérieur au prix du kérosène
21:03 actuellement sur les marchés internationaux.
21:05 Donc, multiplié par 5, les coûts de transport dans l'aérien,
21:09 ça voudra dire que les gens ne prendront plus beaucoup d'avion.
21:14 Parce que l'avion coûtera très cher.
21:17 - Quel est votre avis sur la décroissance ?
21:20 Comment on peut lier économie, écologie, notre objectif de 2050 ?
21:25 - C'est un prix du carbone.
21:27 En mettant un prix sur le carbone, vous organisez la décroissance,
21:30 mais spécifiquement sur les produits les plus carbonés.
21:33 Il ne s'agit pas de décarboner les choses qui ne produisent pas de CO2.
21:36 - Donc on taxe les produits les plus carbonés au profit...
21:38 - On taxe au pro-atteint des émissions de CO2
21:40 qu'elles ont engendrées par leur production et leur consommation.
21:43 Et puis, si les technologies de décarbonation n'arrivent pas à maturité,
21:49 il faudra monter tellement le prix du carbone, la taxe carbone,
21:53 que l'impact sur le pouvoir d'achat deviendra important.
21:57 Et à ce moment-là, on aura une décroissance.
21:59 Mais ce n'est pas certain.
22:00 On aura peut-être aussi des solutions techniques
22:02 aux problèmes de décarbonation,
22:04 qui permettront de maintenir un prix du carbone faible.
22:06 Et à ce moment-là, combiner prospérité et lutte contre les changements climatiques.
22:12 - Est-ce que ça ne va pas être trop discriminant ?
22:14 Est-ce qu'on n'aura pas d'un côté les riches et de l'autre côté les pauvres,
22:17 avec des gens qui pourront se permettre de payer des objets polluants ?
22:21 D'autres non ? Comment ça va se passer ?
22:23 - Ce n'est pas un sujet spécifique à la taxe carbone.
22:25 En fait, la transition énergétique va nécessairement augmenter les prix des énergies.
22:31 Parce que les alternatives aux produits pétroliers sont plus chères,
22:35 en particulier quand on tient compte de l'intermittence des énergies renouvelables.
22:39 Donc que ce soit une taxe carbone ou que ce soit des obligations d'électriciens
22:44 à produire de l'électricité verte, ou contre-intuition,
22:47 regardez le prix des voitures électriques.
22:49 Elles sont beaucoup plus chères, ces voitures électriques,
22:52 que les voitures thermiques aujourd'hui.
22:54 Tout ça fait qu'aujourd'hui, obliger les gens,
22:57 les producteurs et les consommateurs, à aller dans des modes décarbonés,
23:00 ça va augmenter les coûts de l'énergie.
23:02 Et il ne se fait qu'en Europe.
23:05 La part du budget des ménages consacrés aux dépenses d'énergie
23:09 est décroissante avec le revenu.
23:11 C'est-à-dire que les ménages les plus riches,
23:13 je vais faire l'inverse, les ménages les plus modestes,
23:16 consacrent une partie beaucoup plus importante de leur revenu
23:19 aux dépenses d'énergie que les ménages les plus aisés.
23:22 Et donc, quand vous augmentez ces prix d'énergie,
23:25 vous augmentez les inégalités sociales.
23:27 Mais il se fait, attendez, parce que c'est un point important
23:30 que je trouve qu'il est important de souligner.
23:33 La solution par la tasse carbone,
23:35 elle permet d'engendrer un revenu fiscal
23:37 que vous pouvez utiliser pour compenser les ménages les plus modestes.
23:41 Donc vous pouvez manier, lutter contre le changement climatique
23:45 et lutter contre les inégalités à travers un système de tarification.
23:49 - C'est un petit peu ce qui se fait dans les certificats d'économie d'énergie aussi,
23:52 où on voit des aides justement fléchées pour les plus modestes.
23:55 Est-ce que vous êtes optimiste pour l'avenir ?
23:57 - Écoutez, c'est un petit peu les montagnes russes.
24:01 Quand j'ai écrit mon livre "Le climat après la fin du mois" en 2019,
24:04 c'était au milieu du mouvement des yeux jaunes.
24:06 J'étais très perturbé et très affecté par une volonté de ne pas faire de sacrifices.
24:15 Il ne fallait pas qu'on fasse faire des sacrifices aux gens.
24:18 Plus récemment, je suis plus optimiste pour différentes raisons.
24:23 Les jeunes se mobilisent sérieusement,
24:26 même si je voudrais qu'ils adoptent un projet de société qui ne soit pas révolutionnaire,
24:34 parce qu'on n'a pas besoin de faire la révolution pour atteindre des objectifs.
24:37 Et en même temps, je vois qu'à Bruxelles,
24:40 les 27 pays européens parviennent à se mettre d'accord sur non seulement une ambition communaute,
24:47 mais en même temps des outils de cette ambition.
24:49 On est la seule région du monde aussi à mettre en place des outils
24:54 de réduction des émissions de CO2 qui sont crédibles face à l'objectif affiché.
25:00 Ce qui n'est pas du tout vrai aux États-Unis.
25:02 Par exemple, aux États-Unis, vous avez entendu parler l'été dernier du "Inflation Reduction Act".
25:07 Le congrès américain s'est mis d'accord en août 2022
25:11 pour mettre en place des subventions aux efforts d'investissement,
25:16 de recherche et de développement pour que peut-être un jour...
25:19 Les 200 milliards d'euros ?
25:20 Exactement, pour que peut-être qu'un jour on réussisse à développer des technologies,
25:25 des carbonées peu coûteuses.
25:27 En attendant, le consommateur et le ménage américain, il ne doit rien faire.
25:31 Il peut continuer à utiliser sa voiture, à acheter des passoires thermiques, etc.
25:36 Merci Christian Gaullier d'avoir participé.
25:39 Avec plaisir, Edouard.
25:40 Merci.
25:41 [Musique]

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