Boris Cyrulnik présente "Quarante voleurs en carence affective : Bagarres animales et guerres humaines", édité chez Odile Jacob, la clé de ses recherches réside là aussi dans le sujet de cette émission tournée vers l'enfance. C’est une exploration de la violence et de ses conséquences. Il démontre le caractère neuropsychologique de la violence humaine et de ses origines en se fondant sur l’observation du monde animal. En effet, lorsqu'on observe un animal sain, seul, celui ci est incapable de survivre. Il effectue dès lors un parallèle avec le cerveau humain pour en tirer la conclusion suivante, un cerveau sain sans altérité "s'atrophie". Pour cet étude, l’auteur n’hésite pas à puiser dans ses propres blessures et sa condition de survivant de la guerre, lui qui a miraculeusement échappé à une raffle et s’est retrouvé placé dans une institution dans le Vercors qu’il qualifie de "désert affectif". Il se remémore ces années, durant lesquelles les seules relations humaines qui l'ont "réchauffé" ont été celles "avec le chien du voisin". Il décrit une institution qui ne parle pas aux enfants mais les brutalise. C'est sa passion pour l'observation animalière qui lui a permis de s'évader de la maltraitance de cette institution.
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00:00 À la fin de la guerre, comme des milliers d'autres enfants,
00:02 vous êtes orphelin et on vous place dans une institution, dans le Vercors.
00:05 Et là, vous vivez dans ce que vous qualifiez dans ce livre de désert affectif,
00:09 un désert affectif.
00:10 Quand vous repensez à ces années d'après-guerre,
00:13 qu'est-ce que vous voyez ?
00:14 Qu'est-ce que vous ressentez ?
00:15 De quoi vous vous souvenez ?
00:16 Quelles images ?
00:18 Les seuls êtres humains qui m'ont réchauffé,
00:23 les seules relations humaines que j'ai eues dans cette institution,
00:27 c'était avec le chien du voisin.
00:30 Parce que lui, je lui racontais mes histoires, je m'évadais.
00:35 Il n'y avait que du silence ou de la violence.
00:39 Parce que le métier d'éducateur n'existait pas, on les appelait les moniteurs.
00:44 Ils avaient pour consigne de ne pas parler aux enfants.
00:48 Les enfants, il faut les brutaliser et qu'ils obéissent, c'est tout.
00:53 On disait à un garçon, il faut le dresser.
00:56 En tout cas, ce qui m'intéresse, c'est que vous le dites tout de suite,
00:58 c'est vraiment la découverte du monde animal,
01:00 l'observation du monde animal qui vous a sauvé.
01:02 Absolument, parce qu'à ce moment-là, j'ai eu une passion.
01:05 Comme il n'y avait personne de parler, il n'y avait pas de relation affective,
01:09 j'ai découvert un monde d'animaux qui était absolument passionnant.
01:14 Il y avait des aventures, il y avait des fourmis,
01:16 il y avait des mouvements tournants, des fourmis, des transports d'œufs.
01:22 C'était absolument passionnant.
01:23 Et ce chien-là, dès qu'il me voyait, il faisait la fête lui au moins.
01:27 Et quand je lui racontais mes histoires, il ne répétait pas un mot.
01:30 Et je crois que sur le plan psychanalytique, il m'a beaucoup aidé.
01:35 Et d'ailleurs, quand j'ai fait plus tard une psychanalyse,
01:37 je crois que mon psychanalyste ne parlait pas plus que mon chien.
01:41 Diriez-vous que l'animal vous a aussi appris,
01:44 Boris Cyrulnik, l'art de l'observation ?
01:46 Alors ça, c'est le propre de tous les enfants maltraités.
01:51 Tous les enfants maltraités deviennent des observateurs
01:55 parce qu'ils sont vigilants.
01:57 Est-ce que le moindre signe, est-ce qu'il va frapper ?
02:01 Est-ce que je dois me taire ?
02:03 Quand je suis devenu praticien,
02:05 j'avais une petite patiente qui avait fait le signe de la clé.
02:09 C'est-à-dire qu'elle aimait beaucoup son père qui buvait.
02:14 Et au bruit de la clé dans la porte,
02:16 elle savait s'il fallait se jeter dans les bras de son père
02:19 ou s'il fallait se cacher.
02:21 Elle avait fait une sémiologie,
02:23 une science des signes avec le bruit de la clé.
02:26 Et tous les enfants maltraités deviennent hyper attentifs aux autres.
02:29 Et c'est une bonne formation pour devenir éthologue,
02:33 mais c'est pas une formation enseignée...
02:35 C'est une formation enseignée à la faculté souvent
02:38 parce que beaucoup d'étudiants sont parfois maltraités.
02:41 Mais je pense que c'est...
02:43 Le corps est une sémiologie, le corps parle.
02:47 Il y a un langage avant les mots.
02:49 La preuve, c'est que nos enfants attendent la troisième année
02:53 avant l'explosion du langage.
02:54 Aucun enfant ne parle le jour de sa naissance,
02:57 sauf peut-être Pantagruel qui, à peine né, s'était crié
03:01 "à boire, à boire, je veux du bon vin".
03:04 Mais à part Pantagruel, il faut attendre deux ans
03:06 pour que l'enfant commence à parler.
03:08 Et dès l'instant où un enfant parle, il change de planète.
03:11 Il entre dans la planète des mots
03:14 et il met plus longtemps encore pour rentrer dans la planète des récits.
03:17 Et là, s'il y a plusieurs récits, s'il y a plusieurs écrivains,
03:21 s'il y a plusieurs témoignages, c'est une exploration incessante.
03:25 Et les animaux nous aident à comprendre ça.
03:28 Un être vivant, animal ou bébé,
03:31 seul, sain, n'a aucune chance de se développer.
03:35 C'est ce que vous avez presque dit tout à l'heure.
03:38 C'est-à-dire que un cerveau sain, sans altérité, s'atrophie.
03:44 Et c'est pas une vue de l'esprit,
03:46 puisque maintenant, avec la neuroimagerie, on le photographie.
03:49 Et je peux même vous dire, les zones qui s'atrophient,
03:51 c'est la base du lobe préfrontal, c'est le système limbique.
03:54 On le photographie.