Eric Thibaud, médecin chef des urgences de Colmar et membre de SAMU Urgences de France, est l'invité de 7h45 de France Bleu Alsace ce mercredi 6 septembre 2023.
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00:00 - Bonjour, vous ouvrez les yeux, c'est le 6/9, il est 8h moins le 14, mercredi matin.
00:03 L'été a été très chaud aussi dans les services d'urgence des hôpitaux.
00:07 Théo, c'est ce que montre le syndicat Samu Urgences de France avec ce bilan de l'été publié aujourd'hui.
00:12 - Oui, un rapport qui dit que 163 services d'urgence ont dû fermer au moins une fois cet été,
00:18 presque un sur deux dans le pays.
00:21 Bonjour Éric Thibault.
00:23 - Oui, bonjour.
00:24 - Vous êtes aussi membre de Samu Urgences de France
00:26 et médecin-chef du service des urgences de Colmar et du Smur.
00:31 D'après votre syndicat, il y a eu cet été dans le Haut-Rhin et le Bas-Rhin
00:35 de une à trois fermetures de services d'urgence.
00:38 On est à plus de neuf par exemple dans des départements comme la Gironde ou le Rhône.
00:42 Est-ce que finalement en Alsace, on s'en est un peu mieux sorti qu'ailleurs ?
00:47 - Alors il faut surtout, je pense, corréler ces chiffres.
00:49 À combien il y a de services d'urgence dans le département ?
00:52 - Sur la Gironde, Bordeaux reste une très très grosse ville avec beaucoup de services d'urgence.
00:57 Donc ça reste à rapporter au nombre de services existants à la base.
01:01 - Donc ça a été compliqué en Alsace quand même ?
01:05 - Je pense que ça a été compliqué partout et en Alsace pas moins qu'ailleurs.
01:11 - On a parlé de la situation à Strasbourg notamment dans nos journaux ce matin
01:16 avec ce droit d'alerte qui a été utilisé par des soignants.
01:19 Il n'y a pas eu de mécanisme mis en place par le gouvernement, contrairement à l'été dernier
01:25 où le rappel avait été battu.
01:27 Est-ce que la situation a été pire que l'été dernier ?
01:30 - Vous savez, on a le sentiment depuis des années que ça se dégrade chaque année.
01:34 Et chaque année malheureusement ce sentiment se confirme.
01:37 Et notre ministre fraîchement nommé a quand même réussi à dire à mi-août
01:42 qu'il n'y avait pas plus d'événements indésirables graves déclarés sur la France.
01:46 Donc la situation n'était pas pire que les années d'avant.
01:48 En effet, je pense que la situation à Strasbourg en particulier est caricaturale
01:52 et démontre à quel point notre système de santé est en train de s'effondrer.
01:55 Et le gouvernement regarde ailleurs.
01:57 - Est-ce que vous redoutez la disparition des services d'urgence accessibles à tout moment ?
02:01 Certains services sont déjà fermés cet été en Alsace.
02:04 Est-ce que vous en avez souffert ?
02:06 Est-ce que vous avez aussi été victime de longues heures d'attente dans les services d'urgence ?
02:10 Venez nous le dire ce matin sur France Bleu Alsace, France 3 Alsace, 03 88 25 15 15.
02:15 On en parle avec le médecin-chef du service des urgences de Colmar et du SMUR.
02:19 - Eric Thibault, la mise en place d'un service de régulation
02:23 en passant par le SAMU pour arriver aux urgences,
02:25 c'est ce qui a été fait à Saverne par exemple cet été,
02:27 est-ce que c'est une bonne solution ?
02:29 - Alors, ce n'est pas une bonne solution.
02:32 On gère le fait qu'on n'est plus capable d'admettre tout le monde comme auparavant.
02:40 Le problème c'est que pour ça, il faut des moyens suffisants en régulation.
02:43 Et si les services d'urgence ne sont pas capables d'accueillir,
02:45 c'est parce qu'ils n'ont plus les moyens.
02:47 Donc les moyens n'ont pas disparu pour aller en régulation.
02:49 Ils s'effritent de partout.
02:52 Donc non, c'est une solution dégradée.
02:55 Et puis, s'il y a un vrai risque pour la sécurité des malades,
02:58 la régulation, si elle est débordée, ça peut être de longues, trop longues minutes d'attente
03:03 face à des situations qui ne peuvent pas attendre.
03:06 - Mais est-ce que ça permet aussi de dérouter certains patients
03:09 qui ne devraient pas passer par les urgences, la régulation ?
03:12 - Alors ça permet en effet, je pense, de limiter les situations de patients
03:17 qui viendraient aux urgences alors que leur place n'est pas là-bas.
03:20 Mais il faut aussi avoir une réponse alternative à leur proposer.
03:24 Et si vous êtes dans un secteur, le mien par exemple,
03:28 où il n'y a pas de structure type SOS médecin,
03:30 à certaines heures de la journée, il n'y a pas de réponse tout court.
03:32 Donc dire aux patients d'aller voir leur médecin généraliste, c'est très bien.
03:36 Encore faut-il que la médecine de ville soit capable d'absorber.
03:40 Et je ne pense pas que la médecine de ville soit en meilleur état que l'hôpital public.
03:43 - Alors une autre opération qui a eu lieu cette fois, c'était dans votre hôpital à Colmar,
03:48 une opération zéro brancard pendant une journée dans les couloirs.
03:51 Qu'est-ce que ça a donné cette opération ?
03:54 - Alors c'est une opération qui se voulait nationale.
03:56 Ça rentrait dans le cadre des revendications des praticiens hospitaliers
04:01 sur des questions de revalorisation salariale.
04:05 Le résultat a été vu de l'intérieur.
04:08 Je pense que la communication avait été efficace.
04:10 Donc on a eu un nombre de patients limité ce jour-là.
04:13 Vu de l'intérieur, nous avons travaillé dans des conditions qui étaient acceptables,
04:16 voire même agréables.
04:19 Inutile de courir partout au milieu des patients qui attendent sur des brancards.
04:22 Par contre, pour les services préhospitaliers, les ambulances, les pompiers,
04:29 la fin de journée a été un peu compliquée.
04:31 On a accumulé une douzaine d'ambulances devant les urgences,
04:34 ce qui nous a aussi imposé à un moment donné d'arrêter
04:37 parce que la sécurité des malades ne pouvait pas être mise en cause.
04:41 - Alors est-ce que dans ce cas, il faut faire comme ça s'est fait à Strasbourg cet été,
04:44 c'est-à-dire ce qu'on dit avec les propos de la direction des hôpitaux universitaires,
04:49 qui soulignent que les urgences sont restées ouvertes tout l'été, 24h/24.
04:53 Est-ce que c'est important d'afficher ça au moins pour les patients ?
04:56 - Alors comme vous dites, c'est de l'affichage.
04:58 Maintenant, il est évident, notamment quand on parle des urgences de Strasbourg
05:03 qui sont quand même de très très gros services d'urgence,
05:05 on ne peut pas simplement fermer et dire aux patients
05:09 "Allez voir 50 km plus loin, ça ne peut pas fonctionner, ça serait dangereux".
05:13 Par contre, il y a un vrai problème de fond sur pourquoi les urgences sont engorgées
05:18 et qu'est-ce qui engorge les urgences.
05:20 Le président de la République a annoncé que fin 2024, les urgences seraient désengorgées,
05:23 donc c'est dans moins de 18 mois.
05:26 J'ai du mal à croire que ça sera réglé d'ici là.
05:28 - Ça vous semble donc irréalisable ?
05:31 - Oui complètement. On ne se donne pas les moyens d'envisager avancer vers cette solution.
05:38 Rien n'a été fait pour. Donc 16 mois, c'est demain.
05:44 - Vous écoutez France Bleu Alsace, bienvenue si vous nous rejoignez.
05:46 Il est 7h51, Eric Thibault est l'invité de la matinale,
05:51 le chef du service des urgences de Colmar et du SMUR.
05:55 Je rappelle que si vous souhaitez échanger sur les urgences,
05:57 si vous avez été victime de longues heures d'attente,
05:59 si vous êtes inquiet, des urgences et de leur futur, 0388 25 15 15.
06:03 - On parle souvent des urgences engorgées,
06:06 mais le problème est bien plus global à l'hôpital,
06:09 c'est en tout cas ce que vous répétez.
06:11 On va écouter le témoignage d'un soignant des urgences de Strasbourg,
06:15 au sujet justement du manque de lits.
06:17 - C'est insupportable et on en est à, on dit entre nous, à forcer des retours à domicile,
06:23 c'est-à-dire des gens qui nécessitent l'hôpital, mais qui ne nécessitent pas les urgences.
06:28 On les fait rentrer à la maison parce qu'on sait qu'ils vont rester sur un brancard
06:31 et que le risque de rester sur un brancard est probablement plus important
06:35 que le risque de rentrer à la maison.
06:37 Et donc, ça amène parfois à des incompréhensions des patients
06:40 et surtout de leur famille qui sont dans le désarroi.
06:43 Mais vu qu'il n'y a pas plus de place à l'hôpital quand ils arrivent aux urgences,
06:46 parfois on est amené à prendre ce choix-là.
06:48 - La question alors, c'est le problème du manque de lits en aval également, Éric Thibault.
06:54 - Oui, complètement. Je pense que c'est même le problème fondamental.
06:58 Les idées de réguler l'accès, c'est bien,
07:00 mais si le seul problème des services d'urgence en France
07:03 était les patients qui n'ont rien à y faire,
07:05 j'ai envie de dire qu'il n'y aurait pas vraiment de problème.
07:07 La difficulté aujourd'hui, c'est que le nombre de soignants à l'hôpital est en chute libre.
07:12 Il y a une vraie désaffection.
07:13 Les carrières infirmières sont de plus en plus courtes
07:15 avec rapidement des changements de voies, des changements d'orientation professionnel.
07:21 Et quand les lits ferment, nous n'avons plus les moyens d'accueillir les patients après les urgences.
07:28 En fait, les urgences sont juste la partie visible, la partie médiatisée,
07:31 la partie qui parle à la population.
07:34 Mais la vérité, c'est que les lits ferment, l'hôpital public se fragmente.
07:38 Et le problème principal est qu'il n'y a aucun effort fait pour la rémunération
07:44 et les conditions de travail de nos paramédicaux.
07:47 - Donc face à ça, on fait quoi ?
07:48 Ça veut dire qu'il faut recruter, il faut plus de salaire.
07:50 Qu'est-ce que vous demandez ?
07:52 - L'équation est assez simple.
07:56 L'État nous dit, le gouvernement nous dit régulièrement
07:58 qu'on dépense autant que les voisins dans la santé.
08:01 Pourtant, nos paramédicaux sont moins bien payés.
08:05 Et il y a des ratios soignants qui sont dans les autres pays
08:09 que nous n'avons pas.
08:09 Le ratio soignant par patient moyen, il est de 6 à 8.
08:13 On observe régulièrement dans les services autour des urgences
08:15 qu'on est plutôt autour d'un infirmier pour 12-13 malades.
08:18 Ce qui est strictement intenable.
08:20 Donc il faut améliorer les conditions de travail
08:22 et augmenter les salaires.
08:23 Il n'y a pas de secret.
08:24 De toute façon, quand vous ne trouvez pas de personnel,
08:26 c'est que les conditions ne sont pas bonnes
08:28 et/ou que vous ne payez pas assez.
08:29 Et là, en l'occurrence, ce sont les deux, je pense.
08:31 - Et également la question de rouvrir des lits pour accueillir des gens.
08:35 Mais j'imagine que c'est corrélé au fait de recruter plus de personnel.
08:39 - Exactement.
08:40 Pour fermer un lit ou pour fermer un service,
08:42 il faut juste une signature.
08:43 Ça prend 10 secondes pour le rouvrir.
08:45 Il faut 5 à 10 ans, le temps de reformer,
08:47 de recruter le personnel nécessaire pour.
08:50 Et c'est l'escalade catastrophique dans laquelle nous sommes.
08:54 Où on ferme, on ferme, on ferme
08:56 sans aucune certitude sur quand est-ce qu'on va rouvrir des lits.
08:59 Et ça a un impact sur toute la chaîne de soins,
09:01 à commencer par les urgences.
09:03 - Merci beaucoup Éric Thibault d'avoir été avec nous ce matin,
09:06 d'avoir échangé également avec nous au sujet
09:08 de la situation dans les hôpitaux et dans les urgences en Alsace.
09:10 Je rappelle que vous êtes médecin-chef du service des urgences de Colmar
09:14 et également membre du syndicat SAMU Urgences de France.