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El Hadj Souleymane Gassama « Elgas », journaliste, écrivain, chercheur associé à l’IRIS et auteur de "Les Bons ressentiments", répond aux questions de Dimitri Pavlenko.
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NewsTranscription
00:00 - 12 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le chercheur Aliris Elgas.
00:04 - Oui, Elgas c'est son surnom, son nom de plume de son vrai nom est l'adj. Suleyman Gassama.
00:09 Bonjour. - Bonjour.
00:10 - Bienvenue sur Europe 1, vous êtes journaliste, vous êtes docteur en sociologie, vous êtes écrivain.
00:15 Je citerai votre ouvrage, l'un de vos ouvrages, "Les bons ressentiments",
00:19 essai sur le malaise postcolonial.
00:21 C'est paru chez Riveneuve et c'est en lien tout à fait avec le thème d'actualité dont on va parler ensemble,
00:28 Suleyman Gassama, on va parler avec vous de la situation au Niger.
00:31 Hier matin Emmanuel Macron a annoncé le maintien en poste à Niamé, la capitale nigérienne, de l'ambassadeur de France,
00:37 Sylvain Hité, malgré la pression de l'agent militaire au pouvoir depuis un mois qui le somme de partir,
00:43 ni paternalisme, ni faiblesse, sinon on n'est plus nulle part. Voilà c'est ce qu'a dit Emmanuel Macron hier matin.
00:49 Or il se trouve que nos ambassadeurs de France ont quitté le Mali, ils ont quitté le Burkina Faso au début de l'année.
00:56 Pourquoi cette intransigeance d'Emmanuel Macron à maintenir un ambassadeur de France au Niger d'après vous ?
01:00 - Oh c'est pas très surprenant, on est dans un avatar en fait du "en même temps",
01:05 c'est-à-dire pas de paternalisme et pas de faiblesse.
01:07 Macron est en droite ligne de ce qu'il a toujours dit, incarné, dans ce qu'il a appelé les nouvelles relations entre la France et l'Afrique.
01:16 Mais ce qu'il peut gagner en termes de politique, en termes de
01:19 caractère factuel de ses déclarations, parce que quand il déclare
01:23 que les poutchistes sont les principaux responsables du dérèglement du cours démocratique du Niger, on peut pas lui donner tout à fait tort.
01:30 - Et ils ne sont pas légitimes, la France ne veut pas reconnaître leur légitimité.
01:33 - La France ne veut pas reconnaître leur légitimité.
01:35 Mais il y a un autre aspect, c'est la tonalité, c'est le caractère diplomatique, parce qu'on est sur des rancunes un peu abrasives dans la sous-région,
01:42 et il faut avoir la finesse pour pouvoir tenir certains discours.
01:46 - Bah oui, mais justement, pourquoi
01:47 ne pas rapatrier l'ambassadeur de France au Mali et au Burkina, mais pas au Niger ? Est-ce qu'il y a cette intuition
01:53 du président que la junte au pouvoir actuellement au Niger est peut-être plus faible que celle au Mali ?
01:59 - Oui, c'est une forme de lecture qui me semble un peu active et peut-être
02:03 contre-productive, parce que quand on voit le passif des relations entre la France et l'Afrique
02:08 aujourd'hui sur le continent, avoir ce genre de déclarations peut accréditer toutes les thèses que l'on pensait
02:15 fantasmées sur l'ingérence française, sur justement
02:18 l'intervention politique française, ses accointances avec la CDAO.
02:22 - Vous pensez que finalement ça va ancrer dans la tête de beaucoup d'Africains que j'ai un paternalisme français finalement ?
02:27 - Mais bien sûr, mais de toute manière la France est condamnée à court terme à ne pas être audible sur le continent africain.
02:32 Quelle que soit la tonalité d'un discours qu'on adopte, et aujourd'hui
02:36 le discours de Macron se veut offensif contre le dolorisme qu'on peut observer dans la sphère intellectuelle,
02:42 mais c'est un pari qui est très très risqué, parce que je pense qu'à court terme,
02:46 quelle que soit la nature, je veux dire, du discours que l'on peut tenir,
02:50 l'effet du ressentiment est tellement fort qu'il aura tendance à le disqualifier.
02:54 - Et là de Suleymane Gassama,
02:56 quelle était la place du Niger, si je puis dire, dans la sphère d'influence française en
03:01 Afrique ? J'ai cru comprendre que le Niger faisait office, avant le coup d'état des militaires fin juillet,
03:09 justement d'état fort, d'état de base de repli pour l'armée française après le départ du Mali et du Burkina.
03:15 - Oui, le départ en catastrophe au Mali et au Burkina a remis au centre justement le Niger.
03:20 Le Niger a des relations privilégiées avec la France, et puis
03:23 c'est un pays qui est un allié stratégique
03:26 dans le combat contre les groupes armés terroristes.
03:28 - Puis il y a un état qui est quand même plus fort qu'il ne l'était au Mali, qui ne tient plus du tout par exemple le nord
03:32 Touareg, pour ce qui concerne le Mali.
03:34 - Oui, et avec d'ailleurs des transitions démocratiques qui étaient saluées parce que le président Bazoumi est arrivé au pouvoir,
03:39 il n'avait pas une détestation tapageuse de la France, et donc ça a pu d'ailleurs lui être un peu
03:44 fatale, si l'on peut dire. Donc la France entretenait des relations
03:47 privilégiées avec le Niger, parce que c'était un partenaire justement pour cette lutte contre les djihadistes au Sahel, mais aussi pour des intérêts
03:56 économiques qui sont présents, même s'ils ne sont pas décisifs, la France étant sa zone d'influence,
04:01 sa présence, et après avoir été chassée, on peut le dire ainsi, du Mali ou du Burkina, le Niger apparaissait
04:08 comme justement un sanctuaire finalement assez important pour cristalliser les désirs, en tout cas, de changement du discours et de la politique
04:15 française en Afrique.
04:16 - Je reviens un instant sur la décision prise par Emmanuel Macron de maintenir un ambassadeur de France au Niger.
04:23 Est-ce qu'il n'y a pas aussi cette idée, un peu comme on
04:26 parlait pendant la guerre froide de la théorie des dominos, à savoir que si le Niger tombe,
04:31 il y a un risque d'effondrement de la région, en tout cas de l'influence française dans la région. Est-ce qu'il expliquerait finalement cette
04:38 intransigeance du jour du président de la République ?
04:40 - Alors je pense qu'il ne faut pas céder au catastrophisme, il ne faut pas voir
04:43 nécessairement les problèmes africains dans un angle de vue purement français.
04:47 Les problèmes du continent sont d'abord des problèmes locaux, des problèmes endogènes, des problèmes du continent.
04:51 - Oui, ça c'est ce que vous dites souvent, vous dites en réalité
04:55 taper sur la France c'est commode pour des dirigeants politiques qui en fait ne veulent pas affronter les problèmes africains.
05:00 - Oui, je pense qu'il faut essayer de réprimer
05:04 de tentations que l'on a très très souvent, c'est de surévaluer la responsabilité de la France, mais aussi d'exaénérer parfois les responsabilités
05:12 locales. Donc l'effet domino peut se produire parce que les contagions sont réels et que ce discours, la fédérateur de
05:19 contestation des interventions françaises avec le passif des interventions militaires en quelque sorte, c'est quelque chose qu'il ne faut pas déconsidérer.
05:27 Il y a une commodité langagière qu'on appelle sentiment anti-français, il ne recouvre pas forcément
05:32 quelque chose qui est de l'ordre d'une contestation qui peut être légitime.
05:35 - Oui, mais que disent les populations sur place ? Elles reprochent surtout à la France
05:38 de les avoir finalement mal défendues face aux djihadistes.
05:42 Donc c'était pas tellement la présence française qui gênait que peut-être son manque d'efficacité ?
05:46 - Alors c'est un mélange de plein de choses parce qu'on ne peut pas s'en tenir uniquement à une perspective immédiate.
05:51 La perspective immédiate c'est bien sûr ces interventions qui se sont soldées pour les populations,
05:57 par un échec pour elles, mais aussi
06:00 cette présence longue, historique et justement ce ressentiment colonial. Je pense qu'il ne faut pas le sous-estimer.
06:07 - Est-ce que vous croyez que
06:09 finalement la France, en tout cas les militaires français, sont condamnés à un moment à devoir quitter
06:15 le Niger ? Un ultimatum a été lancé aux armées françaises en disant "il faut partir à la début septembre".
06:21 - Il appartiendra sans doute
06:23 à la France de décider, mais en tout cas à court terme la réduction de la voilure intellectuelle
06:28 institutionnelle et militaire est un minimum en quelque sorte. Ce sera d'ailleurs la condition en fait de
06:36 renégociation d'un nouveau pacte en quelque sorte. Mais encore une fois je pense qu'il est important de rappeler deux choses.
06:42 Chacun doit faire son examen de conscience. Il ne faut pas trop accabler la France et il faut aussi
06:47 comprendre ce qui se passe dans les dynamiques africaines.
06:50 - Merci beaucoup Eladj Suleyman Gassama. J'envoie la lecture de votre livre "Les bons ressentiments"
06:56 et c'est sur le malaise post-colonial. On continuera de parler de cette crise nigérienne tout à l'heure à 7h40 avec
07:02 Vincent Erwouet. Est-ce qu'il faut s'en aller ? Vincent nous livrera sa réponse.