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Maurice Berger, pédopsychiatre, spécialiste de la violence chez les enfants, auteur de Faire face à la violence en France, l’Artilleur, 2021 et Soigner les enfants violents - Traitement, prévention, enjeux chez Dunod Édition, répond aux questions de Dimitri Pavlenko.
Retrouvez "L'invité actu" sur : http://www.europe1.fr/emissions/l-interview-de-7h40
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Maurice Berger, pédopsychiatre, spécialiste de la violence chez les enfants, auteur de Faire face à la violence en France, l’Artilleur, 2021 et Soigner les enfants violents - Traitement, prévention, enjeux chez Dunod Édition, répond aux questions de Dimitri Pavlenko.
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NewsTranscription
00:00 7h, 9h, Europe 1 matin.
00:03 Europe 1, 7h12, Dimitri Pavlenko, vous recevez maintenant le pédopsychiatre Maurice Berger.
00:08 Bonjour Maurice Berger.
00:10 Bonjour Monsieur Pavlenko.
00:12 Bienvenue sur Europe 1, vous êtes médecin, pédopsychiatre, psychiatre d'adultes également,
00:16 mais vous êtes surtout un spécialiste internationalement reconnu de la violence chez les enfants.
00:21 Votre oeuvre et en particulier votre dernier ouvrage intitulé "Sur la violence gratuite en France",
00:26 paru chez l'artilleur, entre en résonance avec l'actualité récente des émeutes.
00:31 On a en effet, Maurice Berger, tous été frappés par la jeunesse des participants,
00:35 leur comportement violent et destructeur.
00:38 On essaye de comprendre comment on en est arrivé là et je vous remercie de nous y aider sur Europe 1 ce matin Maurice Berger.
00:44 Est-ce que vous pensez d'abord, comparativement à ce qu'on a pu connaître par le passé,
00:48 parce que les émeutes en France en réalité s'est endémique et il y avait cet événement précurseur de 2005,
00:53 est-ce que vous pensez qu'un cap a été franchi cette fois-ci ?
00:57 Oui, tout à fait.
00:59 Tout à fait, c'est-à-dire que cette dimension de jubilation,
01:04 je dirais de jubilation orgiaque, collective, dans la destruction,
01:09 aveugle, surtout sur les commerces, sur les bâtiments publics,
01:13 on ne l'avait pas connue.
01:15 C'est-à-dire que ça s'est très vite déconnecté du meurtre de Nahel
01:19 et il ne restait plus que le plaisir de détruire.
01:23 Et je dirais même d'attaquer notre société.
01:26 Ce n'était pas du tout tourné autour de,
01:29 comme en 2005, autour de l'exclusion, de choses comme ça.
01:33 Et ce qui est particulièrement angoissant, disons-le,
01:37 c'est qu'on sait maintenant que ça va se reproduire.
01:40 C'est-à-dire que notre société est une société qui construit,
01:44 on a un plaisir collectif à construire des bâtiments, des médiathèques, des choses comme ça.
01:50 Et maintenant, on va probablement reconstruire, mais on sait que ça va être redétruit.
01:55 Donc là vraiment, un cap a été franci.
01:58 - Vous avez beaucoup travaillé sur les causes de cette violence,
02:01 qui est gratuite ou pas toujours, parce que parfois c'est l'avidité qui pousse à la destruction.
02:05 Mais avant, peut-être savoir de qui l'on parle, avant de dire de quoi l'on parle,
02:10 ces adolescents hyper violents, vous travaillez à leur contact,
02:13 vous les faites parler aussi, Maurice Berger.
02:15 Qui sont-ils ? Quel est le parcours de vie un peu typique, si je puis dire, de ces jeunes ?
02:20 - Bon, ils sont tous un peu différents les uns des autres.
02:23 - Bien sûr.
02:23 - Moi, quand j'ai commencé, j'avais peur d'avoir, vous savez, le délinquant type numéro 1, 2, 3.
02:29 Non, ils ont tous une personnalité un peu différente.
02:31 Mais quand même, il y a des points communs.
02:33 Le point commun, c'est des catastrophes dans leur petite enfance.
02:37 Très souvent, ça peut être...
02:39 Moi, j'ai eu jusqu'à 80% dans certaines promotions de mineurs
02:43 qui avaient été exposés à des scènes de violence conjugale dans la toute petite enfance.
02:48 Donc, évidemment, il y a là le facteur immigration,
02:50 parce que ça se produit beaucoup plus dans les cultures où il y a une inégalité homme-femme.
02:56 Bon, il y a d'autres éléments d'immigration aussi.
02:58 Ils ont souvent été négligés, on n'a jamais joué avec eux.
03:01 Je vais vous dire, le traitement de la violence,
03:05 ça serait d'abord de jouer avec un enfant tout petit, dès tout petit,
03:08 et qu'il apprenne le faire semblant, au lieu de taper pour de vrai.
03:11 Et il transforme ça en jeu et en faire semblant.
03:14 Ce sont aussi des mineurs, alors ça c'est important,
03:17 qui n'ont eu pratiquement aucune limite éducative.
03:21 C'était soit des limites excessives, c'est-à-dire des coûts,
03:25 soit une permissivité absolument totale.
03:29 C'est pour ça que je suis très réticent avec le terme de décivilisation.
03:33 Je trouve qu'ils n'ont pas été civilisés au départ,
03:36 au sens où ce sont les parents qui apprennent à un enfant à inhiber ces actes violents,
03:43 ces actes prédateurs de vol.
03:46 Je dirais encore qu'ils ont très peu de capacité d'imagination.
03:52 C'est-à-dire que leurs principaux plaisirs ce sont détruire.
03:57 Détruire, voilà, je m'ennuie, un jeune qui me dit "je m'ennuyais alors que j'ai mis le feu
04:03 à un entrepôt de quand même 1,7 million d'euros".
04:06 Ou jouer au jeu du gendarme et au voleur.
04:10 Et là, on voit ce que ça donne.
04:12 - Donc quand on est petit, on joue symboliquement avec des petits jouets
04:16 à mettre le feu et à l'éteindre.
04:17 Vous dites eux, ils ne l'ont pas fait petit, leurs parents n'ont pas joué avec eux petits à ça.
04:21 Et résultat, ils le font à l'adolescence en vrai.
04:25 - Ils le font en vrai et en exprimant aussi une violence
04:31 qui n'a jamais pu...
04:33 Comment dire ? En fait, les enfants ne sont pas des anges.
04:37 Freud disait que l'enfer, ce serait le monde dirigé par des enfants de 4 ans.
04:41 Et cette violence ou agressivité qu'un enfant a à l'intérieur de lui,
04:46 elle doit être canalisée.
04:48 Et là, ça ne s'est pas fait.
04:50 Et en plus, il y a toute une dimension groupale.
04:53 C'est-à-dire que ces jeunes vivent dans des fonctionnements familiaux, souvent claniques.
05:00 Un clan, c'est un groupe dont on ne doit pas s'éloigner,
05:04 dont tout le monde doit penser à peu près pareil.
05:07 Et quand il y a de la tension à l'intérieur, comme dans tout groupe familial,
05:11 elle est expulsée sur l'extérieur.
05:13 Et l'extérieur, c'est quoi ? C'est la société française.
05:17 Alors, c'est aussi régi par les codes de l'honneur.
05:20 Si vous avez un différent, vous, M. Pavlenko, dans la queue d'un supermarché,
05:26 quelqu'un vous passe devant,
05:28 eh bien, ça risque d'être non pas en fonction de nos règles,
05:31 on passe à la queue en fonction de l'heure à laquelle on arrive,
05:36 mais ça va être un Français qui porte atteinte à mon honneur
05:41 contre un membre d'un groupe.
05:44 Et à ce moment-là, il y a toute la dimension de...
05:47 Eh bien, on va régler ça en termes d'honneur et avec la violence.
05:51 Donc, quand ils sortent de leur famille, ils vont être toujours en groupe.
05:56 C'est-à-dire que ce sont des personnes qui ont très peu de personnalité individuelle.
06:02 Ils ont une identité groupale.
06:05 C'est aussi pour ça que nos politiques se plantent
06:09 quand ils parlent de guettoisation.
06:11 La guettoisation est auto-sécrétée.
06:14 Ce sont des personnes qui ont besoin de rester tout le temps ensemble.
06:17 - Oui, le guetto, c'est le clan, c'est le cocon protecteur
06:20 qu'il faut protéger et qu'on convoque quand on a une altercation.
06:24 Vous avez une expression, Maurice Bergé,
06:26 vous dites "ces jeunes, ils n'ont pas la loi dans la tête".
06:29 Alors, il faut mettre une butée.
06:31 Ça aussi, c'est une expression de vous,
06:33 mais mettre une butée, un rappel à la loi,
06:36 vous dites "ça ne suffit pas, il faut matérialiser la butée".
06:39 Donc, ça nous amène sur le terrain de la réponse judiciaire,
06:42 finalement, à cette délinquance et à cette violence.
06:44 Qu'est-ce qu'il faut faire ?
06:45 Qu'est-ce qu'on ne fait pas, semble-t-il, Maurice Bergé ?
06:48 - Alors, c'est vrai que dans mon travail, j'ai été vraiment déstabilisé
06:53 parce que ces mineurs n'avaient aucune culpabilité.
06:56 Aucune culpabilité, c'est-à-dire quand je leur demande
06:59 "qu'est-ce que tu penses que ça a fait à la victime ?"
07:02 La victime, elle peut être sérieusement amochée.
07:04 La réponse, c'était "j'en ai rien à foutre".
07:06 Et je n'en ai eu aucun sur les 140 que j'ai vus qui éprouvaient de la culpabilité.
07:12 C'est aussi l'idée qu'il ne peut rien leur arriver.
07:16 C'est-à-dire que j'ai des mineurs qui me disent
07:18 "c'est pas rare du tout,
07:20 je sais que même si je fais quelque chose de grave,
07:22 je n'irai pas en prison".
07:24 Donc, cela signifie que la parole
07:29 ne sert pas pour leur expliquer que ça, ça ne se fait pas.
07:35 La parole du magistrat,
07:37 pas toujours, mais très souvent, n'a pas de poids.
07:40 Donc à ce moment-là, la seule manière de leur faire sentir,
07:43 comprendre que ce qu'ils ont fait est grave,
07:46 c'est de mettre une butée, c'est-à-dire la prison.
07:50 La prison, et c'est la lourdeur de la peine
07:54 qui va leur montrer que ce qu'ils ont fait est grave.
07:57 - On va vous dire, Maurice Berger,
07:59 mais la prison c'est l'école du crime ?
08:01 Ça va être pire ?
08:03 - Oui, bien sûr, c'est le mantra.
08:06 On vit avec un certain nombre de mantras.
08:08 La prison c'est l'école du crime,
08:11 il faut de l'éducatif avant le répressif.
08:13 Alors que la sanction fait partie de l'éducation,
08:16 on a tous pu être amenés à sanctionner nos enfants.
08:19 On vit comme ça avec un certain nombre de...
08:21 Et puis, ah oui, l'éternel mantra,
08:23 ce sont des victimes de la société,
08:25 notre vilaine méchante société.
08:27 Mais chaque fois qu'on désigne quelqu'un comme victime,
08:29 on l'empêche de progresser.
08:31 Ça c'est vraiment...
08:32 Il faut lutter contre cette idéologie.
08:35 Alors, maintenant, en prison,
08:37 pour la première fois,
08:38 ces mineurs passent de "je peux tout faire",
08:41 "j'ai envie", "je fais"
08:42 à "eh bien maintenant, ça n'est plus possible".
08:47 Je suis dans une espèce de ville sidérale
08:51 parce que je n'ai plus mon smartphone,
08:53 je n'ai plus mes potes,
08:54 je n'ai plus mon cannabis.
08:56 Et à ce moment-là,
08:57 on peut commencer à parler
09:00 avec un certain nombre de mineurs.
09:01 Malheureusement, ça ne marche pas pour tous.
09:04 Et puis, un autre aspect,
09:06 c'est que certains mineurs
09:07 ne commencent à penser,
09:09 c'est compliqué à comprendre,
09:10 que quand ils ne peuvent plus agir.
09:12 Ils ont des tensions en eux.
09:14 Ces tensions, ils vont les décharger
09:16 sur ce qui leur tombe sous la main,
09:19 une personne ou un immeuble.
09:21 Et quand ça n'est plus possible,
09:23 à ce moment-là,
09:24 si il y a un professionnel présent,
09:27 ils peuvent commencer à réfléchir.
09:29 C'est-à-dire que la tension,
09:30 elle va rester en eux
09:31 et on va réfléchir sur ce qui se passe.
09:33 - Merci beaucoup Maurice Bergé.
09:34 Je dois vous interrompre,
09:35 mais on vous aurait bien gardé encore une heure,
09:36 tellement c'est passionnant.
09:37 Merci beaucoup pour vos lumières
09:39 sur ces jeunes ultra-violents.
09:41 Et je renvoie les auditeurs que ça intéresse
09:42 sur l'ensemble de votre oeuvre.
09:44 Je signale votre dernier livre
09:45 intitulé "Sur la violence gratuite en France".
09:48 Merci beaucoup à vous Maurice Bergé.