Malika Iberraken, mère d’un enfant autiste devenu joueur d’échecs : “Il a fallu que j’attende sept ans après sa naissance pour qu’il puisse m’appeler maman”

  • l’année dernière
Viols, agressions, deuils insurmontables, accidents de la vie : dans "Trauma", anonymes et célébrités reviennent pour Yahoo sur un traumatisme qui a bouleversé leur vie.
Malika Iberraken s’est retrouvée prise de court face au handicap. Confrontée à l’autisme sévère de son fils Mohamed, cette mère de famille a dû, avec son mari, affronter une multitude d’obstacles pour offrir un bel avenir à son garçon. Pour Yahoo, elle a accepté de se confier sur son histoire, revenant notamment sur le chemin parcouru, sur ses batailles et ses belles victoires.
Comme le rappelle l’Institut Pasteur, l’autisme fait partie des troubles du neurodéveloppement. Il se manifeste dès la petite enfance principalement par une altération des interactions sociales et de la communication mais aussi par des intérêts restreints et répétitifs. En France, environ 700 000 personnes sont atteintes d’un trouble du spectre autistique.

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Transcript
00:00 j'ai deux enfants, Mohamed de 17 ans et ma fille Asya qui a 11 ans.
00:06 Mohamed a été diagnostiqué autiste sévère à l'âge de 6 ans.
00:11 À l'âge de 2 ans, Mohamed, j'avais détecté chez lui quelque chose.
00:19 Mon mari, pour me rassurer, me disait "ne t'inquiète pas, c'est un garçon,
00:25 peut-être qu'il prend un peu plus de temps que les autres enfants,
00:29 mais voilà, faut pas t'inquiéter".
00:32 À l'âge de 3 ans, il est rentré à la maternelle.
00:36 Il ne parlait pas encore.
00:37 À la maternelle, au bout de même pas un mois,
00:42 la maîtresse ainsi que la directrice de l'école maternelle
00:46 m'ont convoquée justement pour faire un point concernant Mohamed.
00:50 Quand je les ai rencontrés, ils m'ont expliqué que Mohamed n'avait pas une attitude adaptée
00:55 pour un enfant de son âge.
00:57 Il ne se comportait pas comme les autres enfants.
00:59 La façon de s'exprimer, c'est qu'il criait, il sautait un peu partout,
01:03 il avait les poings fermés.
01:05 Pour pouvoir l'aider, il fallait monter un dossier MDPH
01:08 pour qu'il puisse être assisté en permanence d'une personne.
01:12 C'est en fin d'année scolaire, en tout cas de sa première année de maternelle,
01:16 où j'ai entendu pour la première fois de ma vie le mot "autiste".
01:22 Mon pédiatre m'a conseillé que Mohamed soit pris en charge auprès d'un CMP,
01:27 un centre médico-psychologique, dans ce centre où il y a plusieurs spécialistes,
01:31 entre autres la psychomotricienne.
01:34 J'ai échangé avec cette professionnelle, elle m'a parlé de bulles autistiques.
01:40 Je me suis renseignée et puis c'est là où j'ai découvert
01:43 que des choses m'ont fait très très peur.
01:48 L'autisme, comme vous le savez très bien, il y a différents degrés d'autisme
01:52 et surtout chaque cas est différent.
01:55 Moi, surtout quand j'ai vu qu'il y avait des extrêmes,
02:01 ça m'a énormément inquiétée.
02:03 J'ai vu vraiment la boule au ventre.
02:05 Depuis ce jour-là, j'ai mis ma vie entre parenthèses.
02:07 Mon fils était pour moi mon combat.
02:11 Mon objectif premier, c'était qu'il devienne autonome.
02:14 Parce qu'on pense tout de suite à après.
02:17 Comment ça va se passer quand on ne sera plus là ?
02:19 C'est la première chose qui m'a traversée l'esprit.
02:21 Que va être son futur ?
02:24 Après, on s'est consacrée totalement à lui.
02:27 On a mis notre vie entre parenthèses.
02:29 Notre fils était notre bataille, notre combat, notre priorité
02:35 avant de penser à nous.
02:38 À quel moment j'ai senti qu'il y avait une amélioration ?
02:43 Je vous dirais au moment où il a intégré l'Institut Médico-Éducatif.
02:53 Car quand Mohamed a passé 4 années et 2 mois à la maternelle,
02:59 il ne prononçait pas un seul mot.
03:01 Il a fallu que j'attende 7 ans après sa naissance
03:06 pour qu'il puisse m'appeler maman.
03:08 Et ça, c'était vraiment très très dur.
03:10 Même aujourd'hui, quand j'en parle encore,
03:13 c'est quelque chose qui me touche énormément.
03:15 Et ce fameux maman, il l'a dit quand il a intégré l'Institut Médico-Éducatif.
03:24 Et un jour, c'est sorti de nulle part,
03:28 il a prononcé ce mot que j'attendais tellement.
03:33 Il l'a prononcé à la maison, maman.
03:36 Ça, ça a été la révélation, je dirais.
03:39 Et puis, on a quand même continué à se battre.
03:43 Donc la parole est venue petit à petit.
03:45 Il avait un gros problème d'alimentation.
03:46 C'est que Mohamed, les moments de repas,
03:49 jusqu'à l'âge de 7 ans, c'était un calvaire.
03:53 Mais vraiment un calvaire, parce qu'il ne mangeait rien, Mohamed.
03:56 Sauf les petits pots, saumon, carottes.
03:59 On essayait d'introduire les pâtes, les frites,
04:02 comme les enfants, je dirais lambda.
04:06 Donc ce genre d'aliments, les enfants sautent dessus.
04:09 Et bien Mohamed, non pas du tout.
04:10 Et je ne remercierai jamais assez tous les professionnels de l'IME de Blanc-Ménil
04:15 pour leur professionnalisme.
04:17 Car les moments de repas, c'était aussi des moments thérapeutiques,
04:21 des moments où les professionnels étaient autour des enfants
04:24 pour justement leur faire découvrir ce qu'ils mangeaient.
04:29 Plus Mohamed progressait, plus on avait de l'espoir.
04:32 Donc on l'a accompagné petit à petit.
04:35 Et c'est vrai qu'il y a eu un changement radical
04:38 quand il a découvert les échecs.
04:41 Donc il y a un avant les échecs et un après les échecs.
04:45 Moi, si vous voulez, il y avait une petite phrase
04:48 que la psychomotricienne avec qui j'échangeais énormément
04:51 et qui m'a toujours dit "Madame Iberraken,
04:53 si vous voulez aider votre enfant, faites-lui découvrir un maximum de choses."
04:58 Donc Mohamed, on lui a fait découvrir l'équitation
05:01 parce qu'on nous avait dit que le contact avec les animaux,
05:05 avec l'animal, pouvait générer chez les enfants autistes des progrès.
05:12 On lui a fait découvrir pas mal de sports.
05:15 Nous, on était quand même une famille qui aime la culture.
05:19 On faisait beaucoup de musées.
05:21 Et les échecs, les échecs, voilà, la découverte également.
05:26 Quand Mohamed était petit, il ne parlait pas encore,
05:28 il y avait chez son oncle un échiquier qui était posé sur la table.
05:33 Mais je voyais qu'il observait l'échiquier et qu'il tournait autour de la table.
05:38 Et donc, quand j'ai entendu qu'il y avait un club,
05:40 l'échiquier blanc-ménilois qui allait ouvrir au Blanc-Ménil,
05:43 je me suis dit "Pourquoi pas, je vais tenter."
05:45 Donc je me suis présentée auprès du président du club.
05:50 Il a ouvert ses bras à Mohamed,
05:51 il m'a même dit qu'il allait le prendre sous son aile.
05:54 Et puis Mohamed, tout de suite, il a accroché avec ce jeu.
05:59 Donc Mohamed qui sautait partout, qui avait du mal à rester figé dans une chaise,
06:05 à se concentrer, tout cela,
06:10 grâce aux échecs, tout cela est arrivé.
06:13 Ça l'a développé intellectuellement
06:16 et donc ça lui a permis d'avancer dans sa scolarité.
06:19 Ça a généré chez lui l'envie de réussir et de gagner, comme il disait à l'époque.
06:25 Il l'a intégré assez à main. Au bout de quelques semaines,
06:30 il a été intégré en inclusion dans une classe classique,
06:35 donc en parallèle.
06:37 Et petit à petit, il a fait son petit bout de chemin.
06:39 Donc ça se passait très bien.
06:41 Je dirais, quand il réussissait,
06:44 quand il y avait des choses qui n'allaient pas, ça le mettait quand même dans des états.
06:47 Par contre, arrivé au collège,
06:49 on a découvert un autre Mohamed excellent dans ce qu'il entreprenait,
06:56 un élève modèle. Et d'ailleurs, un de ses professeurs, je me rappelle,
07:00 qui m'avait dit "si on ne pouvait avoir que des Mohamed en classe,
07:03 ça serait l'idéal pour vous dire".
07:04 Les moyennes générales, ça partait de 18 à 19 de moyenne générale,
07:10 dans toutes les matières, et tout se passait bien.
07:13 Et puis bon, il a obtenu son brevet avec mention "très bien".
07:19 Dans le projet qu'on voulait pour Mohamed,
07:21 c'était qu'il intègre un internat pour qu'il puisse prendre son envol quelque part.
07:26 Et donc, en cherchant sur Internet, par hasard,
07:29 on voit le lycée militaire Saint-Cyr, pas très loin de chez nous.
07:32 Il rentrait complètement dans les conditions.
07:34 On a monté un dossier avec Mohamed,
07:36 il a fait sa lettre de motivation,
07:38 nous, en tant que parents, on a fait notre lettre de motivation.
07:41 Et puis, il s'avérait que Mohamed a été sélectionné.
07:45 Et aujourd'hui, il est au sein du lycée,
07:48 tout s'est bien passé, il a eu un tableau d'honneur.
07:52 On est fiers de lui, et ses enseignants sont fiers de lui,
07:56 parce qu'il n'a pas arrêté que de progresser.
07:59 Les valeurs du lycée militaire de Saint-Cyr-l'École sont
08:02 excellence, travail, ce que Mohamed avait déjà,
08:06 parce qu'il vise l'excellence, et c'est un archarné de travail.
08:10 Et la dernière valeur, c'est la camaraderie.
08:13 Et là, la camaraderie, c'est ce qui lui manquait à Mohamed.
08:16 Mohamed avance petit à petit, concernant les échecs.
08:20 Il y a eu un tournoi au Cercle des Armées,
08:24 et Mohamed y a participé.
08:27 C'était un tournoi national, et Mohamed est arrivé 3e.
08:30 Donc, une fierté, et lui, il était vraiment aux anges.
08:36 Il a un objectif de devenir maître d'échecs, bien évidemment.
08:39 Mohamed, aujourd'hui, a 17 ans,
08:42 et il souhaite avancer, faire de longues études,
08:47 et d'intégrer Polytechnique.
08:49 Et c'est vrai que tout ce qui touche également à la cyberdéfense,
08:53 ça l'intéresse beaucoup.
08:55 Aujourd'hui, pour Mohamed, l'autisme, il a fait de grands pas en avant.
09:00 Il avance. Je pense que c'est un handicap qui gardera à vie,
09:06 mais il va s'en accommoder,
09:09 et je pense que dans quelques années, ça ne se verra plus comme aujourd'hui.
09:15 Je dirais que je n'ai pas été accompagnée par les institutions.
09:20 Ça, c'est une certitude.
09:22 Il a fallu que je me batte contre les institutions,
09:24 l'éducation nationale, pour que mon fils, on ne le mette pas dans des cases.
09:30 On s'est vu nous fermer des portes devant nous.
09:34 J'ai été reçue par des inspecteurs qui étaient à l'écoute,
09:39 quand j'étais en phase 2,
09:41 mais derrière, il n'y avait rien de concret.
09:45 Par contre, ce que je peux dire, c'est que tous les professionnels
09:49 que Mohamed a rencontrés durant son parcours
09:52 ont été vraiment formidables.
09:55 Aujourd'hui, Mohamed a 17 ans, et c'est aujourd'hui où je pense à moi.
10:00 Je reprends ma vie de femme, ma vie avec mes amis,
10:06 donc je prends plus de décisions pour moi.
10:09 Les éditions Fayard m'ont donné la possibilité d'écrire mon histoire,
10:14 mais l'objectif de ce livre, "Je n'ai plus peur, maman",
10:18 c'est d'aider et de donner de l'espoir aux parents
10:23 qui sont concernés par un enfant en situation d'handicap.
10:26 Si j'ai aidé une famille à garder espoir,
10:29 c'est ma plus grande victoire, je dirais.
10:33 [Générique]

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