• il y a 9 mois
Viols, agressions, deuils insurmontables, accidents de la vie : dans "Trauma", anonymes et célébrités reviennent pour Yahoo sur un traumatisme qui a bouleversé leur vie.
Lorsqu’elle était enfant, Farida Khelfa a vécu un véritable calvaire au sein de son foyer familial situé aux Minguettes, dans la banlieue lyonnaise. Marquée par de nombreuses blessures, l’ex-top model a décidé de briser l’omerta au travers d’un ouvrage disponible depuis le 17 janvier et intitulé “Une enfance française” (ed. Albin Michel). Pour Yahoo, elle a accepté de se livrer à cœur ouvert sur son histoire, revenant notamment sur ses failles et sur la manière dont elle a su se faire une place dans un monde nouveau, animée par une extraordinaire résilience.
Pour rappel, toute personne (mineure ou majeure) témoin d'un acte de maltraitance envers un enfant ou soupçonnant un enfant en danger ou risquant de l'être doit signaler les faits. À noter que la non-dénonciation d'une situation de maltraitance dont vous avez connaissance peut être punie de 3 ans de prison et de 45 000 euros d'amende.

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Transcription
00:00 C'est à la suite de la mort de ma mère, il y a deux ans, en 2022,
00:04 que s'est enclenché l'écriture de ce livre.
00:07 J'étais orpheline et j'ai continué à écrire sur le projet sur lequel je travaillais.
00:13 Et en fait, ça a complètement dévié sur l'enfance.
00:16 J'avais envie d'en parler.
00:18 Il y avait une grande révolte en moi depuis mon plus jeune âge.
00:22 J'étais tout à fait révoltée, mais contre plein de choses.
00:24 Je n'étais pas juste révoltée contre la violence intrafamiliale et tout ça.
00:29 J'étais aussi révoltée contre le monde extérieur,
00:32 de la manière dont on traitait mon père, comment on le tutoyait.
00:35 Ça me choquait terriblement.
00:37 Entre adultes de même origine, c'est-à-dire françaises,
00:41 on ne se tutoyait pas.
00:43 Donc quand on ne connaît pas une personne, on la vouvoie, on ne la tutoie pas à d'emblée.
00:47 Donc c'était une sorte de condescendance, quelque chose d'un peu méprisant, on peut dire.
00:52 Parce qu'il était arabe, bien sûr.
00:53 Cette manière de ne pas être dans le regard de l'autre, comme si on n'existait pas,
00:58 comme si on était absent du paysage.
01:00 À l'école notamment, avec cette expérience d'instituteur au CP,
01:06 qui a été le premier à me traiter de sale arabe,
01:09 je me suis dit « plus jamais ça ».
01:10 Enfin, je l'ai dit à mon père, qui a eu une réaction très violente,
01:13 et qui m'a dit « plus jamais tu te fais traiter de sale arabe ».
01:15 Mais c'est surtout que quand je levais le doigt, je n'étais pas dans son champ de vision.
01:19 Il ne me prenait jamais, alors que souvent j'avais les bonnes réponses.
01:23 Et après, ça met un doute en vous.
01:25 Ça crée quand même quelque chose des petites injustices.
01:31 Mais je ne me suis jamais positionnée comme une victime.
01:34 J'ai toujours pensé que je devais prendre ma vie en main.
01:39 On n'a pas tous des bons départs dans la vie,
01:41 mais on ne peut pas être victime de son enfance.
01:42 Si on passe sa vie à être victime de son enfance,
01:46 c'est donner la victoire aux agresseurs,
01:49 et c'est donner une importance aux agresseurs.
01:53 Et ça, je ne voulais pas, je voulais prendre mon destin en main.
01:56 Je n'aime pas tellement utiliser le mot « racisme »
01:58 parce que ça me gêne terriblement,
02:00 parce que d'un seul coup, j'ai l'impression d'être une victime.
02:03 C'est quelque chose que je refuse catégoriquement.
02:06 Effectivement, dans la vie, on n'est pas accepté par tout le monde, c'est comme ça.
02:10 Beaucoup de gens n'aiment pas les Maghrébins, les Africains subsahariens.
02:15 Ils ont un vrai rejet.
02:18 Ce n'est pas grave, on ne demande pas à être aimé.
02:20 On demande juste à ne pas être agressé.
02:23 Et à ne pas être insulté, en fait, c'est juste ça.
02:25 Mes parents sont arrivés en France au milieu des années 50,
02:28 en fait, suite au grand séisme qu'il y a eu à El Asnab, leur ville d'origine.
02:35 Mon père a fait beaucoup de travail.
02:37 C'était un nomade, c'est quelqu'un qui avait vécu toute sa vie pieds nus.
02:41 C'est quelqu'un qui a beaucoup souffert de l'abandon de sa mère,
02:45 qui a commencé à boire très très jeune, enfant.
02:49 Et donc, la vie de famille n'était absolument pas faite pour lui.
02:54 C'était quelqu'un d'ultra violent, qui n'arrivait jamais à se contrôler,
02:59 qui avait probablement une santé mentale aussi très fragile.
03:03 C'était terrible, en fait.
03:05 Chaque matin, de se réveiller et de voir toutes ces bouches à nourrir,
03:08 c'était l'enfer pour lui.
03:09 Et très vite, ma mère s'est rendue compte que mon père était ultra violent
03:13 et qu'il buvait énormément.
03:16 Et elle retournait à chaque fois chez ses parents,
03:18 qui, eux, la renvoyaient inlassablement chez lui.
03:22 Elle ne pouvait pas quitter un homme, même si violent soit-il.
03:26 Elle l'avait épousée, ça ne se faisait pas.
03:28 On ne quittait pas un homme à cette époque-là.
03:31 Donc finalement, elle est restée avec ce qu'on pourrait appeler son bourreau.
03:34 Toute sa vie, il l'a maltraitée.
03:35 En fait, c'était quelqu'un de très fragile mentalement,
03:38 qui revêtait chaque jour une camisole chimique.
03:42 Elle prenait beaucoup de médicaments, des trucs très lourds.
03:45 Et en fait, c'était la seule chose qui lui permettait de supporter cette vie et cet homme.
03:50 Moi, petite fille spectatrice de ça,
03:53 au début, je pensais que c'était comme ça chez tout le monde.
03:56 Que la situation familiale était ultra violente chez tout le monde,
03:59 que les pères étaient alcooliques, battaient leurs femmes et leurs enfants.
04:03 Jusqu'au jour où j'ai commencé à aller chez les autres, chez les voisins,
04:07 j'ai compris qu'en fait, ce n'était pas pareil,
04:09 que tout le monde n'agissait pas comme ça, que ce n'était pas la règle.
04:14 Mais je ne pouvais rien faire.
04:16 J'étais là avec mes frères et sœurs.
04:17 Donc ça, il faut le dire, c'est quand même, on était une grande fratrie.
04:20 Ce qui est très important dans la maltraitance,
04:22 parce que quand on est ensemble, on se soutient les uns les autres.
04:25 Par exemple, quand un faisait une bêtise,
04:27 jamais personne ne balançait, jamais personne ne disait qui a fait quoi, jamais.
04:31 On préférait recevoir une pluie de coups plutôt que de dénoncer quelqu'un.
04:37 J'étais très effrayée et aussi apitoyée.
04:44 Je le regardais aussi comme un malade, comme quelqu'un qui n'est pas normal,
04:48 comme quelqu'un qui ne se comporte pas normalement
04:51 et que cette personne est quand même mon père.
04:53 Donc, évidemment, quand il était violent, je le haïssais, je souhaitais sa mort.
04:57 Mais aussi, je voyais toute sa détresse et toute cette souffrance, en fait,
05:02 qui m'explosait à la figure.
05:05 Ce qui me faisait le plus mal, c'était quand ma mère se faisait frapper.
05:08 Là, pour moi, c'était horrible.
05:10 Parce que pour nous, c'était normal.
05:12 Je me disais, bon, on est des êtres pas terminés, c'est normal qu'on nous frappe.
05:17 Mais quand c'était ma mère, là, c'était d'une violence extrême
05:20 et ça me faisait très, très peur,
05:21 parce que la violence entre adultes fait très peur aux enfants.
05:24 J'avais peur qu'elle meure, j'avais peur qu'il lui arrive quelque chose de terrible.
05:28 Mon père se déchaînait.
05:30 Il faut savoir que la violence est aussi une grande jouissance pour les agresseurs.
05:36 Il y a quelque chose qui les stimule.
05:40 Et puis, il y a aussi quelque chose de l'ordre de la haine de soi.
05:43 Quand on frappe ses enfants si petits, c'est qu'on se haît soi-même aussi.
05:48 C'est quand même l'extension de soi à ses enfants.
05:50 C'était des coups de ceinture, des coups de câble de télé,
05:53 des coups de pied, des coups de poing, enfin tout, des coups.
05:58 J'ai une cicatrice sur le crâne que je touche très souvent.
06:01 Je me dis, ça, je n'oublie pas.
06:03 Et j'ai vu les étoiles aussi très tôt.
06:04 Je voyais ça dans les dessins animés et un jour, je les ai vues.
06:08 Et en fait, j'ai compris quand on se fait une pluie de coups,
06:10 on voit aussi les étoiles.
06:11 Il doit se passer quelque chose dans le cerveau
06:15 qui fait que ça vous fait des éclairs comme ça dans la tête.
06:18 Le viol chez moi, ce n'est pas quelque chose que je voyais.
06:21 Ce n'est pas quelque chose qui se passait sous mes yeux.
06:24 C'est quelque chose que j'entendais.
06:25 J'ai toujours su ça.
06:26 J'ai toujours su que ça se passait.
06:29 Moi, ce qui m'arrivait, c'est qu'on était envoyé en vacances
06:34 chez un oncle qui était un pédophile, vraiment,
06:37 et qui abusait d'enfants, de tous les enfants qui étaient là.
06:43 Quand j'arrivais chez cet oncle qui était un dévoreur d'enfants,
06:46 comme je le dis dans le livre,
06:49 un grand sentiment d'angoisse m'habitait.
06:51 Je savais que quelque chose allait se passer.
06:55 Et effectivement, toutes les nuits,
06:58 il se passait quelque chose de terrible.
07:00 Il venait hanter les matelas surpeuplés d'enfants.
07:05 Et ça, ça me terrifiait.
07:07 En fait, les premières angoisses de mort que j'ai eues sont liées à ça.
07:12 J'ai eu des crises d'attaque de panique à ce moment-là,
07:16 à partir de l'âge de 7 ans,
07:18 où j'ai supplié ma mère de ne pas me laisser là-bas.
07:21 Et elle n'a pas entendu mon appel,
07:25 elle n'a pas entendu mes souffrances.
07:30 Elle n'a pas voulu les entendre,
07:31 elle ne les a pas comprises, enfin peu importe.
07:33 Donc très tôt, j'ai compris que j'étais seule dans la vie,
07:37 qu'en fait, personne ne pouvait me défendre.
07:40 J'ai mis très très longtemps à faire confiance aux hommes.
07:42 Je n'avais pas du tout confiance aux hommes, mais pas du tout.
07:45 J'ai eu la chance d'arriver dans le milieu de la mode,
07:48 qui a été un milieu très différent de ce que je connaissais,
07:51 où une grande partie des hommes, on va dire, étaient homosexuels.
07:54 Donc d'un seul coup, disons que ça m'a réconciliée avec le genre masculin.
07:58 J'en veux à personne.
08:00 Je ne suis pas dans le ressentiment, ce n'est pas un livre de vengeance,
08:03 ce n'est pas un livre de dénonciation, ce n'est pas un livre là-dessus,
08:09 c'est un livre de constat, en fait.
08:11 C'est juste, voilà, j'explique quelque chose,
08:15 j'explique un parcours de vie,
08:17 j'explique mon cheminement dans la vie.
08:20 Je crois que chaque jour, je me recrée interminablement
08:25 et que chaque jour est un autre défi.
08:27 Ça a été ma vie, je n'en suis pas morte,
08:29 donc j'ai décidé d'en faire quelque chose.
08:31 Ce livre aussi, je l'ai écrit pour mes enfants
08:33 parce que je ne voulais pas leur laisser le silence en héritage.
08:36 C'était important pour moi qu'ils sachent,
08:38 parce que c'est quelque chose qui était très difficile pour moi à expliquer.
08:42 Je crois au bonheur, oui, je crois tout à fait au bonheur.
08:45 Je crois au malheur aussi.
08:48 Je crois qu'en fait, c'est les malheurs qui font que le bonheur arrive
08:52 et que c'est l'enchaînement des deux
08:53 qui fait que d'un seul coup, on se rend compte qu'on vit un moment merveilleux
08:57 et que si on croit qu'on va traverser la vie sans douleur et sans souffrance
09:03 et sans malheur, on se trompe, on se trompe,
09:07 mais fondamentalement, la vie est faite de ça.
09:10 Je crois que je suis heureuse aujourd'hui.
09:11 En tout cas, je ne suis plus malheureuse, ça c'est sûr.
09:14 Et ce qui me rend heureuse, c'est ma famille, c'est mon travail,
09:17 c'est mes proches, c'est ce que disait Freud.
09:23 Vraiment, je suis une adepte de ça très forte,
09:25 c'est de pouvoir aimer et travailler.
09:27 Voilà, c'est ça qui me rend heureuse.
09:29 [Générique]

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