• l’année dernière
Saignée démographiques, reprises périodiques des violences, intégration européenne, influence turque, russe, américaine, guerre d'Ukraine... L'avenir européen se joue-t-il dans les Balkans ? Entretien avec le spécialiste de la région, Laurent Geslin.

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Transcription
00:00 - Bonjour. - Bonjour.
00:01 - Vous êtes journaliste, rédacteur en chef adjoint au Courrier des Balkans, le meilleur
00:07 site sur le sujet, en tout cas en France.
00:10 Avec Jean-Arnaud Derens, votre collègue, vous avez récemment publié un ouvrage qui
00:15 s'appelle "Les Balkans, Carrefour sous influence", sous édition Taillandier, où sans question,
00:21 vous essayez de donner 100 réponses à un sujet qui en demande beaucoup plus naturellement.
00:26 L'actualité dans les Balkans, finalement, on en entend toujours plus ou moins parler,
00:32 même en France récemment, même à Roland-Garros, lorsque Novak Djokovic, au premier tour du
00:38 tournoi, à la fin de son premier match, a un peu déclenché une sorte de polémique
00:44 après avoir signé sur la caméra de France Télévisions le Kosovo et le cœur de la Serbie.
00:51 En quoi et pourquoi cet énervement soudain, dès lors que Djokovic parle de ce genre de
00:58 choses ?
00:59 En réalité, la position de Djokovic est connue depuis longtemps.
01:03 Sa famille est originaire du Kosovo et lui-même a toujours revendiqué un Kosovo serbe.
01:09 Pour rappel, le Kosovo, c'est une région anciennement du sud de la Serbie qui a déclaré
01:14 unilatéralement son indépendance de Belgrade en 2008.
01:17 Elle est aujourd'hui peuplée à majorité d'Albanais musulmans, à 90 %, et où subsistent
01:24 certaines enclaves, notamment au sud de la rivière Ibar, des enclaves serbes, autour
01:29 de Pristina, autour du monastère de Gračanica, par exemple, et puis une zone au nord de Mitrovica
01:34 contiguë à la Serbie.
01:36 L'enjeu depuis 2008 est pour les autorités de Pristina d'être reconnues sur la scène
01:43 internationale, puisque moins de 100 États aujourd'hui dans le monde reconnaissent
01:47 officiellement le Kosovo.
01:49 D'ailleurs, il y a cinq États au sein de l'Union européenne qui ne reconnaissent
01:52 pas l'indépendance de cet État.
01:54 Des négociations se mènent à Bruxelles depuis 2011 sur la normalisation des relations
01:59 entre Pristina et Belgrade.
02:01 Pour le Kosovo, l'objectif est d'obtenir une reconnaissance de son autonomie, de son
02:07 indépendance par Belgrade.
02:08 Son objectif est évidemment de faire en sorte que le Kosovo soit reconnu.
02:12 Son objectif est évidemment de lutter contre cette indépendance unilatéralement proclamée
02:19 en 2008.
02:20 Les tensions sont depuis récurrentes, en réalité depuis 1999 et depuis 2008.
02:26 On assiste à des accès de tension réguliers à Mitrovica qui cristallisent réellement
02:32 les tensions entre les deux États, avec l'objectif pour Pristina de prendre le contrôle
02:38 administratif de ces régions qui sont toujours sous le contrôle des autorités de Belgrade.
02:43 Dans le nord du Kosovo, vous pouvez par exemple payer en dinars.
02:47 Les écoles sont des écoles qui suivent les programmes de Belgrade, où les forces de
02:52 renseignement serbe sont toujours présentes.
02:54 On a eu un accès de violence à la fin du mois de mai dernier sur une question qui était
03:03 attendue depuis des mois, sur laquelle les deux pays se disputaient depuis des mois,
03:09 à savoir que le Premier ministre du Kosovo, Albin Kurti, voulait imposer des plaques d'immatriculation
03:15 du Kosovo pour les Serbes habitants au nord de ce pays.
03:19 Bien sûr, un mouvement qui a été totalement contesté par les Serbes du nord, qui n'ont
03:25 pas voulu prendre ces plaques d'immatriculation du Kosovo et qui voulaient garder les plaques
03:29 d'immatriculation serbe.
03:30 En réalité, la situation a dégénéré depuis un an.
03:34 Le 5 novembre dernier, les élus serbes du nord du Kosovo ont quitté toutes les institutions
03:41 de ce Kosovo indépendant.
03:43 De nouvelles élections ont été organisées dans les municipalités serbes où ces élus
03:48 avaient démissionné.
03:49 Des élections boycottées par les partis serbes du nord du Kosovo.
03:54 La participation a atteint à peine 3% de la population inscrite.
03:58 Quand les maires albanais nouvellement élus ont voulu prendre leur fonction dans ces mairies
04:03 à majorité serbe, ça s'est mal passé.
04:06 On a eu des émeutes.
04:07 Et pour la première fois depuis très longtemps, des blessés graves, avec une cinquantaine
04:13 de blessés, dont 30 soldats de l'Alkafor, ce qui est tout de même un chiffre significatif.
04:17 C'est d'ailleurs la première fois que les soldats de l'Alkafor intervenaient sur le
04:21 terrain pour séparer les deux communautés depuis 2008.
04:24 Donc un événement qui a fortement alarmé la communauté internationale.
04:30 Mais ce genre d'incident qui vient d'avoir lieu, est-ce que nous sommes au maximum de
04:35 la violence possible ?
04:36 Ou est-ce qu'on peut imaginer des dérapages encore plus importants, voire pire, voire
04:42 une guerre ?
04:43 Alors en réalité, la tension au Kosovo est permanente depuis 1999, ou même depuis 2008,
04:48 depuis la déclaration d'indépendance unilatérale de cette ancienne province serbe.
04:53 Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'à la fois Pristina et Belgrade, les deux capitales
04:57 ont intérêt à instrumentaliser les violences et les tensions dans le nord du Kosovo pour
05:03 des raisons de politique interne.
05:06 Par exemple, le président Aleksandar Vucic s'est très certainement frotté les mains
05:11 après les violences.
05:13 Président serbi.
05:14 Il était tout à fait, je dirais, utile que ces violences éclatent à ce moment-là,
05:19 puisque lui-même était contesté dans la rue par des manifestations assez importantes
05:24 à Belgrade, qui se sont déclenchées il y a déjà plus d'un mois pour protester
05:29 contre le climat de violence qui prévaut en Serbie.
05:34 Deux tueries qui se sont déroulées au début du mois de mai ont fait 17 morts.
05:39 Et les Serbes sont massivement descendus dans la rue pour dénoncer la mise au pas de la
05:44 presse, de la télévision, des principaux médias serbes et pour demander la démission
05:49 du ministre de l'Intérieur, pour demander, je dirais, un climat plus apaisé dans le
05:55 pays, ou en tout cas l'arrêt de la propagande diffusée par le gouvernement.
05:59 Donc pour Aleksandar Vucic, il était très utile que des violences aient lieu à ce moment-là.
06:04 Pour Albin Kurti, en revanche, la séquence n'a pas été très heureuse, puisque vouloir
06:10 imposer ses maires albanais dans le nord serbe de la province a créé des remous internationaux
06:16 assez importants.
06:18 Et d'ailleurs, Albin Kurti, qui était autrefois, en tout cas le gouvernement kosovar, qui était
06:22 autrefois un allié proche des États-Unis, s'est fait taper sur les doigts par Washington,
06:26 qui lui reproche d'avoir pris ses mesures de façon autoritaire, et surtout sans prévenir
06:31 ses alliés, à savoir Washington et les pays européens.
06:33 Donc pour la première fois, peut-être, le gouvernement du Kosovo se trouve dans une
06:37 situation assez inconfortable, où finalement, les Américains, les Français, l'ensemble
06:41 de l'Union européenne reprochent au Premier ministre Albin Kurti des démarches un peu
06:46 cavalières, en tout cas un manque de coordination au niveau international, dans le contexte
06:52 de l'installation de ses maires albanais.
06:54 Donc on va voir comment la situation évolue.
06:56 En tout cas, pour l'heure, les Occidentaux et les Américains sont clairement, je dirais,
07:01 dans une phase de discussion intense avec le président Vucic, et ne sont pas du tout
07:06 prêts à lui taper sur les doigts pour ses éventuelles dérives sur la liberté de la
07:10 presse et sur les questions politiques intérieures.
07:13 Mais pour en venir au Kosovo, il va y avoir d'autres élections qui vont être mises
07:16 en place.
07:17 C'est quoi le prochain scénario ?
07:19 Alors effectivement, le gouvernement du Kosovo a déclaré qu'il était prêt à organiser
07:24 de nouvelles élections, tout en rappelant que ces élections devaient se dérouler dans
07:29 un climat de sérénité, de calme, et que les principaux fauteurs de troubles, en tout
07:35 cas ceux qui s'étaient rendus coupables de violences dans le nord du Kosovo, soient
07:39 arrêtés.
07:40 Alors évidemment, ça c'est une partie de l'équation qu'il est très difficile
07:44 de remplir, comment arrêter des gens qui sont sur un territoire qui finalement vous
07:48 échappe, puisqu'aujourd'hui c'est surtout l'OTAN qui assure la sécurité dans le nord
07:54 du Kosovo.
07:55 Donc comment faire pour, je dirais, retrouver et juger éventuellement les auteurs de ces
07:59 violences ?
08:00 Ça me semble un tout petit peu difficile.
08:02 Donc sur le papier, effectivement, des nouvelles élections vont pouvoir se tenir.
08:05 En réalité, je dirais, la clé de l'équation se trouve à Belgrade.
08:09 Si Belgrade autorise, si Belgrade demande au parti serbe du nord du Kosovo, et en premier
08:16 à la Lista serbska, qui est le parti hégémonique serbe dans ce nord du Kosovo, si Belgrade
08:21 leur commande de se rendre aux élections et de participer aux scrutins, eh bien ils
08:25 obéiront évidemment de façon immédiate.
08:28 Donc la clé de la problématique se trouve à Belgrade.
08:32 On parle du Kosovo, où il y a eu cette flambée de violence récente.
08:38 On voit que la Bosnie-Herzégovine n'a pas échappé non plus à quelques tensions assez
08:43 graves il y a deux ans seulement, avec le président Dodik, le président de la République
08:49 serbe de Bosnie-Herzégovine, qui à un moment donné a fait clairement entendre, appuyé
08:54 là encore par la Serbie de Vucic, qu'il aimerait bien devenir franchement indépendant.
08:59 Est-ce qu'aujourd'hui, la situation en Bosnie, en Kosovo, au Kosovo aussi, est, comment
09:08 dire, sous-tendue aussi par la guerre russo-ukrainienne ? Est-ce que le fait que, je sais, la Serbie
09:14 est quand même relativement pro-russe, est-ce que ça joue dans ces tensions ? Alors en
09:19 2021, il n'y avait pas encore la guerre, mais c'était quand même déjà tendu.
09:22 Aujourd'hui, il y a cette guerre russo-ukrainienne.
09:24 Est-ce que dans cette partie-là des Balkans, cette guerre-là peut avoir des influences
09:28 néfastes et peut peut-être être le début, enfin peut peut-être amener une poudrière
09:32 supplémentaire en Europe ?
09:34 Alors, ce qu'il faut comprendre, c'est que déjà, les populations des Balkans ont regardé
09:38 avec horreur le début de l'offensive russe en Ukraine, puisque évidemment, ça a rappelé
09:43 des souvenirs extrêmement traumatiques pour les gens de la région.
09:46 Pour rappel, entre 1991 et 1999, on avait plus de 100 000 morts dans la région, durant
09:51 les guerres en Croatie, en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo et puis ensuite en Macédoine du
09:55 Nord.
09:56 Donc un bilan humain extrêmement lourd.
09:57 Et effectivement, les images de ces combats au cœur de l'Europe, en Ukraine, ont ravivé
10:02 des mémoires extrêmement douloureuses.
10:04 Ensuite, pour prendre le cas de la Bosnie-Herzégovine, qui est un État fracturé de fait depuis
10:09 1995, depuis la signature des accords de Dayton, en deux entités, au nord, la République
10:14 asserbska, vous l'avez dit, à majorité serbe, dirigée aujourd'hui par Milorad Dodik,
10:19 qui est un dirigeant autoritaire et qui pense avant tout à faire fructifier les affaires
10:26 de sa famille, pour le dire clairement.
10:28 Et ensuite, la Fédération croato-musulmane au sud, qui rassemble des cantons soit à
10:33 majorité croate, soit à majorité bosniaque-musulmane.
10:36 Donc ce pays, de fait, est fracturé depuis 1995.
10:39 Donc ça, encore une fois, ce n'est pas une surprise ni une nouveauté.
10:43 Le fait que Milorad Dodik réalimente, répète ses désirs de sécession de cette République
10:51 asserbska, encore une fois, ne sont pas nouveaux.
10:54 Ça fait déjà des années qu'il agite le spectre d'une indépendance de cette République
11:00 asserbska.
11:01 Souvent, quand les élections s'y arrivent.
11:03 Bien sûr, quand les élections arrivent, quand il doit négocier quelque chose avec
11:07 Sarajevo, quand les Occidentaux commencent à lui reprocher peut-être d'aller trop
11:11 souvent à Moscou, etc.
11:12 C'est un jeu qui est très bien organisé, très bien huilé, et qui se répète de façon
11:17 régulière.
11:18 Alors ensuite, qu'est-ce que la guerre en Ukraine peut avoir comme influence sur la
11:22 région ?
11:23 Effectivement, la Serbie, au Conseil des Nations Unies, a condamné l'agression russe en
11:30 Ukraine, mais n'a pas voté les sanctions de l'Union Européenne contre la Russie.
11:34 Donc c'est une différence notable, notamment vu que la Serbie est candidate à l'intégration
11:39 à l'Union Européenne.
11:40 C'est un mouvement que l'on pouvait trouver osé quand il s'est produit en février
11:48 2022, et qui finalement a été plutôt bien joué, puisqu'aujourd'hui les Occidentaux
11:53 considèrent Vucic, comme un garant de la stabilité de la région.
12:00 C'est comme ça qu'on doit comprendre les critiques qui ont été adressées aussi
12:05 à Albinkurti au Kosovo.
12:06 C'est "écoutez ce que vous avez à dire, on va peut-être accepter certaines dérives
12:13 autoritaires pour ne pas vous tenter de vous rapprocher potentiellement du grand frère
12:20 russe, comme on dit en Serbie".
12:22 Alors en réalité, la Serbie menait des exercices militaires avec la Russie avant l'invasion
12:28 russe, mais elle en menait également avec l'OTAN, donc là encore une fois, pas de
12:32 nouveautés notables.
12:33 Ce qu'on peut noter comme évolution sur le terrain, c'est que la Serbie a conservé
12:38 une ligne aérienne directe entre Moscou et Belgrade.
12:41 C'est encore une fois le seul pays européen à avoir conservé une ligne aérienne avec
12:46 Moscou.
12:47 Plusieurs dizaines, voire centaines de milliers de Russes sont arrivés en Serbie après la
12:52 vague de mobilisation décrétée par Poutine à l'automne dernier.
12:55 Ces derniers se sont installés, ont ouvert des business, des sociétés, des entreprises.
13:00 Pour la Serbie, c'est un apport économique non négligeable.
13:03 Cependant, je pense qu'il faut éviter de surinterpréter l'influence que pourrait
13:09 avoir Moscou dans les Balkans, puisqu'en réalité, les leviers d'influence de la
13:14 Russie dans les Balkans sont relativement limités.
13:16 Alors on a effectivement l'église orthodoxe serbe, qui conserve des liens avec l'église
13:21 orthodoxe russe.
13:22 On a effectivement Milorad Dodik, qui se rend régulièrement à Moscou pour demander
13:27 prêts, vu que son entité est en faillite chronique.
13:31 On a quelques intérêts économiques, par exemple le gaz en Serbie, qui est contrôlé
13:38 par une succursale de Gazprom.
13:40 Donc il y a certains intérêts, certains leviers d'influence.
13:43 Cependant, ils sont relativement peu nombreux.
13:46 La Serbie, par exemple, réalise plus de 70% de ses échanges économiques avec l'Union
13:50 européenne.
13:51 Et ça, il ne faut jamais l'oublier.
13:53 La Serbie tient malgré tout à conserver son rôle d'équilibriste entre les deux blocs.
13:59 Un rôle qui est d'ailleurs hérité de celui du maréchal Tito durant la Yougoslavie,
14:05 qui naviguait entre l'Occident et le bloc de l'Est.
14:08 Donc je dirais que la guerre a une influence, au moins au niveau rhétorique, puisque par
14:15 exemple, le ministre Lavrov ne s'est pas gêné pour appuyer là où ça fait mal quand
14:22 les soldats de l'OTAN ont été blessés au Kosovo à la fin du mois de mai.
14:25 Donc rhétoriquement, c'est utile, c'est important pour la Russie de montrer que l'OTAN
14:30 peut être aussi empêtrée dans des affaires un peu compliquées.
14:33 Sur le terrain, je ne vois pas d'influence, en tout cas, qui pourrait faire basculer la
14:37 région dans la guerre de façon prochaine.
14:40 En tout cas, le pire n'est jamais certain et on verra comment ça évolue.
14:44 Mais en tout cas, à mon sens, il n'y a pas de voyant rouge qui s'allume et la situation
14:52 peut être gérée normalement.
14:54 On voit que la Serbie, en fait, c'est quand même le pays qui est au cœur des problématiques,
14:59 bien entendu depuis le début, après la guerre des Balkans, la guerre terrible qui
15:04 a eu lieu dans les Balkans fin des années 80, début des années 90.
15:08 Mais la Serbie est aussi, comme vous venez de le dire d'ailleurs, c'est aussi une
15:12 entité chrétienne très forte, enfin de christianisme orthodoxe, l'église orthodoxe
15:17 serbe.
15:18 Et aujourd'hui, elle est effectivement plus ou moins liée, reliée à Moscou.
15:24 Et elle est aussi une sorte de, peut-être de paravent, d'ailleurs, elle en joue beaucoup.
15:28 J'en reviens sur Djokovic qui, à chaque fois, fait son signe trinitaire, qui est un
15:32 vieux signe qui ramène du temps des Ottomans.
15:36 Et justement, comment les Balkans aujourd'hui sont vus par quelqu'un comme Erdogan, qui
15:41 est quand même sur une logique néo-ottomane, enfin sur un fantasme d'un néo-empire ottoman.
15:49 Comment la Serbie se place-t-elle par rapport à ça ?
15:53 Et comment les Balkans en général d'ailleurs se considèrent-ils, enfin les pays des Balkans
15:57 se considèrent-ils, puisqu'ils étaient dans cet empire ottoman avant ?
16:00 Comment ils voient cette Turquie qui monte ?
16:03 Alors sur le plan rhétorique, encore une fois, tous les pays de la région ont accès
16:10 à l'indépendance à la fin du XIXe siècle en luttant contre l'empire ottoman.
16:16 L'éclosion des nationalismes modernes dans les Balkans, c'est entre 1820 et le début
16:23 du XXe siècle, disons.
16:24 Donc tous les pays de la région conservent évidemment la mémoire de ces luttes contre
16:28 l'empire ottoman, les guerres balkaniques de 1912-1913.
16:31 Donc ça, c'est véritablement inscrit dans le patrimoine de ces États balkaniques.
16:37 Ensuite, la relation contemporaine avec la Turquie, je dirais, est beaucoup plus pragmatique.
16:44 Erdogan, effectivement, avait lancé au début de son mandat et même avant Erdogan, une
16:51 politique d'influence dans la région, d'investissement, notamment dans les mosquées,
16:58 pour rénover du patrimoine ottoman, d'installation d'entreprises, etc.
17:02 Je dirais que c'est un peu moins vrai depuis quelques années, puisque Erdogan a dû aussi
17:06 se rediriger vers un étranger proche un peu plus turbulent, avec la Syrie et tout ce qui
17:15 se passe au sud de la Turquie.
17:17 Donc je dirais que ce retour ottoman dans la région est un peu annuancé.
17:21 Il était très certainement plus important il y a quelques années, aujourd'hui un peu
17:24 moins.
17:25 Ce qui n'empêche pas les entreprises turques et Erdogan lui-même de se rendre régulièrement,
17:31 notamment en Albanie, pour faire des meetings et des discours électoraux en direction de
17:37 tous les Turcs d'Europe.
17:39 Par exemple, Erdogan, avant les élections, se rend régulièrement en Albanie, mais aussi
17:43 en Serbie d'ailleurs, pour faire des meetings politiques qui attirent les Turcs d'Allemagne
17:48 notamment.
17:49 Donc ça lui sert aussi pour toucher cette diaspora turque en Allemagne ou en Europe
17:54 de l'Ouest plus généralement.
17:56 Ensuite, les relations que le pouvoir turc entretient aujourd'hui avec les Balkans sont
18:01 avant tout d'ordre économique.
18:03 Alors il ne faut pas oublier aussi que les états de la région ont très volontairement
18:10 livré des gulenistes qui s'étaient réfugiés, notamment au Kosovo.
18:16 Les autorités du Kosovo ont, de façon totalement illégale d'ailleurs, arrêté des citoyens
18:21 turcs qui se trouvaient dans leur pays et les ont livrés aux autorités turques.
18:26 Les gulenistes, je précise juste, sont ces gens qui sont issus de la congrégation de
18:32 Fethullah Gülen, qui était celui qui a amené Erdogan au pouvoir au début des années 2000,
18:37 mais qui est devenu très gênant après le Putsch ou le pseudo-Putsch de 2016.
18:42 Et effectivement, depuis lors, Erdogan a fait une purge terrible qui va donc jusque dans
18:47 les Balkans.
18:48 Oui, tout à fait, en Bosnie, en Albanie, au Kosovo, des gens ont été arrêtés et
18:52 extradés de façon totalement illégale en Turquie.
18:56 Donc voilà, ça c'est une application concrète de ces liens qui existent entre Ankara et
19:03 les pays des Balkans.
19:04 Alors maintenant, on va venir sur l'Europe.
19:07 On vous l'avait dit tout à l'heure, la Serbie est candidate.
19:10 Il y a d'autres pays des Balkans qui sont candidats, il y en a d'autres qui commencent
19:13 à être candidats, le Kosovo, l'Assitane du Nord, je crois, Monténégro.
19:18 Bref, qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui, la Bosnie, je ne sais pas si la Bosnie-Herzégovine
19:23 fait partie aussi des candidats, je crois.
19:25 Elle a obtenu le statut de candidat.
19:27 De candidat, voilà.
19:28 Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui, pour ces pays qu'on vient de citer, surtout la
19:34 Serbie, la Bosnie, les gros pays, peut-être le Kosovo, on pourra revenir dessus, Monténégro,
19:38 qu'est-ce qui fait que ces pays ont une chance ou pas de pouvoir intégrer l'Europe
19:43 et quelle est vraiment la position de l'Europe par rapport à eux ?
19:46 Alors d'abord, ce qu'il faut rappeler, c'est que le Conseil européen de Thessalonique
19:50 en 2003 avait, il y a 20 ans, reconnu la vocation de tous les états de la région à rejoindre
19:57 l'Union européenne.
19:59 Donc, 2023, c'est déjà il y a 20 ans.
20:02 Donc, une génération s'est écoulée depuis cette promesse originelle du Conseil européen
20:07 de Thessalonique.
20:08 Ensuite, vous l'avez rappelé, les états des Balkans sont à des stades différents
20:13 dans le chemin d'intégration vers l'Union européenne.
20:17 La Serbie, le Monténégro ont ouvert leurs négociations d'adhésion avec Bruxelles.
20:23 La Macédoine du Nord et l'Albanie viennent tout juste d'ouvrir ces négociations à
20:28 l'été dernier, après des années et des années passées dans cet anti-chambre à
20:32 attendre l'ouverture de ces négociations.
20:34 La Bosnie a tout juste reçu son statut de candidat.
20:40 Et ce qu'il faut d'abord rappeler, c'est que tous les états des Balkans ont regardé
20:44 avec un peu d'effarement l'Ukraine et la Moldavie recevoir le statut de candidat d'une
20:49 façon extrêmement politique.
20:51 On leur a répété pendant des années que pour recevoir ce fameux statut et ensuite
20:56 pour ouvrir les négociations, il fallait remplir toute une série de critères bien
21:00 précis, très stricts et très formatés.
21:04 Et dans le même temps, deux états reçoivent ce fameux statut de candidat sur une décision
21:08 tout à fait politique.
21:10 Donc là, déjà, il y a une contradiction assez intéressante.
21:13 Ensuite, je crois que la majorité des populations des états des Balkans, malheureusement, ne
21:19 se font plus beaucoup d'illusions sur la possibilité à court terme d'intégrer l'Union
21:24 quand on a déjà attendu 20 ans.
21:27 Finalement, c'est une génération, comme je l'ai dit, et qu'on promette une intégration
21:32 en 2030, 2035, 2040, finalement, ça ne change plus grand-chose pour eux.
21:37 Et d'ailleurs, la majorité des citoyens de la région, s'ils étaient très partisans
21:43 de cette intégration il y a encore quelques années, eux sont un peu moins aujourd'hui
21:46 puisque, effectivement, beaucoup de temps a passé.
21:48 Est-ce que ce n'est pas le risque de les jeter dans les bras d'autres zones du monde,
21:55 comme notamment la Russie ou même la Turquie ?
21:57 Alors, c'est effectivement ce que répètent en boucle les gouvernements de la région
22:01 en disant "attention, si on traîne trop dans ce processus d'intégration, la population
22:05 va se tourner vers d'autres influences, d'autres pays, d'autres blocs".
22:12 Moi, ce que je vois surtout, c'est qu'il y a une maxime bien connue dans les Balkans
22:15 qui dit "si l'Europe ne vient pas à nous, c'est nous qui irons vers l'Europe".
22:18 Et c'est ce que font les Balkaniques.
22:20 C'est-à-dire qu'on a une émigration extrêmement importante, notamment vers l'Allemagne,
22:25 vers la Suisse, vers les pays scandinaves, un peu vers la France, mais un peu moins,
22:28 et où vous n'avez plus seulement des infirmiers, des médecins, des personnels qualifiés,
22:34 comme c'était encore le cas il y a quelques années, mais aujourd'hui,
22:36 c'est des ouvriers qui partent, c'est des boulangers, c'est des mécaniciens.
22:40 On a fait des reportages avec mon collègue Jean-Arnaud Derens dans des régions de Bosnie
22:46 où vous avez par exemple des lenders allemands qui installent des bureaux de recrutement
22:49 pendant deux semaines dans des petites villes de 100 000 habitants en disant
22:52 "dans deux semaines, on veut 30 plombiers payés 2500 euros avec des cours d'allemand
22:57 et un logement en Allemagne".
22:59 Donc effectivement, deux semaines après, la ville n'a plus aucun plombier.
23:02 Et ça, c'est une incidence directe sur la vie de la population.
23:06 Donc plutôt que, je dirais, une hypothétique influence venue de Russie, de Chine,
23:13 ou pourquoi pas de Turquie, moi ce que je vois surtout, c'est que cette fatigue de l'intégration
23:17 pousse les gens à partir massivement et à terme menace même, je dirais, l'existence de ces états
23:24 puisque on a une combinaison d'une émigration extrêmement forte et d'une natalité très faible.
23:29 Et par exemple, la Serbie a perdu un million d'habitants en dix ans.
23:33 Selon le dernier recensement, les Serbes ne sont plus que 6 millions sans compter le Kosovo,
23:37 alors qu'ils étaient 7 millions il y a encore dix ans.
23:40 Donc une saignée démographique tout à fait impressionnante qui est la combinaison de ces deux facteurs
23:44 et qui, à mon sens, est aussi une des conséquences de cette fatigue de l'intégration.
23:50 Conséquence à relativiser néanmoins puisqu'on retrouve le même phénomène en Croatie,
23:54 qui fait partie de l'Union, en Roumanie et en Bulgarie, où on a aussi une chute démographique extrêmement importante.
24:00 Donc ce n'est pas uniquement la seule conséquence, je dirais, mais ça en fait partie.
24:04 A vous écouter, Laurent Génin, finalement, ce qu'on comprend, c'est que les Balkans,
24:10 aujourd'hui, sont une région, on va dire, un peu fatiguée, d'abord et avant tout,
24:18 où il peut y avoir de temps en temps quelques anicroches, mais qu'au fond,
24:22 on se fait peut-être beaucoup de fantasmes par rapport à une explosion possible.
24:29 Est-ce qu'on peut dire ça, finalement, de cette région ?
24:32 Oui, j'ai tendance à dire que pour faire des guerres, il faut des combattants.
24:36 Et si on n'a plus de combattants, évidemment, c'est plus dur de se battre.
24:40 Alors, je caricature, évidemment, et des poussées de violence ne sont jamais à exclure.
24:44 Malheureusement, on l'a vu au Kosovo, on peut le voir ailleurs, les choses pourraient déraper.
24:49 Si, par exemple, quelqu'un venait à mourir au Kosovo, là, on n'a eu que des blessés.
24:54 Si une personne, un soldat de l'OTAN, un serbe ou un Albanais, venait à mourir,
24:58 évidemment, les choses pourraient prendre un tour un peu plus mauvais.
25:03 Cependant, je pense que les tensions sont aussi le résultat de crispations internes
25:11 aux différents gouvernements de la région, à des logiques internes qui sont bien éloignées
25:16 de la guerre en Ukraine ou de conflits internationaux autres.
25:21 Donc, oui, je pense que ces violences sont à la fois rituelles, ritualisées, instrumentalisées, utilisées,
25:28 ce qui n'empêche pas qu'elles sont bien réelles et qu'elles peuvent être éventuellement dangereuses.
25:33 Moi, je pense aussi particulièrement, par exemple, aux Serbes du nord du Kosovo,
25:37 qui sont 30 à 40 000 et qui vivent depuis 1999 dans un territoire qui est géré par des réseaux criminels et mafieux.
25:46 Ce sont des gens tout à fait, je dirais, normaux qui habitent là, avec des familles,
25:50 qui ont des espoirs, des rêves, et qui vivent dans un territoire, finalement, très difficile à contrôler
25:56 et où il est très difficile de vivre au quotidien.
25:59 Donc, ça, c'est aussi la réalité de ces tensions.
26:01 Ce sont des gens qui vivent dans des conditions très compliquées.
26:04 Les Serbes dans les enclaves au sud, les Albanais du Kosovo,
26:07 qui sont obligés de partir massivement par manque d'emploi ou de perspective.
26:11 Je tiens juste à rappeler que le Kosovo vient tout juste de libéraliser ses visas avec l'Union européenne,
26:17 que ça devrait entrer en application dans les prochains mois,
26:20 mais que jusqu'à présent, les citoyens du Kosovo, avec un passeport kosovar,
26:24 pouvaient se rendre en Albanie et en Macédoine du Nord.
26:27 Donc, comment élever un enfant ? Comment penser l'avenir ?
26:30 Comment s'imaginer un futur dans un pays où vous ne pouvez pas voyager,
26:36 où vous ne pouvez pas, basiquement, sortir ?
26:38 Alors, ça va peut-être changer avec la libéralisation des visas.
26:41 Mais c'est aussi ça, le quotidien et la réalité de ces gens sur place.
26:44 Sans parler de crise internationale et d'influences géopolitiques diverses,
26:50 c'est des gens sur place qui ont des difficultés extrêmes pour vivre et pour s'imaginer un futur.
26:54 Et c'est ça aussi qui entraîne ces migrations extrêmement importantes.
26:58 D'autant plus amère comme situation que leurs parents ou leurs grands-parents
27:03 avaient le passeport yogoslav qui leur permettait de bouger partout dans le monde.
27:06 Vous venez de l'évoquer. Quel est le poids, en fait, on va dire, pour rester poli,
27:15 de l'économie, des économies parallèles, des trafics en tout genre dans les Balkans, aujourd'hui ?
27:24 Alors, il est important, sans nul doute, pour rappel, la Serbie et le Monténégro ont survécu
27:30 durant toutes les années 90 en utilisant cette économie noire pour faire fonctionner les budgets de l'État.
27:37 Puisque la Serbie et Monténégro, dans cette petite Yougoslavie qui existait après la guerre de Bosnie,
27:42 étaient sous embargo international, de fait, les structures mafieuses étaient associées
27:47 aux pouvoirs politiques pour trafiquer notamment des cigarettes, par exemple dans le cas du Monténégro,
27:52 afin de faire vivre la population. Donc il y a eu une interconnection, une interprénéalisation
27:56 des structures mafieuses et des structures politiques dès les années 90.
28:00 Ensuite, vous avez, comme dans tous les pays où l'État ne fonctionne pas bien,
28:05 où les services publics ne sont pas assurés de façon, je dirais, normale,
28:11 vous avez le développement de réseaux parallèles qui sont extrêmement actifs
28:16 et qui, pour le coup, n'ont aucune barrière communautaire ou ethnique ou religieuse.
28:21 Les gens travaillent très bien ensemble, qu'on soit musulmans, orthodoxes ou catholiques,
28:25 et ça n'a jamais empêché les brigands de travailler ensemble.
28:29 Après l'épisode des cigarettes des années 90, les Balkans se sont largement reconvertis
28:35 dans le trafic de drogue. Alors avec différentes provenances, on a la route historique
28:40 qui part de l'Afghanistan, Turquie et qui remonte ensuite les Balkans,
28:44 et puis plus récemment dans le trafic de cocaïne en provenance d'Amérique du Sud,
28:49 avec des portes d'entrée qui se situent sur les ports de l'Adriatique,
28:53 Côte d'Or, Monténégro, ou d'autres ports en Croatie ou en Albanie,
28:59 et donc des trafics importants, notamment de cocaïne, qui arrivent dans la région
29:05 et qui sont ensuite redistribués et redirigés vers l'Europe occidentale.
29:09 Alors il est très difficile de donner un poids financier approximatif de ces trafics
29:15 dans le PIB de ces États, mais on peut penser qu'il est assez important.
29:19 Laurent Gélin, ça aurait pu être la 101ème question, ou la -1,
29:24 mais au fond, c'est quoi les Balkans et qu'est-ce que ça veut dire ?
29:27 Bonne question. Les Balkans, c'est avant tout une définition, je dirais, subjective.
29:34 Le terme Balkan lui-même vient d'une montagne du sud de la Bulgarie,
29:39 qui est un terme turc, Balkan, et qui a été donné pour la première fois à la région
29:43 par un géographe allemand qui s'appelle Auguste Zöyneux en 1808,
29:47 et qui par métonymie a appelé cette région qu'on appelait autrefois l'Europe de la Roumeli,
29:54 donc le pays des Roum, ou alors la Turquie d'Europe, sous la période ottomane,
30:01 et à partir du milieu du 19ème, on commence à utiliser ce terme Balkan
30:06 pour parler de cette région aux limites floues et émouvantes,
30:10 et très vite va apparaître en même temps le terme de Balkanisation,
30:14 Balkanisation qui apparaît après l'effondrement de l'Empire tsariste en 1917,
30:19 et on va parler de Balkanisation pour la dissocation de cet empire.
30:22 Et donc ce qui est intéressant, c'est que ce terme de Balkan et le terme péjoratif
30:26 de Balkanisation vont apparaître ensemble, et donc projeter une image noire,
30:30 négative sur cette région, qui de fait avait connu une paix relative
30:37 durant les 400-500 années de l'occupation de la présence ottomane,
30:42 puisque ce n'est pas une occupation, c'est une présence ottomane dans la région.
30:46 Donc ce terme Balkan est appliqué à cette Europe du Sud-Est,
30:49 mais avec une connotation négative qui est refusée évidemment
30:53 par certains des pays de cette région, par exemple la Slovénie et la Croatie,
30:58 vont dire qu'ils préfèrent être centro-européens plutôt que balkans,
31:03 puisque le Balkan a cette image un peu négative.
31:06 Voilà, donc je dirais que c'est une définition subjective,
31:11 soumise aux interprétations des uns et des autres.
31:14 Nous, Courrier des Balkans, on considère que la région englobe tous les pays
31:18 de l'ancienne Nouvelle-Eslavie, de l'Albanie, la Roumanie, la Bulgarie,
31:24 la Moldavie et la Grèce.
31:26 Mais encore une fois, c'est une définition qu'on peut discuter
31:29 et que beaucoup de gens dans la région discutent, d'ailleurs.
31:32 Vous venez d'en parler, « Balkanisation », c'est un terme négatif.
31:35 Et dans votre ouvrage, vous faites un petit jeu en disant que
31:43 si les Balkans ne se repanisent pas, en revanche, l'Europe est en train de se balkaniser.
31:47 C'est un jeu de mots un peu facile, mais je vous l'accorde.
31:51 Disons que ce qu'on a voulu essayer de montrer dans ce livre,
31:54 c'est que les Balkans sont un miroir pour le continent européen
31:57 et que c'est réellement un centre où se testent différentes expériences.
32:02 Alors, l'éveil des nationalismes au XIXe siècle, la question d'Orient à la fin du XIXe siècle.
32:09 On a coutume de dire que, par exemple, le Kosovo après 1999
32:13 était un laboratoire pour les apprentis espions.
32:16 C'est-à-dire que quand on voulait se former dans toutes les agences de renseignement européennes,
32:20 on voulait passer un petit stage au Kosovo, à Pristina, pour apprendre comment se mouvoir
32:26 dans ce genre de milieu un peu interlope.
32:30 Et je dirais que quand l'Europe ne s'occupe pas des Balkans,
32:34 quand l'Europe occidentale, sans temps, n'a pas les yeux sur cette région,
32:38 on a évidemment des choses qui peuvent apparaître un peu étranges ou un peu dangereuses.
32:45 Ce qu'il faut malgré tout comprendre, c'est que les Balkans,
32:50 durant longtemps, n'ont pas été une périphérie dominée comme elle l'est aujourd'hui.
32:54 C'est-à-dire que pendant l'Empire ottoman, les Balkans étaient le centre névralgique de l'Empire.
32:58 C'était la région la plus riche.
33:00 Durant la Yougoslavie, les Balkans étaient un État reconnu internationalement.
33:08 Un des fondateurs du mouvement des non-alignés, avec une armée puissante,
33:13 et une politique de sport extrêmement populaire.
33:16 Donc, encore une fois, c'était une région qui était un centre par elle-même.
33:21 Aujourd'hui, effectivement, c'est plus une périphérie dominée,
33:24 d'ailleurs, où les Allemands vont chercher leur main-d'œuvre,
33:27 et où quelques pays occidentaux délocalisent leurs entreprises
33:31 pour profiter d'une main-d'œuvre relativement bien formée, à peu de frais.
33:36 Je dirais que les Balkans sont porteurs de nouvelles idées, de nouvelles perspectives,
33:44 quand ils sont unis, quand ils sont réellement un acteur important de la région,
33:48 ce qui n'est malheureusement plus le cas aujourd'hui,
33:51 mais ce qui a été le cas, notamment à la période ottomane,
33:54 et puis durant la Yougoslavie socialiste.
33:56 Laurent Génin, une dernière question, par rapport à ce que vous venez de dire précisément.
34:00 Est-ce qu'il y a une conscience politique, en tout cas dans les peuples,
34:03 c'est très difficile de penser pour eux, je comprends bien,
34:06 mais est-ce qu'il y aurait une sorte de conscience politique, voire un désir,
34:10 finalement, de retrouver cette union ?
34:13 C'est-à-dire, est-ce qu'une néo-Yougoslavie peut être un jour réenvisageable,
34:20 à partir du moment où le sel des nationalismes cessera de toucher des plaies ?
34:29 Je pense qu'à l'heure actuelle, ce n'est pas à l'ordre du jour.
34:33 Il y a une yougonostalgie qui reste assez forte,
34:37 notamment pour les générations les plus anciennes,
34:39 mais pas qu'eux aussi.
34:40 Pour les jeunes qui ont vu que leurs parents vivaient mieux qu'eux,
34:43 finalement, avaient un passeport efficace, avaient un emploi assuré,
34:48 pouvaient aller en vacances sur la côte adriatique, etc.
34:52 Donc il y a évidemment une conscience de déclassement très forte,
34:55 notamment par rapport aux pays d'Europe centrale.
34:58 Les gens racontent, à l'époque, quand on allait à Budapest, c'était la misère.
35:02 Les Hongrois venaient chez nous acheter du saucisson.
35:04 Et ça, c'est quelque chose que les gens n'ont pas oublié.
35:07 Recréer une Yougoslavie, aujourd'hui, je pense que personne n'y croit vraiment.
35:11 En revanche, si la région a terme, intégrer l'Union européenne de façon collective,
35:18 on peut imaginer que des liens se recréeront très vite.
35:22 D'ailleurs, ces liens n'ont jamais totalement disparu.
35:25 Si vous êtes un étudiant de Zagreb, vous pouvez aller à Belgrade
35:29 et vous parlez peu ou prou la même langue.
35:31 Vous pouvez aller sur la côte au Monténégro passer vos vacances.
35:34 Vous pouvez aller faire un festival de musique en Bosnie ou ailleurs.
35:37 Donc des liens existent de toute façon entre ces États.
35:40 Le marché culturel entre tous ces États est uni.
35:44 Et si vous écrivez en croate, évidemment qu'un serbe va pouvoir vous lire.
35:49 Donc des liens existent de toute façon.
35:51 D'ailleurs, il suffit de regarder les concours de l'Eurovision
35:54 où les pays des Balkans votent tous systématiquement les uns pour les autres,
35:58 ce qui leur permet d'avoir des scores assez intéressants.
36:01 Donc ces liens et ces fraternités, cette solidarité et cette expérience commune,
36:06 malgré tout, subsistent de toute façon.
36:09 Ce qu'il faut juste, c'est que les frontières soient un peu moins problématiques
36:17 et que tous ces gens arrivent à voyager tranquillement et à travailler ensemble.
36:23 Par exemple, pour le marché du vin, on a des gens qui essaient de refaire des exportations de vin
36:30 depuis la Croatie vers la Serbie et vice-versa, de créer un marché unifié du vin.
36:34 Tout ça, ce sont des questions qui sont en chantier.
36:37 Et bien sûr que les gens de cette région, les anciens yougoslaves,
36:42 se connaisseraient bien, s'apprécient dans la plupart des cas,
36:45 travaillent ensemble et souvent font la fête de façon tout à fait joyeuse ensemble et sans aucun problème.
36:51 Est-ce que le fait que la Croatie soit rentrée dans la zone euro va avoir des conséquences
36:56 par rapport justement à leur relation commerciale ?
36:58 Alors je pense que ça aura surtout des conséquences pour les touristes européens qui vont arriver en Croatie
37:03 et qui vont constater que les prix ont encore augmenté sur la côte croate.
37:07 Ces prix sont déjà assez élevés quand on veut passer ses vacances en Croatie.
37:11 Non, plus sérieusement, je pense que le gros gap a été l'intégration de la Croatie à l'Union européenne,
37:19 ce qui a peut-être compliqué les échanges commerciaux avec certains états des Balkans occidentaux.
37:23 Pour l'euro, on verra quelles sont les conséquences,
37:27 mais à priori je vois plutôt une conséquence sur le marché interne en Croatie
37:32 où les prix étaient déjà élevés pour la population
37:35 et avec combiné à l'inflation qu'on connaît aujourd'hui vont certainement augmenter encore,
37:39 ce qui peut bien sûr être problématique pour les Croates.
37:42 Laurent Gélin, merci beaucoup.
37:44 Je rappelle donc que vous êtes rédacteur en chef adjoint au Courrier des Balkans avec Jean-Arnaud Derens,
37:51 avec qui vous avez donc co-écrit "Les Balkans, Carrefour sous influence"
37:55 aux éditions Taillandier, sans question et au moins autant de réponses.
38:00 Merci beaucoup.
38:01 Merci à vous.
38:02 ♪ ♪ ♪

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