L’établi de Robert Linhart - La chronique de Juliette Arnaud

  • l’année dernière
Aujourd'hui, Juliette nous parle du livre L'établi, de Robert Linhart.

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Transcript
00:00 Juliette Arnault, c'est le moment culture classique de cette émission, comme tous les mercredis, vous ouvrez un livre.
00:06 "L'établi" de Robert Linnart, je pense qu'en Belgique on dirait Linnart, il est né à Ixelles mais il est français.
00:12 - Ah, alors peut-être.
00:13 - Livre publié à l'époque aux éditions de Minuit en 78.
00:16 - Et bien "L'établi" donc, c'est le récit d'une année à l'usine Citroën,
00:22 celle de porte de Choisy, c'est-à-dire une des portes parisiennes, à la fin des années 60. Alors là évidemment il s'agit d'être précis.
00:29 Cette...
00:30 Cette année, elle commence en septembre 68, c'est-à-dire juste après les événements du printemps 68, celui qui avait vu
00:37 les ouvriers rejoindre les étudiants. Et ce récit justement, c'est celui d'un étudiant qui est là pour embaucher comme ouvrier.
00:45 Il n'entre pas chez Citroën pour fabriquer des voitures mais pour, je le cite, "faire du travail d'organisation dans la classe ouvrière
00:52 pour contribuer à la résistance, au lutte, à la révolution".
00:56 Un genre d'espion, d'agitateur politique donc. Sauf que Robert Linnard, à l'époque, s'y connaît en travail d'OS,
01:03 ouvrier spécialisé, à peu près comme moi. Sans doute comme vous tous qui nous écoutez, vu le profil sociologique de l'auditoire d'Inter.
01:10 Robert Linnard sort de "NormalSup", il se destine à être un intellectuel, militant certes pour la gauche prolétarienne,
01:17 mais son expérience dans le prolétariat s'arrête ici. Alors le récit
01:21 commence aussi brutalement que son premier jour à l'usine et puis que ceux qui vont suivre.
01:26 Il commence par la phrase suivante
01:28 "Montre-lui, Mouloud".
01:29 C'est ce qu'on appelle un début en falaise. Pas le temps de se rafraîchir la nuque, les doigts de pied prudemment recroquevillés, on saute !
01:34 Une phrase de dialogue mais pas de dialogue. C'est un ordre, un ordre donné à Mouloud qu'on ne connaît pas. Mouloud est tutoyé.
01:41 Mouloud doit montrer au narrateur
01:43 le geste, il doit lui montrer le geste dans la chaîne qu'il va devoir reproduire à la bonne allure parce que la chaîne ne
01:48 ralentit pas, ni pour les débutants, ni pour les maladroits. A la première pause du matin,
01:52 l'étudiant et Mouloud ont le temps d'échanger quelques mots. Mouloud a une femme et des enfants en cabine.
01:56 Mouloud a un morceau de pain enveloppé dans du papier et il en propose un peu à l'étudiant. Quand la chaîne redémarre dix minutes plus tard,
02:03 il explique encore. Tu vois,
02:04 c'est de la soudure à l'étain, il faut attraper le coup de main. Si tu mets trop d'étain, ça fait une bosse sur la carrosserie et ça
02:09 va pas. Si tu mets pas assez d'étain, ça fait un trou et ça va pas non plus. Tu essaieras cet après-midi.
02:14 Tu commenceras toujours assez tôt.
02:16 L'après-midi, Mouloud montre de rechef. L'étudiant est un foutu de reproduire le geste. Mouloud montre encore et encore. L'étudiant rate encore et encore.
02:23 En fait, jamais l'étudiant ne sera capable de reproduire le geste que Mouloud lui a montré. Alors l'étudiant sera envoyé dans d'autres parties de la chaîne
02:30 où le geste à produire est un peu plus simple, histoire de ne pas être viré. Et l'étudiant, de faire face à sa condition de
02:36 non manuel, je le cite, "j'ai des idées noires sur la débilité des intellectuels". Alors, débilité ici dans le sens de faiblesse,
02:42 pas de stupidité, quoique.
02:45 Des idées noires donc sur la débilité des intellectuels, sur l'atrophie des capacités manuelles dans la partie de l'espèce qui s'est réservée
02:51 les stylos et les bureaux.
02:53 Espèce à laquelle votre servante appartient.
02:55 Alors ce récit me remue d'autant plus que la chaîne en question produit des deux chevaux. Et qu'avant ce livre,
03:01 moi les deux chevaux, c'était la partie préférée de mon enfance. Parce que la deux chevaux, c'était la voiture de ma mère à Saint-Étienne.
03:07 La voiture des gens pas riches, d'accord, mais avec un surnom super cool, la "deux-doche".
03:11 Elle était ronde, c'était quatre roues sous un parapluie. Et puis elle était suffisamment souple pour endormir mes râches de dents de bébé.
03:17 Alors ma mère prenait le volant des heures la nuit. Ouais, à l'époque on était à fond de pétrole.
03:21 Ma chair de deux-che, mon cocon, est un des instruments de l'indépendance de ma mère.
03:25 Et bien elle est aussi issue du travail d'OS malmenée, épuisée,
03:30 complètement réduit, abruti par la cadence de la chaîne et de ses contre-maîtres, par son bruit infernal.
03:35 Et puis si ça suffit pas, quand on n'a pas la chance de s'appeler Robert ou Juliette, le racisme le plus crasse.
03:41 Mais le souvenir de mai 68 n'est pas si loin. Et l'envie de l'étudiante contribuer à la résistance, aux luttes, à la révolution,
03:47 et grandissante au fur et à mesure que les mois passent, arrive alors quelque chose qui va mettre le feu à la chaîne.
03:53 Vous verrez ça la semaine prochaine. Merci.
03:55 Merci.
03:56 Juliette Arnaud, merci beaucoup. L'établi de Robert Linard,
04:00 disponible en poche. Et merci à Laélia Vérou qui vous a mis ce livre entre les mains. Vous avez bien fait Laélia.
04:05 J'avais envie que Juliette fasse une chronique, j'ai des plans subtils.
04:10 Je signale à nos auditeur.rices que dans l'heure bleue, Laure Adler a consacré quatre émissions à l'établi,
04:16 notamment avec Dominique Bédard et Robert Linard lui-même a réécouté en podcast ou en replay sur le site de France Inter.fr
04:23 et la page de l'heure bleue "On embrasse Laure Adler" qu'on reçoit très très prochainement d'ailleurs dans cette émission.

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