L'interview de Loïk Le Floch-Prigent

  • l’année dernière
L’ancien président de GDF, Loïk Le Floch-Prigent, était l’invité de Romain Desarbres dans #LaMatinale sur CNEWS.

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Transcript
00:00 Merci beaucoup d'être avec nous ce matin sur le plateau de la matinale.
00:03 Ancien président de GDF notamment.
00:06 Et vous signez avec Arnaud Montebourg ou encore Henri Proglio,
00:10 l'ancien patron d'EDF, une tribune choc dans le Figaro
00:14 dans laquelle vous demandez de revoir totalement le système de fixation
00:18 des prix de l'électricité en France.
00:21 Expliquez-nous.
00:22 J'allais ajouter simplement.
00:24 Simplement.
00:26 C'est simple.
00:27 Il faut revenir au coût et savoir quel est le coût de l'électricité aujourd'hui.
00:32 Ce coût de l'électricité est majoritairement un coût nucléaire et hydraulique.
00:37 Et on sait qu'il est aux alentours, mettons, de 60 euros le mégawatt-heure.
00:43 60.
00:44 Alors ce coût ne correspond pas au prix puisque comme industriel,
00:51 on arrive à des prix de l'ordre de 260, 280, 300 aujourd'hui,
00:55 que un certain nombre de contrats sont faits bien au-delà,
01:00 c'est-à-dire aux environs de 600.
01:03 Donc il y a un problème.
01:04 Lorsque le coût ne revient pas au prix, on avait vu ça avec le lait, vous vous souvenez ?
01:08 On avait dit voilà, les producteurs de lait sont embêtés parce qu'ils ont un lait,
01:12 ils produisent de lait pas cher et puis ils ne comprennent pas pourquoi
01:14 ils vont chercher le lait chez Leclerc ou chez Intermarché et puis ça ne va pas.
01:18 Alors on leur avait expliqué comment on passait du coût au prix.
01:21 Bon là, quand on essaie de dire voilà comment on passe du coût au prix,
01:25 on n'y arrive pas, personne n'y arrive.
01:26 Pourquoi ? Parce qu'il y a des gens qui prennent de l'électricité
01:31 à un moment donné à un prix bas et qui le vendent à un prix haut.
01:36 Simplement, il faut se confronter à cette réalité et depuis un an,
01:40 on est devant cette réalité, ce mur de l'incompréhension,
01:43 c'est-à-dire j'ai un coût le plus faible d'Europe en électricité en France
01:50 et j'ai le prix le plus cher.
01:52 Comment ? Eh bien comment ?
01:53 Parce qu'il y a un problème et le problème ça a été un mécanisme
01:56 qu'on a accepté de la Commission européenne à un moment
02:01 qui est le mécanisme de fixation d'un prix qui n'a rien à voir avec le coût.
02:07 Il faut revenir simplement.
02:09 Les textes sont là, il n'y a jamais eu de traité de l'énergie,
02:12 par conséquent nous sommes libres en tant que pays de revenir au coût.
02:16 – EDF est obligé de vendre à bas prix de l'électricité à des fournisseurs alternatifs.
02:22 – Absolument et pendant ce temps-là…
02:27 – Donc à perdre de l'argent.
02:28 – Alors ils perdent de l'argent, ils perdent de l'argent d'abord
02:30 et puis ensuite ils en reperdent de nouveau parce que comme ils ont des clients
02:35 et qu'ils n'ont plus de l'électricité puisqu'ils l'ont déjà vendue,
02:37 ils sont obligés de la racheter aux fournisseurs pour pouvoir leur vendre.
02:41 Ce système est absurde.
02:43 – EDF est forcé à brader de l'électricité.
02:45 – Ils bradent de l'électricité et ils sont obligés de la racheter pour leur vendre.
02:49 C'est-à-dire qu'ils perdent deux fois.
02:51 Alors c'est ce système-là,
02:53 c'est ce système que nous avons dénoncé les uns et les autres depuis un an.
02:56 Il y a eu la commission de la semaine nationale qui a regardé ce problème,
03:02 il y a le nombre, c'est pour ça qu'il y a M. Schellenberger également dans cette pétition
03:07 qui a été le président de la commission parlementaire,
03:10 il y a Henri Proglio l'ancien, il y a Arnaud Montebourg l'ancien ministre de l'industrie,
03:14 donc on voit bien, c'est ce système-là.
03:16 Alors ce n'est pas parce que tous les jours il y a une information nouvelle
03:20 que ça change pour le commerçant, pour l'industriel,
03:24 le prix est fixé par des gens qui n'ont rien à voir avec le coût.
03:30 Donc il faut revenir au coût.
03:32 Est-ce que c'est simple ça ?
03:34 Revenir au coût.
03:34 – Ça me paraît clair.
03:35 – Et après sur le coût, on dit ben voilà le bénéfice que X, Y ou Z vont faire.
03:41 Mais on part du coût.
03:43 – Si on met fin à ce système, le prix de l'électricité baissera
03:46 pour les clients particuliers ?
03:49 – N'importe lequel, c'est-à-dire qu'on revient à un coût
03:53 et puis on rajoute sur le coût les difficultés.
03:56 Alors la difficulté on la connaît,
03:57 c'est qu'on a produit moins d'électricité ces derniers temps,
04:02 on n'a pas renouvelé l'appareil nucléaire,
04:04 donc on connaît les difficultés, mais les difficultés sont marginales.
04:07 90% aujourd'hui d'électricité fournie vient d'EDF à un coût bas.
04:13 90% vient d'EDF à un coût bas.
04:16 Voilà, c'est ça le sujet.
04:17 – Pourquoi, est-ce que ça bloque si c'est si simple ?
04:19 – Je n'en sais rien, c'est-à-dire je demande ça,
04:21 je demande ça, je demande ça, je demande au gouvernement pourquoi ça bloque.
04:25 Alors on me raconte des bêtises,
04:27 on me dit c'est parce qu'on aura besoin à certains moments
04:32 de l'électricité émanant de l'Allemagne, du charbon.
04:35 Alors il faut être gentil avec les Allemands,
04:38 très bien, mais les Allemands, ce n'est pas les Allemands d'abord,
04:41 c'est des compagnies, il y a quatre compagnies,
04:43 et on est capable d'acheter de l'électricité à n'importe quel moment.
04:46 Nous sommes interconnectés.
04:47 Ah, on est interconnectés grâce à l'Europe.
04:49 Non, on n'est pas interconnectés grâce à l'Europe,
04:51 on s'est interconnectés au moment où on a construit les centrales nucléaires,
04:56 on les a construits dans les années 73,
04:59 et on s'est interconnectés à ce moment-là,
05:00 et même l'Italie qui ne voulait pas faire de centrales nucléaires,
05:03 considérait qu'ils allaient prendre 20% chez nous,
05:06 parce qu'ils étaient interconnectés avec nous.
05:07 Donc ça n'a rien à voir avec l'Europe,
05:09 ça a à voir avec le fait que l'électricité,
05:12 à chaque fois qu'on produit, on doit consommer.
05:14 Et par conséquent, il y a un équilibre qui se crée et qui se fait.
05:17 Donc c'est ça le sujet sur lequel on est.
05:19 Et pendant ce temps-là, nous avons des commerçants
05:21 qui ont besoin de fours, les boulangers,
05:23 mais beaucoup, donc ils sont coincés,
05:26 et donc il y a une boulangerie qui ferme tous les jours actuellement en France,
05:30 alors on dit "on va ouvrir des boulangeries".
05:32 Non, on n'ouvre pas des boulangers.
05:33 L'artisan boulanger meurt dans le village
05:36 et on peut ouvrir une pâtisserie ailleurs.
05:38 Ça n'a rien à voir.
05:39 Et puis il y a les bouchers, il commence à faire chaud,
05:43 le froid, la chaîne de froid va augmenter,
05:45 donc vous allez voir, les bouchers vont dire "on ne peut plus payer la note".
05:48 On ne peut pas payer la note puisqu'on ne comprend pas comment le prix est fait.
05:52 Donc la question qui est posée au gouvernement,
05:54 et que nous posons au gouvernement,
05:56 c'est pourquoi ne pas respecter la règle.
05:59 La règle c'est dès qu'il y a un problème vraiment urgent,
06:02 nous revenons, nous cessons avec le mécanisme d'EDF
06:07 qui conduit à donner de l'électricité à bas prix à des fournisseurs
06:13 et nous revenons au système antérieur.
06:15 Revenons au système antérieur, c'est dans les textes.
06:17 Il suffit d'appliquer les textes.
06:18 – Vous dites que ce serait un système sain,
06:20 on vend l'électricité au coût qui revient.
06:23 – Au coût plus, c'est-à-dire plus le fait que forcément il y a un cours de renouvellement,
06:29 donc on passerait grossièrement aujourd'hui.
06:31 Il y a trois parties dans le coût de l'électricité.
06:35 Première partie, il y a des gens qui ont un bouclier tarifaire
06:39 qui a été émis par l'État,
06:41 et ce bouclier tarifaire c'est les particuliers,
06:43 ces particuliers ça coûte 8 milliards à l'État et 8 milliards à EDF, petit à.
06:49 Deux, il y a les très grands qui ont un contrat spécifique avec EDF,
06:53 et on arrive, ce contrat spécifique est aux alentours aujourd'hui
06:56 de 70 euros le mégawatt-heure par rapport à un coût de 60.
07:02 Et puis il y a tous les autres, c'est-à-dire tous les industriels,
07:06 85% de la maîtrise française, 85% des commerçants et artisans
07:11 qui ne sont pas sous ces régimes,
07:13 et là il faut absolument faire quelque chose parce qu'ils ne peuvent pas payer.
07:17 – Et là c'est dramatique.
07:18 – Les dépôts de bilan existent tous les jours,
07:20 alors on les oublie parce qu'effectivement il y en a un par-ci, un par-là.
07:25 Moi je reçois la presse régionale, je vois tel village, il n'y a plus de boulanger,
07:28 tel village, il n'y a plus de boulanger, ok, très bien.
07:30 Et puis on dit mais ce n'est pas grave, tout ça ce n'est pas grave
07:33 parce que, effectivement, ça ne fait pas la révolution.
07:34 Certes, mais c'est l'économie qui s'en va.
07:37 – Bruno Le Maire a annoncé que l'État contrôlerait 100% d'EDF à partir de demain,
07:41 à partir du 8 juin, ça va changer quoi d'avoir 100% d'EDF ?
07:43 – Rien, rien du tout, ça ne change rien, c'est-à-dire que avant EDF existait,
07:49 maintenant il existe toujours,
07:50 simplement il faut savoir quel est le coût d'EDF,
07:54 alors est-ce qu'il va comprendre quel est le coût, j'espère, quand il aura 100%
07:57 et puis après il s'apercevra qu'il faut faire un prix correspondant au coût.
08:01 Voilà, il faut faire le prix pour tout le monde dépendant du coût,
08:05 c'est vraiment une notion simple, je ne vois pas comment je peux être plus simple.
08:10 Vous avez un coût et vous avez un bénéfice, par conséquent vous avez un prix.
08:15 – Aujourd'hui les 2/3 de l'électricité produite en France sont d'origine nucléaire,
08:18 est-ce qu'il faut revenir à un niveau supérieur selon vous ?
08:20 – Si jamais on peut, on ira à un niveau de l'ordre de 75-80%,
08:29 mais il faut toujours de l'hydraulique parce qu'il faut quelque chose de très pilotable,
08:33 or le nucléaire n'est pas très pilotable, il est pilotable,
08:37 c'est-à-dire qu'on peut faire varier la puissance de la centrale nucléaire,
08:40 mais pas à zéro, on ne peut pas stopper la centrale nucléaire
08:45 comme on stoppe une centrale à gaz ou une centrale hydraulique,
08:48 donc il faut de l'hydraulique et puis il va toujours falloir un peu,
08:52 pour les pics de consommation, il va falloir un peu, soit de gaz,
08:56 les Allemands disent "charbon", mais le charbon ce n'est pas bon,
09:00 en ce moment le ministre de l'environnement allemand
09:06 il dit "il n'y a pas assez de gaz donc il faut revenir au charbon",
09:08 il ouvre les centrales à charbon, alors les centrales à charbon
09:11 c'est mauvais pour les Allemands, c'est mauvais pour la France
09:15 parce que quand il y a vent d'Est, la pollution...
09:18 - C'est comme le nuage de Tchernobyl, ça arrive en France.
09:20 - C'est ça, et donc une grande partie des problèmes de la pollution de l'air de Paris
09:25 c'est souvent avec, quand il fait beau, les vents d'Est et la pollution du charbon.
09:29 - Loïc Lefloque-Prigent, dans quel état est notre parc nucléaire en France ?
09:33 - Écoutez, il pourrait aller mieux si jamais on avait investi,
09:36 mais il suffit maintenant d'une part de faire ce qu'on a appelé la maintenance
09:44 qui consiste à augmenter la durée de vie des centrales nucléaires,
09:52 donc ça le problème est en route, et on peut augmenter la puissance de la centrale
09:57 non pas avec le réacteur mais tous les annexes,
10:01 on peut augmenter la puissance de ces réacteurs qu'on va maintenir de 15 à 20%
10:06 et puis il faut faire de nouvelles le plus tôt possible.
10:08 Or aujourd'hui il y a beaucoup de paroles mais pas d'actes.
10:11 Pour moi industriel, pour l'instant on a dit "on va faire"
10:15 mais j'attends qu'on me dise comment on fait et ça ça ne vient pas.
10:19 Alors il faut décider et je pense qu'aujourd'hui EDF sera dans une position décisionnelle
10:27 si jamais on lui donne la possibilité d'avoir des tarifs,
10:31 et on revient sur les tarifs de l'électricité,
10:33 c'est-à-dire que le fait de dépenser de l'argent pour rien
10:37 alors qu'il serait simple de revenir à un prix dépendant du coût,
10:43 conduit EDF à ne pas avoir les liquidités suffisantes pour relancer le programme
10:47 et donc l'arrêt actuel c'est un arrêt financier,
10:51 les finances de la République vont mal, vous savez bien,
10:54 l'endettement, le déficit commercial et déficit public,
10:58 et par conséquent il faut avoir un tarif qui permette à EDF de gagner de l'argent quand il fait des centrales.
11:03 L'énergie c'est évidemment stratégique,
11:05 on le voit avec la guerre en Ukraine, après une explosion des prix,
11:08 ça tente à se calmer sur le prix du gaz ?
11:11 Oui ça va se calmer mais on aura un prix du gaz qui est à peu près,
11:14 à la fin, le double de ce qu'on avait avant.
11:17 Donc ça se calme, mais ça reste haut,
11:21 et par conséquent on a un tarif pour les gens dont l'électricité va dépendre du gaz,
11:28 et bien ils seront deux fois plus chers.
11:30 Alors les Allemands disent "c'est pas grave"
11:32 parce qu'avec le budget allemand on va lisser et on reste à un prix convenable pour les industriels,
11:38 c'est comme ça qu'ils arrivent à s'en sortir, mais ça n'a qu'un temps.
11:42 Et donc les industriels allemands, si jamais on continue à leur dire
11:45 que l'électricité en Europe sera plus chère qu'aux États-Unis,
11:49 ils vont investir aux États-Unis comme tout le monde.
11:52 Donc je crois qu'on est sur un baril de eau poudre,
11:56 si jamais on ne résout pas le problème que j'indique, c'est-à-dire le prix dépendant du coût.
12:01 On dit que la France n'ose pas tordre le bras d'Alger sur les questions d'immigration,
12:06 car nous avons besoin du gaz algérien, qu'en est-il ?
12:09 Non, non, on a besoin du gaz algérien, mais on peut en avoir ailleurs.
12:13 Aujourd'hui nous ne sommes pas en difficulté sur l'approvisionnement de gaz,
12:18 c'est-à-dire qu'on a du gaz qui arrive de partout grâce au gaz naturel liquéfié
12:21 et à la capacité des États-Unis d'avoir du gaz.
12:26 Donc c'est pas une question de quantité, les quantités on les a.
12:30 Le gaz arrive essentiellement d'Amérique désormais, des États-Unis ?
12:32 Une partie, une grande partie, oui.
12:34 Plus du tout de Russie ?
12:35 Plus du tout de Russie, mais il arrive aussi de Norvège,
12:39 et il arrive de ce qui existe en gaz naturel liquéfié un peu partout.
12:44 Alors on ne sait pas à certains moments si le gaz naturel liquéfié russe ne vient pas par l'Inde,
12:51 mais enfin, on ne va pas trop regarder ça.
12:53 Les Russes revendent du gaz à l'Inde, qui pourrait nous le revendre ?
12:57 Absolument, oui, ça peut arriver.
12:59 Ça peut arriver ou ça arrive ?
13:00 Ça peut arriver.
13:02 Ah bah non, je ne suis pas sous le lit, je ne peux pas vous dire.
13:06 Le gaz, c'est le gaz.
13:07 C'est-à-dire qu'autant un pétrole, il y a un ADN et on peut dire voilà le pétrole vient de tel endroit,
13:13 autant un produit pétrolier ou un gaz, une fois qu'il est dans le tanker,
13:20 plus personne ne sait d'où il vient.
13:22 Loïc Leflocq-Prigent est venu ce matin sur le plateau de la matinale,
13:25 ancien patron de Gaz de France, il est 8h30.
13:27 Merci beaucoup Loïc.
13:28 Merci, revenons au coup.
13:30 Le message est passé.
13:32 En tout cas, tous les boulangers, tous ceux qui payent cher leur électricité,
13:36 vous ont certainement écouté.
13:38 Et les bouchers, parce que les bouchers paient le froid.
13:41 Oui, les bouchers, les producteurs d'endives aussi qui ont besoin de rafraîchir.
13:44 Merci beaucoup Loïc Leflocq-Prigent, bonne journée à vous.
13:47 Merci.
13:47 La matinale qui continue tout de suite.
13:48 [Musique]
13:52 [SILENCE]