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Quel est l'état de santé de l'orthographe et de la langue française ? Pour en parler, Arnaud Hoedt, linguiste belge, ancien professeur de Français, à l'occasion de la Grande Dictée sur les Champs-Élysées à Paris, dimanche 4 juin.

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00:02 6h, 9h15, RTL Matin, avec Stéphane Carpentier.
00:07 Merci de nous rejoindre, 8h48, je voulais que l'on s'arrête ensemble sur un événement de ce dimanche, une dictée géante organisée sur les Champs-Elysées.
00:13 1700 pupitres installés, une immense salle de classe à ciel ouvert,
00:18 symbolisant la passion des français pour la dictée. Et je voulais qu'on en parle ce matin avec un belge, ancien professeur de français.
00:25 Bonjour Arnaud Houth.
00:27 Bonjour, ancien prof de français, linguiste, spécialiste de l'orthographe, co-signataire du tract "Les linguistes atterrés".
00:33 D'abord cette passion française pour la dictée, est-ce que vous, le belge, vous dites oui ?
00:37 Oui, alors tout dépend de la nature de la dictée qu'on pratique, il y a plusieurs sortes de dictées, vous savez qu'on peut faire ça,
00:42 mais la dictée est surtout un exercice mémoriel, c'est-à-dire qu'il permet d'exercer sa mémoire sur l'orthographe.
00:47 Nous, en fait, ce qui nous interpelle, c'est surtout l'importance que les français, en particulier,
00:52 tous les francophones en général, accordent à l'orthographe elle-même.
00:54 Vous savez que la langue française est composée de toute une série d'éléments, la syntaxe, le vocabulaire,
00:58 et qu'en fait l'orthographe n'est qu'une petite partie de la langue et qu'on confond souvent avec la langue elle-même.
01:02 Et donc, en fait, consacrer autant de temps à un exercice qui finalement est un pisalet didactique,
01:07 nous fait relativement sourire.
01:10 Vous savez que même Jules Ferry, au début du siècle, critiquait l'excès de dictée à l'école,
01:15 et il expliquait que normalement l'orthographe c'est seulement la peinture de la langue,
01:20 c'est le code graphique qui permet de la retranscrire et c'est pas le contenu, le sens.
01:24 Et donc, il consacrait autant d'énergie et autant de temps, parfois c'est un peu risible.
01:28 - Alors, ça veut dire quoi ? Que l'orthographe, chez nous, devrait évoluer ?
01:32 Parce que c'est une religion, c'est un peu sacralisé, hein ?
01:34 400 ans plus tard, on parle encore de la langue de Molière, chez nous.
01:37 Il faudrait faire bouger les choses, avancer ?
01:39 - Je pense que le problème principal de notre orthographe, c'est qu'elle est incohérente sur plein de ses éléments.
01:43 On parle beaucoup d'orthographe étymologique, mais il faut savoir que l'étymologie elle-même a été mal faite.
01:47 On n'a pas rendu cohérente cette orthographe au fil des siècles.
01:50 Donc, vous avez des mots comme "colère" et "choléra" qui s'écrivent tantôt avec "h", tantôt avec "ch", alors qu'ils viennent de la même racine grecque.
01:57 Et donc, on a aussi toute une série de lettres, comme les pluriels en "x", par exemple, qui ont pour origine une erreur de recopiage.
02:04 Donc, il n'y a pas du tout de "x" au Moyen-Âge en français.
02:06 Dans "hibou", par exemple, on l'écrit avec un "s", mais c'est l'abréviation pour "us" qui a été confondue avec un "x".
02:12 Et donc, depuis, on a tous les pluriels en "x" en français.
02:14 Le français est la seule langue au monde qui a des pluriels en "x".
02:16 Donc, toutes ces choses pourraient être améliorées.
02:19 Mais on préfère parler d'amélioration que de simplification,
02:21 puisque la simplification serait la conséquence de l'amélioration du code.
02:25 Il faut imaginer que notre code orthographique, c'est un peu comme le code de la route.
02:29 Si on avait conservé dans le code de la route l'ensemble des éléments régionaux ou des éléments historiques de ce code,
02:33 on ferait beaucoup plus d'accidents aujourd'hui.
02:35 Ces codes, heureusement, sont adaptés à la langue contemporaine.
02:38 Et aujourd'hui, il faudrait réadapter notre orthographe à la langue d'aujourd'hui.
02:42 Sauf que vous savez comment ça se passe chez nous.
02:44 C'est un sujet très émotionnel, l'orthographe en France.
02:46 A chaque fois qu'on veut toucher à quelque chose, ça déclenche un scandale.
02:49 Tout à fait. Je pense que c'est aussi parce qu'on identifie la langue et l'orthographe,
02:52 et que donc on se dit qu'on va toucher à la langue.
02:54 Le problème, c'est qu'on toucher à la langue, c'est aussi toucher à la nation.
02:57 Et donc, on a un rapport qui est effectivement sacralisant.
03:00 Comme c'est l'école de la Troisième République qui a vraiment, avec une vision très nationaliste,
03:04 enseigné l'orthographe aux petits français depuis plusieurs générations,
03:07 aujourd'hui, on a encore ce fantôme d'orthographe unie et indivisible.
03:11 Et on a aussi beaucoup cette sorte d'hypercentralisation parisienne.
03:15 On pense que la langue est décidée à Paris, et décidée même à l'Académie française,
03:19 alors qu'en fait, c'est un fantasme. L'Académie française n'a pas de réel pouvoir sur la langue.
03:24 Et les linguistes dont je fais partie, les gens qui travaillent à la recherche, à la science,
03:28 qui analysent des corpus, qui réfléchissent à l'orthographe en tant que matière scientifique,
03:33 et bien, cette sacralisation de la langue assimilée à la littérature et à la nation française,
03:37 les fait vaguement rigoler.
03:39 On met toujours en avant, Arnaud, le cas de nos ados, de nos jeunes,
03:43 qui, soi-disant, ne savent plus écrire aujourd'hui, et multiplient les fautes,
03:46 notamment en raison de leur usage excessif des smartphones.
03:49 Alors, il faut savoir que les réseaux sociaux, comme vous le dites,
03:52 visibilisent davantage les écrits privés, les écrits dialogués, j'ai envie de dire.
03:57 Il faut savoir que la langue de communication écrite, dialogale,
04:00 elle n'existe que depuis l'invention des réseaux sociaux.
04:03 Avant, l'écrit le plus informel que vous puissiez avoir, c'était la carte postale,
04:07 ou le post-it sur le frigo, éventuellement.
04:09 Mais aujourd'hui, on communique à l'écrit avec un écrit qui est matiné d'oral,
04:13 qui est rempli de nouvelles formes, comme des gifs, des émoticônes,
04:17 et toutes ces choses, finalement, enrichissent, de manière parfois un peu anarchique, c'est vrai,
04:21 mais enrichissent le lexique contemporain des jeunes,
04:24 qui n'ont jamais autant écrit qu'aujourd'hui.
04:26 Donc, je pense qu'on est vraiment sur un fantasme décliniste,
04:29 qui donne l'impression que notre langue sera bougrie,
04:31 alors qu'en réalité, elle n'a jamais été aussi fertile et aussi foisonnante.
04:35 Voilà, si je vous suis bien, Arnaud, ça veut dire que le français n'est pas mort,
04:38 on n'est pas en train de mourir ?
04:39 Alors, loin de là, le français, quand on calcule tous les indicateurs de poids d'une langue dans le monde,
04:45 donc vous avez le nombre de locuteurs, mais ce n'est pas le principal,
04:47 puisque sinon, le chinois serait évidemment la langue principale,
04:49 mais vous avez aussi le nombre de traductions, le nombre de présences sur Internet,
04:52 la présence politique et diplomatique, bref, toute une série de critères,
04:55 et en fait, le français, quand on multiplie tous les critères,
04:58 est systématiquement en deuxième ou en troisième position de toutes les langues mondiales.
05:02 Alors, évidemment, l'anglais est ultra dominant,
05:04 mais je pense que, globalement, imaginez que le français pourrait disparaître,
05:07 c'est complètement délirant en termes de science,
05:10 puisqu'on est 350 millions de francophones dans le monde aujourd'hui,
05:13 et il y a même des projections qui parlent d'un milliard de francophones à l'horizon 2060,
05:17 donc on est vraiment sur une langue ultra fertile,
05:20 qui, démographiquement, est en pleine explosion, notamment en Afrique,
05:23 à savoir que la première ville francophone du monde, on a tendance à l'oublier, c'est Kinshasa.
05:27 Il y a 17 millions de francophones à Kinshasa, et cette langue se porte extrêmement bien,
05:32 et elle est pleine de vivacité.
05:34 Voilà le message rassurant du matin d'un belge, ancien prof de français, linguiste Arnaud Houth.
05:38 Merci d'avoir été avec nous ce matin sur RTL.
05:40 C'est moi qui vous remercie !
05:41 Je rappelle que vous êtes co-signataire du tract "Les linguistes atterrés"
05:44 et co-auteur d'un spectacle sur "Notre langue",
05:46 la langue française avec votre complice Jérôme Piron.
05:48 Merci à vous, bon dimanche !
05:49 Ça s'appelle la convivialité, voilà. Merci, bon dimanche à vous !
05:52 [SILENCE]

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