Xerfi Canal a reçu Pauline Fatien, professeure associée à Grenoble École de management, pour parler de l'émancipation dans le coaching.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00 Bonjour Pauline Fassien.
00:09 Bonjour Jean-Philippe Denis.
00:11 Pauline Fassien, vous êtes professeure associée à Grenoble École de Management, j'aime,
00:17 co-autrice avec Fabien Moreau, également Grenoble École de Management, Marie Duberne
00:21 et Bénédicte Athènes, d'un article dans la revue française de gestion consacrée
00:25 au coaching.
00:26 Pensez l'émancipation dans le coaching, pas consacrée qu'au coaching, mais à l'émancipation
00:31 dans le coaching, composée avec les nœuds d'un système contraint de tension, c'est
00:35 dans le numéro 308 de la revue française de gestion.
00:38 Alors évidemment, première question, pourquoi associer coaching et émancipation ?
00:42 Alors en effet, nous avons choisi de travailler sur l'émancipation dans le coaching qui
00:48 est un petit peu une promesse parfois faite dans le coaching, donc le coaching qu'est-ce
00:52 que c'est ? Une pratique d'accompagnement des individus, des équipes, des organisations
00:58 qui prend son essor aujourd'hui en entreprise, auprès d'entrepreneurs, donc auprès d'un
01:04 public assez varié et qui a acquis des lettres de noblesse en entreprise du fait d'un discours
01:13 assez positif autour de ce qu'il peut apporter.
01:16 Donc en fait, faire grandir, faire évoluer, le coaching apporte un discours assez positif,
01:24 par exemple le coach va voir de la lumière ou les autres vont voir de l'obscurité.
01:28 Donc il y a cette idée d'aider les individus à grandir, à se développer, à s'émanciper.
01:33 Donc il y a une promesse émancipatoire dans le coaching, mais souvent cette promesse émancipatoire
01:37 est un petit peu galvaudée parce qu'elle est trop vite pensée, sans prendre en compte
01:44 les tensions, les contradictions, les complexités du système organisationnel.
01:48 Et donc nous ce qu'on a souhaité faire, c'est vraiment prendre à bras le corps
01:52 cette promesse émancipatrice en disant attention, ça n'arrive pas si vite, il faut pour vraiment
01:57 embrasser cette promesse émancipatrice, il faut d'abord prendre en compte en quoi le
02:01 coaching potentiellement est une pratique de pouvoir et d'oppression.
02:05 Donc en fait, c'est ce qu'on fait dans l'article.
02:08 Et quand vous travaillez ces questions, vous mettez en évidence un nœud de tension et
02:12 vous faites notamment quatre, référence à quatre tensions.
02:16 Oui, tout à fait.
02:17 Donc en fait, ce qu'on a essayé de faire, c'est de dire, toujours dans cette idée
02:21 de prendre au sérieux la question du pouvoir dans le coaching, c'est de dire, en fait,
02:28 il est important de comprendre le pouvoir, ici au prisme de la psychosociologie et de
02:33 la sociologie clinique, comme un système contraint de tension.
02:36 Donc on a, au lieu de rejeter, comme je le disais un petit peu au début, le coaching,
02:43 le bébé avec l'eau du bain, en disant, le coaching, c'est un outil de pouvoir,
02:47 de domination, comme certains chercheurs critiques dont moi-même ont pu le faire, dire, ok,
02:54 si on prend au sérieux cette question du pouvoir, cette question, comment on la conceptualise ?
02:58 Eh bien, nous, nous avons conceptualisé le pouvoir dans le coaching en restituant le
03:04 coaching, cette pratique de coaching, dans un univers organisationnel pensé comme un
03:08 système contraint de tension.
03:10 Et donc, on a organisé ces tensions autour de quatre axes.
03:14 Et ensuite, on a posé des questions, on a dit, en fait, si le coaching est en tension
03:22 entre une, comment dire, une dimension un petit peu idéologique de l'organisation,
03:30 entre on va promouvoir un individu au sein d'un collectif, comment penser l'individu
03:34 au sein d'un collectif ? Qu'est-ce que ça veut dire, finalement ? Et quelles questions
03:38 ça pose pour l'émancipation ? Donc, en fait, pour chacun des axes que nous avons
03:42 identifiés…
03:43 Je les cite, je les cite, idéologique, légale, relationnel, subjective et tension.
03:48 Voilà.
03:49 Donc, pour chacun de ces axes, on a dit, en quoi ça pose question pour l'émancipation,
03:53 en quoi ça, c'est une opportunité ou une contrainte pour l'émancipation, pour penser
03:59 l'émancipation dans le coaching ? Voilà.
04:01 Donc, par exemple, la dimension relationnelle, on l'a articulée autour de la tension.
04:06 Le coaching s'inscrit-il dans une relation marchande ou est-il aussi quelque chose de
04:13 l'ordre du don ? Là, on a fait par exemple référence aux travaux de Paul Fustier, très
04:17 intéressant, qui distingue la relation d'accompagnement non purifié et aseptisé, par exemple.
04:23 Donc, qu'est-ce que ça veut dire d'accompagner dans un système organisationnel où la dimension
04:27 marchande est quand même assez importante, puisque le coaching, c'est une relation payante
04:31 en général.
04:32 Mais si le coach s'en tient qu'à cette dimension aseptisée du coaching, qui se réduit
04:40 au contrat, à ce qu'on trouve dans le contrat et qu'il ne donne pas vraiment de lui des
04:46 dons narcissiques, subjectifs, affectifs, émotionnels, à quoi se résume cette relation ? Et le
04:55 coach peut-on penser l'émancipation sans prendre en compte cette complexité entre
05:03 relation marchande et relation gratuite ?
05:05 Vous évoquez l'idée que l'émancipation par le coaching, c'est savoir être au contact
05:10 de ces nœuds, vous voyez des nœuds derrière, et vous en formulez, vous en déduisez quatre
05:15 compétences clés pour les coachs.
05:17 Je vous cite, dialectique, historicité, métacommunication et symbolisation.
05:22 Oui, donc en fait notre proposition c'est de dire que pour penser l'émancipation,
05:27 il faut reconnaître ce système contraint de tension qui peuvent provoquer des nœuds
05:32 si justement on ne les reconnaît pas, et ces quatre compétences qu'on a identifiées
05:36 reviennent à finalement développer une capacité de dégagement.
05:41 Et donc c'est par la sociologie clinique et la psychosociologie qu'on a pensé l'émancipation
05:46 comme une capacité à développer du dégagement face à ces nœuds, et donc plutôt qu'on
05:54 continue sans coach à resserrer ses nœuds sans avoir la lucidité sur ces contradictions,
06:00 le coach va nous aider à comprendre ce système contraint de tension, et notamment par exemple
06:05 avec la compétence de métacommunication que vous avez citée, à mettre des mots.
06:09 Donc le rôle du coach ici va être de verbaliser, de formaliser et de m'aider à comprendre
06:16 les tensions, les contradictions dans lesquelles je suis prise.
06:18 Donc ça c'est pour la métacommunication.
06:21 Autre chose qui me tient particulièrement à cœur, c'est la dialectique.
06:24 La dialectique c'est-à-dire essayer de comprendre dans quelle mesure je suis à la
06:29 fois le producteur de ce qui m'a produit.
06:32 Et donc c'est de dire, c'est très important, là on peut penser à Paulo Freire dans la
06:37 dialectique de l'oppression et de l'opprimé et de l'oppresseur, c'est-à-dire de réfléchir
06:43 à dans quelle mesure je suis, oui je peux être opprimé, je peux être victime, mais
06:49 aussi bourreau et participer à ma propre oppression.
06:52 Donc là c'est cette compétence de dialectique, de penser des liens récursifs entre ce que
07:00 je produis et ce qui me produit.
07:02 C'est absolument passionnant.
07:04 C'est un rappel très fort de l'importance de se nourrir de la pensée complexe, j'ai
07:09 évoqué Edgar Morin, de la pensée du pouvoir.
07:12 J'ai évoqué Michel Foucault, et Michel Foucault, dont on rappellera que pour lui,
07:15 vivre dans une société sans relation au pouvoir, c'est forcément vivre dans une
07:18 abstraction.
07:19 Donc le pouvoir est émancipateur chez Michel Foucault.
07:23 Au-delà de la critique, l'émancipation.
07:26 Merci à vous.
07:27 Je vous remercie.
07:29 [Musique]