Ponctuation du 30 Mai 2023

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00:00 Salut à tous et bienvenue dans PONTUATION, le magasin littéraire de la CRTV.
00:19 Tu es domestique faillite et tu ne peux pas être ami avec ceux qui t'emploient ou qui
00:28 pourraient t'employer. Tu n'es ni de leur ethnie ni de leur religion. Ils n'ont pas
00:34 de considération pour toi. Alors un conseil, si tu veux te préserver, profite simplement
00:40 de ce qu'ils peuvent t'apporter, mais ne crois jamais qu'ils vont t'aimer.
00:46 Revoici Jaid Abadou Amal avec un nouveau roman, Le Quatrième de Laurent, Cœur du Sahel, un
00:56 ouvrage qui vient après celui qui a reçu toutes les palmes, les impatientes, aux mougnales
01:04 les larmes de la patience. L'autrice change d'échelle, à la place d'un ouvrage polyphonique,
01:11 c'est maintenant un ouvrage qui met le cœur sur les problèmes justement de la quotidienneté
01:17 dans le Sahel et en arrière-plan pose des problèmes de prise en compte des vulnérables,
01:25 de prise en compte de l'altérité, de prise en compte aussi des peuples qui souvent n'avaient
01:30 pas leur mot à dire. Jaid Abadou Amal plutôt a la mauvaise considération que l'on a
01:39 pour les autres. Elle va en parler, tout comme elle parlera dans cette émission, de ses
01:44 nombreux prix, de ce chariot de récompenses dans les choix du concours. Jaid Abadou Amal,
01:51 bienvenue dans Pontuation.
01:52 Merci beaucoup de m'avoir invité.
01:54 Je crois que vous êtes une dame comblée, j'allais dire de grâce et de prix.
02:00 Je peux dire que je suis une dame comblée d'abord parce que je suis une écrivaine,
02:06 ça a été toujours mon rêve, mais il y a également la vie de famille, je suis une
02:10 épouse, je suis une maman comblée évidemment et je ne peux que rendre grâce à Dieu.
02:16 Depuis octobre 2020, il y a eu le concours, vous étiez en finale et puis après, contre
02:23 toute attente, pour ceux qui ne le savent pas, dans le droit fil de l'organisation
02:27 du concours, il y a eu le concours des lycées. Mais vous ne cessez de tourner avec le concours
02:34 au niveau des choix. Comment est-ce qu'on peut comprendre ça ?
02:37 Eh bien, on ne se rend pas vraiment compte qu'à côté du prix concours, il y a l'Académie
02:46 concours, mais il y a également tous les choix concours internationaux. Donc c'est
02:51 un prix organisé par les instituts français, les ambassades de France, avec les universités
02:58 de ces pays-là, mais bien sûr toujours sous le parrainage de l'Académie concours. Pour
03:06 ma part, j'ai obtenu sept prix concours à l'international, dont le concours de l'Orient
03:12 qui réunit dix pays du Proche Moyen-Orient, ensuite le concours de l'Algérie, de la
03:19 Tunisie, le concours du Royaume-Uni, de la Grèce, de la Serbie, de la République tchèque.
03:26 Le roman est d'ailleurs sorti dans sa version anglaise chez le grand éditeur américain
03:32 Harper & Collins. J'allais justement demander quels sont les
03:36 bénéfices d'être le choix de ces universités ? C'est l'achat des livres, mais aussi la
03:43 traduction des ouvrages ? Voilà, donc sur les concours internationaux,
03:47 il y a d'abord les traductions, dans tous ces pays où le livre est traduit dans la
03:54 langue ainsi. Mais il y a également d'autres traductions, parce que là avec les impatients,
04:00 on se retrouve quand même à une trentaine de traductions, dont la dernière sortie, le
04:04 Korea, où je serai d'ailleurs à Séoul dans les mois à venir. Et puis pour le Goncou
04:11 des lycéens, il faut dire quand même que c'est un prix extraordinaire qui suscite
04:15 pas mal de ventes. C'est un prix qui est vraiment le deuxième prix le plus vendeur
04:21 en France pour les impatients. Nous sommes aujourd'hui à plus de 500 000 exemplaires
04:26 vendus en France. La carrière est là, je crois que maintenant
04:29 vous êtes installée. Je rends grâce à Dieu, une fois de plus.
04:32 Si on doit tenir compte des ventes, il y a très peu d'auteurs qui peuvent profiter
04:37 de cela. Vous n'avez pas vu venir, quand Mounial sort, ici, on a des petites récompenses
04:43 ou des récompenses à l'échelle nationale, mais personne ne voyait ce grand tourbillon
04:50 ou alors on va dire simplement ce cercle vertueux.
04:53 Eh bien, je dois dire qu'avec la sortie de Mounial, je le rappelle, Mounial est l'âme
04:58 de la patience en 2017. Il est vrai qu'immédiatement quand même, il y a eu un succès, un intérêt
05:06 au Cameroun et puis vient le premier prix du roman en Afrique, Mounial et Lorea, ensuite
05:16 le prix de la presse panafricaine. Bien sûr, ça reste au niveau de l'Afrique et du Cameroun
05:22 et puis avec la liste du Goncourt, la finale du Goncourt, le prix d'un dessein.
05:27 C'est le prix orange qui est le prix orange descerné ici.
05:30 Le prix orange du livre en Afrique descerné ici au Cameroun, oui, pour 2018. Mais quoi
05:35 qu'il en soit, je suis d'abord une écrivaine engagée qui lutte contre les discriminations
05:41 sociales, qui s'intéresse à la condition des femmes et qui essaye de se battre pour
05:48 pouvoir parler de ces conditions-là, qui mieux que nous, les femmes, pouvons parler
05:53 de nos problématiques. Et donc, en cela, ce n'est pas les prix qui m'intéressent.
05:57 Ce qui m'intéresse d'abord, c'est que les Camerounais lisent mes romans, c'est
06:02 qu'ils s'intéressent à ces problèmes de femmes que j'évoque, c'est qu'ils
06:06 se rendent compte que le mariage précoce et forcé n'est pas juste un mot qu'on
06:11 dit. Comme ça, ça concerne encore 60% des filles dans les régions septentrionales
06:15 du Cameroun et c'est hyper important. Donc, en tant qu'écrivaine engagée, gagner
06:19 des prix n'est pas en réalité pour moi pas important. Le plus important aujourd'hui,
06:24 c'est qu'on lise les romans, c'est qu'on s'intéresse à ces problèmes-là,
06:28 c'est qu'on évoque ces problèmes-là et je peux dire que ma plus grande fierté,
06:32 Serge, vous qui m'avez vu venir dès le début, c'est qu'aujourd'hui, ce roman
06:36 soit inscrit au programme scolaire pour toutes les classes de terminal. C'est ça la plus
06:40 grande victoire.
06:41 - Pour poser la question face aux dérives que dénonce Jaël Yamal à longueur d'ouvrage,
06:48 que peut faire le livre ?
06:49 - Le livre permet de nous évader, le livre nous oxygène l'esprit, le livre nous ouvre
06:55 à des horizons divers, mais surtout, le livre sert à servir de grande cause et le livre
07:01 peut changer le monde.
07:02 - On est à l'Institut Français dans la médiathèque, vous avez fait vos premiers
07:06 pas.
07:07 - Toujours.
07:08 - Et vous venez, mais avant ça, c'était à Marois.
07:10 - À Marois, oui, il n'y avait pas de bibliothèque, pas de librairie et la petite bibliothèque
07:15 que j'avais pu trouver quand j'avais 9 ans, c'était la bibliothèque de l'église catholique.
07:20 Moi qui suis la petite musulmane, fille même d'un grand érudit musulman.
07:25 - D'un imam.
07:26 - Voilà, alors j'ai escaladé le mur de l'église, je sautais de l'autre côté pour pouvoir
07:31 trouver des livres, jusqu'à ce que mon père l'apprenne et qu'il me dise la prochaine fois
07:35 rentre par la porte.
07:36 Et bien voilà, j'ai trouvé ma première bibliothèque à l'église catholique avant de vivre tous
07:45 mes premiers devoirs en tant que femme, mariée à l'âge de 17 ans dans un cadre de mariage
07:50 précoce et forcé, avec beaucoup de violence subie.
07:55 J'ai décidé de venir à Yaoundé pour me sauver, pour sauver également mes filles d'un
08:02 probable mariage précoce.
08:03 Et c'est ainsi que je débarque à Yaoundé et que je commence mes premiers pas ici, à
08:09 l'Institut français, dans cette médiathèque.
08:11 - Au Centre culturel français, ça s'appelait comme ça avant ?
08:13 - Pour moi c'est une maison, c'est un refuge, un endroit où j'ai trouvé mes premiers amis
08:20 écrivains, comme moi, où on a eu des rêves, où on a participé à des conférences, où
08:28 on a lu des auteurs, où on a rêvé d'être à la place de ces auteurs-là qui venaient
08:33 donner dans ces multiples conférences et où aujourd'hui on revient pour donner du rêve
08:39 aux jeunes.
08:40 Donc ça me fait extrêmement plaisir de voir tous ces jeunes-là, quand j'arrive, ils
08:43 se lèvent et tout ça, je me rends compte qu'il y a moins de 12 ans j'étais à leur
08:47 place.
08:48 - A leur place.
08:49 Et aujourd'hui vous êtes une femme du tapis rouge ?
08:50 - Tapis rouge, c'est trop dire, je suis très très loin d'être une star.
08:54 - On vous a vu en 2020 avec François Hollande sur le même plateau ?
08:56 - Oui.
08:57 - Ça veut dire que vous êtes une femme du tapis rouge quand même.
09:01 - Ah ça je ne savais pas.
09:03 - Comme quand l'écriture peut mener loin.
09:05 En même temps c'est aussi une belle occasion pour, on va dire quoi, essayer d'amplifier
09:13 votre plaidoyer à travers ces prix, c'est l'occasion de sonner les clochettes pour que
09:20 les gens comprennent quels sont les problèmes.
09:22 - Je pense que c'est à ça que ça a fait le prix finalement, pour moi c'est à ça
09:25 que ça a servi.
09:26 Pouvoir faire en sorte que le message passe, parce que quand on écrit, on écrit seule
09:32 dans son salon, pour moi au milieu de la nuit, donc totalement seule, le monde ne nous appartient.
09:39 Mais une fois que le livre sort, on est sous la lumière.
09:42 À ce moment-là on peut devenir, comme vous dites, une véritable star.
09:46 Et ce que j'ai aussi réussi, je peux dire, à montrer aux jeunes de ce pays, on n'est
09:53 pas pour être sous la lumière obligé de passer par le sport, les influenceurs, etc.
09:59 Mais dans la musique, on peut également faire de la littérature et être une star.
10:03 - Est-ce que vous comprenez quand même les sarcasmes qui vous suivent, depuis que vous
10:08 avez vos prix, depuis que vous êtes sous la lumière le monde entier, les procès qui
10:13 sont faits en manipulation, où vous vous accusez d'être au service de l'Occident,
10:20 est-ce que vous comprenez ou est-ce qu'en même temps le choix de Lorient est une réponse
10:26 à ça ?
10:27 - Eh bien, pour la petite bête, vous savez Serge, on ne peut pas être une femme qui
10:31 réussit tout simplement parce qu'elle a travaillé, parce qu'elle a des ambitions,
10:36 parce qu'elle veut faire des choses.
10:38 On ne peut pas l'être en étant innocente.
10:40 Il faut toujours qu'il y ait eu quelque chose.
10:42 N'y a-t-il pas un homme derrière tout ça ? Est-ce qu'elle n'a pas quelque part été
10:48 avec quelqu'un, qui a, etc.
10:51 Mais vous savez, c'est comme pour finalement, pour tous ceux qui sont, comment dire, sous
10:59 la lumière, il y a toujours des choses positives, il y a également des choses négatives.
11:03 Quelquefois, moi je lis sur les réseaux sociaux des informations, comme quoi je suis peut-être
11:09 dans tel pays avec telle personne, alors que je suis bien chez moi, tranquille, à Gwala,
11:14 avec ma petite famille.
11:16 Mais en ce qui concerne…
11:17 - On dirait que vous êtes franc-maçon déjà.
11:19 Vous avez entendu ça, non ?
11:21 - Pour ça, je ne l'ai pas encore.
11:24 Vous me l'apprenez ?
11:25 - On entend beaucoup de choses sur vous, que vous êtes venue vous servir les Français,
11:30 vous êtes franc-maçon, vous êtes entrée dans les réseaux.
11:33 - Exactement, que je sois instrumentalisée sur les réseaux sociaux.
11:35 Une fois qu'on s'y attarde, on voit énormément de choses.
11:39 Mais quoi qu'il en soit, il est vrai que pour ceux qui, en parlant du roman des impatients,
11:47 sont accusés d'être contre les traditions, ou même quelquefois d'être contre la religion,
11:52 moi qui suis, il faut quand même le rappeler, si très bonne musulmane comme il faut, pratiquante,
11:59 etc., eh bien, je pense que oui, vous avez raison, le Goncourt de l'Orient a balayé
12:04 tout ça, parce que dans le Goncourt de l'Orient, il y a quand même 10 pays, parmi lesquels
12:10 l'Arabie Saoudite, l'Iran, l'Irak, l'Égypte, Djibouti, le Soudan, les Émirats Arabes Unis,
12:16 etc., et que j'ai gagné ce Goncourt-là, s'il y avait une seule phrase, un seul mot
12:22 qui serait allé à l'encontre de l'islam, eh bien, je ne l'aurais jamais gagné.
12:27 C'est tout simplement pour dire qu'aujourd'hui, la religion est instrumentalisée, que des
12:32 personnes vont se cacher derrière ça pour continuer des pratiques qui sont inadmissibles
12:37 et qui sont totalement interdites en islam.
12:40 Le mariage précoce et forcé en font partie.
12:43 Alors justement, vous serrez la bonne perche pour parler du cœur du Sahel.
12:48 On est vraiment au cœur du Sahel, avec une histoire portée par le souffle d'une adolescente,
12:53 15 ans, Fayidé.
12:55 Eh bien, Fayidé, c'est une jeune fille commune nord, qui vit dans un tout petit village
13:01 à l'extrême nord de Cameroun, et qui a un rêve, continuer ses études, être une
13:07 femme émancipée, avoir des diplômes, etc.
13:10 Des rêves de toute adolescente camerounaise, africaine on dirait.
13:15 Mais Fayidé est quand même confronté à la réalité.
13:18 Son père a disparu lors du razzia de Boko Haram, sa mère peine à nourrir ses petits
13:24 frères, ils coulent tous sous la misère dû au changement climatique, qui entraîne
13:30 automatiquement l'insécurité alimentaire.
13:33 Eh bien, Fayidé est obligée de convaincre sa mère pour aller travailler dans la ville
13:39 d'à côté, Marwa, comme domestique.
13:41 Sa mère, qui elle-même a été domestique, et qui connaît toutes les réalités que
13:46 vivent les personnes qui sont employées dans les maisons, les grandes concessions comme
13:50 on dit chez nous, eh bien, elle fait tout pour dissuader sa fille, mais sa fille lui
13:54 fait comprendre.
13:55 Est-ce qu'on a le choix ? Dans la lutte pour la survie, le rêve n'a pas de place.
14:01 Eh bien, c'est ainsi que Fayidé va se retrouver avec ses copines, toutes employées comme
14:08 domestiques à Marwa.
14:09 Aussi bien Fayidé que Srafata, ou Bintou, ou Dana, ou Fanta, voilà, toutes ces filles-là
14:16 viennent avec des rêves, mais sont brisées sous le poids des réalités.
14:20 Pourquoi vous choisissez le métier de domestique ? En ville, on dit technicien de surface,
14:26 pour bien parler, pour faire bonne figure.
14:29 Eh bien, je n'emploie pas ce technicien de surface parce qu'il ne faut pas… je n'essaye
14:36 pas de faire joli.
14:37 Là, on parle des inégalités de classe.
14:41 On est dans une région dominée par la culture islamo-gaye, mais où encore subsistent ces
14:48 questions, voilà, d'ethnies, de tribus, de tribalisme, alors que le Cameroun depuis
14:55 des années prône quand même le vivre ensemble, une région où on parle des personnes qui
15:03 seraient supérieures à une autre, d'une religion supérieure à une autre, d'un
15:08 travail supérieur à un autre, etc.
15:10 Mais pour moi, c'est aussi de montrer que l'acconciliation de toutes ces cultures est
15:16 possible, le mariage entre ces cultures et ces religions reste possible, et l'espoir
15:21 viendra évidemment de l'amour.
15:23 Alors, on va lire un petit extrait de cet ouvrage, demandant aux téléspectateurs d'en
15:29 faire autant.
15:30 Si vous pouvez ouvrir cette page-là.
15:32 Tu es domestique failli, et tu ne peux pas être ami avec ceux qui t'emploient ou qui
15:38 pourraient t'employer.
15:39 Tu n'es ni de leur ethnie, ni de leur religion.
15:43 Ils n'ont pas de considération pour toi.
15:46 Alors un conseil, si tu veux te préserver, profite simplement de ce qu'ils peuvent
15:51 t'apporter, mais ne crois jamais qu'ils vont t'aimer.
15:54 C'est d'autant plus vrai avec leurs hommes.
15:57 Débarrasse-toi de cette crédibilité, ou elle te jouera des vilains tours.
16:02 Évidemment, ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'héroïne du roman.
16:05 Ok, ça s'écrit.
16:06 Il y a d'autres textes qui sont assez importants dans cet ouvrage-là, mais là, vous plongez
16:11 au cœur du métier de domestique, qui sont ici vus comme des esclaves modernes.
16:19 Elles vont subir toutes les brimades jusqu'au viol.
16:22 Voilà, c'est-à-dire que ça se passe comme ça.
16:24 Condamne la mère de Fahidé à subir ça.
16:27 Fahidé est en passe de le vivre, quand soudain intervient Boukhar.
16:34 Alors dites-nous un peu comment est-ce que vous faites pour que jaillisse une faille,
16:40 surgisse une faille dans ce système très fermé.
16:44 Eh bien, dans ce système fermé, il est vrai que les jeunes domestiques qui viennent travailler
16:50 à Marouan et qui sont très vulnérables, c'est comme partout ailleurs.
16:56 À chaque fois qu'il y a une personne vulnérable, il y a d'autres personnes qui en profitent.
17:00 Et certains hommes très vilains en profitent pour violer les filles, bien entendu.
17:07 Mais il y a toujours une lueur d'espoir.
17:09 On ne peut pas dire dans un monde que tous les hommes sont méchants,
17:14 que toutes les femmes sont des victimes, que toutes les femmes sont hyper gentilles, etc.
17:18 Ce n'est pas comme ça.
17:19 On n'est pas dans un monde où tout est tout blanc ou tout noir.
17:23 Il y a des nuances de gris.
17:25 Et évidemment, Boukhar est un jeune homme instruit,
17:28 comme quoi l'espoir vient toujours de l'éducation.
17:32 Un jeune homme instruit, un jeune professeur qui va voir Fahidé,
17:36 qui ne va voir en elle qu'une jeune femme,
17:39 qui ne va voir en elle que l'amour qu'il va éprouver pour elle
17:42 et qui fera tout pour qu'elle puisse également changer de monde,
17:47 changer de monde en passant par le biais de l'éducation, bien entendu.
17:50 Alors, ce que je voulais dire et le message qu'il faut passer,
17:54 c'est qu'une fois qu'on est instruit, on est tous au même niveau, en réalité.
17:58 Il n'y a que des personnes instruites, bien éduquées,
18:01 qui ont plein de rêves et rien d'autre ne subsiste.
18:06 Justement, ça va être cette brèche-là.
18:09 D'autant que Fahidé se montre curieuse intellectuellement.
18:13 Si vous voyez bien dans mes romans, que ce soit Walandé ou alors Mistiridjo,
18:20 Les Impatientes ou Mounial, et il y a encore Kheur du Sahel,
18:25 partout, dans tous ces quatre romans, mes héroïnes s'en sortent grâce à l'éducation.
18:29 Mes héroïnes sont encouragées à continuer leurs études.
18:32 Et c'est ce que je prends, c'est ce que je dis aux jeunes filles.
18:35 Le premier mari de la femme, c'est son diplôme. Allez à l'école, les filles.
18:39 Fahidé était condamné à n'être rien.
18:42 L'école et, on dit souvent, le bonheur différé et différent que promet l'école,
18:49 permet justement de voir ces gens qui hier semblaient être haut placés,
18:54 déboulonnables, être pratiquement à genoux devant cette femme qui est diplômée de médecine.
19:04 Elle est infirmière désormais, diplômée d'État.
19:06 Donc, elle n'est plus Fahidé la domestique, elle devient juste Madame l'infirmière.
19:12 Et puis l'amour de Boukhar va tenir jusqu'au bout.
19:16 L'amour qui dépasse toutes ses considérations.
19:20 L'amour d'abord très contrarié avec toute la famille, toutes les traditions qui empêchent Boukhar d'épouser Fahidé
19:28 parce qu'ils ne sont pas pratiquement du même monde.
19:32 Et Boukhar est obligé d'épouser une qu'il n'aime pas, Hapsi.
19:37 Et on voit que finalement le mariage forcé concerne également les hommes.
19:41 Quelquefois ça arrive.
19:43 Mais l'amour quand il est vrai, quand il est sincère, est capable de briser toutes les chaînes et toutes les barrières.
19:51 C'est ça aussi que je voulais raconter quelque part.
19:56 On m'a beaucoup dit "mais pourquoi tu aimes toujours finir tes romans sur une note triste, sur une note pessimiste?"
20:04 Et bien pour ceux qui m'ont dit ça, courrez à chez Tecker du Sahel, cette fois-ci c'est l'amour qui triomphe de tout.
20:10 Et tout va bien, tout va finir dans un monde merveilleux.
20:13 Ils le vécurent heureux, ils ont beaucoup d'enfants, comme dans un conte de fées.
20:17 Oui. Alors, mais il faut dire quand même que dans votre parcours, votre chemin d'écriture, il est lié à l'action.
20:24 Quelqu'un disait que les mots c'est des truels de l'action.
20:29 Le mot est déjà indicateur de l'action.
20:34 Chez vous, c'est une association qui existe depuis bien longtemps.
20:38 Et vous n'écrivez pas seulement, vous agissez.
20:41 Oui, quand j'ai publié mon premier roman "Oualan Delar de Patagène et Marie" en 2010,
20:47 il y a d'abord une satisfaction.
20:51 Celui d'avoir brisé cette barrière, celui d'avoir raconté des tabous,
20:57 celui d'avoir dit tout haut ce que toutes les autres femmes pensent et tout va,
21:01 et d'avoir, et d'assumer complètement ces mots et ces dires.
21:05 Mais ensuite, il y avait une certaine insatisfaction.
21:09 Je me disais, lui maintenant que j'ai brisé ces tabous, lui maintenant que j'ai parlé de tous ces sujets-là,
21:14 et ensuite, qu'est-ce que je fais ensuite ?
21:17 Alors, j'ai été approchée par l'ambassade des États-Unis,
21:22 où j'ai été invitée par le département d'État américain à suivre un programme de leadership aux États-Unis.
21:29 Et ce programme de leadership, justement, tenait sur les femmes leaders aux États-Unis
21:37 et comment, par le biais de la société civile, les femmes peuvent faire évoluer leur société.
21:42 C'est de là qu'est venue l'idée, donc, de créer une association qui, sur le terrain, va se battre
21:48 pour pouvoir mettre, justement, tous ces bons mots que je dis ou que je prends dans le roman
21:53 vers quelque part des petites actions qui puissent permettre, justement, à mon petit niveau, de changer les choses.
22:00 Eh bien, ça fait plus de dix ans que l'association existe et aujourd'hui, à notre actif,
22:05 nous avons 36 petites bibliothèques dans les écoles primaires, dans des villages isolés,
22:11 où les enfants peuvent terminer tout le cycle primaire sans avoir jamais vu un livre de leur vie.
22:17 Nous mettons des caisses remplies de livres et nous offrons à ces écoles-là des caisses qui sont gérées
22:23 par le directeur de l'école et le chef du village.
22:26 Nous avons également réhabilité plusieurs bibliothèques de lycées.
22:31 Nous avons également mis en place une belle bibliothèque à Douala avec l'accompagnement de l'ambassade de France.
22:39 Nous sommes aujourd'hui en train de mettre en place une bibliothèque également dans la ville de Marois,
22:46 toujours avec l'accompagnement de l'ambassade de France.
22:49 Nous menons également des grandes campagnes de sensibilisation sur l'importance de l'éducation des filles
22:56 et comment se prévenir des violences, et notamment le mariage précoce et forcé.
23:00 Et pour ces campagnes de sensibilisation, nous avons été accompagnés par plusieurs entreprises, etc.
23:07 Pour la dernière campagne qui a eu lieu en janvier, c'était le commissariat du Canada qui nous a accompagnés
23:14 et nous avons pu toucher 10 000 filles dans 10 établissements scolaires.
23:19 Nous parlions également des enfants et cette année scolaire, 500 enfants ont été pris en charge par l'association
23:26 et toutes leurs fournitures ont été offertes par l'association.
23:29 Alors je vous pose cette question, est-ce que tout cela ne vous confine pas, ne vous bloque pas à ne parler que du Sahel ?
23:37 Parce que le Sahel, évidemment, il vous permet d'être sur le haut de l'actualité, vous êtes occupé devant l'actualité.
23:47 Est-ce que ça ne vous oblige pas à être toujours dans le même septentrion, dans le Sahel ?
23:52 Est-ce qu'il n'y a pas un risque là d'être bloqué à ce niveau ?
23:57 Ou est-ce que vous avez, le voyant, le craignant, développé une dimension anthropologique humaine derrière tout ça ?
24:04 Vous racontez le Sahel en racontant l'humain.
24:07 Eh bien d'abord je voulais spécifier que je suis une écrivaine africaine, reconnue comme telle.
24:14 Une écrivaine camerounaise qui vit au Cameroun et mène ses actions et écrit ses livres au Cameroun.
24:21 Ceci dit, vous savez quand vous avez des écrivains, peut-être je donne au hasard comme ça, de Douala,
24:28 qui parle de la culture saoua, personne ne leur pose la question.
24:33 Quand on a une écrivaine qui vient du sud Cameroun ou du centre et qui situe ses romans au cœur de Yaoundé ou dans la forêt,
24:43 personne ne lui pose jamais la question.
24:45 Du moment où je suis une écrivaine du Grand Nord et que je parle du Sahel et de Marwa natale,
24:51 on veut toujours me confiner au Sahel, Camarwa, que je ne parle que de la situation là-bas.
24:57 Un écrivain est libre de dire ce qu'il a à dire, il est libre de situer ses romans où il a envie de les situer.
25:04 Un jour je pourrais même écrire un roman où l'action va se passer sur la lune, pourquoi pas ?
25:09 Mais je pense que l'écrivain est le miroir de sa société.
25:13 Je ne me sens ni honteuse, ni frustrée d'écrire le Sahel, je me sens au contraire légitime à ma place
25:23 et je le ferai tant que je vais trouver des sujets susceptibles d'être abordés tout simplement.
25:29 Et je suis extrêmement fière que grâce à ces romans-là, les Camerounais qui ne connaissent pas du tout le Nord Cameroun
25:35 aient envie aujourd'hui de le découvrir.
25:37 Le faisant, je sais que vous avez pour époux un autre romancier aussi.
25:43 Est-ce que pendant que vous travaillez à faire connaître au cœur du Sahel les impatientes qui n'en finissent plus,
25:50 il y a d'autres sentiers ?
25:53 Mon époux écrit en journée, "Padia di Hore Toro" pour ceux qui ne le connaissent pas,
25:58 encore que je pense qu'aujourd'hui tout le monde le sait.
26:01 Mais bon, quand même, c'est un écrivain formidable que j'aime beaucoup d'abord en tant qu'écrivain.
26:08 Parce que c'est les romans qui nous ont mis ensemble.
26:11 Et en plus, ce n'est pas que le roman, je me souviens exactement que son livre était quelque part là.
26:16 Ah, ici à l'IFC ?
26:18 Quelque part, je veux dire vraiment à cet endroit là, il y avait un rayon littérature africaine, biographie.
26:24 Et c'est là où j'ai trouvé son livre.
26:26 Je l'ai lu et j'ai eu envie de rencontrer l'auteur.
26:29 Je l'ai rencontré peut-être six mois plus tard parce que je n'ai pas osé le rencontrer plus tôt.
26:33 Six mois après, quand j'ai sorti mon premier roman "Ouala Ndela" de Patagène Marie,
26:38 et évidemment nos romances se sont aimées pour la vie.
26:42 Vos romances se sont aimées avant que vous n'y aimiez pas ?
26:44 Bien sûr que nos romances se sont aimées et se sont rencontrées.
26:47 Et il écrit, Badiène, je retourne mon impression parce qu'il écrit partout, à tout moment.
26:56 Moi je n'écris pas du tout comme ça.
26:59 Et donc quand nous sommes vraiment en train de rédiger, vraiment dans la phase manuscrite de nos ouvrages,
27:08 et quelquefois on écrit au même moment, et bien on vit dans la même maison mais on se côtoie juste,
27:13 on se dit bonjour en passant parce que moi je commence à écrire à partir de 23h30 jusqu'au matin.
27:20 Lui il a déjà écrit dans la journée, donc il dort pendant que j'écris et je dors pendant qu'il travaille.
27:27 Et donc on se rencontre dans la maison et on se dit "Coucou, tu existes encore ?"
27:32 Est-ce qu'il y a un style de ponctuation que vous utilisez le plus ?
27:39 Je n'aime pas les points d'interrogation, c'est angoissant les points d'interrogation.
27:43 Je n'aime pas du tout les points final parce que je suis quelqu'un de très nostalgique.
27:49 Je n'aime pas du tout les virgules parce qu'ils vous obligent ni à vous arrêter,
27:54 ni à continuer, ni à réfléchir également. Donc les points d'exclamation.
28:00 Alors, laissez-nous nous exclamer également.
28:03 Pour dire que c'était un plaisir de vous recevoir, Diahyli Amadou Amal.
28:07 Est-ce qu'on peut dire Diahyli Amal ?
28:14 Je pense que je vais changer le prénom Amal pour dire Abia.
28:18 Merci. Alors moi je dis à bientôt.
28:22 A très bientôt, mais on a oublié d'évoquer quand même un très grand événement qui a eu lieu hier.
28:29 Le premier choix Goncourt du Cameroun. C'est quelque chose d'extrêmement important.
28:34 Une idée est née. L'Institut français et l'ambassade de France ont suivi.
28:40 Et aujourd'hui, enfin pour la première fois dans notre histoire,
28:44 les étudiants camerounais pourront également choisir leur propre choix parmi les finalistes du choix Goncourt.
28:52 Et donc c'est ça le choix du Cameroun.
28:54 Et c'est une grande fierté, d'autant plus que nous ne sommes que le deuxième pays en Afrique qui organise le choix Goncourt.
29:02 Le deuxième pays en Afrique subsaharienne après le Niger.
29:05 Plein d'oeil au professeur Chantal Bonono.
29:08 Chantal qui a fait un travail formidable. Bravo Chantal Bonono.
29:12 C'était bien sûr Pontuation.
29:15 On vous souhaite bonne écoute, bonne lecture également.
29:21 On vous souhaite de parcourir les ouvrages de Diahyli Amal et de bien des auteurs.
29:25 A mardi prochain.
29:26 prochaine.
29:27 [Musique]